L'interview d'actualité - Christophe Robert

  • il y a 7 mois
Ce matin, Maya Laqué reçoit Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé Pierre. Soixante-dix ans après l'appel à l'aide du fondateur d'Emmaüs, le combat contre le mal logement et pour des hébergements d'urgence est plus que jamais d'actualité. 

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Transcript
00:00 -Abbé Pierre. -Bonjour, Christophe Robert.
00:01 Merci d'être avec nous ce matin.
00:03 Le fameux 1er février 54,
00:05 l'abbé Pierre a lancé son appel à entrer dans l'histoire.
00:07 "Mes amis au secours", disait-il.
00:10 Nous sommes le 2 février 2024, 70 ans plus tard.
00:13 Est-ce que c'est un nouvel appel au secours
00:14 ou un cri de colère que vous avez envie de lancer ?
00:17 -On peut les deux.
00:20 On a une situation qui est vraiment tendue.
00:22 Je crois que chacun le comprend.
00:23 C'est-à-dire que le logement est devenu
00:25 le premier poste de dépense des ménages.
00:27 On a vu flamber les prix des besoins de première nécessité.
00:31 Deux chiffres, on a plus 20 % sur les produits alimentaires en deux ans,
00:35 plus 42 % sur l'électricité en deux ans.
00:40 Donc, pour beaucoup de ménages, y compris quand on a un boulot,
00:42 mais avec un salaire petit ou moyen,
00:44 c'est difficile de joindre les deux bouts.
00:46 Et pour les plus fragiles, pour les plus pauvres,
00:50 ces dépenses qui sont malgré tout incontournables
00:53 viennent les enfoncer un petit peu plus.
00:55 Donc, il y a deux dimensions.
00:57 Il y a ceux qui sont en grande difficulté,
00:59 y compris les personnes à la rue, je rappelle,
01:01 qui a 6 000 à 8 000 personnes qui appellent chaque soir le 115,
01:04 à qui on ne propose pas de solution.
01:05 Ça veut dire qu'elles restent dans la rue.
01:07 Donc, de ces situations les plus dures
01:08 pour lesquelles il faut absolument qu'on agisse avec une totale détermination,
01:12 jusqu'aux classes moyennes inférieures qui sont fragilisées
01:15 par ce coût du logement, par des dépenses en hausse
01:18 et des dépenses qui sont incontournables,
01:20 on est dans une situation très difficile.
01:22 - Et résultat, il y a aujourd'hui 330 000 personnes sans abri,
01:26 4,2 millions de mal logées.
01:28 Ce sont les chiffres de votre rapport annuel publié hier.
01:32 Pourtant, il y a eu des plans de logement, des hébergements d'urgence.
01:35 Il y a plus de places cette année.
01:37 Donc, comment on en est arrivé là ?
01:39 C'est la conséquence de ce dont vous venez nous parler ?
01:41 - Notamment.
01:42 Alors, 330 000 personnes sans domicile fixe,
01:44 dont une partie sont sans abri
01:46 et d'autres, justement, en hébergement d'urgence.
01:49 Premier élément, ce chiffre a doublé en 10 ans.
01:51 Donc, il s'est passé quelque chose.
01:53 Et qu'est-ce qui s'est passé ?
01:54 Il s'est passé que toutes les fragilités en amont,
01:57 des personnes qui n'arrivaient plus à payer leur loyer,
01:59 donc qui sont expulsées de leur logement,
02:01 des jeunes qui sortent de l'aide sociale à l'enfance,
02:03 qu'on a protégés pendant 8, 10 ans parce qu'ils n'avaient plus de parents,
02:07 à 19 ans, 20 ans, on leur dit "Il faut que tu prennes ton envol",
02:09 mais on n'a pas forcément de logement.
02:11 Des personnes qui sont en difficulté, par exemple, psychique,
02:17 qui ont des problèmes psychiatriques,
02:18 qu'on n'a pas forcément accompagnés comme il se doit
02:20 et qui vont se retrouver à un moment de fil en aiguille à la rue.
02:23 Donc, en amont, beaucoup de sollicitations de personnes
02:26 qui vont frapper aux portes de l'urgence sociale,
02:28 des hébergements d'urgence sociaux.
02:29 Et puis, en aval, on a une réduction du nombre de logements sociaux,
02:33 par exemple, de solutions à proposer à ceux qui sont dans l'hébergement d'urgence
02:38 et qui n'attendent qu'une chose, comme tout le monde,
02:39 c'est un logement plus durable.
02:41 Juste pour vous donner un chiffre,
02:43 on produisait 125 000 logements sociaux en 2016.
02:48 En 2023, c'est 82 000.
02:51 Donc, quand vous avez 40 000 logements sociaux en moins chaque année,
02:56 c'est 40 000 solutions en moins.
02:57 Donc, c'est vrai qu'il y a des efforts qui sont faits
02:59 par l'État, par les politiques publiques.
03:01 On a grossi le nombre de places d'hébergement d'urgence,
03:03 mais pour ces deux raisons que je viens d'évoquer,
03:05 en amont et en aval, ce secteur, il grossit,
03:08 mais ce n'est pas satisfaisant pour les gens,
03:09 parce que vivre à l'hôtel social,
03:10 vous ne pouvez pas forcément faire à manger,
03:12 vous ne pouvez pas forcément inviter des amis, etc.
03:15 Et puis, ce n'est pas une solution non plus,
03:17 parce que pour les finances publiques, ça coûte cher.
03:18 Donc, il faut inverser les logiques.
03:20 Il faut qu'on ait des politiques du logement
03:22 qui soient beaucoup plus sociales que celles que nous avons aujourd'hui.
03:24 - Mais alors, qui pour les mener ?
03:25 Parce qu'on est le 2 février, le gouvernement est en place,
03:28 le nouveau gouvernement est en place depuis une vingtaine de jours,
03:30 il n'y a aucun ministre de la Ville de plein exercice ou délégué aujourd'hui.
03:33 Patrice Vergritte n'a pas été reconduit.
03:35 - Oui.
03:36 - Qui sont vos interlocuteurs aujourd'hui ?
03:37 - Oui, c'est un problème.
03:38 C'est un problème.
03:38 Alors, hier, on a discuté à la présentation du rapport de la Fondation
03:42 avec Christophe Béchut, qui est ministre de la Transition écologique
03:44 et de la Cohésion des territoires.
03:47 On pense, on espère qu'il y aura un ministre délégué au logement et à la Ville,
03:50 mais enfin, pendant ce temps-là, c'est difficile.
03:52 On ne va pas choisir les personnes.
03:53 Vous savez, nous, c'est les politiques qui nous intéressent,
03:55 c'est les réponses concrètes.
03:56 Ah non, je ne suis pas candidat, c'est une chose qui est certaine.
03:59 En revanche, vous savez, on peut se dire,
04:02 bon voilà, il faut bien réfléchir au gouvernement que l'on mène.
04:04 Mais par exemple, face à ces 6-8 000 personnes à la rue,
04:09 dont, à certains moments de l'année, chaque soir, 3 000 enfants,
04:12 le gouvernement a fini par nous dire, l'ancien ministre du Logement,
04:14 Patrice Vergrit, on va débloquer 120 millions d'euros,
04:17 parce qu'évidemment, on ne peut pas laisser des enfants comme ça.
04:20 Mais depuis qu'il a annoncé ces 120 millions d'euros,
04:22 il n'y a plus de ministre du Logement.
04:23 Mais nous, ce n'est pas juste la ligne sur le budget de l'État qui nous intéresse,
04:26 c'est d'offrir des solutions aux personnes concrètes.
04:28 Mais qui peut faire le travail aujourd'hui ?
04:30 Mais rien n'est mis en place.
04:31 Très peu, en tout cas, on ne sait pas.
04:32 On en a parlé hier avec le ministre Béchut.
04:34 On ne sait pas. Il faudrait s'organiser, demander au préfet de rassembler tous les acteurs,
04:38 repérer les bâtiments vides, les lycées vides, pour les aménager,
04:41 pour mettre les personnes à l'abri, ne pas les laisser à la rue,
04:43 puis les accompagner jusqu'à trouver une solution plus digne et durable.
04:48 Donc oui, ce n'est pas très satisfaisant, quand même, cette histoire
04:50 de ne pas avoir de ministre pour le moment.
04:52 -Alors, le Premier ministre a évoqué le logement
04:54 lors de son discours de politique générale à l'Assemblée.
04:56 Donc, c'est un sujet.
04:58 Une annonce a fait tiquer.
05:00 Il veut faire évoluer le logement social, Gabriel Attal,
05:03 notamment en intégrant à la loi SRU les logements
05:06 qui sont aujourd'hui dévolus aux classes moyennes supérieures.
05:08 La loi SRU, on le rappelle, c'est celle qui oblige les communes
05:10 à avoir 25 % de logements sociaux.
05:12 Beaucoup d'associations critiquent cette mesure.
05:16 Qu'en pensez-vous ?
05:17 -C'est une erreur fondamentale.
05:19 C'est une provocation.
05:21 De quoi parlons-nous ?
05:22 Nous parlons d'une loi qui a été établie en 2000, qui dit voilà,
05:26 il y a des villes qui ont 50 % de logements sociaux, d'autres qui en ont 5.
05:29 Faites un petit effort.
05:30 Je vous demande en 20 ans de récupérer un niveau à 25 % en 20 ans.
05:36 Un effort de solidarité, en fait.
05:38 C'est une magnifique loi de la République, de dire voilà,
05:40 chacun doit contribuer à cet effort.
05:42 -Sauf que les maires ne sont pas toujours d'accord.
05:43 -Alors effectivement, cette loi n'est pas suffisamment impliquée,
05:45 mais petit à petit, elle fait son chemin.
05:48 Qu'est-ce que nous dit le Premier ministre ?
05:50 Il nous dit, oui, alors ce qu'on va faire,
05:52 c'est qu'en fait, on ne va pas se contenter des logements sociaux,
05:53 on va faire entrer aussi les logements intermédiaires,
05:56 juste pour que vous compreniez.
05:58 À Lyon ou à Lille, le plafond de ressources des ménages
06:02 pour pouvoir rentrer dans le logement intermédiaire
06:03 quand vous êtes un couple avec deux enfants,
06:05 ça peut aller jusqu'à 7 500 euros par mois.
06:08 Ce n'est pas du logement social.
06:09 Et je disais provocation, pourquoi ?
06:11 Parce qu'en fait, les 70 ans de l'appel de l'abbé Pierre,
06:14 c'est son dernier combat public avant de nous quitter, en 2006,
06:17 justement, quand certains avaient voulu affaiblir la loi SRU.
06:20 Il a dit, mais vous êtes en train d'oublier les petits,
06:23 changer votre regard.
06:25 Et finalement, ceux qui voulaient atténuer cette loi
06:29 ont reculé sous la pression.
06:30 Vraiment, j'en appelle solennellement au Premier ministre,
06:33 au gouvernement, ne faites pas ça.
06:34 Ce serait une erreur majeure dans l'histoire des politiques du logement
06:37 dans notre pays.
06:39 - On a entendu votre appel ce matin, Christophe Robert.
06:41 Merci d'avoir été avec nous.

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