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Jérôme Fourquet, politologue et directeur du département opinion de l'IFOP, était l'invité du Grand Entretien, ce lundi. Il est l'auteur de "La France d'après. Tableau politique.", dans lequel il explique les transformations électorales du pays à travers différents paramètres. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-lundi-02-octobre-2023-2910200

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00:00 Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin le directeur du département Opinion de l'IFOP,
00:04 il publie « La France d'après », tableau politique aux éditions du Seuil, livre qui
00:10 sera en librairie vendredi.
00:12 Question/réaction, amis auditeurs, amis auditrices au 01 45 24 7000 et sur l'application de
00:20 France Inter.
00:21 Jérôme Fourquet, bonjour !
00:22 Bonjour !
00:23 Et bienvenue à ce micro, il y a eu l'archipel français en 2019, il y a eu la France sous
00:29 nos yeux en 2021 et voici donc avec la France d'après le troisième volet d'une trilogie
00:36 sur notre pays, la manière dont il se voit, se pense, la manière dont il change et dont
00:42 il vote.
00:43 Il vous aura donc fallu trois livres pour essayer de comprendre la France d'aujourd'hui.
00:49 Le pays, Jérôme Fourquet, est-il à ce point illisible ? Les lignes traditionnelles sont-elles
00:56 à ce point brouillé qu'il vous a semblé nécessaire de le regarder sous tous les
01:03 angles possibles pour parvenir à y voir un peu plus clair aujourd'hui, là maintenant,
01:09 en 2023 ?
01:10 Oui, tout à fait.
01:12 Si on utilisait une image, c'est comme quand vous éclairez un monument la nuit, si vous
01:18 placez un unique projecteur, aussi puissant soit-il, vous ne verrez qu'une partie de
01:23 l'architecture ou de l'édifice et en fait, pour en saisir toute la complexité, voire
01:27 la beauté, il faut avoir placé des projecteurs un peu partout.
01:31 C'est ce que j'ai essayé de faire dans ces trois livres.
01:34 Alors, est-ce que le pays est-ce à ce point illisible ou est-ce qu'il a à ce point
01:38 changé ? Ce livre prend la clé d'entrée de la géographie électorale pour raconter
01:44 les transformations du pays et si on reste sur ce plan de la géographie électorale
01:49 et de l'analyse politique, on rappellera qu'au premier tour de l'élection présidentielle,
01:53 Anne Hidalgo et Valérie Pécresse, qui étaient les deux représentantes des deux grands partis
01:57 qui ont structuré notre vie politique pendant 50 ans, ont fait moins de 7% à L2.
02:02 Et donc, face à ce Big Bang quand même spectaculaire et sans précédent, je me suis dit qu'il
02:09 fallait essayer de creuser, essayer de comprendre comment on était arrivé là.
02:13 On va parler de la géographie électorale et des changements inouïs, dites-vous, de
02:17 cette géographie électorale et la manière dont les gens votent, où ils votent et comment
02:21 ils votent.
02:22 Mais ce que vous montrez très bien, c'est que les vieux clivages politiques sont devenus
02:26 obsolètes, inopérants pour comprendre la France aujourd'hui.
02:28 Combien la fin du catholicisme, combien l'affaiblissement du parti communisme dans les banlieues populaires
02:33 notamment, combien l'américanisation de la société et la montée en puissance de
02:37 l'islam, combien tous ces facteurs jouent dans la transformation de notre pays et dans
02:41 l'écriture de la France d'après.
02:42 Mais on s'est demandé avec Nicolas, est-ce que vous voyez un grand récit de la France
02:47 d'après ? Un grand récit qui s'imposerait et qui raconterait la France d'après ? Parce
02:52 qu'à vous lire, on a l'impression que vous ne le voyez pas le grand récit et qu'il
02:55 n'y en a peut-être pas.
02:56 Alors, effectivement, on voit très clairement les grandes matrices structurantes qui ont
03:03 disparu, qui se sont disloquées.
03:06 Et aujourd'hui, manifestement, le pays est un peu en panne d'un grand récit ou d'une
03:12 grande grille d'analyse ou de deux qui pourraient s'opposer, qui pourraient restructurer le
03:17 débat, le fédérer.
03:19 Et on est dans cette espèce d'entre deux, c'est-à-dire qu'on sait ce qu'on a quitté
03:24 et on n'est pas encore sur quelque chose de totalement stabilisé qui nous remettrait
03:28 sur des schémas un peu cohérents, d'où le titre du livre, la France d'après, pour
03:32 bien faire toucher du doigt au lecteur.
03:34 Le fait que nous avons basculé dans un autre monde, et encore une fois, l'analyse électorale,
03:40 on zoome sur certains territoires, on voit comment on est dans des ruptures avec des
03:44 continuités qui étaient très anciennes.
03:46 - Alors on va zoomer.
03:47 Vous vous inspirez juste d'un mot d'André Siegfried et de son tableau politique de la
03:51 France de l'Ouest, qui est un classique de la géographie électorale, et vous montrez
03:55 en fait que plus rien n'est pertinent, plus rien du monde d'avant, si j'ose dire.
04:00 Religion, famille, histoire ne pèsent que peu de choses dans le vote.
04:03 Aujourd'hui, ce qui pèse, et je vous cite, c'est la proximité aux hubs et aux axes de
04:08 circulation de l'économie mondialisée, le degré d'implantation des services publics,
04:13 le potentiel touristique des territoires.
04:16 Et pour prendre un exemple, la ville de Barbizon, touristique, elle vote Macron, parce qu'elle
04:22 est précisément touristique.
04:23 - Dans une Seine-et-Marne qui s'est donnée…
04:26 - Voilà, à 5 kilomètres de là, il se passe quoi ?
04:28 - Eh bien on a un vote pour le Rassemblement National qui est beaucoup plus…
04:31 - Alors expliquez, pourquoi il y a une enclave autour ?
04:34 - Alors cette France d'après, en fait, elle a subi différents chocs.
04:40 D'une part, l'entrée dans la mondialisation et l'accélération de la construction européenne
04:45 qui a redessiné les cartes.
04:46 D'autre part, il y a beaucoup d'autres facteurs, mais d'autre part, pour répondre
04:50 à votre question, le pivotement de notre modèle économique, des industrialisations
04:55 massives au profit d'une économie qui aujourd'hui tourne essentiellement autour de la consommation
05:00 et qui a fait de l'industrie touristique un de ses principaux moteurs.
05:05 Et donc, dans les différents territoires que nous avons étudiés, on voit cette ligne
05:10 de partage entre des communes ou des endroits qui vont être en capacité de capter cette
05:14 manne touristique, et donc il y aura un degré de richesse, d'aisance, de bien-être qui
05:19 sera diffusé dans la population locale, parce qu'on aura le sentiment d'être du bon
05:23 côté de la barrière, de profiter de ce nouveau monde.
05:25 Et puis d'autres territoires qui parfois sont simplement éloignés de quelques kilomètres,
05:30 mais qui n'ont pas eu la chance, par exemple comme à Barbizon, d'avoir accueilli des
05:32 peintres il y a quelque temps de cela, et qui ne bénéficient pas de cette manne.
05:38 Les perdants de la mondialisation.
05:40 Ou de cette nouvelle donne économique, avec ce poids très fort de l'économie touristique.
05:45 Donc, j'essaie de payer ma dette à Siegfried, qui m'a beaucoup inspiré.
05:51 Donc Siegfried est resté dans les mémoires des géographes sur sa description d'un petit
05:58 canton en Vendée, canton de Talmont-Saint-Hilaire, où il avait repris un dicton populaire qu'il
06:07 avait entendu sur place, qui disait que le granit fabriquait du curé, et le calcaire
06:12 produisait de l'instituteur.
06:14 Et donc on avait dit que tout ça est très déterministe.
06:16 Et donc lui montrait de manière beaucoup plus sophistiquée comment la nature des sols
06:21 avait conditionné le type d'agriculture, puis le type de propriété, et l'implantation
06:26 des populations, habitat groupé ou habitat dispersé, et comment en terre calcaire, l'habitat
06:31 était groupé, la propriété était plus petite, et les idées progressistes de gauche
06:35 avaient pénétré plus précocement.
06:37 On est retourné dans ce canton de Talmont-Saint-Hilaire, et aujourd'hui ce n'est plus le calcaire
06:42 ou le granit qui vont donner le là, mais ce canton a la spécificité d'avoir une
06:48 façade maritime, et donc aujourd'hui on a toute la partie qui est au bord du littoral
06:53 - la ville côtière - les villes côtières, avec des dizaines de campings, des milliers
06:56 de résidences secondaires, et puis l'arrière-pays, où on est là plutôt dans du lotissement
07:02 pavillonnaire, et si on voulait pasticher Siegfried, on dirait que la résidence secondaire
07:08 produit du vote Macron, et le lotissement produit du vote RN.
07:11 Vous voyez, donc c'est d'autres logiques économiques, en reprenant toujours la mécanique
07:16 intellectuelle de Siegfried, mais en l'appliquant à une économie et à un pays qui aujourd'hui
07:20 n'est plus agricole, et qui accorde la part belle aux services, et notamment à la consommation
07:24 et au tourisme.
07:25 - Et on voit bien dans le livre, ça c'était aussi dans le livre précédent, les transformations
07:30 culturelles, combien, puisque vous parlez du curé et de l'instituteur, ont été remplacées
07:34 par le McDo, l'imam dans certains cas, et le coach de yoga dans d'autres.
07:41 Ça, vous l'expliquez très très bien.
07:42 Puisque vous êtes sur l'ouest de la France, vous parlez de la dorsale de l'ouest intérieur,
07:48 qui va du sud du département de la Manche au bocage vendéen, et à son extension dans
07:52 les Deux-Sèvres en passant par la Mayenne.
07:54 Vous dites que cette dorsale-là, de l'ouest intérieur, vote très massivement, beaucoup
07:58 plus qu'ailleurs, Macron.
08:00 Pourquoi ?
08:01 - Oui, alors là c'est un élément qui est intéressant.
08:03 Si on rentre dans la technique de géographie électorale un instant, on a appliqué ce
08:09 qu'on appelle un modèle structure résilu.
08:12 Donc en gros, on regarde dans tous les territoires français, leur composition sociologique,
08:17 d'une part, et d'autre part en s'appuyant sur les sondages, parce qu'on essaie à chaque
08:21 fois de manier la carte et le sondage, comment chaque groupe social a voté au niveau national.
08:28 Et ensuite on calcule localement, en disant dans tel endroit il y a 30% d'ouvriers, x%
08:34 d'employés, donc on sait comment ils votent au niveau national, et on calcule un vote
08:37 théorique en disant si chaque classe sociale avait voté comme elle a voté au niveau national,
08:43 on devrait obtenir ce résultat localement.
08:45 Et ensuite vous comparez ce résultat.
08:46 - Qu'est-ce qui vous a surpris sur cette dorsale de l'ouest ?
08:49 - Elle vote beaucoup plus pour Emmanuel Macron que la sociologie le laisserait présager.
08:54 Il y a des choses qui font faire rentrer en ligne de compte d'autres facteurs que la sociologie
08:58 et les classes sociales pour rendre compte de cette appétence pour le candidat Macron.
09:02 Donc on convoque l'histoire avec une implantation ancienne du catholicisme, on a été regarder
09:10 la densité d'écoles privées qui est encore très présente, et même si aujourd'hui les
09:14 églises ne sont plus tellement remplies, il y a cette ombre portée du catholicisme
09:18 qui avait notamment comme valeur, et c'est très fort dans l'ouest, un attachement à
09:23 la construction européenne.
09:24 C'est aussi dans cette dorsale de l'ouest intérieur qu'un grand journal régional,
09:28 Ouest France, qui est porteur de cette tradition démocrate chrétienne pro-européenne, fait
09:33 ses plus grosses diffusions.
09:35 Et donc on voit que si on s'en tient uniquement aux classes sociales, on passe parfois, qui
09:40 sont structurantes bien évidemment, mais on passe parfois à côté d'autres logiques
09:44 et c'est celle-ci qu'il faut essayer d'aller débusquer.
09:46 - Jérôme Fourquet, vous parlez pour le vignoble d'un effet grand cru sur le vote.
09:51 Vous nous expliquez ça s'il vous plaît.
09:53 - Oui, alors là aussi Siegfried s'était beaucoup attaché à l'étude du vignoble,
09:58 avec des formules magnifiques en disant que la vigne produisait du vote républicain et
10:02 qu'elle n'aimait pas beaucoup la monarchie, parce qu'on était sur des terres de petits
10:06 propriétaires viticoles.
10:07 Et aujourd'hui le paysage viticole a quand même pas mal changé.
10:11 Et ce qu'on constate, un peu à l'aune de ce qu'on voyait tout à l'heure sur le tourisme,
10:15 c'est que l'activité viticole va concentrer des afflux de capitaux et de richesses sur
10:22 des terroirs très étroits, avec comme ligne de partage, si vous voulez, la valeur et le
10:32 degré de prestige de ces vignobles, avec des appellations "grand cru" et puis d'autres
10:38 types de vins qui seront moins prestigieux.
10:40 Là aussi on retombe encore une fois sur la mondialisation, c'est-à-dire qu'on a fait
10:44 la carte de la route des vins en Bourgogne.
10:46 On voit très clairement que des richesses très importantes se déversent sur des territoires
10:51 très étroits et que tout ça crée un écosystème qui est plutôt favorable en l'espèce au
10:57 vote pour Emmanuel Macron.
10:58 Donc dès qu'on s'éloigne de cette route des vins, qu'on va aller dans les appellations
11:01 moins prestigieuses, les votes vont évoluer très significativement.
11:05 Dans la série des choses amusantes de votre livre, parce que ça c'est votre talent, c'est
11:08 d'utiliser des choses de la vie, des mythologies pour expliquer le vote et la géographie électorale.
11:13 Nicolas parlait des "grand cru" et des "moins grand cru".
11:16 Ensuite il y a le café.
11:18 Alors la France se distingue.
11:20 Dites-moi comment vous prenez votre café le matin ? Je vous dirais pour qui tu votes
11:23 ou pour qui vous votez.
11:24 La différence entre ceux qui utilisent une dosette et ceux qui utilisent une capsule.
11:28 Oui, alors là c'est pour essayer de mettre le doigt ou le projecteur sur le rôle de
11:34 la consommation dans la construction des identités contemporaines.
11:38 On est une société qui est très marquée par la consommation et l'image que je vais
11:43 me faire de moi-même sur la place que j'occupe dans la société va être conditionnée par
11:47 le type de pratique de consommation que je vais pouvoir m'offrir.
11:52 Et donc on travaille sur notamment cet univers du café où on a eu une disruption.
11:58 Vous avez vraiment sondé les gens pour savoir ?
12:00 On a demandé, c'est assez simple, on a demandé si on a une machine à café à dosette, à
12:04 capsule ou autre chose.
12:05 Et pourquoi on a fait ça ? Parce que la machine à café à dosette est arrivée dans ce marché
12:10 qui était très très athône avec une marque bien connue et qui a prémiumisé la consommation
12:16 de café.
12:17 Et pouvoir se payer une machine à café à dosette de la marque en question n'était
12:22 pas à la portée de tout le monde.
12:23 Et donc très rapidement on a des concurrents qui se sont installés sur ce marché en proposant
12:28 la machine à capsule et qui ont proposé des dosettes.
12:33 Donc la capsule, si vous prenez la capsule d'une marque particulière qu'on ne signera
12:37 pas ce matin, vous vous votez plutôt Macron.
12:39 Alors que si vous prenez une machine à dosette…
12:41 Alors ce qui est intéressant c'est de voir qu'on a à peu près la même proportion
12:45 de Français qui y sont équipés sur chacun de ces deux types d'appareils.
12:48 Mais que dans les CSP+, les milieux les plus aisés, ils seront plus sur de la capsule.
12:52 Alors que dans les catégories populaires, on sera plus sur la dosette.
12:55 Mais quelque part c'est un effet de rattrapage.
12:58 C'est-à-dire qu'on veut essayer d'attraper ce nouveau standard de consommation.
13:01 Et ce qu'on montre c'est qu'électoralement, par exemple dans l'électorat de Marine
13:05 Le Pen, on est beaucoup plus dosette que capsule.
13:08 Et donc là aussi on voit le rôle de cette société de consommation dans la définition
13:12 des identités.
13:13 - Vous vous trompez sur le vote des villes.
13:14 Vous vous arrêtez par exemple sur Strasbourg, Lyon, Bordeaux qui ont basculé vers un vote
13:19 de gauche, un vote écolo.
13:22 Alors que Toulouse, ville pourtant étudiante, est restée à droite.
13:26 Vous expliquez ça avec un indice bobo.
13:28 - De boboïsation.
13:29 - De boboïsation.
13:30 Alors commentaire s'il vous plaît et puis explication du cas toulousain.
13:34 - Alors effectivement, on a vu aux dernières élections municipales que beaucoup de grandes
13:38 villes avaient basculé à gauche, notamment en se donnant des maires écologistes.
13:43 Et donc on part de la comparaison entre un derby provincial entre Bordeaux et Toulouse.
13:49 Sur le papier, Toulouse est plus à gauche aux élections nationales et pourtant le maire
13:53 en place, M.
13:54 Moudinck, de droite, a réussi à sauver son siège et s'est maintenu.
13:59 Donc on s'est interrogé sur ce paradoxe.
14:01 Et là aussi, en se disant que si on regarde uniquement les classes sociales au regard
14:07 des chiffres de l'INSEE, on n'a pas forcément l'explication.
14:10 Et donc il faut rentrer davantage dans l'ambiance qui peut exister dans telle ou telle ville,
14:15 le poids de tel ou tel groupe.
14:17 Et on a montré qu'une espèce de culture qu'on pourrait appeler bobo pour aller vite,
14:25 qui s'incarne dans certains modes de vie, dans certaines enseignes, dans certains types
14:29 de consommation.
14:30 Et bien si vous faites la recension de ces magasins, de ces restaurants où on peut pratiquer
14:36 le brunch, etc., rapporté au nombre d'habitants, l'indice de boboisation est beaucoup plus
14:41 élevé à Bordeaux qu'à Toulouse.
14:42 Ça c'est le premier élément.
14:43 Il y a plus de restaurants qui font des brunchs et qui sont cités dans le foodie.
14:46 Il y a plus de galeries d'art, il y a plus de foodie à Bordeaux qu'à Toulouse.
14:49 Et autre élément qui pèse très lourdement, Toulouse est une des dernières grandes métropoles
14:53 françaises qui garde une base industrielle forte autour de l'aérospatiale et de l'aéronautique.
14:58 Et le sujet de l'avion, comme celui du TGV, parce que Toulouse est aussi une des dernières
15:03 grandes métropoles qui n'est pas reliée au réseau à grande vitesse, a pesé très
15:07 lourdement.
15:08 Et on essaie de montrer comment il y a eu un effet TGV, un effet LGV.
15:11 C'est-à-dire qu'au fur et à mesure que ces villes étaient raccordées au réseau
15:15 à grande vitesse, vous avez des ambiances qui vont changer.
15:17 Et Bordeaux l'est depuis un moment maintenant, raccordé à LGV, ce qui n'est pas le cas
15:24 de Toulouse.
15:25 Et petit paradoxe, le maire de Toulouse milite ardemment pour que sa ville soit connectée
15:29 à la grande vitesse et sans doute que sociologiquement ça n'arrangera pas ses affaires.
15:32 Alors que les écologistes étaient opposés à cette arrivée, alors que sociologiquement
15:38 ils auraient plutôt intérêt pour la transformation électorale de leur territoire.
15:43 On en vient à présent, Jérôme Fourquet, au vote pour le Rassemblement National.
15:46 Vous notez qu'il ne cesse de progresser partout, partout, sauf dans les grandes villes.
15:50 Tout se passe comme si Paris et dans une certaine mesure les grandes métropoles françaises
15:53 n'évoluaient plus dans le même fuseau horaire que le reste du pays.
15:56 Mais sur les facteurs qui expliquent ce vote RN, là vous différez clairement d'un autre
16:00 livre d'analyse électorale qui est sorti il y a quelques semaines, celui de Julia
16:03 Cagé et Thomas Piketty, qu'on avait reçu ici, qui explique, on va le faire vite, que
16:08 70% des votes s'expliquent aujourd'hui par la géoclasse.
16:12 En gros, dis-moi, combien tu gagnes et où tu habites et je te dirai pour qui tu votes.
16:16 Et ils expliquent notamment que le vote RN est massivement un vote social et économique,
16:20 beaucoup plus qu'un vote identitaire.
16:21 La présence ou non d'immigrés sur le territoire n'impacte sur le vote qu'à 2% dit-il,
16:27 donc à la super marge.
16:28 Bon ben ça vous n'êtes pas d'accord, soyons clair avec eux.
16:31 Vous, vous faites clairement le lien entre insécurité et immigration d'un côté,
16:35 vote RN de l'autre.
16:36 Oui, alors, je partage le constat selon lequel, on l'a dit tout à l'heure, la géographie,
16:43 l'endroit où on va résider, la classe sociale à laquelle on appartient, continue
16:47 de structurer très puissamment les votes.
16:49 Comme on l'a rappelé tout à l'heure, je reprends mon exemple du monument qu'on
16:53 va éclairer la nuit.
16:54 Si on a uniquement un seul type de projecteur, on va expliquer uniquement une partie du réel.
17:00 Prenons le cas des catégories populaires.
17:05 Donc, Julia Cagé et Thomas Piketty nous disent que c'est avant tout sur des considérations
17:13 de lutte contre les inégalités, d'aspiration sociale, que ces électeurs se sont positionnés.
17:18 Si vous regardez le programme qui était proposé par Jean-Luc Mélenchon et Marine
17:23 Le Pen sur le plan social, objectivement, et de la lutte contre les inégalités, objectivement,
17:28 Jean-Luc Mélenchon était le mieux-disant.
17:29 Augmentation du spic, des minima sociaux.
17:31 De l'autre côté, augmentation de toute une série de tranches d'impôts sur les
17:36 plus hauts revenus pour équilibrer le tout.
17:38 Or, on peut faire l'hypothèse que cet électorat sait lire, écoute les médias et
17:46 donc se positionne en conscience.
17:48 Or, si on poursuit le raisonnement, Jean-Luc Mélenchon, étant le mieux-disant sur ces
17:54 questions, aurait dû arriver en tête dans l'électorat populaire.
17:58 Si vous regardez le vote des ouvriers et des employés, Jean-Luc Mélenchon fait 26%,
18:02 ce qui est un score tout à fait honorable, mais Marine Le Pen est à 34% alors qu'elle
18:07 était moins-disante sur le facteur qui, soi-disant, doit être le facteur déterminant de ce vote.
18:11 Donc ça veut bien dire...
18:12 - Que la question est identitaire, que le discours anti-islam, anti-migration a joué
18:17 dans le vote, c'est ça que vous dites pour être très clair.
18:20 - Alors, on avance dans la démonstration qu'il y a d'autres paramètres qui sont
18:23 entrés en ligne de compte pour expliquer ce paradoxe apparent.
18:26 Et donc, on regarde dans les sondages et vous constatez que certes, oui, l'électorat du
18:32 Rassemblement National se recrute d'abord en milieu populaire et c'est un électorat
18:36 pour lequel la question sociale, la question du pouvoir d'achat est absolument centrale.
18:41 Au même niveau, cet électorat se dit déterminé dans son vote par la question de l'insécurité,
18:47 de l'immigration et aussi de la cistana.
18:49 Si on reprend la formule célèbre de Lénine qui disait "le socialisme c'est les soviets
18:54 plus l'électricité", le vote Le Pen aujourd'hui c'est le social plus tous ces sujets-là.
18:59 Et c'est ça qui lui permet à Marine Le Pen, en articulant tout ça, de passer en tête
19:04 dans cet électorat.
19:05 - Et puis il y a un passage, Jérôme Fourquet, dans votre livre qui fera sûrement réagir.
19:10 Vous comparez l'évolution des prénoms arabo-musulmans donnés en France avec l'évolution du vote
19:18 Rassemblement National.
19:19 Et vous expliquez que les bons scores de Marine Le Pen en 2017 et surtout en 2022 correspondent
19:27 à une explosion du nombre de prénoms arabo-musulmans donnés aux Nouveaux-Nés ces années-là.
19:33 Les deux lignes statistiques sont parallèles.
19:37 Est-ce qu'il y a là un hasard statistique, une corrélation pure et simple ? Pourquoi
19:46 faites-vous ce développement-là ? Expliquez-le.
19:48 - D'abord quand on regarde la genèse du vote pour le Front National, Jean-Marie Le Pen
19:55 crée le Front National en 1972.
19:58 Il rencontre aucun écho dans le pays alors que son discours est déjà très focussé
20:03 sur la question de l'immigration et sur la question de l'insécurité.
20:06 Le premier décollage électoral du vote pour le Front National c'est 83-84, élection
20:12 partielle à Dreux, puis les élections européennes.
20:14 On avait montré dans l'archipel français comment dans ces années-là, 83-84, la question
20:20 immigrée s'invite dans le débat public et devient visible à toute une partie de
20:26 la population.
20:27 On va commémorer dans quelques jours le 40e anniversaire de la Marche des Beurs par exemple.
20:31 C'était en 83, il y avait eu des grandes grèves dans l'automobile à ce moment-là.
20:34 Le Front National qui n'avait pas varié de discours était inaudible jusqu'au début
20:41 des années 80, jusqu'à ce moment où la question de l'immigration commence à s'inviter.
20:47 Et depuis, la société française, cette France d'après, elle s'est certes immergée
20:55 de plein pied dans la mondialisation économique, mais elle est marquée aussi…
20:57 - Non mais c'est une coïncidence ou une causalité ?
20:59 - Qui est plus de Mohamed donc plus de voteraine ? Plus de bébé qui s'appelle Mohamed ?
21:04 Alors on regarde le parallèle des courbes et donc corrélation n'est pas raison, certes,
21:09 mais vous voyez comment le déclenchement s'opère à ce moment précis et comment
21:14 le Front National pur, le Rassemblement National ont continué depuis tout le temps à mettre
21:19 ce sujet au cœur de leur discours.
21:21 Vous entendez dans les meetings du Front National, du Rassemblement National, maintenant
21:25 le slogan le plus repris c'est "on est chez nous".
21:27 "On est chez nous" ce n'est pas quelque chose qui renvoie à la question sociale,
21:31 c'est bien cette question identitaire.
21:33 Géographiquement, on voit aussi typiquement que le Front National a connu comme bastion
21:38 historique la Seine-Saint-Denis, parce que c'était un département qui était précocement
21:43 concerné par les questions migratoires.
21:45 Or aujourd'hui, au regard des mutations démographiques dans ce département, le Rassemblement National
21:50 est à la peine dans ce département.
21:52 Donc moi j'y vois un lien très clair qui est d'ailleurs fait par les acteurs, puisque
21:57 le Rassemblement National investit très fortement sur cette thématique depuis toujours, c'est
22:00 un peu sa marque de fabrique.
22:01 - Et en ce qui concerne les prénoms, parlez-nous des "Kévin" dans le vote.
22:07 - Alors, le prénom "Kévin" c'est un prénom masculin qui a été le plus donné en France
22:14 de 1989 à 1996 chez les garçons.
22:17 Et c'est un symptôme d'américanisation très fort de notre société.
22:21 Quand on regarde comment ces types de prénoms, vous pourriez y rajouter Jason, Dylan, Brian,
22:26 etc.
22:27 - Jordan.
22:28 - Jordan, par-delà.
22:29 - Puisque c'est le patron du RRF.
22:30 - Les prénoms sont préférentiellement donnés dans les milieux populaires.
22:34 Or aujourd'hui, on retrouve beaucoup de "Kévin" de Jordan dans les rangs du Rassemblement National.
22:41 Donc on a parlé de Jordan Bardella, le maire d'Enin-Beaumont s'appelle Steve, Steve Briouat,
22:45 etc.
22:46 Et donc vous voyez bien le poids qu'a pris le Rassemblement National dans cet électorat
22:50 populaire qui, par d'autres canaux, s'est complètement américanisé et a vu son substrat
22:58 culturel se métamorphoser en l'espace de quelques décennies.
23:02 - Jérôme Fourquet, merci.
23:03 La France d'après tableau politique aux éditions du Seuil, le livre est en librairie vendredi.

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