Mardi 19 décembre, la loi sur l’immigration est adoptée par les parlementaires. Marine Le Pen se réjouit alors devant les caméras et revendique « une victoire idéologique du Rassemblement national ». A-t-elle raison ?
Le Monde a comparé plusieurs mesures du texte de loi issu de la commission mixte paritaire avec le programme du parti d’extrême droite en 2022. Si elles ne vont pas aussi loin que ce que voudrait Marine Le Pen, « le gouvernement a mis le doigt dans un engrenage que le Rassemblement national, s’il était amené à prendre le pouvoir », pourrait facilement exploiter, analyse Clément Guillou, journaliste au Monde, spécialiste de l’extrême droite.
Le Monde a comparé plusieurs mesures du texte de loi issu de la commission mixte paritaire avec le programme du parti d’extrême droite en 2022. Si elles ne vont pas aussi loin que ce que voudrait Marine Le Pen, « le gouvernement a mis le doigt dans un engrenage que le Rassemblement national, s’il était amené à prendre le pouvoir », pourrait facilement exploiter, analyse Clément Guillou, journaliste au Monde, spécialiste de l’extrême droite.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Marine Le Pen, avec cette loi immigration,
00:02 elle peut faire le récit à ses électeurs
00:05 que voter pour le RN,
00:07 ça permet de placer les idées du RN dans la loi.
00:10 Évidemment, c'est du pain béni pour le Rassemblement national.
00:13 Pour 349, contre 186, l'Assemblée nationale a adopté.
00:18 Le 19 décembre 2023,
00:21 après plus d'un an de débats et de nombreux rebondissements,
00:24 une nouvelle loi sur l'immigration est adoptée par les parlementaires.
00:27 Un texte qualifié de dur, dont se réjouit en particulier
00:31 le RN, qui voit un tournant politique en sa faveur.
00:36 Il y a incontestablement, encore une fois,
00:38 une victoire de nos idées,
00:41 une victoire même idéologique du RN.
00:44 Marine Le Pen a-t-elle raison de revendiquer cette victoire idéologique ?
00:52 Dans la loi immigration, plusieurs mesures rappellent
00:55 celle écrite dans le programme de Marine Le Pen en 2022,
00:58 en allant toutefois jamais aussi loin.
01:01 Sur la fin de l'automatisation du droit du sol,
01:06 le regroupement familial,
01:10 ou encore la déchéance de nationalité.
01:13 Mais il y a surtout une mesure qui a fait parler d'elle
01:22 et a même bloqué la commission mixte paritaire pendant plusieurs heures,
01:26 c'est le conditionnement des prestations sociales.
01:29 C'est-à-dire que des aides financières comme l'aide au logement
01:32 ou les allocations familiales deviennent plus difficiles à percevoir pour les étrangers.
01:36 Quand on se met à distinguer les Français des étrangers
01:42 pour bénéficier d'allocations sociales,
01:44 on met finalement, de manière pas tout à fait directe,
01:48 mais de manière insidieuse, la préférence nationale dans le droit français.
01:53 La préférence nationale, rebaptisée Priorité nationale en 2012 par Marine Le Pen,
02:00 est le véritable marqueur idéologique du parti d'extrême droite.
02:04 C'est après la Seconde Guerre mondiale que c'est plutôt devenu une idée du Front National,
02:08 à cause d'un certain monsieur qui s'appelait François Duprat,
02:11 un néofasciste revendiqué, qui conseillait Jean-Marie Le Pen
02:16 et qui promeut ce slogan "Un million de chômeurs, c'est un million d'immigrés en trop".
02:22 La France aux Français.
02:23 Par cette phrase, la France aux Français, il y a vraiment la notion déjà de préférence nationale.
02:29 Ce concept est ensuite théorisé dans un livre en 1985
02:33 et est inscrit l'année d'après pour la première fois dans le programme du Front National.
02:43 40 ans plus tard, ce concept promu par l'extrême droite
02:46 a donc intégré un texte de loi défendu par la majorité présidentielle.
02:51 Mais pour ça, il a fallu le concours d'un autre parti, qui n'est pas le Rassemblement national.
02:55 Si cette forme de préférence nationale est inscrite dans la loi aujourd'hui,
02:59 c'est par l'entremise des Républicains.
03:02 Le parti présidentiel n'ayant pas de majorité à l'Assemblée nationale,
03:06 il a dû se rapprocher des Républicains pour faire adopter ce texte
03:09 et accepter d'y incorporer leur proposition.
03:12 Ce combat de l'extrême droite sur la préférence nationale,
03:16 il a d'abord contaminé la droite républicaine,
03:20 puisque cette différenciation entre Français et étrangers dans les prestations sociales,
03:25 elle est au programme des Républicains depuis maintenant plusieurs années.
03:29 Donc c'est une sorte de contamination progressive depuis l'extrême droite de Jean-Marie Le Pen,
03:35 qui lorsqu'il le défendait, était clairement regardée de travers,
03:40 jusqu'à aujourd'hui la droite et désormais la Macronie.
03:44 C'est pour cela que Marine Le Pen peut revendiquer une victoire idéologique.
03:48 Alors, on l'a vu, le programme du Rassemblement national
03:53 va beaucoup plus loin que la loi sur l'immigration.
03:56 Mais cette loi pourrait avoir des conséquences à plus long terme.
03:59 Si vous validez les thèses du Rassemblement national,
04:03 vous le banalisez et vous l'inscrivez dans l'arc républicain.
04:07 Il faut garder en tête que l'objectif de ces cinq années,
04:10 entre 2022 et 2027 pour Marine Le Pen, c'est la crédibilisation.
04:14 Une fois que des partis de gouvernement intègrent des idées du Rassemblement national
04:19 dans leur programme ou dans la loi,
04:22 ils crédibilisent de fait le Rassemblement national,
04:25 puisqu'on ne pourra plus ensuite leur opposer de défendre la préférence nationale.
04:30 Emmanuel Macron, lui, se défend en disant que cette loi permet,
04:33 au contraire, de lutter contre le Rassemblement national.
04:36 Je considère que oui, nous, on doit améliorer les choses,
04:39 parce que si on ferme les yeux, si on dit qu'il n'y a pas de problème d'immigration,
04:42 on fait le jeu du Rassemblement national.
04:45 Il y a une constante dans la vie politique française qui souffre d'assez peu d'exceptions,
04:49 c'est que le fait d'aller sur le terrain des idées du Rassemblement national pour le combattre
04:53 a été relativement inutile si on espère freiner sa progression.
04:57 Nicolas Sarkozy avait réussi à siphonner les voix du RN en 2007
05:03 en se plaçant plus ou moins sur leurs idées.
05:05 La différence, c'est que depuis Nicolas Sarkozy a été élu et il n'a pas fait grand-chose.
05:10 Du coup, les électeurs peuvent se dire qu'il vaut mieux préférer l'original à la copie
05:17 et que seul le RN aurait éventuellement le courage
05:23 de s'attaquer à ce qu'ils perçoivent comme un problème.
05:25 La gauche en particulier craint donc que la loi immigration
05:27 favorise l'accès de Marine Le Pen à la présidence en 2027.
05:31 On a un président de la République qui devrait être le gardien
05:34 d'un certain nombre de valeurs et qui a la place,
05:37 les brades pour des petits calculs cyniques.
05:39 Mais moi je vois le chemin sur lequel il nous entraîne.
05:42 La pente sur laquelle les esprits dans notre pays glissent.
05:45 On a dans les sondages, on le voit, tranquillement,
05:49 Marine Le Pen qui avance, qui chemine vers l'Elysée.
05:53 Le gouvernement a mis un doigt dans un engrenage que le RN,
05:57 s'il était amené à prendre le pouvoir, pourrait plus facilement étendre.
06:02 [Musique]
06:07 [SILENCE]