Négociations avec la grande distribution : «Nous avons le devoir aujourd'hui de soutenir les filières agricoles qui sont en danger», estime Dominique Chargé

  • il y a 9 mois

Dominique Chargé, président de La Coopération Agricole, répond aux questions d'Alexandre Le Mer. Ensemble, ils reviennent sur l'importance des négociations avec la grande distribution.

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Transcription
00:00 - Europe 1, il est 6h41. - C'est la question qui persiste ce mois de janvier.
00:03 Allez-vous payer vos courses moins chères cette année ?
00:06 Bruno Le Maire promet que oui, sur certaines familles de produits,
00:09 et en tout cas, cette promesse ne l'engage que s'il reste à Bercy.
00:12 En attendant le remaniement, les négociations battent leur plein
00:16 entre industriels de l'alimentation et distributeurs.
00:18 On donne la parole au producteur ce matin sur Europe 1.
00:21 - Avec votre invité, Alexandre Le Maire, Dominique Chargé,
00:23 président de la coopération agricole, acteur majeur de l'agriculture et de l'agroalimentaire.
00:28 - Bonjour Dominique Chargé. - Bonjour.
00:30 - C'est un bras de fer dans lequel vous êtes engagé avec la grande distribution.
00:34 Chaque partie continue de se rejeter la responsabilité des prix élevés,
00:39 donc dans les rayons.
00:40 - On est dans un bras de fer, en tout cas on est dans le fil qui a lieu tous les ans,
00:46 qu'on peut appeler le psychodrame annuel,
00:48 mais en tout cas qui est un moment important d'échange
00:51 sur ce que sont les réalités de nos métiers.
00:54 Parmi les réalités de nos métiers, je voudrais commencer par une réalité
00:57 qui est celle que nous vivons aujourd'hui,
00:58 c'est d'abord d'exprimer tout mon soutien
01:02 et la pensée que nous avons pour les agriculteurs qui ont subi les intempéries.
01:05 2023 a été une année particulièrement marquée par des intempéries,
01:09 qu'elles soient de chaleur et de canicule cet été,
01:13 et de pluie abondante, de gel, de tempête,
01:16 et je voudrais exprimer ma solidarité à l'égard de tous les agriculteurs
01:18 qui aujourd'hui, finalement, souffrent de ces intempéries.
01:21 Et ces intempéries finalement,
01:23 elles contribuent un petit peu au marasme des agriculteurs,
01:27 à leur insécurité,
01:29 et au fait qu'aujourd'hui, ils ont besoin qu'on leur donne des signaux
01:31 pour pouvoir continuer à produire.
01:33 Ce qui nous inquiète aussi beaucoup,
01:34 c'est de voir la production agricole en France
01:36 diminuer beaucoup au profit d'importation.
01:39 Et en fait, le message que nous voulons passer aujourd'hui
01:41 aux consommateurs, mais évidemment aux distributeurs dans les négociations,
01:44 c'est celui de leur dire,
01:46 nous avons le devoir aujourd'hui de soutenir
01:48 les filières agricoles et alimentaires françaises
01:51 qui sont, pour beaucoup d'entre elles, en danger,
01:53 et nous devons faire en sorte que nous puissions continuer de produire en France.
01:56 - Filières agricoles, bien sûr, on va y revenir Dominique Chargé,
01:59 sur les prix, la coopération agricole, on le rappelle,
02:01 c'est 40% de l'agroalimentaire en France,
02:04 vous avez toute une galaxie de marques très familières,
02:07 les produits Brossard, Paysans Bretons, le Sucre Daddy,
02:11 est-ce que vous pouvez dire à nos auditeurs ce matin,
02:14 oui, les prix de ces marques que vous représentez vont baisser cette année ?
02:19 - Nous ne sommes pas dans un contexte déflationniste,
02:21 nous ne pouvons pas être dans un contexte de baisse des prix,
02:23 pour des raisons qui sont simples, celles que je viens de vous exprimer,
02:26 les engagements que nous avons aujourd'hui dans le secteur agricole
02:28 et que nous devons soutenir, et agroalimentaire,
02:30 concernant la transition écologique, la souveraineté alimentaire,
02:32 je viens de vous en parler, celui de la décarbonation de nos filières,
02:35 celui du renouvellement des générations,
02:36 donc nous devons maintenir les prix à l'agriculture,
02:39 les charges en agriculture, ce, les deux dernières années,
02:41 ont augmenté de 20%, ça reste vrai,
02:43 l'énergie reste deux fois plus chère qu'elle ne l'était
02:46 avant les crises de l'Ukraine et du Covid,
02:51 nous avons aussi le coût de l'argent qui a augmenté,
02:53 et nous avons également les salaires.
02:55 - Les salaires qui ont augmenté, c'est un effet de l'inflation du reste,
02:58 pour le rattraper ?
02:59 - Voilà, les salaires qui ont augmenté,
03:01 qui pèsent aujourd'hui pratiquement 10% de plus qu'avant les crises,
03:04 et dont on dit, et dont on prévoit une augmentation assez substantielle,
03:09 certains parlent de 2, de 3, de 4% pour 2024,
03:12 et c'est tout à fait normal,
03:13 et donc ces charges, elles pèsent aujourd'hui dans nos coûts,
03:15 donc nous ne sommes toujours pas,
03:17 et nous ne pouvons pas être dans un courant déflationniste,
03:20 en revanche, nous sommes sur des hausses,
03:23 qui sont des hausses finalement,
03:24 qui sont celles aujourd'hui de l'inflation normale,
03:27 et qui sont situées entre 2, 3, 4%,
03:29 et rien à voir avec ce qu'ont été les inflations qu'on a connues les deux dernières années.
03:33 - Vous n'êtes pas non plus en train de nous dire que vous êtes sourd
03:36 aux préoccupations de votre clientèle,
03:38 vous avez entendu les préoccupations des Français,
03:40 et un sondage européen, CSA,
03:42 le journal du dimanche, le montre très bien ce matin,
03:45 préoccupation numéro 1, le pouvoir d'achat.
03:47 - Et c'est tout à fait compréhensible,
03:49 nous ne sommes évidemment très sensibles au pouvoir d'achat,
03:51 à la précarité qui s'installe,
03:53 en revanche, je le dis et je le répète,
03:55 ça n'est pas à l'alimentation,
03:57 ça n'est pas aux agriculteurs,
03:58 ça n'est pas aux entreprises,
04:00 que je représente les entreprises d'agriculteurs sur les territoires,
04:02 de supporter le poids de l'inflation, et de toute l'inflation,
04:05 parce qu'on demande aujourd'hui,
04:06 pratiquement à l'alimentation,
04:08 de supporter le coût de toutes les inflations,
04:10 y compris celles du logement,
04:11 y compris celles qu'on a sur les autres secteurs,
04:13 ça, ça n'est plus possible. - Donc vous ne pouvez plus prendre sur vos marges à l'heure actuelle.
04:16 - Parce que nous avons des responsabilités aujourd'hui
04:18 qui concernent la souveraineté alimentaire,
04:20 qui concernent la décarbonation de nos filières,
04:21 qui vont nous imposer d'énormes...
04:23 qui nous imposent d'énormes investissements,
04:25 des adaptations qui ont un coût,
04:27 et ce coût, nous devons aujourd'hui le mettre
04:29 dans le prix de notre alimentation.
04:32 - Dominique Chargé, vous êtes vous-même éleveur de vaches laitières,
04:35 - Absolument. - en Loire-Atlantique.
04:36 On voit chez les agriculteurs ce vent de colère
04:40 qui se lève en Europe,
04:42 je pense à l'Allemagne, mais pas seulement,
04:43 les Pays-Bas, la Pologne,
04:44 des milliers d'agriculteurs qui manifestent contre la faim
04:47 des subventions sur les carburants agricoles.
04:49 Est-ce qu'elle va gagner la France, cette colère ?
04:53 Est-ce qu'on en est là ?
04:54 - En tout cas, je vous ai...
04:56 je vous ai dit tout à l'heure ce qu'était l'inquiétude,
04:58 ce qu'était le marasme,
04:59 ce qu'était aujourd'hui le sentiment de non-reconnaissance
05:03 de la partie des agriculteurs.
05:04 Nous avons eu un mouvement d'humeur avec
05:05 "On marche sur la tête et les pancartes",
05:07 chacun a pu voir la pancarte de son village retourner,
05:09 donc ce mouvement, de fond, il existe en France,
05:11 nous avons eu un gouvernement qui a fait un pas de côté
05:14 et qui a pris conscience de ce qu'étaient les réalités
05:16 de notre monde et la nécessité de nous soutenir,
05:18 ce que je vous disais à l'instant.
05:20 Évidemment, le monde agricole et le monde de l'alimentation
05:23 restent mobilisés parce que, encore une fois,
05:26 nous devons soutenir nos filières,
05:28 notamment nos filières d'élevage aujourd'hui
05:30 dans le monde agricole et en France,
05:33 sur nos territoires, parce que ce monde est en difficulté,
05:36 ce monde est en danger.
05:37 Nous voyons aujourd'hui, tous les jours,
05:39 la production agricole diminuer en France,
05:41 au profit d'importations.
05:42 - Vous vous dites attacher à la souveraineté alimentaire,
05:46 Dominique Chargé,
05:48 or notre dépendance aux importations,
05:50 au niveau alimentation, on la voit se creuser.
05:54 À l'échelle européenne, il y a cet accord de libre-échange
05:56 qui doit rentrer en vigueur cette année avec la Nouvelle-Zélande,
05:58 un gros producteur de viande bovine et de lait,
06:00 c'est le pays le plus éloigné, au passage,
06:03 qui soit de l'Europe, c'est vraiment aux antipodes,
06:05 c'est une incohérence de plus avec nos engagements
06:07 en matière de souveraineté alimentaire ?
06:09 - Ça peut être une incohérence en matière de souveraineté alimentaire,
06:11 ça peut être aussi une incohérence en termes d'impact carbone
06:15 de nos métiers,
06:16 - État-prat et écologique, bien sûr.
06:18 - Faire venir de l'alimentation de l'autre bout du monde,
06:20 donc nous, ce que nous demandons,
06:21 nous ne sommes pas opposés par dogme
06:24 au libre-échange, à l'importation,
06:28 aux échanges finalement de produits agricoles
06:30 ou de produits alimentaires.
06:31 En revanche, ce que nous demandons,
06:33 et ce sur quoi nous serons extrêmement vigilants,
06:34 et je pense que c'est un peu un révélateur
06:36 de la mobilisation du monde agricole,
06:39 c'est que nous ne soyons pas importateurs
06:41 d'une alimentation qui ne respecte pas
06:43 les standards de production que nous nous imposons
06:45 ici en France et en Europe.
06:47 Et que lorsque nous importons des produits,
06:49 nous soyons bien sur un pied d'égalité
06:51 en termes de compétitivité
06:52 et en termes d'exigence de qualité produit,
06:54 ce qui n'est absolument pas le cas.
06:56 Je vais vous citer un exemple,
06:57 les Français ont massivement baissé leur consommation
07:02 avec la crise du pouvoir d'achat
07:03 et ils ont aussi ce qu'on appelle "descendu en gamme".
07:06 Eh bien aujourd'hui, nos poulaillers Label
07:07 et nos poulaillers bio sont vides
07:08 parce que nous n'avons plus le consommateur
07:10 pour acheter ces produits
07:11 et nous importons des poulets d'Ukraine
07:12 qui ne respondent pas aux standards de production
07:14 de volailles que nous avons en France
07:16 et ça, ça n'est pas acceptable pour les agriculteurs.
07:17 – Vous nous avez dit la grande préoccupation
07:19 et même la souffrance du monde agricole
07:21 ce matin sur Europe 1.
07:22 Merci Dominique Chargé, président de la coopération agricole.

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