Le Nouveau Passé-Présent - France 1940, les raisons de la débâcle

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Il est peu de tragédies comparables à celle qui s’est déroulée sur le sol de la France entre le 10 mai et le 10 juillet 1940. Soixante jours qui ont suffi pour anéantir nos armées et balayer nos institutions » notait Jacques Benoist-Mechin dans l’avant-propos de son ouvrage paru en 1956 et devenu un classique, « Soixante jours qui ébranlèrent l’Occident ». Deux mois qui ont changé le visage de la France et de l’Europe. La défaite militaire d’une armée française qui vingt ans plus tôt était considérée comme la première du monde résonne toujours durablement dans notre mémoire collective.
L'invité de cette émission, Max Schiavon, historien et ancien directeur du Service historique de la Défense, pose un regard lucide sur ce printemps 1940, genèse de bien des drames et de nombreux mensonges qui prospèrent encore aujourd’hui. Il n'hésite pas à pointer les responsabilités tant militaires que politiques, les défaillances de la troisième république, de l’armée et du Front populaire dans cet effondrement.

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00:00:00 Chers amis, cette fois, c'est avec une véritable inquiétude que je prends la parole.
00:00:05 À l'heure où j'enregistre ces quelques mots,
00:00:07 nous avons réuni les deux tiers du budget de TV Liberté.
00:00:11 En d'autres termes, il nous manque beaucoup.
00:00:14 Bien sûr, je sais les difficultés que de plus en plus d'entre nous rencontrent
00:00:18 à cause de la gestion calamiteuse de notre pays.
00:00:20 Économie, énergie, géopolitique, identité,
00:00:23 pas un seul domaine n'aura résisté à la clique au pouvoir,
00:00:26 qui vous contraint pourtant de la financer grassement.
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00:00:48 Tout le monde.
00:00:49 Y compris ceux qui n'auraient pas les moyens de payer pour s'extraire de la propagande d'État.
00:00:52 C'est notre modèle.
00:00:54 Peut-être, c'est vrai, que c'est aussi notre idéal.
00:00:57 Car cette logique repose sur le principe de responsabilité.
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00:01:15 Parce que nous croyons en ces liens que nous avons tissés au fil des dix dernières années.
00:01:19 Parce que nous pensons que notre aventure ensemble doit continuer.
00:01:23 Il y a tant de défis à relever.
00:01:25 Alors je sais que si aujourd'hui, je vous dis que je suis inquiète pour notre avenir,
00:01:29 que j'ai besoin de vous pour continuer notre mission,
00:01:32 vous serez au rendez-vous.
00:01:34 Et je sais que je ne me trompe pas.
00:01:36 Bonne fête de fin d'année à tous.
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00:02:29 Chers amis téléspectateurs de TVL,
00:02:33 bienvenue dans Passé-présent, votre émission historique
00:02:36 présentée en partenariat avec la revue d'histoire européenne.
00:02:41 Il est peu de tragédie comparable à celle qui s'est déroulée sur le sol de la France
00:02:46 entre le 10 mai et le 10 juillet 1940.
00:02:50 60 jours qui ont suffi pour anéantir nos armées et balayer nos institutions.
00:02:56 Notait Jacques-Benoît Méchain dans l'avant-propos de son ouvrage
00:03:00 paru en 1956 et devenu un classique.
00:03:03 60 jours qui ébranlèrent l'Occident.
00:03:06 Deux mois qui ont changé le visage de la France et de l'Europe.
00:03:09 La défaite militaire d'une armée française,
00:03:11 qui 20 ans plus tôt était considérée comme la première armée du monde,
00:03:15 résonne toujours durablement dans notre mémoire collective.
00:03:18 Poser un radeur lucide sur ce printemps 1940
00:03:22 genèse de bien des drames et de nombreux mensonges
00:03:25 qui prospèrent encore aujourd'hui est essentiel.
00:03:28 Il ne faut pas hésiter à pointer les responsabilités,
00:03:31 tant militaires que politiques, les défaillances de la Troisième République,
00:03:34 de l'armée et du Front populaire dans cet effondrement.
00:03:37 C'est ce que nous allons faire en compagnie de notre invité Max Scavon.
00:03:41 Max Scavon, bonjour.
00:03:42 Bonjour.
00:03:43 Vous êtes docteur en histoire, ancien directeur de la recherche du service historique de la défense,
00:03:49 spécialiste des deux derniers conflits mondiaux, auteur prolifique.
00:03:53 Vous avez publié 23 ouvrages, je vais en citer quelques-uns.
00:03:56 Et j'ajoute que vous êtes un contributeur régulier et apprécié de la revue d'histoire européenne.
00:04:01 Donc parmi vos livres, je vais citer "Vegan, l'intransigeant" chez Taillandier en 2019,
00:04:08 "Les carnets secrets du général Utsije" chez Pierre de Taillac en 2019,
00:04:13 "La bataille des Alpes" en juin 40, toujours chez Pierre de Taillac en 2021,
00:04:17 et "Gamelin ou la tragédie de l'ambition" chez Perrin en 2021 également.
00:04:23 Donc vous n'arrêtez pas, d'autant que vous venez de publier "1940, les raisons d'un échec aux éditions Caracter"
00:04:31 et qui va être l'objet de notre entretien.
00:04:34 Alors je vais commencer cette émission en citant l'épigraphe de cet ouvrage,
00:04:40 qui est une citation de Montesquieu, reprise par un auteur.
00:04:44 "Montesquieu a fort bien dit qu'au lendemain d'une défaite,
00:04:47 il faut distinguer les causes immédiates de la perte d'une bataille
00:04:51 et les causes profondes et anciennes de cet échec.
00:04:54 Dès lors, il appartient aux historiens de faire la distinction
00:04:57 entre les fautes d'ordre stratégique et d'ordre tactique, imputables aux militaires,
00:05:01 et les fautes d'ordre diplomatique, d'ordre politique, d'ordre économique,
00:05:05 qui sont le fait des gouvernants."
00:05:08 Alors effectivement, on s'aperçoit que cette défaite de juin 1940,
00:05:11 c'est, j'allais dire, la conjonction soit d'incompétence, soit d'attente,
00:05:14 soit d'erreur de jugement.
00:05:17 Mais avant toute chose, je voudrais faire l'analyse du pays avant le conflit.
00:05:21 Est-ce que le pays avait vraiment confiance en lui ?
00:05:24 Non, le pays est dans un état catastrophique en 1939.
00:05:31 Beaucoup de points d'ailleurs sont à comparer avec ce qui se passe aujourd'hui.
00:05:35 Mais pour revenir donc à l'entre-deux-guerres,
00:05:38 le pays est en grande difficulté sur le plan financier, diplomatique, industriel, militaire.
00:05:45 Donc on peut revenir sur ces points, si vous voulez.
00:05:48 On va revenir rapidement, enfin il faudra revenir effectivement sur le plan diplomatique
00:05:52 et puis sur le plan militaire qui va nous assurer.
00:05:55 Mais sinon, quand je parle de confiance,
00:05:58 est-ce que le pays a confiance déjà en ses gouvernants, en son armée ?
00:06:03 Alors, c'est ambivalent. Le pays est pacifiste.
00:06:06 Il est encore très imprégné par les hécatombes de 1914-1918
00:06:09 qui ont marqué profondément les esprits.
00:06:12 Il semble qu'il y ait un sursaut en 1938-1939.
00:06:15 Par exemple, le commandement s'attendait à énormément de désertions,
00:06:19 et il n'y en a presque pas, donc les Français ont répondu à l'appel.
00:06:22 Mais le moral n'est pas au beau fixe.
00:06:25 Et au niveau politique étrangère, au niveau diplomatique ?
00:06:29 Alors, si on doit résumer, la France c'est très inférieur à l'Allemagne,
00:06:35 en gros du simple au double, c'est-à-dire on a 39 millions d'habitants,
00:06:38 l'Allemagne en a presque 80, et même nous, même avec les colonies,
00:06:41 on sait qu'on ne pourra pas s'en sortir, donc on a besoin d'alliés.
00:06:44 Et durant l'entre-deux-guerres, on a réalisé un certain nombre d'ententes
00:06:48 avec la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie, la Pologne, les trois pays,
00:06:51 ces ententes que nous appelons la "petite entente" d'ailleurs,
00:06:54 mais sans avoir les moyens de notre politique,
00:06:57 c'est-à-dire qu'on a réalisé une entente, mais nous n'avons pas les moyens
00:07:00 de les soutenir s'ils sont agressés, et on le verra dans le cas de Munich,
00:07:03 de la Tchécoslovaquie. Donc, nous avons une diplomatie faible,
00:07:06 associée à une armée qui n'est pas encore au niveau,
00:07:10 et comme l'a dit, je crois que c'était Frédéric II,
00:07:13 la diplomatie sans les armes, c'est comme la musique sans les instruments.
00:07:17 – Et c'est justement cette armée qui n'est pas au niveau,
00:07:20 mais également au niveau de la doctrine.
00:07:23 La doctrine a évolué entre 1920 et 1939,
00:07:27 mais donc dans les années 1920, quelle est la doctrine ?
00:07:31 – Dans les années 1920, clairement, le haut commandement reste sur
00:07:36 une guerre type 1918, pas 1914 mais type 1918,
00:07:40 donc une guerre de position sur un front continu,
00:07:44 et qui exige d'avoir une nette supériorité sur l'ennemi
00:07:47 pour pouvoir passer à l'attaque, pour pouvoir passer à l'offensif.
00:07:50 Et comme dans les années 1930, pour diverses raisons,
00:07:52 qui seraient peut-être longs à expliciter,
00:07:54 mais par exemple les classes creuses, les enfants qui ne sont pas nés en 1914-1918,
00:07:57 donc nous avons une défense nationale qui repose exclusivement
00:08:02 sur l'armée mobilisée. Pour donner un exemple…
00:08:06 – Qui dit qu'il n'y a pas de réserve.
00:08:07 – Il n'y a pas beaucoup de réserve, et cette faiblesse des effectifs,
00:08:10 en 1914, il y a 40 régiments d'infanterie d'actifs à 4 bataillons,
00:08:14 en 1939, il y a 20 divisions d'actifs à 3 régiments,
00:08:20 donc on est de 160 régiments d'infanterie, il n'y en a plus que 60.
00:08:24 Donc on manque d'armées d'actifs, et en plus, ce qui est peu connu,
00:08:30 en général, tous les régiments d'actifs vont se démultiplier
00:08:33 pour donner naissance à des divisions de série B, de série A,
00:08:37 ça va finalement affaiblir les unités d'actifs, on le saura plus tard,
00:08:41 sans renforcer notamment les divisions de réserve.
00:08:44 Contrairement à ce qu'ont fait les Allemands de créer des corps d'élite,
00:08:47 les Panzer-Divisions, les divisions d'infanterie motorisées,
00:08:49 et de concentrer les moyens sur quelques dizaines de divisions,
00:08:52 en en laissant 100 à cheval, très classique, un petit peu comme nous,
00:08:56 nous, nous allons étaler tout ce que nous avons.
00:08:59 Il n'y a aucun corps d'élite capable d'avoir une réaction rapide.
00:09:02 – Et donc la doctrine, on est sur la défensive,
00:09:04 donc on construit la ligne Maginot…
00:09:06 – Oui, alors la doctrine c'est clair, alors on construit la ligne Maginot,
00:09:09 à l'origine, c'est pour éviter une attaque brusquée,
00:09:12 le commandement a une phobie, même avant 1914,
00:09:15 c'était l'attaque brusquée qu'on ne verrait pas arriver,
00:09:17 donc il faut arrêter une attaque brusquée qui se déclencherait en 24 heures.
00:09:20 Mais petit à petit, cette ligne Maginot se transforme
00:09:23 dans l'esprit des Français, en une muraille infranchissable.
00:09:26 Et toute l'histoire depuis la Muraille de Chine nous montre
00:09:28 qu'il n'y a aucune muraille infranchissable.
00:09:31 – Oui, alors au niveau politique, la politique vis-à-vis de l'armée va évoluer,
00:09:37 on est en 1939, en 1936 c'est le Front populaire,
00:09:42 quelle est la politique du Front populaire par rapport à l'armée ?
00:09:45 – Alors si vous me permettez, je vais commencer un petit peu avant.
00:09:48 – Allez-y.
00:09:49 – Lorsque Weygand devient chef de l'armée en 1931,
00:09:52 il va le rester jusqu'en 1935, il commence à avoir des comptes rendus
00:09:56 qui annoncent le réarmement de l'Allemagne.
00:09:59 Donc avant qu'Hitler parvienne au pouvoir.
00:10:01 C'est intéressant, c'est la République de Weimar qui commence à réarmer.
00:10:05 Les rapports du deuxième bureau sont au service historique de la Défense,
00:10:08 ils sont consultables.
00:10:09 Donc il avertit les hommes politiques, par exemple Daladier
00:10:13 qui est déjà ministre de la guerre en 1932, Paul Boncourt, Piétri,
00:10:19 mais principalement du fait des contraintes budgétaires
00:10:23 puisque la France n'a pas de finances saines entre 19 et 39
00:10:27 à part deux années avec Poincaré.
00:10:29 Les finances, on a un déficit et des dettes.
00:10:32 Principalement pour des raisons budgétaires,
00:10:35 le gouvernement ne donne pas de crédit pour acheter de nouveaux matériels.
00:10:39 Donc on commence à prendre du retard, ce retard va se cumuler
00:10:42 et lorsque l'on aura des crédits importants à partir de 1937,
00:10:48 les usines n'auront pas pu commander les industriels des machines-outils
00:10:52 et ne pourront fabriquer en grande quantité qu'à partir de 1940.
00:10:55 Si vous voulez, tous les hommes politiques et le commandement
00:10:58 tablent sur une guerre, une bataille qui se déclenchera en 1941.
00:11:02 Mais malheureusement les Allemands ont attaqué avant.
00:11:04 – Et les hommes, vous avez parlé de Weygand,
00:11:07 Weygand lui, c'est l'équivalent de chef d'état-major des armées.
00:11:10 – Non, Weygand c'est chef d'état-major de l'armée de terre.
00:11:13 C'est bien ça le problème, là aussi dont on parlera rarement dans les livres,
00:11:16 c'est que par peur du pouvoir militaire, le gouvernement,
00:11:20 malgré les preuves qui lui ont été données,
00:11:22 malgré l'exemple de Foch à partir d'avril 1918,
00:11:25 le pouvoir militaire refuse l'instauration, le pouvoir politique
00:11:30 et certains militaires, par exemple la marine qui se singularise comme souvent,
00:11:33 refusent qu'il y ait un chef d'état-major des armées
00:11:36 qui puisse arbitrer dans les budgets,
00:11:38 tout ça par peur de perdre du pouvoir et des budgets.
00:11:41 – Donc on a Weygand, il va rester jusqu'en…
00:11:45 – Jusqu'en janvier 1935.
00:11:46 – Jusqu'en janvier 1935 et il est remplacé par…
00:11:48 – Gamelin.
00:11:49 – Gamelin, donc quelques mots sur Gamelin,
00:11:53 vous avez écrit un livre sur lui, donc vous allez pouvoir nous en parler.
00:11:55 – Oui, je vais pouvoir vous en parler longtemps.
00:11:57 Gamelin c'est le type premier de la classe,
00:11:59 il est sorti premier de Saint-Cyr,
00:12:01 il est extrêmement brillant intellectuellement,
00:12:04 mais malheureusement à côté de ses qualités d'intelligence,
00:12:07 de culture, de savoir, il a de graves défauts multiples.
00:12:12 Il reporte sur ses collaborateurs les erreurs,
00:12:15 il remet au lendemain ce qu'il peut faire le jour même,
00:12:17 donc il procrastine, il fait du en même temps,
00:12:20 c'est-à-dire qu'il choisit pas…
00:12:22 – Ça nous rappelle quelqu'un ?
00:12:24 – Un petit peu, il choisit pas entre deux canons,
00:12:26 deux types de canons, il dit on en prend un petit peu de ceux-là,
00:12:29 un petit peu des autres, donc le Colonel Payolle,
00:12:32 qui est le chef des services secrets,
00:12:34 a eu une phrase magnifique pour le décrire,
00:12:37 il a dit, le Colonel Payolle, à propos de Gamelin,
00:12:40 il pense bien, se décide difficilement et ne s'impose jamais.
00:12:45 Alors il pense bien assez souvent,
00:12:47 il se décide difficilement, effectivement,
00:12:50 il remet au lendemain et puis il ne s'impose pas,
00:12:52 ce qui est grave pour un commandant en chef, de ne pas pouvoir s'imposer.
00:12:54 – Donc en gros, ce n'est pas un bon chef.
00:12:55 – Non, c'est un chef qui manque de caractère,
00:12:57 si j'avais un seul mot, voilà.
00:12:59 Il a du savoir, il est compétent dans cette partie,
00:13:01 il aurait fait un excellent chef d'état-major,
00:13:03 conseiller du gouvernement, mais pas décideur, vous voyez,
00:13:06 pour conseiller les ministres, laissant aux ministres les décisions.
00:13:09 – Alors en 39, la France doit mobiliser un peu plus de 5 millions d'hommes,
00:13:13 5 millions 345 000, exactement, c'est énorme par rapport aux Allemands déjà ?
00:13:17 – Oui, c'est même plus que les Allemands.
00:13:18 – Plus que les Allemands ?
00:13:19 – Plus que les Allemands, parce qu'on a peur de l'attaque brusquée,
00:13:21 il faut à tout prix arrêter les Allemands à la frontière.
00:13:23 Les semaines suivantes, on est obligé de renvoyer
00:13:25 des centaines de milliers d'hommes, des spécialistes, dans les usines,
00:13:27 sinon les usines ne peuvent pas produire d'armement à l'arrière.
00:13:29 – 5 millions 345 000, c'est-à-dire qu'on mobilise beaucoup de classes ?
00:13:33 – On mobilise 12-14% des Français.
00:13:35 Tous les hommes de 20 ans à 35 ans sont quasiment sous les armes,
00:13:39 parfois à l'intérieur, mais ils sont sous les armes.
00:13:41 – Et quel est l'état de cette troupe ?
00:13:43 En termes d'instruction, est-ce qu'elle a été instruite ?
00:13:47 Quel est son moral ?
00:13:48 – Alors, comme je vous l'ai dit, il y a 20 divisions d'actives,
00:13:53 une quarantaine ou une cinquantaine de divisions de série A,
00:13:58 17 divisions de série B, donc les divisions de série A et de série B,
00:14:01 l'amalgame se fait, ça veut dire que les cadres d'actives
00:14:05 arrivent à entraîner les réservistes.
00:14:07 Et plus on va vers des divisions qui comportent un nombre important
00:14:11 de réservistes, moins cet amalgame s'est fait
00:14:13 et moins l'entraînement a pu se faire.
00:14:15 Alors certes, il manque des munitions, mais là,
00:14:17 il y a une faute du commandement qui, il ne le sait pas en septembre,
00:14:20 mais va pouvoir profiter de 8 mois et qui n'arrivera pas
00:14:23 à refaire l'instruction. Dans les 17 divisions de série B,
00:14:26 nous avons des hommes qui ont au moins 32 ans,
00:14:28 ils ont fait leur service militaire il y a au moins 12 ans,
00:14:31 il faut tout remettre à plat.
00:14:33 Le pouvoir politique a quand même un défaut,
00:14:37 enfin a quand même commis une erreur majeure dans ce domaine,
00:14:40 c'est que là aussi, un petit peu comme le commandement avertit
00:14:43 qu'il fallait réarmer, depuis le début des années 30,
00:14:47 le commandement souhaite que les périodes pour les cadres de réserve,
00:14:51 officiers sous socie de réserve, deviennent obligatoires.
00:14:53 Et tous les ministres successifs ont refusé.
00:14:56 Daladier donne son accord finalement en 1938
00:14:58 pour une mise en application en octobre 1939.
00:15:01 Trop tard, c'est la guerre.
00:15:03 Et donc on s'aperçoit, on a tous les rapports là-dessus également,
00:15:06 que ceux qui parviennent à bien commander,
00:15:10 ce sont ceux qui avaient un poste de commandement de chef dans le privé,
00:15:14 qui étaient banquiers, qui étaient proviseurs,
00:15:16 qui étaient professeurs, qui étaient conducteurs de travaux.
00:15:18 Mais dans beaucoup d'autres cas, et notamment pour les sous-officiers
00:15:20 de réserve, la situation est lamentable.
00:15:23 Beaucoup n'arriveront pas à commander.
00:15:26 – Ou même pour les officiers subathènes, vous parliez d'officiers subathènes,
00:15:28 ventriprotents, peu physiques.
00:15:30 – Oui, selon les armées, on les éliminera,
00:15:32 c'est-à-dire qu'on les renverra chez eux,
00:15:34 ou on les mettra dans un poste à l'arrière.
00:15:36 Mais il y a eu un vrai problème de réservistes.
00:15:38 – Et le moral de la troupe ? On n'est pas la fleur au fusil ici.
00:15:43 – Alors on le suit très bien avec le contrôle postal.
00:15:46 C'est-à-dire que pour nos auditeurs, un bureau de la censure est créé,
00:15:50 et un certain nombre d'enveloppes, tous les jours 30 000, 40 000 enveloppes
00:15:52 sur l'ensemble du front sont ouvertes.
00:15:54 Donc on peut dessiner une courbe.
00:15:56 Et on s'aperçoit que le moral est bon pendant les trois premiers mois,
00:16:00 il va baisser en décembre, janvier, sûrement aussi lié aux conditions climatiques
00:16:03 qui sont extrêmement dures. – Le froid, les fêtes.
00:16:05 – Le froid, les fêtes, on ne peut pas travailler dehors, etc.
00:16:09 Il remonte légèrement au printemps, mais ce n'est pas un moral excellent.
00:16:15 – Alors, 5 345 000 hommes sous les drapeaux, il faut les commander,
00:16:21 il faut leur donner des directives.
00:16:23 Quelle est la doctrine de l'armée à ce moment-là ?
00:16:25 Vous dites, vous avez un mot assez dur, en vous référant à l'IGU,
00:16:29 qui est l'instruction générale sur les grandes unités,
00:16:32 des 1936, vous dites que le commandement nie l'art de la guerre.
00:16:36 C'est quand même féroce.
00:16:38 – Oui, parce que depuis 1918, le commandement,
00:16:43 les "penseurs" militaires se sont orientés vers quasi-exclusivement
00:16:51 une guerre qui débuterait pendant une longue période avec un front continu.
00:16:55 Ce front continu, il faut l'équiper.
00:16:58 Et donc, on est arrivé à avoir parmi les généraux,
00:17:02 je pense à Condé, je pense à Blanchard,
00:17:04 beaucoup sont polytechniciens, mais pas exclusivement, des ingénieurs.
00:17:08 Et ils servent souvent dans l'ingénierie et l'artillerie,
00:17:11 que ce soit pour les constructions ou par exemple le combat d'artillerie,
00:17:14 il faut mettre tant de canons au kilomètre
00:17:16 qui tireront tant d'obus pendant tant de minutes
00:17:18 et ça devrait permettre d'arriver au résultat.
00:17:20 – Encore c'est vrai sur le papier mais…
00:17:22 – C'est vrai sur le papier mais il n'y a jamais de plan B.
00:17:24 Ils n'ont pas pu imaginer une seconde que les Allemands
00:17:28 inventeraient la tactique qu'ils ont employée,
00:17:30 sinon ils auraient constitué des réserves.
00:17:32 Donc, autant dans les années 1920, la doctrine évolue,
00:17:36 l'école de guerre enseigne qu'il n'y a justement pas de solution unique,
00:17:39 autant à partir de 1930, et le général Boffre l'explique très bien,
00:17:42 la doctrine se fiche quelque peu et ceux qui professent,
00:17:46 ceux qui émettent des critiques ou des idées différentes
00:17:50 sont vus un petit peu comme des hérétiques.
00:17:52 – On va en parler plus tard, oui.
00:17:53 Il y a un vraiment manque d'imagination ce lapin de l'état-major.
00:17:55 – Oui, il y a un vraiment manque d'imagination
00:17:57 et je vous dis, ceux qui sortent des sentiers battus
00:17:59 sont sanctionnés dans le sens où on ne leur donne pas les commandements…
00:18:02 – Pourtant ce sont déjà des hommes qui ont combattu soit en 1418,
00:18:04 soit dans les guerres du Rif, etc.
00:18:07 – Oui, mais ils se sont figés, l'âge a dû aider
00:18:15 parce que nous avons des généraux qui sont un tout petit peu plus âgés
00:18:18 qu'en Allemagne de 3 ans, 4 ans, et c'est beaucoup à cette époque.
00:18:22 C'est beaucoup, entre 59 et 64 ans, sur le terrain, c'est pas la même chose.
00:18:26 – Et alors, en face, la doctrine allemande, corrigez-moi si je me trompe,
00:18:30 favorise beaucoup plus l'initiative sur le terrain.
00:18:33 Est-ce que c'est vrai ou pas ça ? C'est ce qu'on dit.
00:18:36 – C'est vrai, c'est vrai, c'est faux, en fait…
00:18:40 – C'est-à-dire qu'on n'est pas obligé de faire remonter à chaque fois
00:18:42 pour exécuter un ordre, de voir… c'est pas administratif.
00:18:45 – Voilà, vous parlez de centralisation.
00:18:46 Effectivement, les Allemands sont déjà sur le modèle, je donne la mission,
00:18:50 et à partir du moment où je suis sûr qu'elle est comprise,
00:18:52 je laisse aux exécutants, avec les moyens qu'ils ont, la manière de la remplir.
00:18:57 Nous, effectivement, on est dans un commandement extrêmement centralisé, pyramidal,
00:19:00 et tout remonte au Grand Quartier Général, au GQG, et/ou au Général Gamelin.
00:19:06 Donc, les exécutants ont peur de tout.
00:19:08 Je suis en train de traiter diverses archives,
00:19:11 et je suis tombé sur une lettre du Général Lohr,
00:19:13 qui commande un corps d'armée, mais un très important corps,
00:19:17 le 9ème corps d'armée en Lorraine, 100 000 hommes.
00:19:19 C'est l'armée française d'aujourd'hui, il commande 100 000 hommes,
00:19:21 et il se fait taper sur les doigts, vertement, par son commandant d'armée,
00:19:24 de la 4ème, le Général Requin,
00:19:26 parce qu'il a engagé une opération avec 900 hommes.
00:19:28 Et il répond par une lettre, il dit "je suis commandant de corps d'armée,
00:19:31 si je dois rendre compte à Paris, parce que j'engage 900 hommes,
00:19:34 alors que j'en ai 100 000 sous mes ordres, où va-t-on ?"
00:19:37 Voilà la tare de l'armée française à cette époque.
00:19:40 - Alors après les hommes et la doctrine, qu'en est-il du matériel ?
00:19:44 Je vais vous demander de détailler très très rapidement
00:19:49 les véhicules, les canons, etc.
00:19:50 et puis après on va rentrer dans le détail sur certaines unités.
00:19:55 Donc voilà, on commence à réarmer, vous dites, en 1937 ?
00:19:58 - Oui.
00:19:59 - Donc qu'en est-il ? Est-ce qu'on a assez de véhicules ?
00:20:02 Est-ce qu'on a assez de canons, l'ADCA, l'aviation, les blindés ?
00:20:05 Vraiment, vous bossez très très rapidement.
00:20:08 - Très rapidement.
00:20:09 - Non mais après on rentrera dans le détail, je vous promets.
00:20:12 - L'armée commence à avoir des crédits en 1937,
00:20:16 mais la réorganisation, notamment sous la coupe de Raoul Dautry,
00:20:20 qui est un très bon ministre de l'armement,
00:20:23 on sait que les matériels sortiront en quantité à partir du printemps 40.
00:20:29 Donc à partir de mars-avril, on commence à avoir des livraisons importantes.
00:20:33 Sur le plan de la motorisation, l'armée a 35 000 véhicules en temps de paix,
00:20:38 il en faut 300 000, et c'est compté bas.
00:20:40 Elle n'arrivera jamais, malgré les réquisitions,
00:20:43 malgré les achats aux États-Unis, malgré la production industrielle,
00:20:46 elle ne montera jamais à plus de 270 000.
00:20:48 Et on pourrait parler des 120 modèles différents
00:20:51 qui font que quand on ne monte pas, on ne peut pas le réparer.
00:20:54 Donc on manque de motorisation.
00:20:56 Je ne prends qu'un exemple, l'armée a besoin de 2500 camions-citernes,
00:21:00 qu'on appelle à l'époque des camions-réservoirs.
00:21:02 On commence la mobilisation, on en a 37, il en faut 2500.
00:21:08 Donc ça explique aussi pourquoi on ne pouvait pas attaquer en septembre.
00:21:11 Il faut un mois pour mobiliser.
00:21:12 – Il y a vraiment un manque de matériel flagrant.
00:21:14 – Ah oui, il y a un manque de matériel flagrant.
00:21:16 J'en donne un deuxième exemple, après vous m'interrogerez.
00:21:18 Les canons d'artillerie, de défense antiaérienne, de DCA,
00:21:22 pour les avions volants à moyenne et haute altitude.
00:21:24 L'armée commande 460 canons de 90 mm,
00:21:30 et le 10 mai il y en a 19 en service.
00:21:34 Donc 19 canons pour toute la France.
00:21:37 – Et l'aviation, on est où ?
00:21:42 – L'aviation est en phase également de réorganisation.
00:21:47 Nous avons de bons matériels qui sortent,
00:21:49 mais l'organisation de l'aviation est mauvaise,
00:21:52 la doctrine de l'aviation est mauvaise,
00:21:54 et certains de leurs matériels sont obsolètes.
00:21:56 Donc la chasse fera ce qu'elle pourra,
00:21:58 le bombardement se révélera insignifiant
00:22:01 parce qu'on n'a pas commandé les bons matériels au bon moment.
00:22:03 – Alors quand on fait la guerre, on ne le fait pas tout seul, il faut un ennemi.
00:22:06 Lui l'ennemi en face, qu'est-ce qu'il fait justement ?
00:22:08 Vous parliez du mauvais emploi de l'aviation,
00:22:10 son aviation fonctionne comment ?
00:22:12 – Les Allemands ont choisi, depuis plusieurs années,
00:22:16 de faire de l'appui au sol.
00:22:17 C'est-à-dire qu'il faudrait revenir un petit peu en arrière,
00:22:21 le grand penseur de l'entre-deux-guerres c'est Doué,
00:22:23 le général italien Doué, qui impressionne fortement les Français,
00:22:27 et qui ne parle que de bombardements stratégiques,
00:22:29 des bombardements dans la profondeur,
00:22:30 on bombardera les villes avec des bombes, des bombes au gaz,
00:22:33 donc tout le monde sait la phobie, il y a des revues
00:22:35 dont la couverture c'est un homme avec un masque à gaz dans l'entre-deux-guerres,
00:22:38 et la France est un petit peu dans cette optique,
00:22:41 les aviateurs français, ils ont donc fait l'impasse
00:22:45 sur l'appui des troupes au sol.
00:22:46 Et puis ils ont aussi fait l'impasse sur l'appui des troupes au sol
00:22:49 parce qu'ils ne veulent pas que des éléments aériens
00:22:50 soient aux ordres de l'armée de terre.
00:22:52 – D'accord, alors on va maintenant détailler unité par unité,
00:22:57 non, mais grand groupe, je ne sais pas comment on peut dire,
00:23:01 groupe d'activité, on va commencer à parler de l'infanterie.
00:23:04 Donc l'infanterie reine des batailles, dit-on.
00:23:06 – Théoriquement, oui.
00:23:08 – Donc a-t-elle tenu son rôle ?
00:23:12 D'ailleurs là vous vous posez la question plus sévèrement,
00:23:15 vous vous demandez a-t-elle fait son devoir ?
00:23:17 Alors est-ce que l'infanterie a fait son devoir, d'après vous ?
00:23:20 – Alors l'infanterie a fait son devoir, globalement,
00:23:25 même si certaines unités ont paniqué au début de la campagne,
00:23:29 on pense à la 55e DI à Sedan, qui s'est emparée,
00:23:34 qui s'est délitée, qui a subi une panique qui est encore étudiée aujourd'hui,
00:23:38 à Bullson, et les hommes ont abandonné leurs armes,
00:23:40 ont reculé jusqu'à Reims, enfin comme si, vous voyez,
00:23:43 ils ont lancé les chars alors que les chars étaient à plusieurs kilomètres,
00:23:45 enfin il y a eu une panique.
00:23:46 Bon, globalement, l'infanterie a fait son job, si je peux dire, son métier,
00:23:53 mais elle n'a pas été employée comme le règlement le prévoyait,
00:23:58 et ça c'est très important de le dire.
00:24:00 C'est-à-dire que, par exemple, une division d'infanterie,
00:24:02 16 000 hommes, devait défendre 10 km de front.
00:24:06 Or, par manque de grande… – Ça c'est sur le papier.
00:24:08 – C'est sur le papier, mais des essais avaient été faits dans des camps,
00:24:11 en terrain libre, et on s'était aperçu que,
00:24:13 derrière une coupure, 10 km ça allait bien.
00:24:15 Bon, la division du général Juin, en Belgique,
00:24:19 elle a été mise face à 5 km, parce qu'il n'y avait pas de…
00:24:22 en ruisseau, il n'y avait pas de coupure, et là c'était en plaine.
00:24:25 Donc pour 5 km, c'était la largeur que pouvait défendre toute la division.
00:24:28 Mais ailleurs, par exemple, du côté, au nord de Monthermé, sur la Meuse,
00:24:32 la 61e DI, qui est une division de formation série B,
00:24:36 de médiocre valeur, qui n'a qu'un régiment d'artillerie au lieu de deux,
00:24:39 qui n'a pas de groupe de reconnaissance de division d'infanterie,
00:24:42 elle doit défendre 37 km.
00:24:45 Et je dis toujours, une division de 15 000 hommes sur 37 km,
00:24:48 il y a des cuisiniers, il y a des chefs, il y a des conducteurs,
00:24:50 ça veut dire qu'on ne pouvait même pas visualiser,
00:24:55 on ne pouvait même pas rendre compte d'infiltration.
00:24:57 Les berges, il y a des buissons sur la berge,
00:25:00 le nombre de soldats ne permettait pas de surveiller les 37 km.
00:25:04 Donc là, on peut conclure qu'elle a été mal employée,
00:25:06 mais en fait, elle n'a pas été employée selon la doctrine.
00:25:09 – Et vous parlez des corps francs.
00:25:11 Finalement, en modulant un peu le rôle des corps francs,
00:25:14 en disant qu'ils n'ont pas forcément été bénéfiques.
00:25:16 – Oui, parce que les corps francs, ce sont des…
00:25:19 on va les appeler aujourd'hui, selon le langage d'aujourd'hui, des commandos,
00:25:23 des commandos qui vont faire des mini raids dans les lignes ennemies.
00:25:27 Mais ça a des effets très pervers, c'est-à-dire que ce sont les meilleurs
00:25:31 ou qui se portent volontaires, qui font partie de ces commandos,
00:25:33 et le reste du régiment se dit, les corps francs font la guerre,
00:25:38 nous on attend que ça se passe.
00:25:40 Donc ça n'a pas contribué à rendre guerriers l'ensemble des formations.
00:25:44 – Et je suppose que votre rôle de guerre n'a pas aidé non plus ?
00:25:46 – Non, non, non, et puis en plus, la guerre des corps francs,
00:25:49 c'est comme le dit le collègue Rockall dans son excellent livre sur 40,
00:25:53 c'est un petit peu le secteur calme pendant la guerre de 14-18.
00:25:56 On part un soir, on s'équipe, on monte une embuscade
00:25:59 et puis on revient deux heures après.
00:26:01 Donc ce n'est pas une guerre massive de mouvements.
00:26:03 – Alors, est-ce qu'on paye là, finalement, ce que vous disiez tout à l'heure,
00:26:07 le mauvais encadrement des sous-officiers,
00:26:10 et puis le manque d'instruction, le manque d'entraînement ?
00:26:13 – Oui, on paye ça, mais on paye aussi le manque de volonté du commandement,
00:26:17 qui aurait pu dire, on attaque avec une division,
00:26:19 puisque si on veut attaquer du fort au faible,
00:26:21 on aurait pu attaquer un endroit où il y avait 1000 Allemands
00:26:23 avec 4000 hommes, et on ne l'a pas fait.
00:26:25 On a également surestimé la ligne Siegfried,
00:26:27 en disant que c'est une ligne Maginot-Allemande,
00:26:29 alors qu'elle valait un dixième, un quinzième de la ligne Maginot.
00:26:32 Donc le commandement français s'est laissé leurrer par la propagande allemande,
00:26:37 comme il se laissera un petit peu leurrer par la propagande des Mussoliniens.
00:26:40 – Alors, on va revenir à l'état-major, donc Gamelin est remplacé, il est maugé.
00:26:50 – Gamelin est remplacé le 19 mai, par Weygand, qui est rappelé.
00:26:53 – 19 mai 1940, et Weygand est rappelé.
00:26:55 Donc là, est-ce qu'il va y avoir un changement de tactique ?
00:26:59 – Alors, de tactique, c'est impossible.
00:27:02 Weygand est un cavalier, c'est un homme qui aime le mouvement.
00:27:06 Il réfléchit, il propose à Georges, qui est l'adjoint, le général Georges,
00:27:10 ils réfléchissent tous les deux, est-ce qu'on ne pourrait pas retraiter en faisant un mouvement ?
00:27:16 Et Georges le convainc avec aussi peu de véhicules et des troupes à pied,
00:27:20 face à des troupes motorisées, les troupes françaises seront scindées en morceaux et détruites.
00:27:24 Donc il arrive à la conclusion qu'il faut se battre sur une nouvelle ligne,
00:27:28 la Somme, l'Aisne, et ensuite prolongée par la ligne Maginot,
00:27:31 et là, vraiment, sans esprit de recul.
00:27:33 – Et donc il réorganise ?
00:27:35 – Il réorganise, on crée de nouvelles armées, le général Frère,
00:27:37 qui commandait un corps d'armée, devient le nouveau commandant de la 7ème armée,
00:27:39 le général Altmaier est rappelé pour la 10ème armée, il crée une nouvelle ligne.
00:27:43 Mais le problème, c'est que nous nous retrouvons avec une cinquantaine de divisions,
00:27:48 face à au moins 110, 120 allemands, sur le front ouest,
00:27:52 les allemands l'ont laissé en Pologne et ailleurs.
00:27:54 Donc on est à 1 contre 2 et demi.
00:27:56 Et les allemands ont aussi le moral renforcé pour avoir remporté les premières victoires,
00:28:01 comme tout autre qui gagne au départ.
00:28:03 – Alors vous expliquez également la tactique du hérisson,
00:28:05 c'est-à-dire qu'au lieu d'être complètement étalé, ils regroupent…
00:28:09 – Alors, Weygand a de très bonnes idées,
00:28:11 effectivement il crée ce qu'on appelle la tactique du hérisson,
00:28:13 c'est-à-dire qu'au lieu d'être de façon linéaire face à l'ennemi,
00:28:16 il y a des lignes d'avant-poste, et puis ensuite,
00:28:20 chaque village ou chaque bois important est fortifié
00:28:22 avec de l'infanterie, de l'artillerie, du génie.
00:28:24 Donc des canons de 75, des canons de 25,
00:28:26 et si l'ennemi vient passer, il peut être attaqué de plusieurs côtés.
00:28:29 Donc la tactique est très bonne, mais il faut des forces importantes
00:28:32 pour contre-attaquer, et ils ne les auront pas.
00:28:35 Les allemands l'emploieront face aux russes,
00:28:36 et cette tactique des hérissons, c'est notamment ce qui leur permettra
00:28:39 de tenir 2 ans et demi, 3 ans, face à l'armée rouge.
00:28:43 Mais eux aussi, à un moment donné, ils seront submergés par les moyens.
00:28:46 Les forces de contre-attaque, Weygand y pense,
00:28:49 mais compte tenu de tous les paramètres,
00:28:51 elles seront prêtes le 15 juin, et les allemands nous attaquent le 5 juin.
00:28:54 - Alors la grande question de la bataille de France, c'est celle des blindés.
00:28:58 On sait que les allemands maîtrisent totalement cette arme,
00:29:02 notamment avec l'infanterie qui suit derrière,
00:29:04 et puis un appui aérien. - L'infanterie portée, oui.
00:29:07 - Alors qu'en est-il de l'emploi des blindés dans l'armée française ?
00:29:10 - Alors les blindés se sont appelés, en 1917-1918,
00:29:15 d'abord artillerie spéciale, artillerie d'assaut,
00:29:17 avant de s'appeler chars d'assaut.
00:29:19 Et il a été décidé, au sortir de la guerre,
00:29:22 de les rattacher à l'infanterie.
00:29:24 Mais en même temps, la cavalerie, Weygand toujours, en 1921,
00:29:28 dans le premier numéro de la revue de "Cavalerie qui sort",
00:29:31 en 1921 après-guerre, il dit "le moteur change tout".
00:29:34 Donc la cavalerie décide aussi de se réarmer,
00:29:37 et de se réarmer avec des automitrailleuses.
00:29:40 Parfois les automitrailleuses ont un poids,
00:29:42 sont des chars, et ont un poids supérieur à ceux de l'infanterie, en passant.
00:29:45 Mais, pour des raisons de querelles entre les armes,
00:29:48 et là les militaires sont fautifs,
00:29:50 pour des raisons de budget, vont cohabiter pendant toute l'entre-deux-guerres,
00:29:54 les chars de l'infanterie et les chars de la cavalerie.
00:29:57 La cavalerie arrivera à créer trois divisions légères mécaniques,
00:30:01 qui sont l'équivalent des Panzer-Divisions.
00:30:03 Tandis que l'infanterie disposera en 1940,
00:30:06 d'une quarantaine de bataillons à 40 chars,
00:30:10 et créera au dernier moment, en janvier,
00:30:13 ce qu'on appelle les DCR, les Divisions Cuirassées.
00:30:15 Mais ces divisions, elles ne rendront pas ce qu'on attendait,
00:30:19 tout simplement parce que créées en janvier, puis en février,
00:30:21 en mars, et puis celle de De Gaulle, pendant la bataille du mois de mai,
00:30:24 elles n'ont pas eu le temps de s'entraîner, pas le temps de manœuvrer ensemble.
00:30:27 Parfois les tireurs ont tiré cinq coups au canon,
00:30:30 les radios n'ont jamais monté la radio à l'intérieur du char,
00:30:32 donc elles n'ont jamais manœuvré.
00:30:34 Donc on les envoie à la bataille au casse-pipe.
00:30:36 Et toutes échoueront.
00:30:37 – Et sans emploi, enfin sans emploi précis, c'est-à-dire que c'est…
00:30:40 – Elles échoueront, elles ne pourront… leurs contre-attaques échoueront.
00:30:42 Là, je crois que c'est la première qui finalement, au nord de la Meuse,
00:30:45 ne tombera pas de l'essence.
00:30:46 On n'a pas de camion d'essence, donc ils seront à saboter les camions.
00:30:49 L'autre, elle débarque au moment où les Allemands arrivent du train.
00:30:52 Au moment où les Allemands arrivent, donc elle est prise sur place.
00:30:55 C'est du combat de char ou de trois chars, de sections ou de compagnie.
00:30:58 Donc les blindés de l'infanterie seront totalement…
00:31:01 – On n'a pas vraiment de régiment blindé qui avance en ligne,
00:31:03 avec une attaque coordonnée.
00:31:05 – Non, et ce qui est curieux, c'est que les régiments existaient en temps de paix.
00:31:08 Je prends l'exemple de De Gaulle.
00:31:10 Il commande le 507e Régiment de Chars de Combat à Metz, à Montigny-les-Metz,
00:31:14 qui comprend deux bataillons, 80 chars.
00:31:16 Mais en temps de guerre, les bataillons redeviennent autonomes.
00:31:19 Par contre, la cavalerie, je vous dis, que ce soit les trois divisions légères mécaniques,
00:31:24 les groupements de reconnaissance de division d'infanterie ou de corps d'armée,
00:31:28 ou bien les divisions de cavalerie dans lesquelles on injecte des…
00:31:31 quelques blindés, une soixantaine de blindés, eux, ils vont résolument vers les blindés modernes,
00:31:36 telles que nous les connaissons aujourd'hui.
00:31:38 – Alors vous parliez de De Gaulle, c'est vrai qu'il y a eu, entre les deux guerres,
00:31:42 pourtant il y a eu pas mal de généraux, de colonels,
00:31:44 qui eux, ils furent des chauds partisans de l'emploi des blindés.
00:31:48 Alors à part De Gaulle, on a d'autres noms et…
00:31:51 – Il y en a beaucoup d'autres. Il y a le général Flavigny.
00:31:54 – De Gaulle n'est pas le principal, ni le meilleur.
00:31:56 – Non, non, le général Vautier, le général Lohr, le général Alléot,
00:32:00 il y a beaucoup, il y a une dizaine de généraux qui ont essayé de pousser pour les blindés.
00:32:05 – Et ?
00:32:06 – Ils étaient généraux de brigade, et donc ils n'ont pas fait le poids
00:32:10 par rapport à des généraux d'armée qui se réunissaient en Sénacle
00:32:14 au Conseil supérieur de la guerre et qui décidaient finalement.
00:32:17 – C'est-à-dire qu'on ne faisait pas confiance aux blindés ?
00:32:19 C'était quoi le problème ?
00:32:20 – L'infanterie ne voulait pas lâcher ses blindés.
00:32:22 L'infanterie pensait que les blindés étaient faits uniquement
00:32:24 pour accompagner l'infanterie.
00:32:26 Et toute la Deuxième Guerre mondiale a montré le contraire.
00:32:29 Les blindés, vous vous souvenez, on voit toujours les Russes sur leurs chars T-34,
00:32:33 l'infanterie accompagne et occupe ce qu'ont conquis les chars.
00:32:36 Ils n'avaient pas fait ce raisonnement.
00:32:39 – Alors, il y a eu quand même quelques batailles marquantes
00:32:42 de chars français contre allemands.
00:32:45 Alors, je voudrais qu'on en parle, qu'on parle de Montcornet,
00:32:48 on fait tout un fromage de Montcornet.
00:32:51 Président Macron va inaugurer un monument,
00:32:54 on fait croire que c'est la plus grande bataille de chars
00:32:56 de la Seconde Guerre mondiale, du moins dans la bataille de France.
00:32:58 Qu'en est-il en réalité ?
00:33:00 Pourquoi Montcornet ? On le sait, vous allez quand même la répondre.
00:33:04 Et quelles sont les autres batailles marquantes ?
00:33:07 – La plus grande bataille de chars, qui est d'ailleurs la première grande bataille
00:33:10 de chars de la Seconde Guerre mondiale, c'est la bataille de Jean Blou à Nutt,
00:33:14 le corps de cavalerie français commandé par le général de corps d'armée Pryou,
00:33:17 avec deux divisions légères mécaniques, donc globalement 500 chars,
00:33:21 part à la rencontre d'un corps… – 500 chars.
00:33:24 – 500 chars, oui, part à la rencontre du, je crois que c'est le 16ème corps allemand,
00:33:28 corps blindé allemand, Panzer Korps, et c'est une bataille frontale
00:33:34 dans laquelle il faut bien garder en tête la mission du corps de cavalerie,
00:33:39 il ne s'agit pas de détruire le corps allemand,
00:33:41 il s'agit de le freiner le temps que la première armée s'installe.
00:33:46 Parce que lors de la manœuvre d'Île-Breda, les alliés se portent en Belgique,
00:33:51 il leur faut 5 jours pour rejoindre la ligne à défendre,
00:33:54 et 48 heures pour s'installer, pour tirer des barbelés,
00:33:56 construire la ligne de tir, etc.
00:33:58 Donc le corps de cavalerie se porte en avant, et il doit freiner et jalonner
00:34:02 de façon à ce que les allemands n'arrivent pas trop tôt,
00:34:04 et il remplit intégralement sa mission.
00:34:06 Donc le premier combat de l'armée française est victorieux.
00:34:09 – Et c'est un combat qui dure combien de temps,
00:34:11 qui oppose 500 chars français contre combien de chars allemands ?
00:34:14 – Il dure 4 jours, et à peu près le nombre de chars est équivalent,
00:34:17 500 contre 500, même s'ils ne seront pas tous engagés.
00:34:19 Par exemple, le corps blindé allemand va principalement se concentrer sur une DLM,
00:34:24 mais l'autre va aider bien sûr.
00:34:26 – Et là on a vraiment, on peut dire que c'est une victoire française ?
00:34:29 – Ce sont des coups d'arrêt, mais la mission a été remplie.
00:34:32 – Et qui de Montcornet ? Montcornet d'abord.
00:34:35 – Montcornet, donc De Gaulle a pris le commandement,
00:34:41 pas loin d'ici, je crois que c'est au Vésinée,
00:34:43 de la 4ème division cuirassée, qui est une division
00:34:46 qui sur le papier doit être puissante,
00:34:48 mais qui comprend des régiments, des bataillons qui ne se connaissent pas,
00:34:51 qui sont rassemblés au dernier moment.
00:34:53 Il doit se porter dans l'Est et faire une contre-attaque
00:34:56 sur la poussée allemande qui part vers la mer, depuis la percée de Sedan.
00:35:01 Donc il décide, sans avoir tous les moyens d'attaquer à Montcornet,
00:35:05 il attaque un petit peu n'importe comment,
00:35:08 et pas selon la doctrine que lui-même avait professée,
00:35:11 et finalement, je crois que c'est en fin de journée du 15 ou du 17,
00:35:15 je ne sais plus, là je ne sais plus, ça se solde par un échec.
00:35:19 C'est un petit combat, les Français déplorent 23 morts, 6 blessés,
00:35:24 je crois une dizaine de disparus, les Allemands,
00:35:27 on n'a jamais pu trop chiffrer les pertes par rapport à…
00:35:29 – Ils n'en parlent même pas dans leur jour de marche.
00:35:31 – Ils n'en parlent pas dans leur jour de marche,
00:35:33 et surtout on a perdu 23 blindés sur 85 et les Allemands 0.
00:35:37 Les Allemands ont perdu 0 blindés.
00:35:39 Donc les chars français se sont fait tirer dessus
00:35:42 par des canons de 88 anti-char, anti-aériens pardon,
00:35:46 mais qui servent en anti-char, qui sont très efficaces,
00:35:48 les Allemands s'en serviront toute la guerre.
00:35:50 – Les Allemands ont monté des canons anti-aériens.
00:35:52 – Alors les canons de 88 qui étaient faits pour tirer en haute altitude,
00:35:56 ils sont permanents sur 4 roues et on peut les mettre à terre,
00:35:59 mais ce sont d'excellents canons anti-char,
00:36:01 et ils prennent position et ils détruisent plusieurs chars de la division de Gaulle.
00:36:05 On connaît, c'est insignifiant, si ce n'est sur le plan de la légende et du moral.
00:36:09 – C'est la légende. – C'est la légende.
00:36:10 – Et Stone ?
00:36:11 – Alors Stone, c'est aussi un point plus important,
00:36:14 parce que le village sera pris et repris,
00:36:17 et puis le fils du commandant du groupe d'armée numéro 1,
00:36:20 Pierre Billotte, donc le fils de Gaston Billotte,
00:36:22 Pierre Billotte qui sera ministre du général de Gaulle,
00:36:24 je crois ministre des PTT et des Outre-mer,
00:36:27 il réussit un exploit, c'est-à-dire qu'il rentre avec son gros char B1
00:36:30 dans la rue de Stone, les Allemands sont au repos,
00:36:33 et au canon il détruit 12 ou 13 chars l'un après l'autre,
00:36:36 donc c'est un exploit exceptionnel.
00:36:38 Mais c'est un fait divers, c'est un fait d'armes, glorieux,
00:36:41 mais ça reste un fait divers qui ne modifie pas le cours de la campagne.
00:36:44 – D'accord, alors on va passer maintenant à l'artillerie,
00:36:47 alors je ne comprends pas parce qu'on a quand même beaucoup plus de canons que l'ennemi,
00:36:50 on en a 10 600 répartis en 263 régiments, c'est énorme.
00:36:54 – Oui c'est énorme, c'est énorme.
00:36:56 Oui, on a beaucoup de canons, mais l'artillerie française a deux défauts,
00:37:01 pour schématiser… – Ça a été remarqué dans l'artillerie française en 14-18.
00:37:04 – Oui, dans une guerre de position, mais dans une guerre de mouvement,
00:37:07 elle n'est pas faite pour ça, les procédures de tir sont beaucoup trop compliquées,
00:37:11 il faut chiffrer les messages de tir, quand ils sont déchiffrés,
00:37:15 l'ennemi est passé, les chars sont passés, ça serait sur des tranchées,
00:37:18 ils seraient toujours là, mais l'ennemi est passé,
00:37:20 et le deuxième défaut, également majeur, c'est que la plupart des canons,
00:37:23 la plupart c'est-à-dire 4 plus de 90%, sont tirés par des chevaux.
00:37:26 L'artillerie est hippomobile, et face aux attaques de Stuka
00:37:29 ou aux bombardements, les chevaux vont être blessés et tués,
00:37:32 les canons devront être sabotés, on ne pourra pas les ramener plus loin.
00:37:35 – D'accord. – On va en perdre des milliers.
00:37:38 – Alors dans votre livre, vous étudiez, et c'est assez rare d'ailleurs,
00:37:41 d'autres unités de l'armée qui pourtant ont une importance de premier plan,
00:37:45 même si elles paraissent au second plan, donc j'entends le génie,
00:37:49 les transports, les transmissions, l'intendance,
00:37:52 et même les services des essences. – Oui.
00:37:54 – Alors rapidement, je vais vous demander de nous brosser le tableau
00:37:57 de ces 5 secteurs, donc on va commencer par le génie.
00:38:01 Alors d'abord, qu'est-ce que c'est que le génie exactement ?
00:38:03 – Alors le génie a globalement 2 missions qui sont toujours aujourd'hui d'actualité.
00:38:08 Il construit, il peut construire des casernes, des ponts,
00:38:12 et puis il peut freiner l'ennemi en mettant des mines,
00:38:14 en creusant des fossés, etc.
00:38:16 Mais il se trouve que, dans l'entre-deux-guerres,
00:38:20 à cause un petit peu de l'obsession de la ligne Maginot,
00:38:22 les officiers du génie se sont concentrés sur les constructions.
00:38:25 Et il y a eu globalement peu d'entraînement à franchir les rivières,
00:38:30 à poser des champs de mine.
00:38:32 En outre, les unités du génie, de divisions, de corps d'armée,
00:38:36 n'existent pas en temps de paix.
00:38:38 C'est-à-dire qu'il y a 5 régiments du génie
00:38:40 qui, à la mobilisation, mobilisent des dizaines, voire des centaines de compagnies.
00:38:45 Je vous prends un exemple, le 3ème régiment du génie d'Arras,
00:38:48 donc 2 000 hommes en temps de paix, avant 1939,
00:38:51 mobilise 100 compagnies, 24 500 hommes en temps de guerre.
00:38:55 Donc on comprend bien que, quand on a des tacticiens de salon
00:38:59 qui disent "il fallait attaquer début septembre"
00:39:01 pour mobiliser les 100 compagnies, équiper les hommes, les rassembler,
00:39:04 leur donner les chevaux, les équipements, les pelles, les pioches, tout ce que vous voulez,
00:39:07 il faut un mois ! Un mois ! Un mois !
00:39:09 Donc, le génie a trop opté pour la construction
00:39:15 et il va continuer durant la droite de guerre
00:39:17 parce que la construction c'est quelque chose de visible.
00:39:19 Alors que la construction, mesurer la valeur d'une troupe opérationnelle,
00:39:22 une troupe de manœuvre, c'est beaucoup plus difficile.
00:39:24 – Alors le génie c'est celui aussi qui s'occupe par exemple
00:39:26 du franchissement des courbeaux, avec des ponts mobiles.
00:39:29 – C'est ça, plusieurs types de ponts qui permettent de franchir
00:39:31 avec des véhicules, avec des passerelles pour les infanteries, etc.
00:39:33 – Et les allemands en face, ils ont quoi pour franchir ?
00:39:35 Parce que nous, pour franchir un pont à l'époque, on franchit comment ?
00:39:38 Donc c'est des ponts mobiles qu'on déploie ? Ou c'est des canaux ?
00:39:40 – Non, ce sont principalement des barques.
00:39:42 – On met des planches dessus ?
00:39:44 – Voilà, on met des planches dessus, ils sont plus ou moins solides,
00:39:46 des barquasses qui peuvent être en acier, on les joint, on met une passerelle dessus.
00:39:51 – Et ça suffit pour faire passer un char ?
00:39:53 – Ah oui, on peut faire passer 13 tonnes et on a des passerelles pour aller jusqu'à 25 tonnes.
00:39:56 – D'accord, et les allemands en face, eux sont un équipement plus mobile ?
00:39:59 – Alors ils ont surtout un génie d'assaut qui va franchir en premier sur la Meuse.
00:40:04 Ce ne sont pas les chars de Guderian ou de Rommel qui franchissent en premier.
00:40:07 C'est de l'infanterie d'assaut et du génie d'assaut.
00:40:10 Et le génie d'assaut va faire sauter les casemates françaises,
00:40:13 au lance-flammes notamment, neutraliser les casemates.
00:40:16 Ensuite l'infanterie crée une petite tête de pont,
00:40:18 et ensuite les unités du génie, les pontonniers créent un passage.
00:40:22 – D'accord, alors on va passer maintenant au transport,
00:40:26 parce qu'effectivement il faut bien transporter et le matériel et les troupes.
00:40:31 C'est organisé, ça ce sont les régiments du train normalement ?
00:40:35 – Alors il n'y a pas de régiment du train, à l'époque il y a des groupements du train.
00:40:38 Il y a des groupements du train qui équivalent à un régiment,
00:40:40 900 hommes, quelques centaines de véhicules.
00:40:42 Mais il faut d'abord dire que la doctrine prévoit que l'armée se déplace en train,
00:40:50 par voie ferrée, c'est ça la doctrine.
00:40:53 Et les Allemands l'ont bien compris parce que quand ils voient
00:40:55 toutes ces trains militaires, des milliers de trains,
00:40:57 des milliers de trains vont être constitués, et bien ils bombardent les gares.
00:41:00 Ce qui fait que quand on a besoin de X divisions comme sur la Meuse,
00:41:03 quand Georges rameute 6 divisions d'infanterie, une DCR, etc.,
00:41:06 en tout 600 000 hommes, au lieu d'arriver en 24 heures,
00:41:08 il faut 4, 3, 4, 5, 6 jours pour que l'ensemble soit là.
00:41:11 Trop tard, en 6 jours les Allemands sont beaucoup plus loin.
00:41:14 – Alors on n'a pas mobilisé des taxis comme en 14, mais des autobus ?
00:41:18 – Oui, on a réquisitionné ce qu'on pouvait, ils auraient pu faire davantage,
00:41:23 mais tout ce qui peut rouler, on a essayé de réquisitionner,
00:41:28 mais sans jamais trouver la quantité qu'il fallait.
00:41:30 – Donc là on manquait de camions.
00:41:32 – Ah on manquait de camions, et beaucoup de ceux qui ont été réquisitionnés
00:41:35 en septembre sont tombés en panne et se sont avérés irréparables
00:41:38 parce qu'on n'a jamais trouvé les pièces détachées.
00:41:40 Il y a à l'époque beaucoup de modèles.
00:41:42 Qu'en camion, on a 80 modèles différents.
00:41:45 – Je crois que les Allemands aussi…
00:41:47 – Il y a plus de normalisation.
00:41:49 Et puis quand on avance, on ne perd rien,
00:41:52 parce que le matériel en panne, on peut récupérer des pièces dessus.
00:41:54 Nous quand on recule, on est obligé de saboter ou de laisser le matériel sur place.
00:41:58 – Alors maintenant on va passer aux transmissions.
00:42:00 Donc les transmissions c'est soit la radio, soit le fil, soit les estafettes.
00:42:04 Vous dites, c'est quand même assez stupéfiant,
00:42:08 qu'au PC de Gamelin qui est à Vincennes, il n'y a pas de radio.
00:42:12 – Non.
00:42:13 – C'est Gamelin qui ne veut pas de radio, il est technophobe,
00:42:17 c'est trop moderne pour lui ?
00:42:19 – C'est dû à la doctrine.
00:42:21 On a prévu un front continu qui théoriquement,
00:42:24 selon toutes les pensées de l'époque, ne peut pas être percé.
00:42:27 Donc le téléphone suffit.
00:42:29 Le téléphone suffit.
00:42:30 On a des radios au niveau des unités opérationnelles, des unités de campagne,
00:42:34 et elles ne sont pas terribles, mais c'est organisé comme ça.
00:42:39 Alors pourquoi elles ne sont pas terribles ?
00:42:41 C'est qu'à l'époque l'arme des transmissions n'existe pas.
00:42:43 Elle sera créée en 42.
00:42:45 À l'époque les transmetteurs sont des gens du génie qui s'occupent des postes radio.
00:42:50 Alors ce sont souvent des polytechniciens brillants
00:42:52 qui conçoivent des machines performantes, mais pour une guerre de position.
00:42:58 Donc dès qu'elles auront fait un petit peu de tout terrain
00:43:01 ou qu'elles auront trop roulé sur des chemins,
00:43:03 les lampes, les transistors, les fils, elles ne fonctionneront plus.
00:43:08 – Donc on communique comment ?
00:43:10 – On communique par téléphone de campagne ou par estafette.
00:43:13 Un petit peu par radio.
00:43:14 – Alors qu'est-ce qu'on appelle le téléphone de campagne ?
00:43:16 – Ce sont des téléphones, il faut dérouler le fil.
00:43:18 Il faut dérouler le fil sur 2 km, sur 8 km.
00:43:20 On tourne pour créer de l'électricité et on appelle la 7ème compagnie.
00:43:23 – D'accord.
00:43:24 On n'utilise pas aussi les services d'Aide-Moselle, des PTT ?
00:43:26 – Ah si, on utilise beaucoup, beaucoup les PTT.
00:43:28 Les PTT sont mobilisés complètement, complètement.
00:43:31 D'ailleurs à un moment donné, l'avance des Allemands est telle,
00:43:33 on téléphone au bureau de poste pour savoir si les Allemands
00:43:35 sont déjà arrivés dans le village.
00:43:36 – Ce ne sont pas les Allemands qui répondent.
00:43:38 – C'est arrivé, c'est arrivé.
00:43:40 Donc les transmissions sont aussi perfectibles.
00:43:43 Il y a une multitude de postes, 18 ou 20 types de postes,
00:43:46 les transmissions sont perfectibles.
00:43:48 – Alors maintenant l'intendance.
00:43:51 – Alors l'intendance.
00:43:52 – L'intendance, donc l'intendance ça concerne la nourriture.
00:43:55 – Les vivres.
00:43:56 – Et l'habillement.
00:43:57 – Les vivres, le fourrage, etc.
00:43:58 Bon, sur les vivres, ça ne va pas trop mal se passer.
00:44:00 Ça ne va pas trop mal se passer parce que le France est des brouillards.
00:44:02 Dans les zones du front où la population civile a dû retraiter,
00:44:07 j'allais dire, et partir dans les départements,
00:44:09 dans toute la zone frontière, les populations ont été évacuées.
00:44:12 Et souvent en laissant sur place à leur grand malheur leurs bétailles, etc.
00:44:16 Donc les soldats agriculteurs se sont empressés de traire les vaches,
00:44:19 voire de les abattre pour trouver de la viande.
00:44:23 Donc globalement le système a bien fonctionné.
00:44:27 Les vivres frais, etc.
00:44:28 Les vivres congelés, puisque ça date de la première guerre mondiale,
00:44:31 la congélation, ça a fonctionné.
00:44:33 Bon, le pain, on a créé des boulangeries de campagne,
00:44:36 on a changé certaines choses.
00:44:37 Il y avait des boulangeries mobiles qui étaient en création,
00:44:39 mais sur 20 commandées il n'y en avait qu'une le 20 mai.
00:44:41 Donc il a fallu utiliser les boulangeries classiques.
00:44:45 Les vivres, ça fonctionne.
00:44:46 Les habits, alors là les habits il y a beaucoup beaucoup à dire.
00:44:49 Sur la quantité, premier chiffre très important.
00:44:52 Pour équiper l'armée mobilisée, il fallait 21 millions d'effets.
00:44:55 C'est-à-dire de vestes, de manteaux, de couvertures, de sacs à dos,
00:44:58 de chaussettes, de caleçons, de tout ce que vous voulez.
00:45:00 On en avait 5 millions au lieu de 21 millions.
00:45:03 Alors on en avait 5 millions, notamment parce qu'on a, en cachette,
00:45:07 Pierre Cotte a livré énormément d'effets aux républicains espagnols
00:45:11 qui n'ont pas été remplacés.
00:45:13 Bon, donc dès la mobilisation, l'industrie se met en route,
00:45:16 notamment toutes les industries du Nord,
00:45:17 qui voient arriver des commandes énormes,
00:45:20 elles se mettent en route, mais il faudra attendre un moment.
00:45:23 Et pour que les gens comprennent, pour que nos éditeurs comprennent
00:45:26 ce dont il s'agit, il y a des divisions de réserve de série B
00:45:30 où les hommes ne sont pas habillés militairement avant décembre.
00:45:34 Ça veut dire qu'ils sont là, ils ont un fusil.
00:45:36 - Ils ont leurs effets civils.
00:45:38 - Ils ont un pantalon civil, une veste militaire,
00:45:40 enfin ils ne sont déjà pas très militaires,
00:45:42 mais pour commander ces ensembles-là, c'est très difficile pour leur redonner...
00:45:45 Quand vous mettez au garde à vous une troupe comme ça,
00:45:48 c'est très difficile, très difficile de redonner un air martial.
00:45:51 - Alors vous expliquez que même les effets envoyés aux soldats,
00:45:54 on prévoit de rembourser les familles pour les pulls, les écharpes.
00:45:57 - Oui, le Grand Quartier Général, quand l'hiver arrivait,
00:46:00 a compris qu'il n'avait pas assez de chandails chauds,
00:46:03 et donc il y a eu une note de service qui a été émise
00:46:06 et qui disait aux soldats, si vous vous faites envoyer un chandail,
00:46:09 une écharpe en laine par votre famille,
00:46:11 on vous remboursera au prix de l'intendance.
00:46:13 - Envoyer la facture.
00:46:14 - Voilà, mais des chandails tricotés de toutes les couleurs.
00:46:17 - Oui, enfin bon, c'est un petit peu bombaki.
00:46:20 - D'ailleurs, à propos de l'habillement,
00:46:22 quel est l'équipement vestimentaire du troupe français de base ?
00:46:25 Et puis on va le comparer à celui du lancer allemand.
00:46:28 - J'allais vous dire, voilà, aussi un gros défaut,
00:46:31 le soldat français a une lourde capote.
00:46:34 Et au mois de juin, il continue, on a les photos,
00:46:38 il continue d'avoir une lourde capote au mois de juin,
00:46:40 alors qu'il fait 30 degrés.
00:46:42 Et là l'équipement est totalement inadapté,
00:46:44 ça ressortira de tous les rapports.
00:46:46 Les vêtements sont en veste, chemise, cravate.
00:46:49 Même s'ils mettent le casque à la place du képi,
00:46:51 ce n'est pas adapté.
00:46:53 Il manque une veste en drap,
00:46:55 il manque ce qu'on appellera plus tard le tri.
00:46:57 Donc la capote n'est pas adaptée, les vêtements...
00:46:59 - Il y a toujours les bandes bulletières.
00:47:01 - Une partie, une partie à les bandes bulletières.
00:47:02 - Quand on se réveille le matin, effectivement...
00:47:04 - Le gros changement, c'est qu'on est passé du bleu horizon au khaki.
00:47:07 Mais la tenue 35, les tenues des années 30,
00:47:10 souffrent encore de gros défauts.
00:47:13 - Et il doit porter beaucoup.
00:47:14 - Ah oui, c'est une bête de somme.
00:47:15 Le Français, non seulement il n'est pas transporté en camion
00:47:18 pour rejoindre son poste de combat,
00:47:21 mais il y en a un qui a une pioche, l'autre une pelle,
00:47:23 l'autre des gamelles, l'autre les bandes mitrailleuses.
00:47:26 Le pauvre, il a 25 kilos sur le dos.
00:47:28 C'est pour ça que la vitesse de la troupe à pied
00:47:30 de 4 km, 3,5 km, 4 km.
00:47:33 Et au bout de 2 heures, il faut faire une pause importante.
00:47:37 Et au bout de 4 heures, pour la journée, c'est fini.
00:47:39 Donc 16, 20 km par jour.
00:47:41 On leur demandera plus dans les faits,
00:47:43 mais ils seront fatigués.
00:47:44 Au moment de donner l'assaut ou de défendre,
00:47:46 ils seront très fatigués.
00:47:47 - Alors qu'en face, ils sont habillés...
00:47:48 - Alors en face, les troupes allemandes sont habillées
00:47:50 de façon légère et surtout, on a mis un exemple,
00:47:53 sont amenées, les fameuses 50 divisions prioritaires,
00:47:56 sont amenées au combat à quelques kilomètres du front,
00:47:59 en camion, motorisées.
00:48:01 Donc elles arrivent fraîches, ce sont des troupes fraîches.
00:48:03 - D'accord.
00:48:04 Alors on va terminer avec le service des essences,
00:48:08 à qui vous donnez enfin, j'allais dire, un maigre satisfait-ci.
00:48:11 - Oui, c'est le service qui est sans doute
00:48:13 le mieux organisé et qui va s'en sortir le mieux.
00:48:17 Donc il va délivrer le carburant, les ingrédients,
00:48:20 là où il faut et comme il faudra.
00:48:23 Ils ont bien pensé leur affaire,
00:48:25 ils ont organisé un système, y compris sur les canaux
00:48:27 avec des péniches de ravitaillement,
00:48:29 des dépôts temporaires.
00:48:31 Ce qui manquera, c'est le géricane de 20 litres.
00:48:35 Le ravitaillement se fait en flux de 200 litres,
00:48:38 de 50 litres ou en bidon d'un litre.
00:48:40 On comprend difficilement pourquoi personne en France n'a imaginé,
00:48:44 surtout qu'on savait que ça existait chez les Allemands,
00:48:46 personne n'a mis en pratique ce géricane de 20 litres
00:48:48 qui est si pratique, portable par un homme.
00:48:51 Mais globalement le service s'en sort bien.
00:48:53 Alors quand on a manqué de carburant, par exemple,
00:48:56 pour la DCR du côté de Didon,
00:48:58 c'est parce que c'est une faute de commandement.
00:49:01 C'est au commandement qui recevait la DCR
00:49:03 de prévoir le ravitaillement.
00:49:05 - Alors en conclusion, est-ce qu'on peut dire
00:49:07 que finalement cette guerre était perdue d'avance ?
00:49:09 - C'est mon avis.
00:49:11 C'est mon avis.
00:49:12 Les tars de l'armée française étaient trop importantes.
00:49:16 Aujourd'hui certains veulent nous expliquer
00:49:18 qu'il fallait faire ci, qu'il fallait regrouper les chars, etc.
00:49:20 On aurait pu, si j'ose dire, perdre moins violemment.
00:49:23 On aurait pu gagner des batailles.
00:49:25 Mais la guerre, on avait tellement de carences dans tous les domaines,
00:49:30 le général Beaufre, le général Revol,
00:49:32 beaucoup l'ont dit, Beaufre le grand stratège,
00:49:33 général futur, général d'armée,
00:49:35 ils ont dit que même si on avait changé le commandement en chef,
00:49:37 on n'aurait pas pu gagner.
00:49:39 Parce que les tars étaient trop importants dans tous les domaines.
00:49:41 - Et malgré, on peut le dire quand même aussi,
00:49:43 un courage du soldat français.
00:49:45 Quand on regarde les pertes pro rata temporis,
00:49:47 on atteint des...
00:49:49 - Oui, on a 65 000 morts.
00:49:50 On a souvent parlé de 100 000, c'est faux, le chiffre est faux.
00:49:52 On a 65 000 morts, ce qui est beaucoup.
00:49:54 Ce qui est beaucoup.
00:49:56 Au début juin, sur ce qu'on appelle la ligne Végan,
00:49:58 quand les Allemands enclenchent la deuxième phase de la campagne,
00:50:01 le Fall Roth, le plan rouge,
00:50:03 pendant plusieurs jours,
00:50:05 il y a une moyenne de 2500 morts français.
00:50:07 C'est plus qu'à Verdun.
00:50:09 C'est plus que la moyenne de Verdun.
00:50:11 2500 morts par jour, ça fait 10 000, 12 000 blessés.
00:50:13 C'est énorme.
00:50:15 Donc là, le soldat français se bat, avec courage.
00:50:17 Il obéit aux ordres, résistait jusqu'à la mort.
00:50:19 Mais ça ne suffit pas.
00:50:21 - Maxime, merci infiniment.
00:50:23 Je rappelle votre livre "1940, les raisons d'un échec".
00:50:25 Très bien fait, très bien organisé, secteur par secteur.
00:50:27 Et puis avec des témoignages nouveaux.
00:50:29 - Beaucoup de témoignages nouveaux.
00:50:31 - Inédits, que vous avez ressortis des archives.
00:50:33 - Et de mes propres archives.
00:50:35 - Et aussi au service historique de la Défense.
00:50:37 - Exactement.
00:50:39 - Je rappelle également un numéro de la revue d'histoire européenne,
00:50:41 le numéro 3,
00:50:43 qui était consacré à ce sujet.
00:50:45 Mais "Juin 40, récits d'un effondrement",
00:50:47 dans lequel vous signez d'ailleurs un papier.
00:50:49 Alors c'est le numéro 3,
00:50:51 mais on peut toujours s'en procurer des exemplaires.
00:50:53 Nous mettrons en référence sous la vidéo
00:50:55 le lien pour le commander, si vous le voulez.
00:50:57 En attendant, vous allez retrouver
00:50:59 "Christopher Lanne et la petite histoire".
00:51:01 N'oubliez pas de cliquer sur le pouce levé
00:51:03 sous la vidéo, bien sûr,
00:51:05 et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
00:51:07 Merci et à bientôt.
00:51:09 [Générique]
00:51:31 Salut les amis, aujourd'hui on va parler d'un sujet
00:51:33 méconnu, mais connu quand même,
00:51:35 on va dire ça.
00:51:37 C'est l'affaire de la France libre.
00:51:39 Les Allemands ont commencé sur le front de l'Est
00:51:41 pendant la seconde guerre mondiale.
00:51:43 Le 22 juin 1941, quand les Allemands s'en prennent
00:51:45 à la Russie et déclenchent l'opération Barbarossa,
00:51:47 les envoyés du régime de Vichy sont priés
00:51:49 de regagner la France.
00:51:51 Parmi eux, le lieutenant-colonel Luguet,
00:51:53 attaché militaire de l'air,
00:51:55 en profite pour rejoindre la France libre.
00:51:57 A Londres, il explique à de Gaulle que ce ne sera pas si facile
00:51:59 pour les Allemands de battre les Russes,
00:52:01 voire qu'ils ne parviendront pas à les battre.
00:52:03 Il propose donc au général d'envoyer des Français
00:52:05 en défense de la France libre.
00:52:07 Le général est donc séduit par l'idée.
00:52:09 Si de Gaulle est séduit par cette idée,
00:52:11 c'est parce qu'il est en froid avec les Américains,
00:52:13 un peu en froid avec les Anglais aussi,
00:52:15 et surtout que comme beaucoup de communistes
00:52:17 se battent dans la résistance,
00:52:19 il doit leur envoyer un signal fort.
00:52:21 Mais la principale idée du général,
00:52:23 c'est de préparer l'après-guerre.
00:52:25 On pense d'abord à une division mécanisée,
00:52:27 mais le projet échoue et ne reçoit pas l'appui des Anglais.
00:52:29 On pense ensuite à une division d'infanterie,
00:52:31 mais on en a besoin et les Anglais sont encore hostiles.
00:52:33 Vient ensuite l'idée d'envoyer une délégation
00:52:35 uniquement composée de pilotes,
00:52:37 avec leurs mécaniciens.
00:52:39 L'idée bien sûr est de Luguet,
00:52:41 qui était lui-même attaché militaire de l'air en Russie,
00:52:43 et il note que les pilotes français
00:52:45 seront équipés par les Russes
00:52:47 et assistés par les Russes.
00:52:49 Donc en février 1942,
00:52:51 de Gaulle autorise Luguet à parler
00:52:53 à la mission soviétique à Londres.
00:52:55 Celle-ci accepte la proposition et en informe Moscou.
00:52:57 En tout cas, les Russes sont très intéressés pour le moment.
00:52:59 Un mois plus tard, c'est Staline en personne
00:53:01 qui donne son accord de principe.
00:53:03 En contrepartie, il espère que de Gaulle
00:53:05 appuiera son idée d'ouverture d'un second front
00:53:07 en Europe de l'Ouest.
00:53:09 Après des longues semaines de paprasserie à la soviétique,
00:53:11 - Ah, vous savez de quoi je parle, puisqu'on en a hérité
00:53:13 dans ce qu'on appelle l'après, hein ?
00:53:15 - de Gaulle obtient que les pilotes français
00:53:17 forment une division autonome
00:53:19 au sein des forces soviétiques.
00:53:21 A noter que les Anglais étaient très hostiles à cette idée,
00:53:23 mais qu'ils finiront par céder.
00:53:25 De toute façon, on leur a rien demandé à cela.
00:53:27 De quoi je me mêle ? Bon.
00:53:29 Le groupe de chasse numéro 3, il est composé de 14 pilotes
00:53:31 et d'une cinquantaine de mécaniciens,
00:53:33 tous volontaires. Bon, il faut noter que les pilotes
00:53:35 sont assez inexpérimentés.
00:53:37 Seulement 7 d'entre eux dépassent les 300 heures de vol,
00:53:39 et les autres, ceux qui dépassent
00:53:41 les 150 heures de vol, ont triché
00:53:43 pour réussir à être acceptés.
00:53:45 Tous les sous-officiers sont nommés officiers, car à l'époque,
00:53:47 en URSS, il fallait être officier pour devenir pilote.
00:53:49 Mais quel nom trouver à cette unité ?
00:53:51 Parce que groupe de chasse numéro 3, bof.
00:53:53 Dans la tradition des FAFL,
00:53:55 les groupes aériens portent des noms de province.
00:53:57 Le commandant Poulyken,
00:53:59 qui a été nommé à la tête de cette unité, voudrait bien
00:54:01 le baptiser du nom de sa région natale, la Bretagne,
00:54:03 mais le nom est déjà pris.
00:54:05 On choisit Normandie. Fin 1942,
00:54:07 notre unité se dirige donc vers Moscou,
00:54:09 en passant par le Liban, l'Irak et l'Iran.
00:54:11 Une fois arrivés chez les soviétiques,
00:54:13 on leur propose, à leur grande surprise,
00:54:15 de choisir entre des avions américains et des avions russes.
00:54:17 Les français choisissent les avions russes,
00:54:19 ce qui plaît énormément aux officiers soviétiques.
00:54:21 Ils sont formés pendant 3 mois et demi
00:54:23 sur Yak-7 et Yak-1.
00:54:25 Alors, c'est pas une sinecure, les pilotes souffrent
00:54:27 du froid, tout d'abord, des conditions d'hébergement,
00:54:29 et surtout, en vol, ils ont du mal
00:54:31 à se repérer dans ces immenses plaines
00:54:33 dans la vaste taiga russe.
00:54:35 Mi-mars 1943,
00:54:37 l'unité fait l'objet d'une inspection
00:54:39 franco-soviétique qui déclare
00:54:41 qu'elle est prête à partir pour le front.
00:54:43 Le 22 mars 1943, le groupe de combat
00:54:45 Normandie part pour la base de
00:54:47 Polotnani-Zavod, et elle est intégrée
00:54:49 à la 303ème division de l'air soviétique.
00:54:51 [Musique]
00:55:13 Leur première mission consiste
00:55:15 tout d'abord à escorter des bombardiers russes,
00:55:17 mais nos amis français veulent plus que ça,
00:55:19 ils veulent en découdre, ils veulent montrer leur vaillance,
00:55:21 montrer leur courage. Le 5 avril,
00:55:23 c'est la première rencontre avec la Luftwaffe,
00:55:25 et deux Yaks abattent
00:55:27 deux chasseurs allemands. Aucune perte,
00:55:29 tous les avions rentrent à la base, c'est la preuve
00:55:31 que les soviétiques attendaient,
00:55:33 cette unité vaut son pesant de cacahuètes.
00:55:35 "Ah, c'est comme ça qu'il a dit, Staline !"
00:55:37 À partir de ce moment, les engagements vont être
00:55:39 quotidiens et le rythme harassant.
00:55:41 Les combats s'enchaînent, et les pertes aussi,
00:55:43 à une telle vitesse que Londres est obligée
00:55:45 d'envoyer des renforts. Les renforts arrivent mi-mai,
00:55:47 les français sont au cœur de l'action
00:55:49 et abattent de nombreux avions allemands,
00:55:51 et le mois suivant, la Pravda vante leur mérite.
00:55:53 Ils viennent d'être décorés de l'ordre
00:55:55 de la guerre pour la patrie. Du 12 au 19
00:55:57 juillet, les français, sur leur Yak-9,
00:55:59 participent à la bataille d'Orel.
00:56:01 Ils effectuent 112 sorties,
00:56:03 perdent 6 avions, mais en abattent 17.
00:56:05 Le 14 juillet 1943,
00:56:07 jour de fête nationale, les soviétiques
00:56:09 acceptent pour la première fois
00:56:11 que le drapeau français soit hissé en haut du mat
00:56:13 pendant quelques minutes. "Ah, c'est beau !"
00:56:15 De suite, les Yak-9 sont remplacés par des Yak-3,
00:56:17 beaucoup plus performants,
00:56:19 mais les mécaniciens français sont harassés
00:56:21 de fatigue. Ils partent donc pour le Moyen-Orient
00:56:23 et sont remplacés par des russes.
00:56:25 Ça va poser des petits problèmes de traduction
00:56:27 au début, mais ça va encore renforcer
00:56:29 les liens entre français et soviétiques.
00:56:31 Une petite anecdote à ce sujet, sur les liens
00:56:33 qui unissaient les pilotes français et leurs mécaniciens
00:56:35 russes. Le 15 juin 1944,
00:56:37 l'avion du lieutenant Sen est en feu.
00:56:39 Le contrôleur russe lui ordonne
00:56:41 de sauter en parachute, mais il a son
00:56:43 mécanicien dans l'avion qui lui n'a pas de parachute.
00:56:45 Sauter en parachute signifierait donc
00:56:47 abandonner son mécanicien à son triste
00:56:49 sort qui le conduirait inévitablement
00:56:51 vers la mort. Il tente donc le tout pour le
00:56:53 tout et décide d'atterrir, ce qui va
00:56:55 échouer, les deux hommes mourront ensemble
00:56:57 dans cet avion. L'événement va faire le tour
00:56:59 de la presse russe et les deux hommes sont enterrés
00:57:01 ensemble, côte à côte, dans le
00:57:03 cimetière de Dubrovkin. Revenons en
00:57:05 1943. Certes, les résultats sont
00:57:07 excellents et le nombre d'avions ennemis abattus
00:57:09 est important, mais les pertes sont
00:57:11 nombreuses chez les français. En six mois de combat,
00:57:13 21 pilotes ont été tués,
00:57:15 sont faits prisonniers ou ont été portés disparus.
00:57:17 [Musique]
00:57:39 Le groupe est donc mis au repos jusqu'à ce que
00:57:41 de Gaulle décide d'envoyer de nouveaux pilotes
00:57:43 en renfort depuis l'Afrique du Nord.
00:57:45 33 pilotes arrivent de cette région entre
00:57:47 décembre 1943 et février 1944.
00:57:49 Le groupe compte désormais un effectif
00:57:51 total de 61 pilotes et est formé
00:57:53 en quatre escadrilles. L'armée rouge est
00:57:55 alors en pleine avancée et les français l'appuient
00:57:57 en Biélorussie puis en Lituanie.
00:57:59 D'ailleurs, le groupe a joué un rôle très
00:58:01 important dans le franchissement du Niémen et
00:58:03 c'est à cette occasion que Staline a décidé
00:58:05 de nommer le groupe Niémen.
00:58:07 Le groupe de combat 3 Normandie deviendra
00:58:09 donc le Normandie Niémen.
00:58:11 En octobre 1944, les français forgent
00:58:13 encore plus leur réputation en remportant
00:58:15 toute une série de victoires. Le 16, au cours
00:58:17 d'une sortie, ils abattent 29 avions allemands
00:58:19 sans aucune perte. Le 22,
00:58:21 56 sorties, 14 avions ennemis
00:58:23 abattus, aucune perte. Ainsi,
00:58:25 fin novembre, le Normandie Niémen
00:58:27 est la première unité française
00:58:29 à pénétrer sur le sol allemand. Le 28
00:58:31 novembre, les lieutenants de la Paupe et
00:58:33 Albert sont faits héros de l'Union
00:58:35 soviétique. Le 30 décembre 1944,
00:58:37 la 200ème victoire
00:58:39 du Normandie Niémen est homologuée.
00:58:41 Début 1945, la suite de la
00:58:43 guerre ne fait plus aucun doute, l'armée
00:58:45 rouge disposant dans les airs d'une
00:58:47 supériorité écrasante à 18
00:58:49 contre 1. Ainsi, l'idée de créer
00:58:51 toute une division aérienne française est
00:58:53 abandonnée. La dernière victoire de la guerre est
00:58:55 remportée par le lieutenant Georges Henry
00:58:57 le 12 avril 1945,
00:58:59 mais il est tué au sol peu après par un bombardement.
00:59:01 Au final, au cours de ce conflit, le
00:59:03 Normandie Niémen aura effectué 5240
00:59:05 missions, 869
00:59:07 combats aériens, abattus,
00:59:09 273 avions confirmés,
00:59:11 37 probables et endommagés,
00:59:13 47 autres. 45 pilotes ont été
00:59:15 tués au combat, sur 96 engagés.
00:59:17 Le régiment est décoré de la Légion d'honneur,
00:59:19 de la Croix de la Libération, de la
00:59:21 médaille militaire avec 6 palmes et des
00:59:23 ordres soviétiques du drapeau rouge et
00:59:25 d'Alexandre Nevsky. 4 pilotes,
00:59:27 dont les deux dont on a parlé tout à l'heure, seront faits
00:59:29 héros de l'Union soviétique et
00:59:31 21 compagnons de la Libération.
00:59:33 Après la capitulation allemande, le Normandie
00:59:35 Niémen est rapatrié sur Moscou.
00:59:37 Staline décide d'offrir à chaque officier le
00:59:39 Yak-3 qu'il pilote. Ainsi, le 15
00:59:41 juin 1945, 40
00:59:43 Yak-3 décollent vers la France. Ils se posent
00:59:45 le 20 juin au Bourget devant une foule en
00:59:47 liesse venue acclamer les héros de
00:59:49 l'Est. L'armée réquisitionne aussitôt
00:59:51 les avions. Vous doutez bien, on va pas leur en faire
00:59:53 cadeau, hein. Vous êtes bien lentis les mecs, vous avez
00:59:55 risqué votre peau, mais bon, vous allez pas garder ça au garage
00:59:57 chez vous, non ? D'ailleurs, le dernier exemplaire de
00:59:59 ces Yaks se trouve toujours au musée de l'air
01:00:01 et de l'espace au Bourget, que vous pourrez aller
01:00:03 voir quand vous voulez. Ainsi, ces quelques dizaines
01:00:05 de pilotes n'auront pas changé le cours de la
01:00:07 guerre, vous en doutez bien, mais comme le dit
01:00:09 Max Chiavon dans cet excellent dossier
01:00:11 de la NRH que je vous recommande de lire,
01:00:13 "La France libre n'avait rien d'autre à
01:00:15 donner que des hommes et du courage." Et surtout
01:00:17 pour De Gaulle, il s'agissait de se légitimer,
01:00:19 de préparer l'avenir et de n'avoir pas
01:00:21 pour seul ami que les Américains et les Anglais.
01:00:23 Ah bah non ! On parle du Normandie Niémen,
01:00:25 mais il y a eu d'autres Français qui se sont engagés
01:00:27 sur le front de l'Est, mais dans l'armée allemande.
01:00:29 Il s'agit de la Légion des Volontaires Français,
01:00:31 LVF, qui avait pour but suprême
01:00:33 de lutter contre le bolchevisme.
01:00:35 Elle a été créée en 1941 à l'appel
01:00:37 de nombreuses organisations politiques
01:00:39 anticommunistes. Ils portaient
01:00:41 l'uniforme allemand, bien qu'ils avaient un petit d'approfrançais
01:00:43 qui va bien ici, et devaient prêter
01:00:45 allégeance aux fureurs. Mais bon, on va pas tout
01:00:47 gâcher, ça compte pas, ça va...
01:00:49 De toute façon, ils étaient nuls, alors... Si, ils étaient nuls.
01:00:51 Autres Français sur le front de l'Est,
01:00:53 bien sûr, les Malgré-nous, ces citoyens
01:00:55 qui vivaient en Alsace-Moselle et qui ont été
01:00:57 intégrés de force à l'armée allemande
01:00:59 qui occupait ces régions. Mais bon, je vous
01:01:01 garde ça pour un prochain épisode, croyez-moi,
01:01:03 c'est très intéressant. Merci à tous
01:01:05 d'avoir suivi ce nouvel épisode de La Petite Histoire,
01:01:07 j'espère qu'il vous a plu. Je vous dis
01:01:09 à bientôt pour de nouvelles aventures sur
01:01:11 TV Liberté.
01:01:13 [Musique]
01:01:35 [Musique]

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