À la cité Marcel Paul de l'Île-Saint-Denis, les derniers habitants de trois tours délabrées tentent de survivre dans des conditions indignes au milieu d'un quartier en pleine rénovation pour les JO 2024. Et l'urgence de partir se fait de plus en plus vive.
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00:00 Voilà, regardez.
00:03 Je ne sais pas quoi faire.
00:06 Je me sens abandonnée.
00:09 Là, on survit en fait. On survit.
00:12 On vit dans des poubelles.
00:14 À l'île Saint-Denis, les habitants de la cité Marcel-Pol
00:17 vivent dans des conditions déplorables,
00:19 dans trois tours de 15 étages voués à la démolition.
00:22 La cité de logements sociaux fait tâche
00:24 au milieu d'un territoire en pleine rénovation urbaine
00:27 avant les JO 2024.
00:29 Le quartier est coincé pile entre un futur centre d'entraînement olympique
00:33 et le village des athlètes.
00:35 Et au milieu, il reste des habitants désemparés
00:38 entre leur besoin de quitter la cité
00:40 et l'envie de ne pas être relogés n'importe où.
00:43 Et beaucoup se sentent victimes du calendrier des JO 2024.
00:47 Je vais vous faire voir tout ce que j'ai mis là-dedans.
00:50 D'accord ?
00:51 Allez, je vous donne la clé.
00:53 Vous pouvez entrer.
00:54 Regardez, chez moi.
00:56 Regardez qui met les portes blindées.
00:59 On dirait qu'on est dans un cemitérie.
01:01 Les tombes noires.
01:02 C'était les voisins qui sont partis à Cachemire.
01:04 Là aussi, ils sont partis de l'île à l'île.
01:06 Vous êtes toute seule en fait ?
01:07 Je suis toute seule.
01:08 Toute seule au milieu des portes blindées ?
01:10 Voilà.
01:11 Entrez.
01:16 Ça fait un an que j'ai des souris dans la maison.
01:19 Je vais vous faire voir les souris.
01:21 J'achète les plaquettes.
01:25 Voilà.
01:26 Regardez.
01:27 Il y a des crottes sur la table.
01:30 Des crottes partout.
01:32 Pour que je prenne mon petit-déjeuner,
01:34 il faut que je mette ça.
01:36 Regardez, partout.
01:38 Je mets de l'aluminium pour ne pas qu'il vienne.
01:41 Et les souris, regardez.
01:43 Il y a des crottes partout.
01:44 Regardez les souris.
01:45 Sortez-les.
01:46 Regardez tout ce qu'il y a en bas.
01:48 Regardez.
01:49 Trois cassettes de souris.
01:51 Voyez les crottes que je ramasse tous les jours.
01:53 Le bailleur social Seine-Saint-Denis Habita,
01:56 qui gère la cité depuis 2022,
01:58 dit avoir réalisé plusieurs campagnes d'intervention technique
02:01 depuis un an pour préserver la sécurité des locataires.
02:04 C'est en tout de façon qu'on me laisse.
02:07 J'ai 85 ans.
02:08 Ma fille, elle a envoyé déjà Habita.
02:11 Comment est-ce que je vais vivre ?
02:13 On l'appelle, on lui envoie des messages,
02:15 personne ne me répond.
02:16 L'Isetta, elle fait partie des quelques 85 ménages
02:19 toujours en attente de relogement urgent ici.
02:21 Au début des relogements,
02:23 il y avait 292 familles dans cette situation.
02:26 Ça va aller ?
02:31 Oui, ça va aller.
02:32 Vous en pensez quoi des Jeux olympiques ?
02:35 Je ne sais pas.
02:36 C'est à cause de ça.
02:37 Vous avez l'impression que les Jeux olympiques,
02:39 c'est lié à tout ce qui vous arrive ?
02:41 Je pense oui.
02:42 Pour quelle raison ?
02:43 Parce qu'ils ont besoin que tout ça se dégage.
02:47 Le maire de Lille-Saint-Denis
02:49 dit lui-même avoir utilisé les JO
02:51 pour accélérer le départ des habitants
02:53 de ces tours insalubres.
02:55 Et ce, dans le cadre d'un projet de l'ANRU,
02:57 l'Agence Nationale de Rénovation Urbaine.
03:00 Je me suis battu d'arrache-pied
03:02 pour lier les deux projets.
03:03 J'ai compris très vite que je pouvais me servir des Jeux
03:06 pour protéger et accélérer notre projet ANRU.
03:10 La rapidité de l'ANRU à Lille-Saint-Denis
03:13 et du relogement est une chance.
03:15 C'est la possibilité que les habitants de Lille-Saint-Denis
03:18 soient prioritaires à l'échelle de toute la région.
03:21 Ça a été pour eux un moyen d'accélérer le projet de rénovation.
03:25 Sauf que ça se fait dans de mauvaises conditions.
03:27 En accélérant, on dégrade les conditions de relogement.
03:31 Siamak Chouhara est urbaniste
03:33 et avec son association, il épaule les locataires
03:36 dans ce processus de relogement.
03:38 Ils font des propositions à côté.
03:40 Le village olympique s'étend au milieu de Lille-Saint-Denis.
03:44 On en voit ici un tout petit bout
03:46 de la viserelle qui a été construite pour.
03:48 C'est tout le quartier qui se construit là-bas.
03:50 Ici, on est sur le site d'entraînement des futurs JO
03:54 pour les athlètes.
03:55 On est juste à côté de la cité Marcel-Paul
03:58 qui est entre le site d'entraînement et le village olympique.
04:01 Ils vont devoir traverser le quartier
04:03 pour pouvoir s'entraîner les athlètes.
04:05 Il y a une question d'image,
04:06 il y a une question aussi de salubrité.
04:08 La gestion est quand même mauvaise depuis plusieurs décennies.
04:12 Sauf que s'ils sont archi-prioritaires
04:14 pour quitter vite ce quartier délabré,
04:16 les locataires disent ne recevoir que des propositions de piètre qualité.
04:20 C'est une proposition, ça, qui a été faite à des personnes ?
04:23 Des conduitants, oui, à une famille.
04:25 Ça, c'est pour se reloger ?
04:27 Oui, c'est pour se reloger, une famille avec des enfants en base d'âge.
04:29 Se permettre de proposer n'importe quoi, n'importe où.
04:32 Parce que pour eux, ici, on est à Marcel-Paul,
04:34 ça veut dire que c'est le pire quartier pour eux.
04:36 On a vraiment beaucoup de propositions
04:38 avec des logements qui sont en très mauvais état,
04:41 voire insalubres.
04:42 Dans le règlement intérieur de l'ANRU,
04:44 il est précisé que les logements doivent être rénovés
04:47 de moins de 5 ans ou 9.
04:49 De son côté, Seine-Saint-Denis Habitat assure pourtant
04:52 ne proposer que des logements neufs
04:54 ou remis à neuf systématiquement.
04:56 Et en plus de ces relogements,
04:59 certains habitants ont été tout bonnement expulsés de leurs logements.
05:03 C'est le cas de cette mère de 4 enfants
05:05 qui vivait là depuis presque 15 ans.
05:07 Ils sont en train d'expulser pas mal de personnes
05:09 pour pouvoir dégager les tours le plus rapidement possible.
05:12 On a eu la visite d'un hussier qui est venu à domicile,
05:15 mais je n'étais pas là parce que j'étais du coup au travail.
05:19 Donc ils ont trouvé mon conjoint.
05:21 Comme mon conjoint n'est pas sur le bail avec moi,
05:23 son nom n'apparaît pas.
05:24 Donc ils ont déduit que c'était une sous-location.
05:27 Donc j'ai été expulsée le 31 octobre à 8h du matin.
05:30 Il y avait les forces de l'ordre,
05:31 donc du coup, qui m'ont dit que je devais quitter le logement.
05:35 Donc j'ai reçu un courrier comme ceci.
05:37 Voilà, donc c'est pas en lettre recommandée.
05:40 Je ne l'ai pas reçu avant,
05:41 donc je l'ai reçu trois jours après.
05:42 Il n'y a pas de motifs.
05:43 Peut-être c'est que j'ai une dette de loyer
05:46 qui date, ça fait quelques années maintenant,
05:49 mais qui est en ordre.
05:50 On m'a bien dit que c'était pour la soi-disant sous-location.
05:54 J'en fais des cauchemars encore.
05:55 Là, je fais deux jours chez ma sœur qui est à Astyn,
05:58 deux jours chez mon frère qui est dans le 77.
06:00 J'arrive pratiquement en retard tous les jours au travail en ce moment.
06:03 C'est très compliqué.
06:05 De son côté, le bailleur assure que ces expulsions
06:07 ne concernent que des sous-locations illégales.
06:10 On a contacté le maire, qui se dit très mobilisé
06:13 pour accompagner les locataires,
06:14 mais il n'a pas souhaité s'exprimer.
06:16 La petite musique qu'essayent de nous dire
06:18 certains médias nationaux sur les JO,
06:21 qui est de dire "on dégage les gens",
06:23 "on invisibilise les pauvres", etc.
06:25 Ce n'est pas le cas à l'Île Saint-Denis.
06:26 S'il y a une ville qui se bat, c'est bien nous.
06:28 Moi, je connais peu de villes,
06:29 et le sous-préfet nous le disait encore ce matin,
06:31 où on a des élus et des services aussi mobilisés sur ça.
06:34 En attendant, cette habitante, Lisetta et ses voisins
06:37 espèrent obtenir un nouveau logement,
06:39 tout en vivant au milieu des quartiers flambants neufs
06:42 qui poussent partout autour.
06:43 Des constructions bien plus coûteuses
06:45 qui sont très rarement destinées à ces habitants du parc social.
06:49 Ah oui, Saint-Ouen, ils construisent beaucoup.
06:52 Et l'Île Saint-Denis aussi.
06:54 Et pourtant, il n'y a pas de logement pour vous ?
06:56 Non.
06:57 Et même dans le social, les loyers augmentent aussi.
07:00 Ça va être neuf, ça va être beau.
07:02 Moi, mon rêve, ça aurait été de continuer à vivre ici,
07:05 je vous le dis honnêtement.
07:06 C'est bien beau de faire tout ça,
07:08 mais nous, les habitants de Marcel-Paul,
07:10 on ne peut pas y accéder.
07:12 C'est un logement cher.
07:13 La mailleure, elle a dit à ma fille
07:16 qu'il n'y avait pas de logement à Saint-Ouen pour moi.
07:19 Mais quand on voit qu'il y a tout qui est construit,
07:22 qui est neuf, qui est beau,
07:24 et qu'on vous dit ça, vous vivez comment ?
07:26 Je pleure.
07:28 Parce que ma vie, c'est ici.
07:31 Regardez, j'ai arrivé en France en 1966.
07:34 J'ai arrivé tout de suite à l'île Saint-Denis.
07:37 Je me sens bien tombée.
07:41 Je suis heureuse.
07:44 [Musique]