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00:00 Au commencement, ce n'était qu'une rumeur.
00:15 Un animal rodait dans la montagne.
00:20 Un loup, un fauve, un monstre disaient certains.
00:30 Lorsque l'on découvrit les corps mutilés des premières victimes, on lui donna enfin
00:35 un nom.
00:36 La bête.
00:37 En chargeant la bête, le troupeau avait sauvé la vie de cette jeune femme.
01:01 Ce fut la première à pouvoir décrire l'animal.
01:10 Selon elle, la bête ressemblait à un loup, mais n'en était pas un.
01:22 Nous sommes au début de l'été 1764, en France.
01:28 Isolé sur un haut plateau aux confins de l'Auvergne et du Languedoc.
01:33 Il règne dans le gévaudan de cette fin d'ancien régime une misère profonde et lancinante,
01:39 vécue comme une fatalité contre laquelle personne ne songe à s'élever.
01:42 Ici, vivre debout consiste à se signer devant chaque calvaire, au départ de chaque chemin.
01:50 Malgré les prières, la bête s'en hardissait.
01:55 Elle attaquait maintenant en plein village.
01:58 En septembre, des habitants la surpirent lapant le sang qui s'écoulait de la gorge de sa
02:04 victime.
02:05 Cette fois-ci, les témoins furent nombreux et la description précise.
02:10 Longue, basse, plus grosse qu'un loup, rousse, avec une bande noire tout le long du dos,
02:17 forte griffe, grosse tête, gueule énorme et queue très fournie qu'elle agite en grognant.
02:22 Confondus par un tel portrait, les autorités locales firent appel au gouverneur militaire
02:28 de la province.
02:29 À la tête d'un détachement de 57 dragons, le capitaine du Hamel débuta sa campagne
02:40 contre la bête en forêt de Mercoir.
02:42 Du Hamel ne doutait pas du succès de sa mission.
03:05 Elle lui semblait facile et même un peu ennuyeuse.
03:09 Le capitaine ignorait encore, qu'en gévaudant, son destin à les basculer.
03:14 Pour lui, la bête n'était qu'un loup.
03:18 Il prit donc le parti d'en tuer le plus grand nombre possible.
03:21 Ainsi espérait-il que le fauve avide de chair humaine se compte parmi ses victimes.
03:26 Mais a-t-on déjà vu un loup préférer la saveur du berger à celle de ses moutons ?
03:32 L'attitude des prédateurs est toujours de chercher la facilité.
03:38 Mais rechercher la facilité, pour eux, cela ne veut pas dire attaquer l'homme.
03:43 Dans le cas d'un berger et de son troupeau, la facilité pour lui, c'est d'attaquer
03:48 les brebis et non pas d'attaquer l'homme.
03:51 L'homme, il en a peur.
03:52 L'homme n'hésitera pas à lui jeter des pierres, à faire du bruit, à le menacer.
03:57 Et puis ensuite, le loup a peur de l'homme parce qu'il est chassé par celui-ci.
04:02 Échappant aux manœuvres des soldats, la bête s'enfuit vers l'ouest et se fit errante.
04:09 Sa route, faite de déplacements rapides et lointains, fut constamment balisée par des
04:16 drames.
04:17 Son adversaire devenu insaisissable, Duhamel fut contraint à l'immobiliser.
04:24 Pour lutter, il ne restait aux hommes que leur colère.
04:29 Ou peut-être la fortune d'un coup de fusil bien ajusté.
04:33 Le 30 septembre, la bête fut tirée, à trois reprises, à courte distance.
04:43 Sous chaque feu, elle s'effondra en hurlant, accusant le choc du projectile contre ses
04:47 flancs.
04:48 Mais lorsque les paysans s'approchèrent du corps inerte, la bête se releva et disparut
04:52 dans les bois.
04:53 Les chasseurs stupéfaits la regardèrent s'éloigner, sans même songer à recharger
04:58 leurs armes.
04:59 Il est évident que si l'arme qu'ils ont utilisée était chargée de petit plomb,
05:03 ça n'avait aucun effet sur la peau d'un loup.
05:08 Mais je ne pense pas qu'ils avaient chargé avec du petit plomb.
05:12 Je les vois beaucoup plus chargeant leur fusil avec une balle ou avec des balles.
05:16 Et auquel cas, le problème qui se pose, c'est un problème de distance.
05:21 On nous parle de 10 pas, mais 10 pas, 10 pas, est-ce vraiment 10 pas ? Ou est-ce 30
05:26 pas ou 40 pas ? Auquel cas ? On comprend parfaitement que l'animal peut recevoir le coup et ne
05:33 pas être tué et repartir.
05:34 Après cette escarmouche, les agressions cesserent.
05:44 La tueuse avait disparu.
05:46 Cependant, les affiches placardées partout dans les villages diffusaient l'image d'un
05:51 animal féroce et singulier, stimulant l'imagination populaire.
05:54 La trêve que la bête accorda aux hommes dura trois semaines.
05:59 A la reprise des attaques, la malbête était déjà dans l'esprit de tous une créature
06:04 surnaturelle et insensible aux balles.
06:06 Bien plus qu'un simple loup, la rumeur l'avait élevée au rang d'animal mythique.
06:11 Les représentations de la bête étaient diffusées en majorité dans la presse, c'est-à-dire
06:18 la Gazette de France, le Courrier d'Avignon, dans des placards, des affiches qui étaient
06:24 collées dans les rues, dans les places publiques, dans les foires.
06:28 Donc la population, qui ne savait pas lire, pouvait voir la bête qui était évidemment
06:35 représentée de manière à faire peur.
06:38 Donc ces représentations ont un rôle très important pour contribuer à propager cette
06:43 rumeur.
06:44 À nouveau sur les traces de la bête, le capitaine du Hamel menait une traque âpre
06:52 et obstinée, sans cesse contrariée par le vent, le froid et la pluie d'octobre.
06:58 Constatant son impuissance, l'officier opta pour la tactique de l'embuscade.
07:14 Cette fois-ci, la victime était veuve.
07:17 Son cadavre, décapité et à demi dévoré, allait servir d'appât.
07:21 Le cadavre était donc un peu plus large que la bête.
07:49 La nuit passa et la bête ne vint pas.
07:56 Au matin, on dut se résoudre à inhumer le cadavre.
07:59 La tête, elle, ne fut jamais retrouvée.
08:01 Il a été fait plusieurs fois mention dans les archives nationales que les victimes étaient
08:09 porteuses d'une coupure franche et précise à la base du cou.
08:13 Le loup ne peut pas trancher une tête ou décapiter une proie.
08:16 Il s'agissait fatalement d'une opération, enfin d'une main humaine pour trancher une
08:22 tête.
08:23 Aucun animal ne serait en mesure de trancher la tête.
08:24 La bête n'est pas seule.
08:28 Les têtes coupées et les cadavres retrouvés nus trahissent incontestablement les agissements
08:33 d'un déséquilibré.
08:34 On a pourtant du mal à imaginer un tel criminel dans une campagne française en plein 18e
08:41 siècle.
08:42 Le Gévaudan, la margeride en tout cas, c'est-à-dire la partie nord du Gévaudan, était une société
08:50 très très violente.
08:51 C'était une société à vendette ou à quelque chose qui peut s'assimiler à la vendette.
08:56 Il y a énormément énormément de crimes d'honneur.
08:59 Peu d'hommes peuvent se marier dans cette société.
09:01 Donc il y a beaucoup beaucoup de viols d'enfants.
09:04 Et puis il y a aussi évidemment la criminalité liée aux balles, liée aux fêtes, liée
09:09 au retour de foire.
09:11 Ça donne une société, une des sociétés les plus violentes en France.
09:16 Je crois la société la plus violente en France jusqu'à la guerre de 14.
09:22 Si Dieu Hamel doutait maintenant de n'avoir affaire qu'à un vulgaire loup, il était
09:27 loin d'imaginer un homme aux côtés de l'animal.
09:30 Plutôt qu'à son esprit, assombri par trop de questions sans réponse, il s'en remit
09:34 à son orgueil, piqué au vif par l'échelle.
09:38 Le capitaine modifia une fois encore sa stratégie.
09:41 Il scinda ses troupes en quatre groupes dispersés sur le territoire de son ennemi.
09:45 Mais la bête faisait preuve d'une mobilité déconcertante, attaquant tour à tour du
09:50 Gévaudan jusqu'en Auvergne.
09:52 Certains esprits, les plus cartésiens, craignaient même qu'il n'y eût deux bêtes.
09:57 Mais la plupart des habitants n'attribuaient au monstre qu'un fabuleux pouvoir de plus,
10:02 le don d'ubiquité.
10:03 On ne peut pas dire que les paysans aient des pratiques "païennes", mais parmi les
10:14 anges, parmi les diables, parmi les saints se faufilent quelques bêtes qui se transforment,
10:21 quelques diables qui prennent la forme de loups, quelques sorciers aussi.
10:27 Ce sont des pratiques qui font partie du monde du catholicisme "populaire".
10:36 Ici, on croit au bon dieu et au diable, mais aussi aux sorciers et aux loups-garous.
10:41 Créatures fantastiques, mi-hommes, mi-bêtes, au fond le portrait est assez ressemblant.
10:47 Son corollaire dans la tradition populaire est le meneur de loups.
10:51 Un homme qui se fait obéir de ses fauves comme s'il était l'un des leurs.
10:56 Un homme qui dresse les loups.
10:57 Pour dresser un loup, la voie la plus simple c'est d'abord de l'élever dès la naissance,
11:04 dès qu'il est tout petit.
11:05 C'est très facile pour vous de prendre la position de dominant à partir du moment
11:10 où vous l'avez élevé.
11:11 Et ensuite vous pouvez lui apprendre des choses.
11:12 C'est-à-dire qu'il va accepter certaines choses, il va obéir à certaines choses,
11:17 mais il ne deviendra pas l'ami du genre humain.
11:18 Pas du tout.
11:20 Il reconnaîtra cette personne comme son dominant, comme son père, son dominant, son chef de
11:24 meute, tout ce que vous voulez, mais pas les autres par assimilation.
11:27 Donc en général ça se termine très mal.
11:29 Durant tout l'automne, Duhamel avait mené une campagne épuisante.
11:51 Il avait abattu 74 loups, mais sa route n'avait jamais croisé celle de la bête.
11:58 Ce jour-là, nous étions le 22 décembre.
12:02 C'était le premier jour de l'hiver et quelque chose allait changer.
12:06 C'était le jour de la mort.
12:30 C'était le jour de la mort.
12:59 La défaite du capitaine Duhamel fut amère.
13:28 Dès le lendemain, cet échec consacra sa disgrâce.
13:32 Avant de quitter le Gévaudan, il fit réaliser un croquis de la bête et l'envoya à l'intendant
13:38 de la province, accompagné de ses quelques notes.
13:41 Poitrail de léopard, patte d'ours, oreille de loup.
13:45 Sans doute penserez-vous comme moi qu'il s'agit d'un monstre hybride dont le père
13:50 est un lion.
13:51 Reste à savoir quel en est la mère.
13:54 Nous sommes au siècle des lumières et pourtant l'étude de la faune n'en est qu'à ses
14:00 balbutiements.
14:01 Buffon, le célèbre naturaliste, rédige alors des ouvrages de science naturelle illustrés
14:06 de créatures aussi déconcertantes que le sont celles qui hantent les esprits ténébreux.
14:10 Dans un tel contexte, rien d'étonnant à ce qu'un loup coupe la tête d'un homme.
14:16 A l'époque, les décapitations n'apparaissent à personne comme une preuve d'intervention
14:20 humaine.
14:21 A la fin de 1964, on a eu à peu près une trentaine, 30 à 35 attaques, au moins 20
14:32 à 25 meurtres et 6 décapitations.
14:35 Si on regarde l'ensemble des attaques, on a effectivement une proportion de deux femmes
14:44 pour un homme.
14:45 Mais quand on regarde de plus près celles qui ont entraîné la mort, les meurtres,
14:50 on se rend compte que ce sont essentiellement les femmes.
14:54 Il y a des hommes bien sûr, mais à ce moment-là, ce sont des hommes très jeunes, disons des
14:59 adolescents dont l'âge est inférieur à 15 ans.
15:02 Soucieux de l'influence croissante des nouveaux philosophes et des encyclopédistes, l'évêque
15:08 du diocèse était bien loin des violences qui désolaient le Gévaudan.
15:11 Pour lui, cette affaire était avant tout l'occasion de raffermir l'autorité du
15:15 clergé.
15:16 Il rédigea un mandement qui allait être lu au soir du Nouvel An dans toutes les chapelles
15:21 de l'édéché.
15:22 Vos malheurs ne peuvent venir que de vos péchés.
15:30 Pères et mères qui avaient la douleur de voir vos enfants égorgés par ce monstre,
15:38 n'avez-vous pas lieu de craindre d'avoir mérité par vos dérèglements que Dieu les
15:44 frappe d'un fléau si terrible ?
15:46 J'armerai contre vous, disait-il, les dents des bêtes farouches.
15:52 Ce sexe, dont le principal ornement fut toujours la pudeur et la modestie, semble aujourd'hui
16:05 n'en plus connaître.
16:06 Il se donne en spectacle, et se fait gloire de ce qui devrait le faire projire.
16:12 Pour l'Eglise, la bête était une punition divine.
16:28 En accréditant un caractère surnaturel au fléau, l'évêque abandonnait le gévaudant
16:33 à l'obscurantisme.
16:34 Le début de l'année 1765 fut terrible.
16:45 En l'absence des soldats, la bête se déchaînait.
16:48 Les meurtres étaient quotidiens et les attaques d'une témérité comme jamais jusqu'alors.
16:53 Duhamel fut précipitamment rappelé en gévaudant, mais l'officier se perdait en conjecture.
16:58 Exaspéré par l'échec, les dragons se comportaient maintenant comme une véritable armée d'occupation.
17:07 Toute personne victime d'une attaque était tenue de le signaler sans délai aux militaires.
17:13 Quant aux contrevenants, gare aux représailles.
17:31 Isolés par petits groupes, les soldats se livraient à de nombreuses exactions.
17:59 Le champ était saccagé par le passage des cavaliers.
18:02 Des cadavres d'animaux étaient empoisonnés, puis disséminés à travers une campagne,
18:08 désormais nauséabonde.
18:09 Le gévaudant ressemblait de plus en plus à un pays en guerre.
18:14 Même si les dragons étaient censés protéger les personnes, en fait, ils représentaient
18:21 une charge économique très très lourde pour des gens qui avaient beaucoup de mal à se
18:27 nourrir eux-mêmes.
18:28 Il fallait les coucher, il fallait les nourrir.
18:33 C'était aussi une charge politique parce que ça voulait dire une certaine surveillance
18:37 sur la vie locale, éventuellement une surveillance de type policière.
18:41 Et ça, les personnes n'étaient évidemment pas très inclines à le supporter.
18:46 Les dragons se sont déjà tristement illustrés en gévaudant lors du conflit des Camisards.
18:54 Une guerre civile et religieuse, tout en coups de main et en massacre, qui fait encore à
18:59 l'époque l'objet des plus vifs ressentiments.
19:00 Cette situation, quasi insurrectionnelle, a conduit certains historiens à imaginer
19:05 la bête comme une arme de guerre.
19:07 Un loup conditionné à attaquer l'être humain et lâché en pays catholique pour
19:11 y répandre la terreur.
19:12 Conditionner un animal à la proie à attaquer l'humain sans que le dresseur soit présent,
19:20 c'est pas très compliqué.
19:22 Ça nécessiterait d'avoir un ou deux ou trois petits enfants qu'on va donner en
19:28 pâture à un loup qu'on aura élevé et on va lui sacrifier, mais vraiment lui sacrifier,
19:33 un petit enfant.
19:34 Quand vous l'aurez fait une fois ou deux, si vous relâchez ce loup, de toute façon
19:38 pour lui un enfant deviendra immédiatement une proie facile.
19:41 Donc si vous lui en fournissez des faciles et qu'il réussit, il va continuer après.
19:45 Même si elles deviennent difficiles, il deviendra simplement plus agressif et plus malin.
19:48 Et il s'attaquera même à plus gros.
19:50 Le frasque du monstre nourrissait les fantasmes les plus extravagants et alimentait tous
19:56 les potins du royaume.
19:58 Le Mercure, la Gazette ou le Courrier d'Avignon relataient avec emphase l'héroïsme d'une
20:03 mère ou le courage de Jacques Portefait qui, à 13 ans, protégea ses camarades et repoussa
20:08 le fauve.
20:09 Louis XV, touché par une telle bravoure, offrit une formation militaire aux garçons
20:15 et ajouta 6000 livres aux récompenses déjà promises pour la tête de la bête.
20:19 Près de 10 000 livres au total.
20:20 Une véritable fortune.
20:22 Le fauve se cantonnait maintenant sur un territoire restreint centré sur la forêt de Ténazère.
20:29 L'occasion pour Duhamel d'organiser une opération titanesque, mobilisant plus de
20:33 30 000 hommes.
20:35 Sa stratégie était d'acculer l'adversaire sur les rives de la Truière pour le soumettre
20:40 à un feu nourri.
20:41 La coordination entre tireurs et rabatteurs était essentielle au succès.
20:45 *Cris de tirs*
21:10 *Tirs*
21:12 *Cris de tirs*
21:22 *Musique*
21:33 Ce fut la plus grande opération menée à ce jour contre un animal.
21:37 *Musique*
21:41 La bête fut effectivement débusquée.
21:43 Elle essuya même plusieurs coups de feu.
21:46 Conformément au plan du capitaine, sa fuite la mena sur les bords de la Truière, aux
21:51 environs du Malizieu.
21:52 Mais les hommes chargés d'occuper l'autre rive n'étaient pas à leur poste.
21:57 Cette ultime humiliation sonna pour Duhamel le glas de sa mission en Gévaudan.
22:02 *Musique*
22:10 Les autorités recevaient de France entière toutes sortes de suggestions pour venir à
22:14 bout de leur plaie.
22:15 Chacun avait son idée sur l'identité du monstre et sa méthode pour l'éliminer.
22:20 Sur la liste des suspects, on trouvait bien sûr le loup, mais également la hyène en
22:25 bonne place, ainsi que l'ours ou le singe.
22:28 Au fond, n'importe quel animal faisait l'affaire fut-il imaginaire.
22:32 Le seul à n'être jamais cité était pourtant le plus évident.
22:35 On connaît à l'heure actuelle beaucoup de chiens qui retournent à l'état sauvage,
22:39 d'autres des mois, voire des années à l'état sauvage, et qui constituent d'ailleurs
22:44 un problème dans certains pays.
22:46 Certains sont des faufres qui sont peut-être plus agressifs même que ne le sont les loups
22:51 qui ont tendance à fuir l'homme alors qu'eux sont familiers de l'homme et
22:54 ils attaquent volontiers.
22:56 Donc je pense qu'à l'époque, il y avait déjà une très grande diversification des
23:01 races de chiens, mais dans les campagnes françaises éloignées, on connaissait
23:06 certainement que relativement peu et qu'un hybride inhabituel pouvait, un bâtard inhabituel
23:14 pouvait apparaître comme un animal extraordinaire, surtout s'il était de dimension imposante.
23:19 C'est un loup-fouet que Luquin se désigna pour diriger les chasses.
23:24 L'un des plus grands du royaume, le sieur Deneval.
23:28 Le fameux chasseur arriva sur place au début du printemps.
23:35 "Vas-y, vas-y, vas-y, vas-y !"
23:37 Ce prestigieux normand arborait 1 200 loups à son blason.
23:49 Mais le Gévaudan n'était pas la Normandie.
23:52 Et la bête n'était peut-être pas un loup.
23:55 La tueuse n'avait pas grand-chose à craindre de Deneval.
24:00 Pour elle, le véritable danger venait des chasseurs locaux.
24:04 Le 1er mai, tôt le matin, la bête fut blessée, au gros sang disait-on.
24:08 Les frères Lachomet, trois fins tireurs armés de bons fusils, l'avaient surprise alors qu'elle était un berger.
24:14 Ils visèrent avec soin, firent feu et la touchèrent à deux reprises.
24:18 Mais une fois encore, le fauve se releva et s'échappa, comme si les balles ne pénétraient pas sa chair.
24:24 Il existait dans l'histoire, c'est un fait, des cuirasses pour chiens, des arnois de cuir,
24:30 enfin des petits manteaux qui protégeaient effectivement le bassin, le corps de l'animal.
24:35 Je ne les vois pas protégeant, le loup en l'occurrence, des impacts d'un projectile.
24:42 Si votre animal avait été, supposons-le, revêtu, protégé d'une protection étrange, singulière,
24:49 il n'aurait pas eu cette mobilité qui lui aurait permis d'échapper aux chiens, ne serait-ce qu'aux chiens des chasseurs.
24:57 Moins de 24 heures après sa blessure, alors qu'on la croyait morte, ou pour le moins agonisante,
25:03 la bête décapita une jeune fille.
25:06 De Neuval, que son arrogance avait déjà rendu impopulaire, radicalisa ses méthodes.
25:12 Désormais, il empoisonnait les cadavres abandonnés par le monstre pour les lui offrir en une pâture corrompue.
25:20 De Neuval ressentait chaque nouvelle décapitation comme autant d'affront à sa renommée de chasseur.
25:39 À l'époque, hors de son expérience de louveter, il avait acquis la certitude que son gibier n'était pas seulement un animal.
25:47 Quand on regarde les événements qui ont généralement précédé les attaques ou les meurtres,
25:54 on se rend compte, en particulier pour les décapitations,
25:58 qu'il y a beaucoup plus de décapitations lorsque la bête a été tirée, blessée.
26:09 Éventuellement simplement aperçue ou poursuivie.
26:13 La bête semble donc sensible aux blessures d'orgueil, un bien étrange mobile pour un animal.
26:21 Ses statistiques nous démontrent que l'homme ne se contente pas de profiter des méfaits de son fauve,
26:26 mais qu'il est bien l'instigateur des meurtres.
26:29 Il décide de l'attaque et choisit les victimes, uniquement des femmes et des enfants.
26:34 Dans l'affaire des crimes de la bête du Gévaudan, on peut examiner deux sortes de crimes très différents.
26:42 Des crimes qui sont très certainement dus à des animaux ou à un animal,
26:48 mais il y a également une intervention d'un serial killer pervers, sadique, sexuel,
26:56 qui va jusqu'à couper, trancher les têtes de certaines des victimes,
27:01 puis par la suite je crois qu'un certain nombre de têtes n'ont jamais été retrouvées,
27:05 qui va aller déshabiller complètement le corps, ça aucun animal ne l'aurait fait,
27:12 qui va jusqu'à reconstituer aussi certaines parties du corps,
27:17 et qui va aussi jouer avec les autorités qui sont à sa poursuite.
27:24 Ça c'est quelque chose que l'on retrouve chez un certain nombre de serial killers d'un point de vue psychologique.
27:31 [Bruits de pas]
27:45 Chaque fois qu'elle était acculée, la bête trouvait refuge dans la forêt de Tenazaire.
27:51 Entre le clair et l'obscur de ses sous-bois, sa piste disparaissait comme si elle n'avait été qu'une chimère.
27:59 Elle partageait cet insondable royaume avec Jean Chastel,
28:04 un vieux garde-chasse qui vivait reclus au fond des forêts avec ses deux fils et une horde de mollos.
28:11 Le patriarche était craint.
28:14 On disait qu'il savait lire et écrire, mais il ne fréquentait pas l'église.
28:19 Dans la vallée, on l'appelait le fils de la sorcière.
28:24 [Musique]
28:38 De Neuval ne croyait lui ni aux diableries ni aux sortilèges,
28:43 mais la proximité du clan et de la bête lui paraissait suspect.
28:51 Cependant, il ne vit jamais Chastel assez longtemps pour pouvoir l'interroger.
28:56 [Musique]
28:59 Vous m'avez donc demandé un avis sur l'écriture de ce personnage un peu mystérieux qui était Jean Chastel.
29:09 Et nous n'avons de Jean Chastel que huit signatures.
29:14 Il suffit de jeter un coup d'œil au lasso de la signature
29:19 pour voir combien elle est emmêlée.
29:22 Et on a une lettre, alors là la complication est extrême.
29:26 C'est le T de Chastel.
29:29 L'écriture est compliquée et on avait affaire à un homme secret, prudent, calculé,
29:38 ayant de la personnalité sans aucun doute,
29:41 et une personnalité même assez... qui pouvait être assez violente
29:45 parce qu'on a un appui très, très, très marqué.
29:50 Il est sûr que les plumes de l'époque induisaient souvent un noircissement,
29:55 mais là on peut penser qu'il avait une dépulsion et une nature assez intense.
30:02 Cette année-là, les récoltes furent désastreuses.
30:05 Les paysans, déjà éprouvés par les battus et la misère, étaient au bord de la jacquerie.
30:10 Ce fait d'hiver devenait peu à peu une affaire d'État.
30:13 Partout en Europe, et surtout en Angleterre, la presse se gossait du roi de France.
30:19 De Neuval n'ayant obtenu pour tout résultat qu'une impopularité croissante,
30:23 Louis XV envoya en gévaudant son porte-arc-bus et ami, François-Antoine,
30:28 avec pour mission d'en finir avec cette bête.
30:32 Le prestige du monarque était en jeu.
30:37 Le monarque
30:41 François-Antoine était certes un fin chasseur, mais il était avant tout un homme de pouvoir,
30:55 un diplomate rompu aux missions sensibles.
31:04 La malbête accueillit ce nouvel adversaire conformément à son rang.
31:09 Elle redoubla d'audace et multiplia les exploits.
31:12 Certaines victimes étaient retrouvées entièrement nues, d'autres saignées comme avec un couteau.
31:18 La tâche de l'arc-busier s'annonçait délicate.
31:23 Antoine affirma que l'empreinte qu'il avait découverte était celle d'un gros loup.
31:29 Dès lors, sa position officielle fut définitive.
31:33 La bête n'était qu'un loup.
31:37 Le fameux "loup de la bête" était un nom de la bête.
31:45 La bête n'était qu'un loup.
31:52 Le fait de trouver une empreinte de loup auprès d'un cadavre d'enfant ou autre,
31:56 cela ne veut pas dire fatalement que c'était le loup qui avait attaqué.
32:00 Par rapport à ce que pouvait signaler l'église sur le loup,
32:04 par rapport aux écrits,
32:06 par rapport au fait de voir des loups s'approcher des champs de bataille, manger des cadavres,
32:11 par rapport à des loups consommer les victimes de pestes ou de choléra.
32:15 On avait peur de l'animal et souvent, quand on a peur de quelque chose, on racontait n'importe quoi.
32:21 Depuis l'aube de la christianisation, le loup est associé au diable, à Satan.
32:26 Le loup était évidemment un coupable idéal.
32:30 Au batu gigantesque, Antoine préférait le camouflage et la fue.
32:36 Le 9 août, c'est encore dans la forêt de Ténazère, la forêt des Chastels, que la bête fut débusquée.
32:42 Mais une fois encore, le fauve réussit à s'enfuir.
32:45 Antoine et son escorte retournèrent alors au château où ils avaient établi leur quartier.
32:50 Mais la bête, elle aussi avait fait demi-tour.
32:53 Elle égorgea la servante du domaine sous la fenêtre du port d'Arquebuse.
32:57 Ce meurtre avait tout d'une provocation, comme un défi lancé aux représentants du roi.
33:03 Le roi a tout à fait intérêt à réussir dans le Gévaudan, réussir politiquement vis-à-vis de ses provinces.
33:09 En plus, on est à la fin de la guerre de Sept Ans qui s'est très mal passée pour la France.
33:14 Et la définition de la monarchie absolue commence à se fissurer très gravement.
33:21 Le roi a à intervenir aussi parce qu'une des images qui sont attachées à la monarchie de droit divin,
33:28 c'est le pouvoir de guérir, de soigner, de protéger les peuples.
33:32 Et bien sûr que si Antoine échoue, ça implique la crédibilité et la force du roi, cette force du roi.
33:39 Le salut d'Antoine se présenta de manière inattendue sous les traits d'une jeune domestique de 20 ans.
33:47 Surprise par l'attaque, Marie-Jeanne avait opposé ses bras tendus comme ultime rempart au croc et au griffe.
33:55 La bête avait bondi et s'était empalée sur le couteau que la jeune fille serrait entre ses mains.
34:00 Le couteau est immaculé de sang sur une longueur de deux pouces.
34:25 Cette fois-ci, la blessure de la bête était sérieuse, peut-être même fatale.
34:30 Effectivement, les attaques cessaient immédiatement.
34:36 La pucelle du Gévaudan, comme la baptisa Antoine, fut célébrée dans tout le royaume.
34:40 Pourtant l'arc-busier ne semblait pas se satisfaire de cette victoire incertaine.
34:44 Il ratissait le territoire du fauve, concentrant ses efforts sur les bois de Thénazère.
34:49 Quand on cherchait la bête, on finissait toujours par trouver les Chastels.
34:53 Et ça, Antoine le savait.
34:56 Le 16 août 1765, deux gardes d'Antoine à la recherche d'un gai pour traverser un marais rencontrèrent Jean Chastel et ses fils.
35:04 "Eh Manon, on peut traverser ?"
35:07 "Oui, on peut y aller."
35:14 "On y va ?"
35:17 "On y va !"
35:20 "On y va !"
35:23 "On y vient !"
35:39 "Hahaha !"
35:42 "Lâche-le, lâche-le, lâche-le !"
36:00 "Entre trois !"
36:07 Dès le lendemain, les Chastels furent arrêtés.
36:10 Pour un tel affront, ils encouraient cinq années de galère.
36:14 Mais la sentence prononcée par Antoine est différente.
36:18 Les Chastels seront certes emprisonnés, mais seulement jusqu'à la fin de sa mission en Gévaudan.
36:24 Le jugement est surprenant et l'incident uniquement fondé sur le rapport des gardes.
36:29 Trop d'anomalies pour ne pas soupçonner une manœuvre d'Antoine destinée à éloigner les Chastels de la bête.
36:36 "Il y a une période dans laquelle toutes les décapitations ont eu lieu."
36:41 "Et cette période se termine au moment où les Chastels sont incarcérés."
36:46 "Il n'y en a plus après, il n'y a plus de décapitation après."
36:50 "Quand on regarde une information de ce type-là, il faut la manipuler avec prudence."
36:56 "Parce que j'ai un petit peu l'impression d'être un témoin à la charge des Chastels."
37:02 Depuis le combat de la Pucelle, un mois auparavant, personne n'avait été tué.
37:07 Mais la bête n'était pas morte. Et ce soir-là, elle semblait même invincible.
37:13 "Oh seigneur !"
37:15 "Oh non !"
37:17 "Non, mon petit fils !"
37:19 "Oh non !"
37:24 "Oh non !"
37:26 "Non, mon petit fils !"
37:28 "Oh non !"
37:33 "Oh non !"
37:35 "Oh non !"
37:37 "Oh non !"
37:41 "Oh non !"
38:02 "Oh non !"
38:04 "Ma très chère bonne amie, la confiance dont Sa Majesté a bien voulu m'honorer m'a porté à faire les plus grands efforts pour m'en rendre digne."
38:18 "Et je n'ai rien fait à ce sujet puisque j'ai eu le malheur de ne pouvoir réussir jusqu'à présent."
38:24 "Hier, je fus le témoin d'une scène poignante de désolation."
38:30 "Une mère, dans l'égarement de sa douleur, s'était jetée sur les débris ensanglantés de son enfant, qu'elle serrait convulsivement en poussant des petits cris déchirants."
38:42 "Le secours des chiens de la louveterie n'est pas encore arrivé et je crains que la mauvaise saison ne nous permette de pouvoir nous en servir longtemps."
38:53 "Votre Antoine."
38:58 Les chiens réclamés par Antoine arrivèrent dès le lendemain.
39:01 Le jour suivant, deux gardes signalèrent un gros loup qui faisait des ravages du côté de l'abbaye des Chazes.
39:08 Après une nuit passée à l'abbaye, Antoine, son escorte et quarante tireurs partirent en chasse.
39:13 Sur le conseil d'un de ses hommes, l'arc-busier se plaça à l'orée d'un chemin.
39:18 Presque aussitôt, un gros loup surgit à découvert.
39:22 La balle d'Antoine lui traversa l'œil, mais le fauve se releva et se dirigea vers le gentilhomme.
39:28 Par chance, un garde posté aux abords acheva l'animal.
39:32 Pour François Antoine, le loup des Chazes arriva point.
39:37 À y regarder de près, l'affaire est parsemée d'incohérences, à commencer par la localisation de la chasse très loin du territoire de la bête.
39:45 Les contes d'Antoine montrent que les gardes ont fait défricher le bois avant même que le loup n'y soit signalé
39:52 et les traces de pièges sur une patte de l'animal trahissent une capture récente.
39:56 La supercherie a donc été préparée et son exécution parfaitement menée.
40:02 On rassembla à la hâte quelques paysans qu'on rétribua pour qu'ils identifient le gros loup comme étant la malbête.
40:10 La dépouille fut rapidement envoyée à Clermont pour y être naturalisée afin d'être présentée à Louis XV et exposée à Versailles.
40:18 Le monde entier devait apprendre que le roi de France avait vaincu la bête du Gévaudan.
40:23 L'objectif de ces représentations était de restaurer l'image du roi qui était à l'époque la risée de toute l'Europe.
40:29 Et donc le loup des Chazes a été représenté lors de sa mort, quand il a été tué par Antoine de Beauterne,
40:36 et aussi lors de sa présentation au roi à la cour du roi.
40:39 Donc la bête étant paillée, elle est représentée toute figée, toute droite, de grande taille puisqu'elle arrive à la poitrine des gens présents à la cour du roi.
40:47 Et elle est ainsi montrée comme domptée par le roi, dominée, vaincue.
40:52 Comme prévu, trois jours après le départ d'Antoine, les chastels furent libérés.
40:59 Sur place, il régnait un calme relatif.
41:02 Le curé de la paroisse de Lorsière signalait bien quelques attaques, mais pendant deux mois, personne ne fut tué.
41:09 Puis, le phénix surgit à nouveau de ses cendres.
41:13 Mais la bête était officiellement morte, et la province allait devoir se débrouiller seule.
41:19 En l'absence d'histoire officielle, la tradition orale transforma peu à peu cette tragédie en une légende
41:28 racontée par une créature mi-homme, mi-bête, qui surgissait à la fenêtre de ses victimes,
41:33 se baignait nue la nuit dans la trouillère, et éprouvait le courage des plus forts en interminables joutes nocturnes.
41:41 *Musique*
42:00 L'histoire devenait mythologie, mais les meurtres étaient bien réels.
42:04 Les attaques continuèrent durant toute l'année 1766.
42:08 *Bruits de pas*
42:19 Jeanne d'Elmas, comme toutes les autres auparavant, déclara qu'une bête l'avait attaqué.
42:24 Pourtant, les traces de collets qui marquaient le tour de son cou ne laissaient guère de doute sur la nature de son agresseur.
42:30 C'était bien un homme qui avait tenté de la tuer.
42:34 Que ce soit l'homme ou l'animal qui attaque, les victimes évoquent toujours une bête.
42:39 La seule note discordante à cette belle unité est une lettre envoyée au roi par Jacques Portefait,
42:44 le courageux garçon récompensé par Louis XV pour avoir défendu ses camarades et mis la bête en fuite.
42:50 "Majesté, ceux qui vous ont déclaré que la bête était un loup vous ont menti,
42:55 et la bête je l'ai vue de près lorsqu'elle nous attaqua.
42:58 Cette bête était un homme, un homme qui n'en était plus un,
43:01 un homme connu de tous ici, mais dont je tairai le nom."
43:05 Étant donné le système qui accourt en Gévaudan, ce système d'honneur et ce système de vendette,
43:11 ce système profondément enraciné, il a un corollaire, c'est la loi du silence.
43:17 Si vous voulez, on considère que les comptes ont à se régler de manière interne.
43:23 Donc on n'accusait pas, on ne parlait pas en public, et surtout pas à des instances étrangères,
43:30 venant de l'État, des questions internes à la violence de la société civile.
43:37 Et la bête du Gévaudan a été considérée comme une question interne, bien entendu.
43:41 A l'automne 1766, après son 86e meurtre, la bête sembla s'évanouir dans la nature,
43:53 aussi soudainement qu'elle était apparue.
43:56 Ce n'était pas la première fois qu'elle observait une trêve, mais celle-ci semblait durer.
44:01 Elle avait disparu comme elle était venue, subitement, sans raison.
44:06 L'hiver entier passa sans aucune trace du monstre.
44:09 Avant de commettre son crime dans la réalité pour la première fois,
44:16 le serial killer a déjà tué dans sa tête des centaines, voire des milliers de fois.
44:22 La réalité de son crime n'est jamais à la hauteur de son fantasme,
44:26 d'où nécessité pour lui de répéter à l'infini ses crimes.
44:31 Parce qu'un serial killer ne s'arrêtera jamais de lui-même.
44:34 Quand une série s'interrompt, c'est que le serial killer est en prison ou qu'il est décédé.
44:41 Le serial killer
44:45 Au matin du premier jour de mars, elle déboucha dans la ruelle,
44:55 se saisit d'une fillette sous les yeux de ses parents, l'emporta et la dévora.
45:00 Le portrait de la tueuse était toujours identique.
45:03 Cette fois encore, alors qu'on la croyait morte, la bête surgissait du néant pour tuer.
45:09 Malgré les médisances, Marie-Danty était amie avec Chastel,
45:14 comme peuvent l'être parfois une enfant et un vieil homme.
45:17 La bête tua la fillette le 16 mai, quelques jours avant ses 12 ans.
45:21 Fou de douleur, le patriarche sembla perdre la raison.
45:25 Puis soudainement, comme libéré d'un sortilège, le fils de la sorcière se tourna vers Dieu.
45:33 Le jour de la mort
45:37 Jean Chastel était métamorphosé.
45:56 Il agissait en homme pieux et passait son temps en confession et en prière.
46:01 Mais pour que sa rédemption soit complète, il lui fallait maintenant abattre la créature.
46:06 Les balles qu'il fit bénir ce jour-là, avaient été coulées dans le plomb d'une effigie de la Vierge.
46:12 Elles étaient destinées à tuer la malbête.
46:17 La mort
46:21 C'est bien sûr dans la forêt de Thénazère que Chastel et la bête devaient sceller leur destin.
46:41 Jean Chastel tua la bête du Gévaudan le 19 juin 1767, au lieu d'y la Saigne-d'Auvergne.
46:48 Gabriel Boissry exerce aujourd'hui la même charge que Jean Chastel à son époque.
46:53 Il est le garde forestier de la forêt de Thénazère.
46:56 La Saigne-d'Auvergne, on la voit là, elle est en face là.
47:00 Il y avait un endroit où le bois se resserrait, comme un entonnoir.
47:04 Chastel, il était posté bien sûr, au croisement du chemin.
47:10 Voyant arriver la bête devant lui, c'est-à-dire il priait, il avait le chapelet.
47:16 Il devait avoir le chapelet dans les mains.
47:18 Et il a posé son chapelet ou sa poche, s'il en avait une, je ne sais pas.
47:23 Il avait dû l'avoir arrivé, arrivé à portée de fusil.
47:26 La bête a dû s'arrêter.
47:29 Peut-être qu'elle l'a vue ou il l'a sentie.
47:31 Et puis c'est là que Chastel a fait feu et a tué la bête.
47:35 La bête s'était assise devant lui et Chastel l'avait tuée.
47:40 On transporta la dépouille au château de Besques pour l'exposer au public.
47:44 Immédiatement, les naturalistes des environs entreprirent de la disséquer.
47:48 La bête fut complètement démembrée.
47:51 Sa cervelle fut pesée, ses organes découpés et son squelette mesuré.
47:56 Au bout de quelques jours, il ne restait d'elle que des morceaux fétides et dispersés.
48:01 Les mesures relevées par les anatomistes sont réunies dans le rapport du notaire marin.
48:06 Nous avons confié ces notes au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris
48:09 afin d'étudier la morphologie de la bête et de la comparer à celle du loup.
48:13 Cette analyse, complètement inédite, nous a permis d'établir la nature exacte de la bête du Gévaudan.
48:18 La bête n'est ni une hyène, ni un singe, ni tout autre animal exotique.
48:23 Sa formule dentaire ne laisse aucun doute.
48:26 Elle est la vie d'un canidé dont la taille ne laisse que deux options, le chien ou le loup.
48:31 C'est un mâle de 109 livres, le poids normal d'un loup adulte.
48:35 Mais son museau est plus court que celui d'un loup et sa tête plus large.
48:39 L'arcade zygomatique surdimensionné laisse deviner une mâchoire particulièrement puissante.
48:45 La crête du crâne et la taille des dents appartiennent au loup,
48:48 mais la hauteur du profil et le stop du museau évoquent incontestablement la morphologie du chien.
48:53 De manière générale, l'avant du corps est proche de celui du chien et l'arrière ressemble à celui du loup.
48:59 Loin d'être une contradiction, la coexistence des deux morphotypes nous permet d'être affirmatif.
49:06 La bête du Gévaudan est donc un hybride entre un loup et un gros chien, sans doute un chien matin.
49:11 Ses conclusions sont confirmées par la tâche blanche sur le poitrail de l'animal
49:15 et la grande longueur des griffes qui trahissent la domestication.
49:20 (Bruits de pas)
49:45 Début juillet, Jean Chastel embarqua son trophée pour le présenter à Louis XV.
49:52 L'histoire raconte que le monarque, à la vue de la charogne,
49:56 ordonna qu'on enterre immédiatement les restes nauséabonds dans le parc du château.
50:01 Mais il n'existe aucune trace de la rencontre entre Chastel et le roi.
50:05 Est-ce seulement concevable que la dépouille de la bête,
50:09 ou ce qu'il en restait après ses multiples dissections, soit arrivée jusqu'à Versailles ?
50:14 Imaginez l'accueil de la cour à un repris de justice,
50:17 jetant une charogne vieille de sept semaines au pied du roi
50:21 et revendiquant la gloire et la prime de François-Antoine à l'eau du monarque.
50:26 Une dernière fois, la bête avait brouillé sa piste.
50:31 (Bruits de pas)
50:35 Jean Chastel, sans gloire et sans récompense, fut renvoyé chez lui
50:39 où il consacra la fin de sa vie au service de sa paroisse.
50:43 Son rôle exact dans l'histoire de la bête est encore un mystère.
50:48 Mais en gévaudant, les meurtres cesserent.
50:52 Définitivement.
50:55 (Musique)
51:08 (Musique)