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Pour ce dernier jour de 2023, à 8h20, un grand entretien avec Jérôme Garcin, journaliste et écrivain, producteur de l’émission Le Masque et la Plume sur France Inter de 1989 jusqu’à aujourd'hui.

Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end

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Transcription
00:00 - Nos dimanche soir ne seront plus jamais les mêmes. 40 ans qu'il incarne une émission mythique, un rendez-vous iconique, une messe dominicale
00:07 inratable. Mais voilà, aujourd'hui c'est le dernier masque et la plume de Jérôme Garcin. Bonjour Jérôme !
00:13 - Bonjour !
00:14 - Alors vous allez dialoguer tout à l'heure avec les auditeurs. Appelez-nous dès maintenant au 01 45 24 7000 ou sur l'application France Inter.
00:20 Merci d'être venu un petit peu plus tôt que d'habitude au micro. Merci d'être venu à la Maison de la Radio et de la Musique.
00:26 Il faut le dire aux auditeurs, vous n'avez pas de bureau ici ?
00:28 - Non, je n'ai pas de bureau depuis d'ailleurs toujours.
00:30 - Des décennies que vous travaillez pour France Inter et pas de bureau.
00:33 - Je travaille chez moi pour préparer l'émission.
00:35 - Et vous allez le dire, on va le dire aussi, l'émission elle est enregistrée et vous l'écoutez le dimanche.
00:41 - Je l'écoute. Maintenant qu'elle est diffusée, je vous le rappelle, non seulement le soir mais aussi le matin.
00:47 D'ailleurs l'émission spéciale sera diffusée dès 9h du matin.
00:51 - Absolument, elle est rallongée, on en verra un autre tout à l'heure.
00:53 - Elle est rallongée. Quelle était votre question ?
00:55 - Vous allez vous écouter aujourd'hui, en ce dernier dimanche.
00:57 - Non, je ne vais pas m'écouter. Peut-être que je vais m'écouter quand même aujourd'hui.
01:00 Mais le problème c'est que si je m'écoute, je risque d'être très ému.
01:03 Je ne sais pas si je dois, je suis partagé entre la curiosité de voir ce que cette ultime émission aura donné
01:10 et en même temps l'émotion qui me saisit chaque fois que je mesure tout le temps écoulé aux manettes
01:17 mais pas simplement aussi aux micros de cette émission.
01:19 - A quelques heures de la fin, vous n'allez pas changer d'avis ?
01:22 - Je n'ai pas changé d'avis, non. Mais ça fait des mois que je me dis mais quelle idée tu as eue d'arrêter.
01:30 - Mais oui, quelle idée !
01:31 - Et voilà, je pense que c'était bien. Vous savez, cette émission, c'est l'histoire de notre maison,
01:35 c'est l'histoire de France Inter, c'est l'histoire, je dirais même, de Radio France.
01:39 C'est une certaine idée de la radio culturelle et populaire.
01:43 Et cette émission, qui est la doyenne des émissions, elle aura bientôt 70 ans.
01:48 - Elle a un an de plus que vous, je crois.
01:49 - Elle a un an de plus que moi.
01:50 - Si je peux me permettre.
01:51 - Elle aura 70 ans en 2025. Je pense qu'il était temps de la léguer à quelqu'un de plus jeune,
01:57 à une voix qu'on connaît tous évidemment par cœur, qui est celle de Rebecca Manzoni.
02:02 En fait, je l'ai fait parce que je voulais vraiment que cette émission ait de l'avenir.
02:05 Elle a, avec moi, évidemment, un passé qui m'émeut terriblement.
02:10 Mais je veux qu'elle ait de l'avenir, je veux que la maison continue à faire cette radio culturelle et populaire qui est sa marque.
02:16 - Vous dites que vous n'avez jamais manqué une émission en 34 ans. Comment c'est possible ?
02:20 - Ça c'est une prouesse presque médicale.
02:22 - Mais oui, jamais malade, toujours à l'antenne.
02:24 - Il m'est arrivé d'avoir, comme tout le monde, comme vous, comme moi, des grippes, des rhumes, tout ça.
02:28 Mais je n'ai jamais manqué un seul dimanche, je n'ai jamais été remplacé.
02:31 Et je vous rappelle, que l'émission c'est 52 dimanches par an. Il n'y a pas d'été, il n'y a pas de fête de Noël.
02:39 - On vous écoute au mois d'août, effectivement, on vous écoute à Noël.
02:43 - Et pour cause, l'actualité culturelle, elle dure tout au long de l'année.
02:46 Et c'est vrai que c'est un peu aussi la spécificité du masque.
02:51 C'est qu'on n'abandonne jamais nos auditrices et auditeurs.
02:54 Je vous rappelle que pendant le confinement, c'est une des très rares émissions qu'il y a dans des conditions apocalyptiques.
03:00 Mais qui a continué et depuis nos portables, on a construit, édifié avec toute l'équipe des critiques,
03:07 un masque et la plume confiné, que j'avais rebaptisé "La Plume et le Masque FFP2".
03:20 Et qui a été un succès énorme, parce que tout d'un coup, le lien continuait avec notre public.
03:26 - Mais ça dit beaucoup de choses. - Le masque, le gel et la plume.
03:29 - Mais ça dit beaucoup de choses, parce qu'effectivement, le masque et la plume, c'est l'histoire de la radio, c'est l'histoire de France aussi.
03:35 Ce masque, il a raconté un petit peu l'histoire de France.
03:38 Il a été traversé par les grands événements, par la guerre d'Algérie, par mai 68.
03:42 On l'a entendu, ça, dans le masque et la plume.
03:44 - Absolument. Moi, je l'ai écouté beaucoup dans les archives, d'ailleurs.
03:47 À quel point cette émission qui parle de culture est liée à la réalité politique et sociale de ce pays ?
03:54 On pourrait raconter une forme d'histoire de France à travers celle du masque et la plume,
04:00 jusqu'à ce qu'il y ait ce grand mouvement libératoire, le mouvement #MeToo,
04:05 qu'on retrouve aussi dans les propos, dans les interventions, dans les polémiques du masque et la plume.
04:11 - Il y a une liberté d'expression, une liberté d'indignation qui n'existe nulle part ailleurs dans cette émission.
04:16 - Je pense que c'est le secret de sa longévité et de son succès.
04:23 C'est qu'évidemment, et plus encore aujourd'hui, où la machine commerciale qui accompagne les films, les livres, les pièces,
04:31 est absolument énorme, où les parrainages, y compris le parrainage de France Inter, se multiplient autour des œuvres d'art.
04:38 Il est évident que cette liberté critique du dimanche matin et du dimanche soir est une spécificité
04:45 qui d'ailleurs surprend beaucoup, beaucoup nos consoeurs et confrères étrangers,
04:50 qui ne comprennent pas comment on peut vraiment, y compris sur une radio de service public comme France Inter,
04:56 dire du mal par exemple d'un film comme Napoléon qui a été parrainé par France Inter.
05:01 - Oui, ça vous ne vous l'empêchez pas. Vous avez toujours pu critiquer n'importe quel film, y compris les films France Inter.
05:06 - Écoutez, j'ai connu beaucoup plus de directrices et directeurs d'Inter que vous,
05:10 et je peux vous dire que je n'ai jamais en 35 ans d'animation été empêché de quoi que ce soit,
05:16 ni de... Et en plus je vous rappelle que l'émission est enregistrée dans les conditions du direct.
05:22 On enregistre 56 pour dédicacer 54. - 54, c'est ça ?
05:26 - Donc, il y a parfois des dérapages, il y a parfois des vérités un peu excessives,
05:31 mais rien n'est jamais censuré, et je pense que c'est cette liberté-là qui plaît,
05:37 et qui aussi, à mon avis, donne autant de talent aux chroniqueuses et chroniqueurs de l'émission.
05:43 - Vous, vous vous êtes fait quand même peut-être beaucoup d'ennemis en 40 ans avec ces critiques ?
05:47 - Oui, mais c'est le lot, je veux dire... Oui, beaucoup, beaucoup.
05:50 Disons que j'ai extraordinairement réduit en 35 ans ma vie sociale.
05:55 C'est vrai que j'ai fait en sorte de ne pas confondre ce métier magnifique,
06:02 qui est d'animer le masque et la plume, et en même temps d'avoir une vie sociale
06:06 dont, très franchement, on se passe volontiers.
06:09 - Vous avez un pouvoir prescripteur qui est extrêmement fort également,
06:12 aussi bien dans la critique que quand vous louez un film ou un livre.
06:16 Vous vous rendez compte de ce pouvoir que vous avez sur la vie culturelle française ?
06:20 - Absolument, mais je pense qu'il est dû aussi précisément à ce qu'on disait avant,
06:24 c'est-à-dire que, sans la liberté de blâmer, il n'est pas des loges flatteurs,
06:28 et que quand tout d'un coup on pousse les gens à aller voir un film,
06:31 plus souvent un film d'auteur ou un film fragile qu'un film ultra-puissant,
06:37 et c'est vrai aussi pour la littérature,
06:39 il est vrai que cette liberté de ton fait que tout d'un coup,
06:42 l'enthousiasme des critiques a un effet prescripteur qui est phénoménal.
06:46 Et en même temps, je me dis...
06:49 - On le mesure en librairie ? Dans les salles de cinéma ?
06:52 - Bien sûr, dans les salles de cinéma, dans les salles de spectacle.
06:54 Et en même temps, je me dis que, c'est un peu mon bilan personnel,
06:57 je me dis que finalement, pendant 35 ans, j'ai essayé d'être un passeur
07:02 et d'amener le plus grand nombre, et parfois les moins fortunés
07:06 ou les moins éduqués dans la culture, à aimer les plus belles choses.
07:09 Et ça, je trouve que c'est peut-être ce qu'il y a de plus beau dans le métier
07:13 qu'on peut faire nous toutes, et tous à la radio,
07:16 et en particulier au Masque et la Plume,
07:18 et on voit ça aux enregistrements publics,
07:21 c'est-à-dire, on leur dit vraiment "mais courez voir La Voix royale de Frédéric Mermoux,
07:27 allez à la librairie, achetez de l'Ormura, Proust, Romand familial".
07:31 Et je pense que ces choses-là, avec le temps passé,
07:36 c'est peut-être ce qui me réconforte le plus.
07:38 - Cette émission, ce n'est pas qu'une émission de radio,
07:40 c'est une grande pièce de théâtre aussi, c'est ça qu'on aime dans le Masque et la Plume,
07:44 c'est qu'on joue un rôle, on surjoue même peut-être parfois.
07:47 - Bien sûr, on le surjoue jusqu'à la mauvaise foi,
07:49 mais vous savez, moi j'ai toujours retenu la leçon de notre ultra-doyen
07:56 qui était Georges Charenceau, connu évidemment pour ses passes d'armes à la tribune avec Jean-Louis Bory,
08:02 et Georges qui avait 95 ou 96 ans, au moment où j'ai pris la direction du Masque et la Plume,
08:10 m'a dit "Jérôme, n'oublie jamais que le Masque, c'est d'abord un spectacle".
08:15 Et c'est vrai que c'est un spectacle, donc je suis un peu le metteur en scène,
08:18 un peu fourbe, parfois, parce que j'ai un tendance...
08:20 - Vous manipulez un petit peu, vous mettez les bons films au bon moment,
08:24 les bons livres au bon moment.
08:26 - Ou calmer d'ailleurs les feux.
08:27 Mais vous savez, les critiques, ils sont face au public,
08:31 dans un théâtre qui est le théâtre de l'Alliance française,
08:34 tout à l'heure ça sera au 104 de notre maison, de la Maison de la Radio et de la Musique,
08:40 mais on est face au public, et c'est clair que quand vous êtes sur une scène face au public,
08:45 et bien vous jouez... Alors c'est une comédie,
08:48 une comédie où chacun est aussi très sincère dans ses colères, comme dans ses enthousiasmes.
08:54 - Il y a des critiques que vous avez trouvées particulièrement injustes,
08:57 que vous regrettez peut-être aujourd'hui.
08:59 - Mais elles ont toutes été terriblement injustes,
09:03 mais en même temps, qu'est-ce que vous voulez ?
09:05 C'est vrai que... D'abord, il faut dire aussi une chose, c'est que je me suis, en 35 ans,
09:10 vous vous rappeliez que je n'ai jamais été absent un seul dimanche,
09:13 mais je n'ai jamais fait une seule de ces quelques 1800 ou 1900 émissions,
09:19 jamais sans avoir vu tous les films. - Vous voyez tout, vous lisez tout.
09:23 - Vu toutes les pièces, je pense que c'est le B.A.B.A.
09:25 D'ailleurs, je n'ai donné aucun conseil à la chère Rebecca Manzoni,
09:29 mais je lui ai juste donné mon secret, je lui ai dit, il faut dans cette émission,
09:33 tout faire, tout voir, tout lire, c'est la seule manière d'animer le débat
09:38 et d'être respectueux du public.
09:40 - Alors justement, c'est une émission en public, vous le disiez,
09:43 qu'est-ce qui explique ce lien si fort avec les auditeurs ?
09:46 Il y a cette séquence inaugurale dans chaque émission,
09:48 où vous commencez par lire les lettres des auditeurs,
09:51 vous en recevez un nombre incroyable toutes les semaines.
09:53 - Je reçois des centaines à peu près par jour, sur les films,
09:57 évidemment sur les livres, parfois sur les spectacles,
10:01 ce courrier, il me permet de donner cette place primordiale au public,
10:07 qui est la place du cinquième critique de l'émission.
10:10 Vous ne mesurez pas le talent critique de nos auditrices et nos auditeurs,
10:14 qui parlent de ce qu'ils ont vu, de ce qu'ils ont aimé,
10:18 de ce qu'ils n'ont pas aimé, avec un talent incroyable.
10:21 C'est vrai que cette séquence du début,
10:23 elle est parfois un peu dure pour les critiques qui vont suivre.
10:26 - Ah oui, parce qu'ils ne sont pas toujours d'accord.
10:28 - Mais je pense que ça fait partie vraiment du jeu,
10:30 c'est-à-dire qu'on est tous là pour dire exactement ce qu'on pense,
10:33 public, y compris dans la salle, quand il veut saisir le micro
10:38 et donner son propre avis.
10:40 - Justement, ces chers auditeurs, ils nous écoutent ce matin,
10:43 ils ont appelé le 01 45 24 7000 parce qu'ils ont envie de vous parler,
10:46 de vous poser des questions. On va au standard tout de suite.
10:49 On va peut-être aller voir Claude, qui nous appelle de tour.
10:52 Bonjour Claude. - Bonjour.
10:54 - Je vous en prie, allez-y.
10:56 - Je voulais raconter ce que j'ai ressenti ce matin.
11:01 J'ai ressenti une grande émotion parce que j'écoute toujours
11:04 "Le masque et la plume" et je l'écoute depuis que je suis toute petite.
11:07 Mes parents vivaient dans un petit village de Bretagne
11:10 qui s'appelle Pontaveine et on n'avait pas de cinéma.
11:13 Et mon père écoutait religieusement tous les dimanches soirs
11:16 "Le masque et la plume" sur une petite radio.
11:19 On n'avait pas non plus la télé parce que mes parents n'en voulaient pas.
11:22 Et elle était moins "pire" que ce qu'elle est aujourd'hui.
11:27 Et j'ai des souvenirs comme ça d'être devant mon père à la table de la cuisine
11:32 qui riait parce que j'ai des souvenirs de Jean-Louis Bory
11:36 qui faisait des colères homériques avec un autre journaliste,
11:41 je ne me souviens plus lequel, qui mettait le droit, il me semble.
11:44 Et j'ai gardé cette habitude du "masque et la plume"
11:48 comme le riolet du dimanche soir.
11:52 J'ai gardé ça au fil des années.
11:55 Et je l'aimais beaucoup M. Garfin et sa sensibilité, son humanisme aussi.
12:01 J'ai trouvé ça son humour mais aussi l'humanité
12:05 parce que même si parfois les critiques étaient très raides,
12:08 quand même ça transpirait l'humanisme cette émission.
12:12 Je ne peux pas expliquer pourquoi.
12:14 - Jérôme, je pense que ça vous touche ce genre de message.
12:17 - Je suis très ému parce que c'est vrai que ce que vous dites très joliment,
12:22 c'est exactement ce que me disent beaucoup d'auditeurs.
12:26 Ils ont grandi, vous avez écouté votre père écouter le "masque et la plume".
12:30 On a tous, notamment en voiture, à l'époque c'était que le dimanche soir,
12:36 on a vu les enfants dire à leurs parents
12:39 "Arrêtez de nous embêter avec cette émission".
12:42 Et puis maintenant les enfants sont devant, c'est eux qui conduisent
12:45 et qui imposent à leurs enfants le "masque et la plume".
12:48 Et ce qui est magnifique c'est cette histoire transgénérationnelle.
12:52 Le masque, encore une fois, c'est l'histoire d'un public qui grandit,
12:57 qui vieillit mais qui reste attaché.
12:59 - Ça se passe de génération en génération.
13:01 - C'est ce qu'il y a de plus beau dans notre métier.
13:04 C'est que ça ne s'arrête pas, ça continue et ça va continuer.
13:08 - Alors Dominique nous appelle de Haute-Corse.
13:10 Ils sont nombreux les auditeurs à vouloir vous parler ce matin.
13:12 Bonjour Dominique.
13:13 - Bonjour France Inter, bonjour Monsieur Garcin.
13:16 - Bonjour Dominique.
13:17 - Je voudrais vous citer de Camille Peretti,
13:20 actrice de théâtre, comédienne de théâtre, historienne, écrivain.
13:25 Cette citation, très belle citation,
13:27 "C'est toujours un bonheur de voir tomber les masques
13:31 et de s'apercevoir que les gens nous préfèrent déguiser".
13:34 Alors ce masque est un peu invisible en quelque sorte.
13:38 Donnez-nous enfin un peu, nous éclaircir sous cette belle citation.
13:43 - Jérôme.
13:45 - Écoutez, vous savez, j'ai fait mon métier à la tête du masque
13:51 pendant 35 ans en portant moi aussi un masque,
13:54 qui est un masque d'animateur.
13:56 Un masque incroyablement d'homme heureux,
14:02 parce que j'aime physiquement faire cette émission.
14:05 Et derrière le masque, j'ai souvent pris la plume
14:09 pour parler de moi, d'une vie plus personnelle,
14:13 parfois plus douloureuse.
14:15 Mais j'ai toujours fait en sorte que les deux ne s'interpénètrent pas.
14:20 Et je dois d'ailleurs vous dire la vérité aujourd'hui,
14:23 c'est que grâce à ce masque, j'ai pu, dans certains moments difficiles de ma vie,
14:27 avoir le sentiment que la vie continuait, qu'il fallait être heureux,
14:32 que le bonheur était plus important
14:35 que ce qui pouvait nous arriver aux uns et aux autres.
14:38 Donc ce masque, je lui dois non seulement beaucoup de bonheur,
14:41 mais aussi peut-être beaucoup de courage.
14:44 - Je le disais en introduction, vous lâchez le masque mais pas la plume,
14:48 vous allez continuer à écrire, c'est ça le programme des prochains mois ?
14:51 - Bien sûr, mais vous savez, ce temps encore une fois qui m'arrive,
14:55 d'abord je vais continuer à faire mon métier,
14:57 j'ai trop besoin de lire des livres, de voir des spectacles, de voir des films,
15:02 donc je vais continuer un bloc-notes culturel dans l'Obs,
15:04 pour parler dans mon journal, pour parler de ce que j'aime.
15:07 Mais je veux du temps pour donner du temps au temps, au mien,
15:11 c'est primordial, à ma femme, à mes enfants, à mes petits-enfants,
15:15 et puis aussi pour écrire.
15:17 Pour écrire parce que je crois que c'est aussi ma vocation
15:20 et que maintenant que je n'ai plus de masque, je veux garder au moins la plume.
15:25 - Bien joué. On retourne au standard avec une auditrice
15:27 qui nous appelle de Saint-Ouen, votre prénom ?
15:30 - C'est Rébéka, mon prénom.
15:34 - Ah bonjour Rébéka, vous avez une question pour Jérôme peut-être ?
15:37 - Oui, j'ai une question pour Jérôme depuis ma cuisine,
15:41 donc c'est Rébéka Manzoni.
15:43 - On vous a reconnue Rébéka, bonjour à vous.
15:45 Il vous a reconnue tout de suite Jérôme.
15:48 - Vous avez une question à poser Rébéka ?
15:50 - Rébéka, posez votre question à Jérôme.
15:53 - Oui Jérôme, j'ai une question à te poser,
15:55 d'ailleurs tu as commencé un peu à y répondre,
15:57 mais tout ce que les témoignages d'auditeurs et d'auditrices racontent,
15:59 c'est à quel point effectivement le masque fait partie de nos vies,
16:02 j'aimerais revenir sur la façon dont il fait partie de la tienne.
16:05 Tu dis même "c'est ma vie",
16:07 à quel point l'émission t'a façonné ?
16:10 Dans ta façon de parler peut-être ?
16:14 Dans ta vision du monde ?
16:16 Dans ta façon d'être tout au long de ces 35 années ?
16:21 - Je vais répondre, puisqu'on est à la radio,
16:24 mais tu connais déjà mes réponses,
16:26 puisque je te les ai dites plusieurs fois quand on s'est vus,
16:29 avec bonheur, parce que c'est vrai qu'il faut le dire quand même,
16:34 que passer le témoin, la main à Rébéka pour l'année qui vient,
16:38 est peut-être un des grands bonheurs de ma vie professionnelle.
16:44 Ça a tout changé, d'abord dans ma façon de parler.
16:49 Sache qu'au tout début, je bouffais les mots,
16:53 je parlais trop vite, je me détestais en fait,
16:57 quand je parlais, et puis j'ai appris avec cette émission,
17:00 effectivement, à maîtriser mes émotions, à prendre mon temps.
17:05 Mais plus profondément, c'est vrai que,
17:09 je le disais tout à l'heure, ça a façonné ma liberté de penser,
17:14 ça a confirmé ce qu'est la loi de ma vie,
17:17 qu'est la fidélité.
17:18 La fidélité à des principes, à des idées,
17:21 à des maisons, comme la nôtre,
17:23 où je me trouve aujourd'hui, qui est notre maison commune,
17:26 de Radio France.
17:28 Ça a aussi été très important,
17:31 parce que j'ai été pendant 35 ans le plus fort possible,
17:36 à l'antenne, parce qu'il fallait montrer le plus beau visage,
17:40 et qu'à un moment donné, dans nos vies,
17:43 je viens d'avoir 67 ans,
17:45 il faut accepter aussi de montrer qu'on a des fragilités,
17:49 que ce n'est pas indigne d'être fragile,
17:51 qu'on n'est pas toujours toujours fort.
17:54 Mais j'ai gagné, pour tout te dire,
17:57 Rebecca, avec ses 35 années,
17:59 peut-être encore plus de force que j'aurais jamais imaginé en avoir un jour.
18:02 - Vous avez un peu répondu, Gérôme,
18:04 mais est-ce que vous avez un conseil à donner à Rebecca ?
18:07 - On ne donne pas de conseil à une professionnelle de la radio comme Rebecca.
18:13 - Une professionnelle qui s'attaque à un monument, quand même !
18:16 - Je lui ai juste dit mes secrets...
18:18 - Non, ça va être super !
18:20 - Je lui ai juste dit mes secrets qu'elle connaît par cœur,
18:22 c'est-à-dire, encore une fois,
18:24 monter sur la scène en ayant tout vu, tout lu.
18:28 C'est vraiment le secret de cette...
18:30 Et puis, faire du spectacle et aimer ce public qui nous aime,
18:36 et on lui doit au moins ça, c'est une forme légitime de gratitude.
18:40 - Est-ce qu'on peut toucher au Masque et la Plume ?
18:42 Est-ce qu'on peut moderniser, changer quelque chose à cette émission qui est tellement...
18:47 - Bien sûr qu'il faut la faire évoluer, c'est pour ça que Rebecca Manzoni arrive.
18:50 Mais bien sûr, vous savez, moi j'ai pas fait pendant 35 ans ni le masque de Bastide,
18:55 de François-Régis Bastide, ni le masque de Michel Polac, ni celui de Pierre Bouteiller.
19:00 Chacun fait évoluer l'émission.
19:03 L'important, c'est qu'elle reste fidèle à ses fondamentaux,
19:08 la liberté, la liberté de critiquer,
19:11 et puis, ce que j'aime le plus au monde, c'est-à-dire,
19:14 faire de la radio culturelle, je me répète, et populaire.
19:18 L'un ne va pas sans l'autre.
19:19 - Autant populaire vous l'êtes, on le voit, on a beaucoup, beaucoup de messages sur l'application,
19:23 je vais en lire quelques-uns.
19:24 Je suis très émue, j'adore Garcin et le Masque, là c'est Kévin qui dit ça.
19:28 Je me rappelle quand Jérôme Garcin a pris la direction du Masque,
19:32 j'ai l'impression que c'était hier, c'était-y-hier Jérôme ?
19:35 - C'était du jour avant-hier.
19:36 - Mais qu'est-ce qu'il va me manquer Jérôme Garcin, ça c'est Viviane qui dit ça.
19:40 On va écouter aussi Laure qui nous attend au Standard, bonjour Laure !
19:44 - Oui, bonjour, alors je suis tout aussi émue que les auditeurs qui m'ont précédée et que Jérôme Garcin,
19:52 parce que je pourrais partager tout ce qu'a dit Claude, donc je ne répéterai pas tout cela.
19:57 Mais comment dire, j'aime beaucoup, beaucoup ce que vous dites cher Jérôme Garcin.
20:03 D'abord, je suis prof de lettres à la retraite et j'ai tous vos livres, parce que, je ne sais pas comment dire,
20:08 ce n'est pas ce côté avoir tous vos livres, c'est votre humanisme effectivement,
20:13 cette culture et puis ce côté jamais tédant et comment dire, partager les émotions si joliment, si simplement.
20:24 C'est juste extraordinaire, votre livre "Théâtre intime", je l'ai offert à je ne sais combien de personnes.
20:30 J'aimais beaucoup Gérard Philippe, j'aimais beaucoup les romans d'Anne Philippe
20:35 et j'ai découvert grâce à vous aussi cette chère Anne-Marie Philippe.
20:40 Bref, vous nous faites le cadeau, chaque fois que vous écrivez, vous vous exprimez de, je ne sais pas,
20:49 cette fameuse culture pour vivre.
20:52 Et puis juste une petite chose aussi, vous venez de faire un joli hommage à la culture et aux émotions.
21:00 On est aussi des chefs d'oeuvre en péril, comme disait Jules Osbockarn, le grand poète chanteur belge.
21:08 - Quelle émotion ce matin, elle est partagée, je vous assure qu'elle est partagée dans le studio Gérard.
21:13 - Merci beaucoup, je ne vais pas répondre parce que sinon je vais pleurer et j'en ai marre de pleurer.
21:19 Ça fait des semaines que je pleure, donc il faut arrêter.
21:21 Vous me touchez infiniment, sachez que votre métier, celui que vous avez fait de prof de lettres, me paraît très proche.
21:30 J'ai peut-être un peu prétentieux mais du mien.
21:33 - Vous avez fait les mêmes études déjà.
21:35 - Non mais ce que je veux dire c'est que, vous savez, je crois que cette pédagogie que vous, chère madame, vous exprimez,
21:42 ça a toujours été aussi mon souci.
21:45 Faire une émission, on n'a pas le goût encore une fois de faire découvrir des choses à toutes les générations, ça n'a pas de sens.
21:53 Et puis surtout, ne pas parler d'un film, ne pas parler d'un livre sans en donner peut-être l'essentiel.
22:02 C'est-à-dire que, vous savez, j'ai horreur d'une chose, j'ai toujours eu horreur à la radio, c'est de l'entre-soi.
22:07 Y compris entre les critiques, le côté "nous on est du même côté".
22:11 Ben non, j'ai horreur de ça.
22:13 Moi je pense que notre métier de prof comme d'animateur radio, il ne doit être destiné qu'au public, surtout pas à l'entre-soi professionnel.
22:21 - Alors on a des auditeurs aussi qui vous demandent vos films préférés, vos livres préférés.
22:25 Je ne veux pas vous prendre de cours mais peut-être ceux qui vous ont le plus marqué ou qui ont le plus marqué l'émission.
22:31 - Écoutez, vous avez le temps jusqu'à ce soir.
22:34 - Oui, allez-y, c'est pour vous.
22:36 - Non, je ne vais pas.
22:38 Notre auditrice a cité un livre, enfin une autrice qui a fondé ma vie, c'est Anne Philippe, "C'est le temps d'un soupir".
22:46 Le livre où elle disait adieu à Gérard Philippe, à son mari.
22:50 Et c'est grâce à ce livre qui a vraiment changé ma vie à 17-18 ans,
22:56 que j'ai eu le bonheur évidemment de comprendre que la souffrance était parfois aussi une chance, un privilège.
23:03 Et surtout que j'ai eu le bonheur de rencontrer la fille d'Anne Philippe qui s'appelle Anne-Marie Philippe et qui est devenue ma femme.
23:10 - Jean-Christophe, on vous pose une dernière petite question.
23:13 Il pense reconnaître la voix d'Albert Algoud parfois dans le public qui vous pose des questions. Est-ce lui ou pas ?
23:18 - Non, j'aime beaucoup Albert, comme j'aimais beaucoup d'ailleurs le chantier Julous Boccard.
23:23 Mais en revanche, non, le cher Albert Algoud, le grand spécialiste de Tintin, n'est pas dans le public fidèle du masqué de plume.
23:32 - On écoute le générique peut-être une dernière fois ?
23:35 - Je vous laisse la parole Jérôme.
24:04 - Le masque et la plume.
24:08 - Inimitable. Merci beaucoup Jérôme Garcin sur cette fileuse de Mandelssohn.
24:14 On vous retrouve donc pour un dernier masque à partir de 9h ce matin jusqu'à 11h et ce soir encore à 20h30.
24:20 - Oui, je suis désolé. Après les vœux du président Macron, j'espère que le président Macron pensera à saluer le masque et la plume comme il se doit.
24:27 - Un grand plaisir de ce 31 décembre. Merci à vous et bonne journée.

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