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ÉducationTranscription
00:00 J'ai passé 17 ans dans la rue, donc je connais bien la rue.
00:02 Il y a très peu d'officiellement d'accueillisse de rue
00:05 parce qu'on est à la limite du légal.
00:06 Je m'occupe de femmes SDF dans les squats
00:11 ou dans les endroits où sont réfugiées les femmes.
00:14 Souvent, elles arrivent enceintes de viol
00:18 ou enceintes sur un parcours de migration
00:21 ou d'une histoire d'amour, d'ailleurs.
00:23 Et elles ne veulent pas aller en maternité de peur
00:26 quand on leur enlève leur enfant.
00:27 C'est un fait, c'est-à-dire que quand elles arrivent en maternité,
00:30 on leur dit "vous savez, vous n'avez pas les moyens
00:31 de vous occuper de votre enfant.
00:33 On va vous mettre dans un foyer maternel,
00:34 on va appeler le 115".
00:36 Le 115 ne répond jamais.
00:37 Les foyers maternels sont débordés.
00:39 Ils n'ont pas le choix que de prendre l'enfant
00:41 en attendant que la maman aille mieux,
00:43 au moins socialement et économiquement,
00:45 pour pouvoir le reprendre en charge.
00:46 Cette séparation fait très peur aux femmes SDF.
00:49 Elles préfèrent accoucher dans la rue
00:50 et ne pas avoir de suivi médical,
00:54 ce qui pose énormément de problèmes, évidemment.
00:55 On ne laisse jamais un accouchement qui se passe mal
00:58 se passer mal, évidemment.
01:00 On n'est là qu'en cas d'accouchement qui se passe bien.
01:02 Si on ne fait rien, c'est du non-assistance absent d'un danger.
01:05 Le déclic, c'était d'aller dans un squat,
01:07 de tomber née à née avec le corps d'une femme et d'un enfant,
01:11 et d'entendre que c'est un accouchement qui s'est mal passé.
01:14 Et là, je ne comprenais pas pourquoi, justement,
01:16 elle n'avait pas été en maternité.
01:18 Donc là, on m'a expliqué.
01:19 Il n'était pas question que je laisse les femmes comme ça.
01:22 J'en ai parlé aux autorités.
01:23 Et donc, j'ai fait une formation de sage-femme d'urgence.
01:26 Donc, ce n'est pas une sage-femme classique
01:28 qui fait 10 ans d'études,
01:29 mais je suis une sage-femme d'urgence.
01:31 Je peux quand même, avec ma formation,
01:32 enlever un cordon autour du cou,
01:34 éviter les gros drames avec du matériel
01:37 qui est fourni par les pompiers de Paris.
01:38 Les accouchements que je fais sont faits de manière pas du tout stérile.
01:42 On est très loin du milieu hospitalier.
01:44 On est dans des squats.
01:45 Ça peut être de la rue aussi, directement.
01:47 Si on a de la chance d'avoir une grossesse qui se passe bien,
01:50 on sait à peu près dans combien de temps elle va accoucher.
01:52 Par exemple, souvent le matin,
01:53 elle m'appelle en me disant "J'ai des contractions".
01:55 On sait que le soir, en général, on peut faire l'accouchement.
01:57 Donc, on a quand même le temps d'aller trouver un endroit
02:01 à l'abri de la pluie au moins.
02:02 J'ai décidé d'être le trait d'union
02:05 entre le monde de la rue et le monde d'innormal.
02:07 Je suis à l'aise dans les deux mondes.
02:09 J'ai passé 17 ans dans la rue,
02:10 donc je connais bien la rue.
02:11 Je connais bien les gens de la rue.
02:12 Je connais les codes de la rue.
02:13 Et de l'autre côté, je viens d'une famille aisée dans le nord de la France.
02:17 Donc, je connais les codes des gens d'innormaux.
02:19 Je finis ma troisième année d'accoucheuse de rue
02:20 et j'ai mis au monde à peu près 60 enfants.
02:23 Mon premier accouchement en tant qu'accoucheuse de rue,
02:25 c'était un accouchement sur les quais de Seine.
02:28 C'est marrant parce qu'on revient à ma propre histoire.
02:30 Et c'était une femme qui savait qu'elle était enceinte,
02:32 mais pensait avoir plus de temps.
02:34 Sauf que la nuit, j'étais en maraude et la nuit, ça s'est déclenché.
02:37 Et ça s'est passé comme au village, en fait,
02:39 comme au village, comme au bled, comme on dit.
02:40 Toutes ses amies étaient là pour l'aider à pousser, l'encourager.
02:44 Et moi, j'étais juste là en cas d'urgence.
02:46 Et il n'y a pas eu d'urgence.
02:47 Donc en fait, mon accouchement de rue, mon premier,
02:49 ça s'est super bien passé.
02:51 Les femmes dont je fais les accouchements sont de plusieurs profils.
02:54 Il y a le plus classique, c'est celui de la migrante
02:57 qui a fui son pays et sur le parcours de migration,
03:01 a fait des mauvaises rencontres et a été violée
03:03 et se retrouve en France enceinte.
03:05 C'est-à-dire qu'elles se rendent compte qu'elles sont enceintes
03:06 au bout de six mois et ne peuvent plus avorter.
03:08 Après, il y a un autre parcours, c'est des femmes SDF françaises,
03:13 mais qui fuient les situations de violence, violence conjugale
03:16 et qui ne veulent pas qu'on les retrouve.
03:18 Donc, elles ont changé de nom, elles ont changé de vie
03:20 et elles sont dans la rue, mais elles ne veulent surtout pas aller à la maternité
03:23 pour ne pas se faire repérer.
03:24 Les choses à mettre en place pour que les femmes n'aient plus peur
03:27 d'aller accoucher en maternité,
03:29 ce serait d'ouvrir plus de foyers pour femmes enceintes
03:33 et femmes qui viennent d'accoucher.
03:34 On a déjà eu une amélioration de la loi,
03:38 chaque hôpital maintenant peut garder 30 jours une femme qui vient d'avoir un bébé.
03:41 Mais ce n'est pas toujours si simple, ça dépend des places.
03:43 Il y a 330 000 SDF en France.
03:46 Il y a 2800 enfants de moins de 18 ans SDF en France.
03:50 À Paris, 40% des SDF sont des femmes
03:54 et sur ces 40%, il y a à peu près 20% qui sont des mères.
03:57 Je dirige l'association Anne-Orient et l'association est très connue au niveau des SDF.
04:02 Il y a beaucoup de gens qui me contactent via mon téléphone,
04:05 qui est sur les réseaux sociaux.
04:06 Il y a très peu officiellement d'accoucheuses de rue
04:09 parce qu'on est à la limite du légal.
04:11 On est cinq accoucheuses de rue dans toute la France.
04:13 Après, il y en a sûrement d'autres qui le font, mais qui ne sont pas repérées.
04:17 [BIP]