• il y a 2 mois
Vincent Tiberj, auteur de "La Droitisation française, mythe et réalités", et le sondeur Jérôme Fourquet sont les invités du grand entretien ce mardi 3 septembre.

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Transcription
00:00Grand entretien ce matin autour d'un livre qui va beaucoup faire parler et susciter, c'est certain, le débat.
00:07Il s'intitule « La droitisation française, mythe et réalité ».
00:12Il sera en librairie demain, il est publié aux presses universitaires de France.
00:18Vos questions, amis auditeurs, 0145 24 7000,
00:22passez également par l'application de France Inter.
00:26Deux invités à notre micro, Vincent Tiberi, bonjour.
00:30Bonjour, merci.
00:31Vous êtes l'auteur de ce livre, vous êtes politiste, spécialiste de sociologie électorale.
00:37Jérôme Fourquet, bonjour.
00:38Bonjour.
00:39Vous êtes politologue, directeur du département opinion à l'IFOP,
00:43auteur de « La France d'après, tableau politique ».
00:46C'était aux éditions du Seuil l'année dernière.
00:49Alors vous n'êtes pas nécessairement sur la même ligne,
00:53et donc merci à tous les deux d'avoir accepté le principe de ce débat.
00:58Avant de parler des résultats aux élections européennes et législatives,
01:03d'abord ce livre, Vincent Tiberi, dans lequel vous cherchez à montrer
01:08que la France n'est pas plus conservatrice que par le passé,
01:13qu'elle évolue même vers plus d'ouverture et de progressisme.
01:17Que la droitisation du pays, dont on parle matin, midi et soir,
01:22est donc un mythe, c'est un mot que vous employez au sens le plus plat du terme.
01:27Un mythe.
01:28Et vous dites, vous l'écrivez simplement, « Je conteste qu'il y ait droitisation générale ».
01:35Alors expliquez-nous comment vous arrivez à ce constat
01:39que certains pourraient trouver au choix iconoclaste, contre-intuitif ou carrément étrange.
01:46Oui, certains me disent même déconnecté.
01:48Alors soyons clairs.
01:49Je croyais que vous alliez dire déconnant.
01:52Pas encore.
01:55Le but du jeu, c'est quand même de rester sur les données et de réfléchir au problème.
01:59Quand on parle de droitisation, effectivement, il y a un avant et il y a un après.
02:02Et puis il y a différentes dimensions.
02:04Très clairement, la scène politique, elle, c'est droitisé.
02:07Une partie de la scène médiatique, c'est droitisé.
02:09La question c'est, est-ce qu'il y a une droitisation chez les citoyens ?
02:11Et là, il faut réfléchir, il faut regarder.
02:14Et plutôt que de regarder chacun ses réseaux, chacun ses envies, chacun ses séries,
02:20le but du jeu pour moi est de reprendre l'ensemble des enquêtes, d'opinions
02:24qui ont pu être faites par l'IFO, par l'Ipsos, par la Sofres,
02:29mais également par les institutions européennes, les institutions françaises.
02:33Et à partir de ça, quand vous agrégez toutes ces séries,
02:36quand vous mettez ensemble des séries de questions sur le racisme, sur l'homosexualité,
02:40sur les rôles de genre, sur le rôle de l'État, sur le poids des impôts,
02:43vous vous rendez compte que ce n'est pas aussi simple.
02:46Et voire même, la France a considérablement progressé,
02:50notamment sur la question de genre et de minorité sexuelle.
02:53On passe d'un monde où on était extrêmement hétéronormé,
02:56extrêmement centré sur les hommes et la sexualité hétérosexuelle,
03:01et puis ça a considérablement changé.
03:03Mais ce n'est pas que ça.
03:04C'est aussi la tolérance à l'endroit du multiculturalisme, de la diversité.
03:08Et c'est également les questions socio-économiques.
03:11Quand on demande, est-ce que l'État doit intervenir dans l'économie, ça continue.
03:14Ça continue et ce n'est pas fini.
03:16Et vous parlez, en revanche, d'un conservatisme d'atmosphère qui imprègne le pays,
03:23un conservatisme qui a des relais dans les médias, des relais politiques,
03:27qui cherche à imposer l'idée que le pays est devenu à droite, voire très à droite,
03:33et qu'il attend de la fermeté.
03:38Expliquez-nous ce concept-là.
03:41Dites-nous si c'est vraiment qu'atmosphérique.
03:44Alors, très clairement, des intellectuels et des médias conservateurs, il y en a eu avant.
03:49Et ça fait partie du jeu.
03:51Et certaines de ces figures intellectuelles étaient là dans les années 80,
03:55elles sont encore là dans les années 2020, et elles continuent à peser.
03:58Simplement, on les entend beaucoup plus.
04:00Et puis surtout, le monde médiatique a lui-même changé.
04:03Très clairement, on est dans une forme d'éclatement des publics et des chaînes.
04:07Et aujourd'hui, on se retrouve dans cette situation
04:10où les auditeurs d'Inter peuvent écouter les médias qui les intéressent,
04:13les auditeurs de CNews aussi.
04:15Et typiquement, ce qui se passe par exemple avec le public de CNews,
04:18qui est très caractérisé politiquement,
04:20c'est une forme de boucle et d'enfermement,
04:24où on a l'impression de ne plus être seul, de pouvoir être enfin entendu.
04:27Et derrière se joue une question d'agenda, de manière dont on parle de la société.
04:32Et très clairement, on voit ce qui s'était passé en novembre dernier
04:35dans un territoire dans lequel vraisemblablement,
04:40les gens de CNews n'étaient probablement jamais allés avant.
04:43Mais très clairement, la manière dont on a parlé de cette rixe n'était pas neutre.
04:49Et derrière, il y avait une tentative d'imposer une manière de parler,
04:52de le lier à l'immigration, et au final, de peser sur les campagnes qui suivent.
04:57Jérôme Fauquet, comment recevez-vous à ce stade la thèse de Vincent Tibéri ?
05:04On est toujours intéressé par les travaux de Vincent Tibéri.
05:09Ce n'est pas la première fois qu'on parle de cette question de la droitisation.
05:14Déjà dans les années 2000-2010, on en avait beaucoup parlé.
05:20Donc nous aussi, modestement, on avait essayé de se pencher sur un certain nombre de données.
05:26Alors pas de manière aussi exhaustive de Vincent Tibéri.
05:29Et je pense que déjà, il y a une bonne piste de départ,
05:34c'est d'essayer de serrer les axes différents sur lesquels on doit travailler
05:40pour savoir s'il y a ou non droitisation.
05:43On peut en définir trois majeurs.
05:46Le premier, c'est ce qu'on pourrait appeler les questions économiques et sociales.
05:51Typiquement, le rôle de l'État, Vincent Tibéri en a parlé.
05:55Mais regardez ce qui s'est passé il y a encore un an en France sur la question de la réforme des retraites.
06:00Et là, toutes les enquêtes d'opinion étaient unanimes.
06:03Très massivement, les Français étaient opposés à cette réforme des retraites.
06:08On a appris hier soir que le déficit public
06:13allait de nouveau être supérieur à celui qui était attendu.
06:17Et depuis 1973, ça fait 50 ans, la France n'a pas voté un seul budget à l'équilibre.
06:23Et donc, on voit que, de manière consciente ou non,
06:27même si certains responsables politiques affichent des postures plus ou moins libérales,
06:32le fond de la société n'est pas du tout en phase avec cela.
06:36Et la demande va plutôt sur une forme d'intervention.
06:39Sur les questions économiques et sociales, je ne pense pas qu'on puisse diagnostiquer une droitisation.
06:45Alors, sur lesquelles ?
06:47Il y a un deuxième champ d'analyse, c'est sur les questions sociétales et de valeur.
06:54Et là aussi, je rejoins le constat de Xavier Tibéri.
06:58Si on prend par exemple sur la question de l'homosexualité,
07:01on a retrouvé des enquêtes du début des années 80.
07:04Il faut regarder comment les questions étaient posées à l'époque.
07:07On demandait aux Français si l'homosexualité, c'était une façon comme une autre de vivre sa sexualité,
07:12une perversion à combattre ou une maladie à guérir.
07:16Et on avait, en face à face, avec une interaction avec des enquêteurs,
07:2145% des Français qui, au début des années 80, vous disent soit que c'est une perversion à combattre,
07:26soit que c'est une maladie à guérir.
07:28Les dernières enquêtes que nous, on avait faites au moment du débat sur le mariage pour tous en 2012-2013,
07:35il n'y avait plus que 15% de Français qui partageaient ce constat-là.
07:39Toujours sur la question bioéthique, les questions sociétales, l'IVG.
07:45On a retrouvé une vieille enquête de l'IFOP de 1974, au moment où la loi Veil est en débat.
07:51On a qu'à l'époque, 48% de Français qui sont favorables à l'autorisation sans limite du recours à l'IVG.
07:58Aujourd'hui, c'est 77% de la population.
08:02Donc là aussi, sur un conservatisme sociétal, quand vous regardez ces données-là,
08:07on ne peut pas diagnostiquer une droitisation.
08:09Là où peut-être il va y avoir un débat, c'est sur le troisième axe,
08:12c'est sur les questions plus régaliennes, la question de l'insécurité, la question de l'immigration,
08:18où on va voir, par exemple, sur un indicateur qui est suivi de longue date par les sondeurs,
08:24la question de la peine de mort, par exemple.
08:26On voit que dans les enquêtes récentes, on a à peu près, ça peut varier selon le contexte d'actualité du moment,
08:35mais à peu près un Français sur deux qui demeure favorable à la peine de mort, par exemple.
08:39Et sur ces derniers points, Vincent Tiberi, est-ce qu'ils viennent contester votre thèse ?
08:48Ce que dit Jérôme Fourquet à l'instant sur le régalien, entre guillemets.
08:55Est-ce que ça vient limiter la portée de votre thèse ?
08:58Je crois que ce que dit Jérôme Fourquet, et de ce point de vue-là, l'IFOP est un institut remarquable,
09:04c'est un institut historique qui permet de remonter très très très loin dans les dynamiques d'opinion,
09:09fondées par George Stutzel avant la seconde guerre mondiale,
09:12et ça nous raconte quand même l'importance de ces outils que sont les sondages.
09:17Ça nous raconte l'importance de maintenir des enquêtes, de remaintenir des séries,
09:21et le faire dans le temps long, sinon on ne peut pas mesurer s'il y a droitisation ou pas.
09:25Parce que désormais, les sondages sont aussi un des instruments du débat politique et de la construction politique.
09:31Quand vous voyez qu'un stérin voudrait créer des baromètres, voudrait racheter un institut de sondage,
09:36on voit combien aujourd'hui, la manière dont on mesure les choses devient extrêmement importante.
09:41Et typiquement, sur la question de la peine de mort, on voit que les enquêtes qui ont lieu par internet,
09:46sont des enquêtes qui généralement aujourd'hui arrivent à du 50-50.
09:50Quand les enquêtes, qui sont encore des enquêtes à enquêteurs, par téléphone ou en face-à-face,
09:55on voit une continuelle progression du refus de la peine de mort.
09:59Oui, Jérôme Faucher...
10:01Là, on ne va pas assommer les auditeurs avec des débats méthodologiques,
10:07mais ils sont très importants sur le mode de recueil.
10:10Si on est sur des modes de recueil historiques, en face-à-face ou en téléphone,
10:14il y a une interaction entre un enquêteur et un enquêté.
10:17Et donc, il y a la question de la dissibilité par l'enquêté,
10:22est-ce qu'on se sent autorisé à dire ou pas ?
10:25Et le mode de recueil par internet, là vous êtes seul face à votre écran,
10:29et quelque part on peut se dire, on peut entre guillemets se lâcher,
10:32ou afficher la vérité des prix.
10:34Et ce qui est intéressant aussi, pour les problématiques sur lesquelles travaille Vincent Tibéri,
10:38c'est de regarder le décalage qu'il peut y avoir entre ces deux modes de recueil,
10:42parce que ça nous dit quelque chose sur l'acceptabilité sociale de certaines positions,
10:48c'est-à-dire que des gens qui, par internet, vont nous dire qu'ils sont favorables à la peine de mort,
10:52mais si en même temps ils sont interrogés en face-à-face, ne vont pas oser le dire,
10:55ça veut dire qu'ils ont intégré que la norme sociale, l'atmosphère,
10:59est différente de celle qui prévalait historiquement.
11:02Alors, venons-en aux européennes.
11:04Le total gauche, 31%, le total droite, extrême droite, 44%.
11:09Citation, la France est de droite sans doute comme elle ne l'a jamais été.
11:14Ce sont les mots de l'ancien président de la République, Nicolas Sarkozy,
11:18il y a quelques jours, dans une longue interview au Figaro.
11:22Est-ce que ça, c'est atmosphérique, Vincent Tibéri ?
11:26Je crois que le souci aujourd'hui est de se poser la question de la représentativité des élections,
11:31des électeurs face aux citoyens.
11:33Et c'est particulièrement vrai quand on commence à regarder le vote,
11:37mais qu'on regarde aussi le placement à gauche ou à droite, ou qu'on regarde la proximité partisane.
11:41On se rend compte qu'aujourd'hui, les élections se gagnent avec une minorité des électeurs et des citoyens.
11:47Et notamment parce que s'est créée ce que j'appelle dans le bouquin une grande démission.
11:51Et cette grande démission, ce n'est pas simplement des sans-avis.
11:53Il fut un temps, les abstentionnistes, on les considérait, c'était Alain Lancelot,
11:56on les considérait comme des gens qui n'étaient pas intégrés, qui ne comprenaient pas.
12:00C'est fini. En fait, on se rend compte, notamment quand on travaille sur le renouvellement générationnel,
12:04qu'une majorité, une large majorité des millenials et des post-baby-boomers,
12:08dont nous sommes autour de cette table, désormais sont des électeurs intermittents.
12:12Et ça ne veut pas dire qu'ils ne s'intéressent pas à la politique.
12:14Ça veut juste dire que le système ne leur convient plus, le mode de scrutin ne leur convient plus.
12:18Il y a des formes de décrochage extrêmement importantes et frappantes
12:21chez les ouvriers, chez les employés, mais également chez les diplômés.
12:25Et typiquement, quand on dit que le RN est le premier parti ouvrier de France, c'est vrai.
12:29A ceci près que même aux législatives, on se retrouve quand même avec un ouvrier sur deux qui ne vote pas.
12:33Et ce n'est pas parce qu'ils ne s'intéressent pas. Ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas d'opinion.
12:36Ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas de valeur. Ils n'ont pas des envies, des besoins.
12:39Et ils l'expriment notamment dans les enquêtes.
12:41C'est parce que, effectivement, globalement, le système politique ne fonctionne plus.
12:45Mais quand le RN recueille 31% des suffrages aux européennes,
12:51puis dans la foulée un nombre record de députés à l'Assemblée nationale,
12:54143 avec plus de 10 millions de voix,
12:57est-ce que votre analyse n'est pas un peu légère, là, Vincent Tibéri ?
13:03Qui consiste à dire qu'un certain nombre de gens ne votent pas.
13:09Ceux qui votent, votent là, pour le Rassemblement national.
13:13Tout à fait.
13:14Et ce n'est pas atmosphérique.
13:16Ce n'est pas atmosphérique. Et il y a une vraie nouveauté qui est notamment le basculement des boomers
13:21qui, jusqu'ici, ne votaient pas pour le RN.
13:23Alors que c'était une réserve de voix en termes de xénophobie, en termes de conservatisme,
13:28désormais, le passage est fait.
13:29Il y a eu une légitimisation du Rassemblement national,
13:33mais aussi une droitisation des électeurs de droite.
13:36Et de ce point de vue-là, il faut bien avoir en tête que, effectivement,
13:39le RN recueille 31% des voix,
13:41et dans le même temps, vous êtes capable de remobiliser autour d'un barrage républicain
13:46une grande partie des électeurs, y compris des gens qui, vraisemblablement,
13:50ne s'étaient pas mobilisés au premier tour.
13:52Mais avec le cadrage, avec la manière dont la campagne de l'entre-deux-tours s'est déroulée,
13:57avec la remobilisation, vous réussissez à faire revenir des gens
14:00qui sont capables de voter contre le RN,
14:02même alors que leur vote, pour les députés qui, au final,
14:06du Nouveau Front Populaire et du Bloc Central,
14:08même alors que leur vote n'est pas forcément un vote d'adhésion.
14:10Et c'est là, d'ailleurs, toute l'ambiguïté politique et de la séquence politique qu'on est en train de vivre.
14:15Jérôme Fourquet, dans la France d'après tableau politique,
14:19vous analysiez en détail ce que vous appeliez la montée des eaux bleu-marines.
14:24Vous faisiez le constat qu'entre 2002 et 2022,
14:27la progression du vote RN avait été spectaculaire.
14:32Le vote FN-RN a progressé dans toutes les cohortes générationnelles,
14:36parfois de manière spectaculaire.
14:38Donc, comment recevez-vous l'analyse que fait Vincent Tiberi de ce vote ?
14:46Alors, il faut plusieurs choses.
14:49D'abord, si on partage l'idée qu'on a une évolution de la société vers davantage de progressisme sociétal,
14:58il faut aussi intégrer le fait que toute une partie de la société, en retour, va se braquer face à cette évolution.
15:05C'est-à-dire qu'il y a une partie de la population qui va se réduire.
15:08Alors, qui n'est pas forcément majoritaire. Un 33%, ce n'est pas majoritaire.
15:11Mais, typiquement, c'est un électorat qui a pu voter pour Éric Zemmour à l'élection présidentielle,
15:17qui était sur un agenda très conservateur sur le plan des valeurs.
15:21Ça, c'est le premier point.
15:22Le deuxième point, c'est que vous citiez la progression entre 2002 et 2022.
15:28On a changé l'étiquette, ça ne s'appelait plus le FN, ça s'appelait le RN.
15:33Mais, pour beaucoup de gens qui ont un peu de mémoire politique, on se souvient de tout ça.
15:38Et on se dit, mais rappelons-nous la sidération quand Jean-Marie Le Pen a accédé au second tour.
15:43Bon, il s'était fait stopper net, ensuite, avec 18%.
15:46Et là, aujourd'hui, quand sa fille atteint 42% au deuxième tour en 2017,
15:50on peut se dire, mais qui peut nous dire qu'on ne s'est pas droitisé ?
15:53Sauf que le produit, l'offre politique n'est plus la même.
15:58J'ai parlé tout à l'heure de la peine de mort, qui était un grand marqueur,
16:02comme on dit en sciences politiques, du discours de Jean-Marie Le Pen.
16:06Marine Le Pen a abandonné cette proposition phare du FN en 2017.
16:14Si on revient sur nos trois axes de tout à l'heure,
16:18le RN ne s'est pas beaucoup mobilisé contre le mariage pour tous.
16:22Ils ont laissé les choses se faire.
16:25Et si le RN, aujourd'hui, est le premier parti chez les ouvriers et les employés,
16:31c'est qu'il est capable d'articuler un discours régalien
16:35avec une demande économique et sociale qui n'est pas de droite.
16:39Vous voyez bien que le RN serait prêt à voter une abrogation de la réforme des retraites.
16:44Donc, attention, on ne peut pas contester qu'il y ait une progression de cette famille politique,
16:51mais le programme et le positionnement idéologique de cette famille politique a bougé.
16:57Regardez comment les leaders, même les figures principales du RN,
17:03ont été très gênés quand dans la campagne des législatives,
17:07est ressorti la mesure de réserver certains emplois aux stricts nationaux
17:13et de les interdire aux binationaux.
17:16Jean-Marie Le Pen ne se serait jamais, comment dire, senti gêné par ce type de mesure.
17:22Et donc le produit même, RN, a changé par rapport à ce qu'était le FN de Jean-Marie Le Pen.
17:28On va passer au standard d'Inter.
17:31Un instant, Elisabeth nous y attend. Bonjour et bienvenue.
17:35Bonjour à toute l'équipe de France Inter, bonjour à messieurs les invités d'aujourd'hui.
17:41Pouvez-vous nous dire, la France se droitise, de quelle droite, et au pluriel s'ils le font, il s'agit véritablement ?
17:54Merci Elisabeth pour cette question. On va donner la parole à Vincent Tibéri. Quelle droite ?
18:01Effectivement, définir ce qu'est une offre politique, une offre partisane de droite aujourd'hui devient compliqué.
18:08Certains partis traditionnels sont aujourd'hui des espèces de tigres de papier qu'on entend sur les plateaux,
18:16mais qui électoralement ne pèsent plus, on pense aux républicains.
18:19Le RN effectivement a bougé. Il fut un temps, le FN se positionnait comme ni de gauche, ni de droite français.
18:27Mais de fait, quand on réfléchit à ce qu'est un électorat RN aujourd'hui, à ce que c'est parti,
18:33il y a différentes modalités, différentes pluralités qui font que le RN du Nord est beaucoup plus à gauche que le RN du Sud.
18:40Et puis, que dire du macronisme ? Est-ce que le macronisme est de centre, de gauche, de droite ?
18:46D'un point de vue de bilan et d'un point de vue de placement, quand on regarde ce que les enquêtes nous disent,
18:51clairement Emmanuel Macron est vu comme quelqu'un de droite.
18:54Quelle droite ? demande Elisabeth. Jérôme Fourquet, votre réponse ?
18:59Alors, moi je reviendrai à, non pas les trois droites de René Raymond, mais trois axes.
19:05En disant que clairement, de notre point de vue, sur les questions régaliennes, on a une forme de droitisation de la société.
19:12Mais en revanche, on le voit bien, sur les questions sociétales ou sur les questions économiques et sociales,
19:18le centre de gravité n'a pas glissé vers la droite ou les droites.
19:25Retour au standard, bonjour Frédéric.
19:27Oui, bonjour à tous. Une réflexion personnelle, j'ai l'impression que lorsqu'on donne la parole aux Français sans intermédiaire,
19:35je pense aux grands débats, aux conventions citoyennes, je pense à la convention sur la fin de vie,
19:40parfois j'ai l'impression qu'ils sont plutôt libertaires et de gauche.
19:43Quand les débats sont intermédiaires avec les médias, et on ne peut pas ignorer le poids des médias qui peuvent manipuler l'opinion,
19:51derrière les médias il y a quand même des puissances économiques, avec des messages qui sont répétés comme des mantras,
19:58on a l'impression effectivement que la droite l'emporte, qu'en pensez-vous ?
20:03Merci Frédéric, nous on n'essaye pas de manipuler, on essaye d'informer, de faire vivre justement le débat de qualité.
20:11Vincent Tiberi, que répondez-vous à notre auditeur ?
20:14Je pense que les conventions citoyennes ont été l'exemple type de quelque chose qu'on est plusieurs à défendre en sciences politiques,
20:20c'est qu'on est face à des citoyens qui n'ont jamais été aussi compétents, aussi capables de jouer leur rôle, dès lors qu'on leur permet de le faire.
20:28C'est-à-dire qu'en termes de niveau de diplôme, en termes de capacité à s'auto-informer, à aller chercher sur internet ce qu'ils souhaitent vérifier,
20:35contrôler leur information, on n'a jamais eu autant de gens capables de jouer leur rôle.
20:39Les conventions citoyennes sont l'exemple type, que quand vous mettez ensemble des citoyens,
20:44alors ils ne sont pas complètement tirés au hasard, il y a des biais de sélection,
20:48mais la plupart d'entre eux ne sont pas des politiques, ne sont pas des responsables associatifs,
20:53se mettent à travailler sur un sujet, ils réussissent à trouver des choses et réussissent à arriver à des choix qui sont plutôt intéressants.
20:59Et c'est là où il y a un vrai souci, c'est qu'en face des conventions citoyennes, en face d'une volonté d'horizontalité,
21:04vous vous retrouvez avec un exercice du pouvoir, avec une culture politique, notamment chez les élites françaises,
21:10qui est encore extrêmement descendante, voire même parfois méprisante à l'endroit des citoyens.
21:16Je ne dirais pas le peuple, parce que le peuple est inconstruit.
21:18Mais typiquement, on continue à payer 2005 et de la référendum.
21:22Vincent Tibéri pose une question simple dans son livre « Vivons-nous dans une ère conservatrice ? »
21:29Jérôme Fourquet, vous y répondez comment, plus globalement ?
21:34Quand on regarde des enquêtes récentes, je pense notamment à celles de nos confrères d'Ipsos,
21:39il y a un item parmi toutes les batteries testées qui dit que c'était mieux avant.
21:46La France est dans un déclin.
21:48Sur cette atmosphère-là, il n'y a pas photo, on a plus de 70% des Français,
21:53on a aussi un pays qui vieillit, c'était mieux avant, c'était notre jeunesse,
21:57qui très majoritairement regrette un âge d'or en grande partie mythifié.
22:03Vous voyez tout ce qui s'est passé autour de la disparition d'Alain Delon, la France des années 60 et 70.
22:08Sur cette nostalgie française, en termes marketing et culturel, elle est très hégémonique.
22:16En revanche, encore une fois, regardons les choses sur la dynamique profonde de la société,
22:24on est sur des choses qui sont très différentes.
22:26Je vous prends juste un chiffre, on va sortir de la politique, le pourcentage de naissances hors mariage.
22:34Si on parle d'un pays qui serait de plus en plus conservateur, c'était 10% des enfants au milieu des années 80,
22:40c'est 65% des naissances aujourd'hui.
22:44Vous voyez comment en 40 ans, les choses ont considérablement évolué,
22:49l'individu s'est considérablement autonomisé, avec une autre révolution qui était très silencieuse, dont on parle assez peu.
22:58Au milieu des années 80, il y a seulement un tiers d'une classe d'âge qui va aller jusqu'au bac.
23:02On est à plus de 80% aujourd'hui, ça change tout, notamment sur cette demande d'horizontalité.
23:06Un dernier mot Vincent Tibéri, si la France n'est pas conservatrice, qu'est-elle ?
23:12Elle est en phase de reconstruction.
23:15Je pense qu'objectivement, et ça Jérôme le racontait déjà, on manque de récits collectifs.
23:21Et très clairement, derrière, c'est ce qu'on veut faire ensemble.
23:25Aujourd'hui, on a des sociétés qui vivent en parallèle et qui parfois sont des très belles sociétés,
23:31qui travaillent au code commun et qui, quelque part, sont effectivement des belles nouvelles.
23:35Et n'oublions pas que ces jeunes générations qui arrivent, et qu'on n'entend pas souvent,
23:38sont porteuses d'énormément de choses, en termes de relations humaines, en termes de volonté de faire différemment.
23:45Merci à tous les deux, Vincent Tibéri, la droitisation française, mythes et réalités au PUF, en librairie demain.
23:53Merci Jérôme Fourquet, La France d'après tableau politique est publiée.

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