Emma Stone a reçu le Golden Globe de la meilleure actrice pour sa prestation dans "Pauvres créatures", un film baroque et ambitieux. De passage à Paris quelques jours auparavant, elle évoque avec Léa Salamé son rôle de Bella, une femme qui renaît et se découvre, ramenée à la vie après son suicide.
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-lundi-08-janvier-2024-6150073
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00:00 Bonjour Emma Stone.
00:01 Bonjour.
00:02 Merci d'être avec nous ce matin.
00:03 Emma Stone, si vous étiez un livre et si vous étiez une ville, vous seriez quoi ?
00:08 Je dirais que mon livre préféré est Franny & Zoë.
00:13 C'est Franny & Zoë, mon livre préféré.
00:16 De qui ?
00:17 Oh, de J.D.
00:18 Salinger.
00:19 De Salinger.
00:20 Et une ville ?
00:21 Oui.
00:22 Je dirais New York.
00:23 Une ville, je crois que je serais New York.
00:24 Pourquoi ?
00:25 New York était le premier pays où j'ai été enceinte.
00:26 Et beaucoup de choses que j'adore se trouvent à New York.
00:41 Vous êtes là aujourd'hui en France, à Paris, que vous connaissez bien.
00:45 D'ailleurs, vous parlez un peu français, mais je ne vais pas vous demander de parler
00:47 français.
00:48 Vous êtes là pour la sortie du film le plus baroque, le plus stupéfiant, le plus déjanté,
00:53 ambitieux de ce début d'année.
00:55 Pauvre créature de Yorgos Lanthimos couronnée par le lion d'or au dernier festival de
01:00 Venise.
01:01 Et je voulais vous citer, pour commencer à parler de ce film, cette phrase très connue
01:05 de notre philosophe française, Simone de Beauvoir, qui dit « On ne naît pas femme,
01:11 on le devient ». On ne naît pas femme, on le devient.
01:15 Ça pourrait être le slogan du film.
01:17 Oui, absolument.
01:18 Je pense que Bella est tellement fascinante.
01:21 Bella est fascinante parce que c'est à la fois une créature et une créatrice.
01:30 C'est une très belle métaphore, je trouve, pour décrire quand on prend de l'âge,
01:38 quand on découvre le monde, quand on fait ses expériences.
01:41 Oui, c'est un bon slogan.
01:43 « Devenir femme », c'est la grande aventure de Bella, de votre personnage dans Pauvre
01:47 créature.
01:48 Vous le portez depuis longtemps avec Iorgos Lanthimos.
01:51 Il réalise et produit.
01:53 Vous êtes actrice et le rôle-titre, et vous produisez également ce film.
01:57 Il est adapté du roman d'Alasdair Gray.
01:59 C'est l'histoire incroyable de Bella, une femme qui s'est suicidée et qui est ramenée
02:05 à la vie par un docteur un peu fou, pas très orthodoxe, qui la ressuscite en lui
02:09 greffant un cerveau de bébé.
02:11 Dit comme ça, ça peut paraître comme un film gore, mais c'est bien plus que ça.
02:16 On pourrait dire que c'est juste un Frankenstein au féminin, mais c'est beaucoup plus que
02:19 ça ce film.
02:20 Ce conte gothique, Bella avec son cerveau de bébé va grandir.
02:25 Elle va apprendre, elle va découvrir le monde, les rapports de pouvoir, l'argent, le sexe,
02:30 les sentiments pour enfin s'émanciper et devenir elle-même, c'est-à-dire une femme
02:35 libre.
02:36 C'est ça que vous avez aimé dans le film ?
02:38 Très, très bien.
02:40 Oui, c'est ça que j'ai aimé.
02:47 C'est un personnage qui n'a pas d'histoire de passé, elle n'éprouve qu'une honte,
02:52 elle ne se juge pas elle-même.
02:54 Je trouve ça magnifique de voir cet être prendre conscience du fait qu'elle est fascinée
03:01 par toutes les facettes de la vie, ce qui est beau, ce qui est moche, ce qui est terrifiant.
03:07 C'est une grande joie pour moi d'essayer de me mettre dans la peau de cette femme qui
03:16 a une curiosité très aigüe de tout ce que le monde peut lui offrir et puis elle décide
03:21 elle-même ce qu'elle veut devenir et la place qu'elle veut occuper dans le monde.
03:26 Voilà pourquoi c'est mon personnage préféré.
03:28 Favorite character, c'est vraiment de tous les personnages que vous avez joués, Bella
03:33 est le personnage préféré ?
03:34 Oui.
03:35 C'est un des personnages que j'ai joués.
03:40 Ça ne parle pas des rôles que j'ai endossé.
03:44 Justement, quand vous m'avez demandé mon livre préféré, je n'ai pas cité le livre
03:50 qui a servi de base au film parce que c'est le point de vue d'un homme qui est exprimé
03:55 dans ce livre, alors que le film, c'est le point de vue de Bella.
04:00 Mais vraiment, par-dessus tout, c'est mon personnage préféré.
04:04 Elle n'a rien à voir avec moi finalement.
04:07 C'était passionnant de glisser dans sa peau parce qu'elle est absolument unique,
04:14 elle ne ressemble à personne.
04:15 Vous dites que ça a été une expérience totalement émancipatrice pour vous de la
04:19 jouer.
04:20 Ça ne m'étonne pas que vous dites que c'est votre personnage préféré parce que vous
04:22 vous êtes émancipée.
04:24 Pourquoi ? Parce qu'elle n'a honte de rien, cette femme ?
04:27 Oui.
04:28 J'adore quand vous dites oui, oui, oui.
04:33 Oui, oui, oui.
04:36 My French is really getting good.
04:38 Je m'améliore avec mon français.
04:43 I think it kind of can't exist.
04:47 Elle est totalement singulière, elle vous attire, on tombe amoureux d'elle, de son
04:53 personnage parce qu'en fait, elle n'est qu'une idée, une métaphore de ce que peut
04:59 devenir une femme.
05:01 Et si les femmes n'étaient pas élevées avec tous les cartons de la société, puis
05:07 si on savait se débarrasser de nos hontes, de nos traumatismes, en même temps, qu'est-ce
05:12 qu'on est sans notre passé, sans nos traumatismes et nos hontes ?
05:16 Mais on peut tous accéder à cette liberté si on se débarrasse des fardeaux.
05:22 Et en même temps, voilà, c'est le passé et les blessures qui forment notre personnalité.
05:29 C'est donc totalement original et elle irradie.
05:35 Et si ça devait vous arriver, ça ne vous arrivera jamais parce que ça n'existe pas,
05:40 mais si un jour vous deviez recommencer tout à zéro parce qu'on vous grefferait le
05:46 cerveau d'un bébé, vous feriez tout pareil Emma Stone ou vous feriez des choses différemment
05:51 ?
05:52 Je crois que personne ne suivrait le même parcours si on recommençait tout à zéro.
06:00 On est forcément façonné par notre enfance.
06:03 Mais en fait, je n'aimerais pas recommencer à zéro.
06:05 J'aime ma vie telle qu'elle est.
06:09 Les questions que pose ce personnage, ce film, sont très inspirantes parce que si on peut
06:18 changer son point de vue sur la vie, adopter un oeil neuf, respecter ce qu'il y a de
06:27 beau, de bon et de mauvais aussi, je crois qu'on peut apprendre beaucoup.
06:31 Au cœur du film, il y a la sexualité féminine.
06:34 On a rarement vu des scènes aussi fortes, aussi crues et aussi justes sur le plaisir
06:40 féminin au cinéma.
06:42 Yorgos Lanthimos l'assume totalement.
06:44 Il dit « je ne voulais pas faire un film prude » à tel point que le journal britannique
06:48 Le Guardian a titré « c'est le retour du sexe au cinéma ».
06:51 Et c'est vrai qu'il y a quelque chose de cet ordre-là.
06:54 Vous avez assumé ça, vous, de jouer ça.
06:57 La caméra ne vous quitte pas des yeux.
06:59 Elle filme le plaisir, la découverte du plaisir par ce bébé femme qui découvre pour la
07:04 première fois le plaisir.
07:05 Elle le filme dans son visage, dans ses yeux, dans son corps.
07:08 Vous avez accepté d'aller au bout avec Yorgos Lanthimos sur ces scènes de sexe ?
07:14 Avec Yorgos, on a tout un passé de collaboration, donc beaucoup de confiance et de respect mutuel.
07:25 Le langage visuel du film, l'intimité, il y a des plans très, très larges et puis
07:35 après des plans très rafrochés.
07:37 J'aime beaucoup ce langage visuel parce que ça révèle vraiment quelque chose de très
07:44 délicat.
07:45 C'est la chose des personnages.
07:46 Et donc, je me sentais tout à fait à l'aise.
07:49 Il a fait appel à un coordinateur d'intimité pour les scènes de sexe.
07:53 C'est un métier nouveau qu'on voit depuis Me Too sur les sets de cinéma, sur les plateaux,
07:58 sur les tournages.
07:59 C'est quoi un coordinateur d'intimité et qu'est-ce qu'il fait ? A quoi il sert ?
08:02 Notre coordinateur d'intimité, il est incroyable.
08:10 Pour ce scène intime, elle crée un espace comme de chorégraphie, de non-jugement.
08:18 Elle fait en sorte que ça semble une danse, ce qui fait que je me sentais très à l'aise.
08:26 Et tout simplement, elle s'assure que l'environnement soit rassurant, que personne ne prenne des
08:32 images en douce, etc.
08:35 Elle m'a beaucoup aidée.
08:39 Surtout quand on était à Paris, par exemple, avec plein de monde qui tourbillonnait autour.
08:50 Elle m'a vraiment protégée.
08:57 Parce que dans les scènes à Paris, vous êtes une prostituée.
09:00 Vous êtes filmée avec les clients qui se succèdent les uns après les autres et vous
09:06 vous lâchez.
09:07 Et quand vous regardez le film, vous, maintenant, quand vous regardez les scènes de sexe, quand
09:11 vous regardez vos yeux prenant du plaisir, découvrant le plaisir, vous ressentez quoi
09:16 de vous voir comme ça ?
09:17 Je pense que c'est difficile de se regarder à la fois.
09:22 Ce n'est pas très agréable de se regarder soi-même après sans se juger.
09:27 Mais je pense que c'est une partie si importante de l'expérience de Béla.
09:31 Et dans ce passage du film, vous savez, pour elle, tout est une première.
09:38 Le plaisir, la gastronomie, la philosophie, le socialisme, l'argent, les relations humaines.
09:45 Tout est à découvrir.
09:46 Tout est neuf pour elle.
09:47 Et puis, elle apprend des voies alternatives.
09:52 Elle mange trop de pâtisseries, elle vomit, elle boit trop et elle a mal au ventre.
10:00 Elle a mal à la tête.
10:01 Elle fait l'amour, elle devient travailleuse du sexe pendant un moment et puis elle réalise
10:07 que les femmes ne choisissent pas toujours.
10:10 Et peut-être que les hommes voient ça d'une manière qui pourrait la déranger.
10:15 Ça ne les intéresse pas tant que ça.
10:18 Il y a tellement de dichotomie qui fait notre vie, qui fait l'expérience humaine.
10:26 Donc, elle ne juge pas, mais elle a un cerveau de scientifique en quelque sorte.
10:33 Donc, elle l'analyse et elle comprend cliniquement comment fonctionne le monde.
10:38 D'ailleurs, elle découvre assez vite que la sexualité, elle va l'apprivoiser et que
10:43 c'est par la connaissance qu'elle va s'émanciper.
10:45 Elle va devenir elle-même.
10:47 Je ne veux pas spoiler, mais elle va apprendre des choses et elle va comprendre aussi qu'elle
10:51 va maîtriser sa vie via la connaissance.
10:54 Oui, en effet, on ne va pas spoiler.
11:00 Oui, elle va se lancer dans des études, des recherches.
11:06 Elle grandit tellement vite et elle atteint un niveau de sagesse incroyable.
11:13 Donc, son créateur lui dit, lui reconnaît qu'elle s'est créée elle-même.
11:23 C'est tellement vrai.
11:25 Grâce à son intelligence, sa soif de connaissance, de savoir, je crois que c'est ça qui l'a
11:33 défini le plus.
11:34 C'est un film que vous produisez Emma Stone.
11:37 De plus en plus, les actrices produisent les films.
11:40 On l'a vu avec Louise Witherspoon ou Margot Robbie sur Barbie.
11:44 C'est important, ça participe aussi de la prise de pouvoir des femmes que de produire
11:48 les films où elles jouent, les actrices.
11:50 Je peux parler que pour moi, mais j'ai une société de production.
11:57 Mais là, c'était particulier.
11:59 C'est Yorgos qui m'a demandé d'être productrice sur Pauvre créature.
12:03 Parce que depuis longtemps, parler de ce film, de livres, on était obsédé.
12:09 Mais devenir productrice, avoir une société de production, mis à part ce film,
12:16 j'ai trouvé ça formidable.
12:20 Ça fait longtemps que je travaille dans ce métier, maintenant je peux produire.
12:24 La France a beaucoup de respect pour les cinéastes, les réalisateurs.
12:36 Beaucoup de gens sont tout autour.
12:39 Mais quelquefois, on se laisse engouffrer dans un système
12:46 qui n'est pas conçu pour faire entendre une voix singulière.
12:49 Et moi, j'ai eu cette expérience avec de grands auteurs.
12:54 Donc, je vais essayer de protéger ce petit monde
12:57 et je veux aider à l'incubation de cette expérience.
13:03 C'est ça qui m'attire vers la production.
13:06 Toute dernière question.
13:08 Si je vous dis que, d'une certaine manière, Bella et ce film-là, Pauvre créature,
13:13 m'ont fait penser à Belle de Jour avec Catherine Deneuve.
13:16 Vous avez vu ce film-là ?
13:18 Oh, je l'ai vu avant même de lire le script pour ce film.
13:23 Oui, j'ai vu ce film avant même de lire la première partie.
13:28 J'ai regardé beaucoup de films depuis Noël.
13:31 Oui, ça m'a inspirée, entre autres.
13:34 C'est une inspiration pour vous ?
13:37 Vous rigolez ?
13:39 Une godesse !
13:41 Merci beaucoup Emma Stone.
13:43 Pauvre créature, Lion d'or à la Moustra de Venise sera en salle le 17 janvier prochain.
13:47 Merci beaucoup.
13:48 Merci à vous.
13:50 Merci à vous.
13:52 Venise sera en salle le 17 janvier prochain. Merci beaucoup !