SMART BOURSE - Emploi US : du lourd ?

  • il y a 7 mois
Les chiffres de l'emploi aux États-Unis ont surpris. Alors que le consensus attendait 187 000 créations d’emplois en janvier, l’économie américaine en a créé 353 000, après 333 000 (chiffre révisé) en décembre. Ces données dépassent donc largement les anticipations, dictent la politique monétaire et pèsent lourd sur le marché obligataire. Notre correspondant américain s’interroge : sont-ils fiables ?

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00:00 (Générique)
00:10 Le dernier quart d'heure de Smartboard, chaque lundi c'est le quart d'heure américain.
00:14 Notre rendez-vous hebdomadaire avec notre correspondant américain Pierre-Yves Dugas
00:18 qui revenait notamment pour nous cette semaine sur les derniers chiffres d'emplois publiés aux Etats-Unis.
00:23 C'était vendredi pour le mois de janvier.
00:25 Des chiffres spectaculaires avec plus de 350 000 créations d'emplois.
00:29 Y a-t-il quelque chose qui cloche sur le plan statistique
00:32 notamment après ce rapport mensuel américain sur le marché du travail ?
00:37 Écoutez à ce sujet l'analyse et les éléments de réponse que nous apporte Pierre-Yves Dugas.
00:41 Il y a quelque chose qui cloche là-dedans, j'y retourne immédiatement disait Boris Vian.
00:50 Sur les trois derniers mois, prenons la moyenne des trois derniers mois
00:56 pour essayer précisément de couper les ondulations qui paraissent excessives.
01:01 Les chiffres du BLS, Bureau of Labor Statistics,
01:05 qui sont les chiffres officiels de l'administration fédérale qui mesure l'emploi,
01:09 nous sommes en moyenne à 289 000 emplois de plus tous les mois sur trois mois.
01:15 Nous avons observé depuis des années de fortes divergences
01:20 entre d'autres séries privées qui mesurent la même chose,
01:26 les créations d'emplois aux États-Unis.
01:28 Mais des divergences aussi fortes que cela, moi je ne me souviens pas en avoir vu.
01:31 Je fais référence au sondage de la société Edipi
01:34 qui tombe en général deux jours avant le premier vendredi du mois,
01:38 date de la publication des chiffres du BLS.
01:41 La moyenne de l'estimation de ce sondage Edipi depuis trois mois c'est 124.
01:47 Donc on a 124 selon Edipi, 289 selon le département du travail.
01:53 C'est une grosse différence.
01:56 C'est une grosse différence qui est inquiétante à deux niveaux.
02:00 D'abord parce qu'elle remet en question la lecture du trend.
02:04 Nous avons tous écouté Jérôme Powell dans sa conférence de presse mercredi
02:10 qui a cité le chiffre qui était celui qui était exact à ce moment-là,
02:16 la moyenne des trois derniers mois, chiffre qui est invalide aujourd'hui
02:20 et qui disait depuis trois mois on observe un ralentissement progressif des créations d'emplois.
02:27 En fait non, maintenant on observe une augmentation.
02:30 On n'a pas créé depuis trois mois autant d'emplois aux États-Unis que depuis le premier trimestre 2023.
02:35 Donc question pour l'interrogation sur le trend.
02:39 Et puis pour l'interrogation sur les statistiques internes
02:43 au Bureau of Labor Statistics, au département du travail.
02:47 Parce que pour faire simple, les gros chiffres de l'emploi et du chômage
02:52 qui sont publiés le premier vendredi du mois sont issus de deux sondages différents.
02:57 Un premier sondage est réalisé auprès des entreprises
03:01 et ce sondage-là mesure le volume de l'embauche, les nombres d'emplois qui sont créés.
03:07 Un autre sondage qui est lui aussi mené durant à peu près la partie centrale du mois
03:13 s'adresse cette fois-ci au ménage et mesure tout ce qui est relatif à l'emploi,
03:20 à l'entrée sur le marché du travail, à la sortie du marché du travail.
03:23 Or on s'aperçoit que depuis six mois, le rythme d'amélioration du marché du travail aux États-Unis
03:29 tel qu'il est mesuré par une méthode, celle du sondage auprès des entreprises
03:35 est de deux tiers plus rapide que la mesure de l'amélioration du travail
03:39 selon le sondage réalisé auprès des ménages.
03:41 Alors il y a quelque chose qui cloche là-dedans, c'est intéressant
03:45 et ça peut être potentiellement dangereux parce qu'il est possible que
03:49 le marché obligataire pense une chose, la Fed en pense une autre.
03:53 Je me reporte du coup à l'opinion de quelqu'un qui est un expert en la matière.
03:59 Je parle de Jeffrey Gunlack qui gère un fonds obligataire en Floride
04:03 et qui regarde d'autres sources de mesure de l'emploi.
04:07 Il rappelle que les États-Américains mesurent le chômage.
04:12 50 États-Américains auxquels on ajoute un 51e qui est la capitale américaine,
04:17 le District of Columbia, or depuis six mois, 85% de ces 51 États-Américains
04:24 font état d'une hausse du chômage.
04:27 Donc là aussi on peut se poser une question sur cette étrange divergence
04:32 entre divers méthodes de mesure.
04:34 Comment peut-on réconcilier les choses ?
04:37 Le premier réflexe est de dire attention, nous avons plus de création d'emplois
04:40 parce que nous avons un retour dans la population active
04:43 de gens qui en étaient sortis, notamment au moment de la pandémie.
04:46 Le manque de pôts, ça ne paraît pas évident parce que si l'on regarde
04:51 le taux de participation à la population active tel qu'il a évolué depuis un an,
04:54 il est pratiquement stable.
04:57 On est à 62,5 aujourd'hui contre 62,4 il y a un an.
05:05 Donc quelle pourrait être l'autre explication, si ce ne sont pas des erreurs
05:08 dans le sondage même ?
05:11 Une augmentation plus rapide de la population américaine.
05:14 Comment aurait-on pu rater une chose aussi évidente ?
05:17 L'immigration.
05:19 L'immigration qui est très forte aux États-Unis
05:22 pourrait expliquer l'augmentation de la population active
05:25 et l'augmentation plus rapide que prévue du nombre d'emplois créés.
05:30 Effectivement, beaucoup d'interrogations, mais encore une fois je le dis,
05:33 ce n'est pas juste aux États-Unis, ce n'est pas juste sur les données d'emploi.
05:37 On a des questions sur la fiabilité statistique un peu partout dans le monde,
05:41 sur les chiffres du marché du travail, sur les chiffres de salaire aussi en Europe.
05:45 Il y a beaucoup d'incertitudes statistiques aujourd'hui,
05:48 nous alertent en tout cas les économistes.
05:50 Et à ce titre, je rappelle, on a eu des révisions effectivement
05:53 sur la méthodologie et le benchmark pour la mesure statistique
05:56 du marché du travail américain.
05:58 On aura des révisions statistiques sur le rapport de l'inflation,
06:02 le CPI, l'indice des prix à la consommation, je crois, cette semaine,
06:05 le 9 février, l'appareil statistique américain publiera des révisions
06:10 attachées au mode de calcul de l'inflation également aux États-Unis, Pierre-Yvan.
06:14 Oui, alors ces révisions-là sont différentes des révisions mensuelles
06:19 qui interviennent tous les mois, comme l'ordre l'indique,
06:22 puisque lors de la publication vendredi dernier des chiffres de l'emploi
06:26 de l'estimation du mois de janvier, on a révisé à postériori
06:30 les chiffres de décembre et les chiffres de novembre,
06:32 on avait raté 126 000 emplois nouveaux.
06:35 Ce n'est pas rien 126 000.
06:37 126 000, c'est l'équivalent d'un mois mesuré par AIDIPI.
06:40 On n'a pas besoin d'être complotiste pour s'imaginer
06:44 que des erreurs peuvent être commises.
06:46 Encore une fois, ce qui est important, c'est de noter que ces interrogations,
06:51 ces énigmes, ces discrepancies, on dirait en anglais,
06:55 interviennent à un moment crucial qui pourrait induire en erreur
06:59 un changement politique monétaire.
07:01 Et c'est une raison de plus pour faire très attention
07:05 à la lecture de ces chiffres.
07:06 Et ça participe sans doute de ce besoin de plus grande confiance
07:10 qu'appelle de sévé aujourd'hui Jérôme Poel,
07:13 avant de prendre la décision de baisser les taux de directeur
07:17 pour la première fois.
07:19 Vous évoquiez le sujet de l'immigration, Pierre-Yves.
07:21 Ça va être un des gros sujets politiques de cette semaine à Washington
07:25 puisque le leader démocrate du Sénat, Chuck Schumer,
07:28 aimerait bien un vote cette semaine sur un projet de loi bipartite
07:33 qui se réfère à la question de la sécurité aux frontières
07:36 et qui englobe également la question d'un package d'aide
07:39 à l'Ukraine et à Israël, également, si je ne dis pas de bêtises, Pierre-Yves.
07:42 Vous avez tout à fait raison, Grégoire.
07:45 Vous suivez très bien l'actualité washingtonienne depuis Paris.
07:49 Je vous ai aidé, Pierre-Yves, chaque lundi à 13h45
07:53 avec le quart d'heure américain.
07:55 Chuck Schumer, leader démocrate du Sénat,
08:02 espère que ce compromis bipartite pourra faire l'objet d'un vote mercredi.
08:07 Malheureusement, même si ce compromis bipartite qui est négocié depuis des mois
08:14 venait à être adopté, il n'a aucune chance d'être adopté à la Chambre des représentants.
08:19 Autrement dit, ça serait lettre morte.
08:21 Et là, je voudrais faire un pas en arrière parce que je pense que cette question
08:24 de l'immigration et de la réforme de l'immigration est un exemple typique
08:28 des raisons pour lesquelles le système politique américain
08:32 de séparation des pouvoirs et de division du Congrès en deux
08:36 entre deux chambres qui doivent absolument s'entendre sur le même texte à chaque fois.
08:40 Aucune chambre, ce n'est pas comme en France où l'Assemblée nationale
08:44 peut avoir le dernier mot sur le Sénat.
08:46 Là, il faut que toutes les lois soient adoptées par les deux chambres dans les mêmes termes.
08:51 Au Sénat, on peut parfois obtenir un compromis bipartite.
08:57 À la Chambre, c'est extrêmement difficile.
08:59 Et le nouveau Speaker de la Chambre, qui est un républicain,
09:02 M. Mike Johnson, a dit que le compromis que le Sénat risque d'adopter
09:06 sera jeté à la poubelle dès le début. Pourquoi ?
09:09 Alors, les républicains, et en particulier les trumpistes,
09:13 qui ont vraiment la main sur le parti républicain en ce moment,
09:17 préfèrent un désaccord, préfèrent qu'aucune loi soit votée,
09:21 parce qu'ils vont disposer ainsi d'un sujet pour faire campagne
09:24 sur lequel ils vont pouvoir surfer, qui est celui de l'incapacité
09:29 de l'administration Biden à prendre le contrôle de la frontière.
09:32 Au lieu de résoudre le problème, ils préfèrent que le problème ne soit pas résolu,
09:35 ça leur donne un sujet de campagne.
09:37 D'un autre côté, les démocrates, qui ont nié l'existence même
09:41 de ce problème de contrôle de la frontière, font du rétropédalage
09:44 parce qu'ils regardent les sondages et ils s'aperçoivent que beaucoup d'Américains
09:47 ne comprennent pas que tous les ans, la police aux frontières
09:51 arrête plus de 3 millions d'illégaux, dont plus de 2 millions
09:57 sont arrêtés à la frontière avec le Mexique.
09:59 Ce sont des chiffres énormes, même pour les États-Unis, pays de 335 millions d'habitants,
10:05 et ce sont des chiffres d'ailleurs qui peut-être jouent un rôle,
10:08 on vient d'en parler, sur les créations d'emplois aux États-Unis.
10:12 Dans le compromis des partis en discussion au Sénat,
10:16 et qui est sur le point d'être adopté, il y a l'idée, tenez-vous bien,
10:20 que si l'on attrape plus de 5 000 migrants illégaux en moyenne par semaine,
10:27 la frontière pourra être fermée.
10:29 Et Joe Biden aujourd'hui dit "je fermerai la frontière".
10:33 Ces mots-là, lorsqu'ils étaient prononcés il y a 3 ans par le président de l'époque,
10:38 Donald Trump, étaient jugés inacceptables, inhumains,
10:41 contraires au principe élémentaire de l'empathie à l'égard des pauvres
10:47 qui viennent travailler aux États-Unis par le Parti démocrate.
10:49 Aujourd'hui, toute cette rhétorique est reprise par Joe Biden,
10:53 qui se rend compte qu'il y a un vrai problème à la frontière.
10:56 Si les termes de cet accord bipartite sont respectés,
11:02 cette barrière des 5 000 migrants en moyenne par jour par semaine attrapée
11:07 aurait fait l'an dernier que la frontière américano-mexicaine
11:14 aurait été fermée tous les jours.
11:17 Tous les jours, on aurait fermé complètement la frontière
11:20 si ce niveau avait été dépassé.
11:22 Il y a un énorme problème de gestion de l'immigration illégale aux États-Unis
11:26 et malheureusement, pour des raisons électoralistes,
11:29 ce problème ne sera pas résolu probablement avant des mois.
11:33 Merci beaucoup Pierre-Yves pour votre éclairage hebdomadaire
11:36 sur l'actualité économique et politique américaine.
11:40 Ce quart d'heure américain, chaque lundi sur Smartbourse,
11:44 à retrouver en replay sur bsmart.fr.
11:47 [Musique]

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