Thomas Sotto reçoit Christophe Soulard, premier président de la Cour de cassation, sur le plateau des 4 vérités.
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00:00 Bonjour et bienvenue dans les 4V, Christophe Soulard.
00:05 Je vais vous montrer une photo pour commencer.
00:07 La France va rendre hommage à Robert Badinter ce mercredi.
00:10 Vous, l'homme de droit, le citoyen, quand vous regardez cet homme, quand vous le voyez,
00:15 qu'est-ce que vous vous dites, qu'est-ce que vous auriez envie de lui dire à Robert Badinter ce matin ?
00:20 J'aime son regard. C'est un regard très bienveillant, c'est un regard très intelligent.
00:26 C'est le regard d'un homme âgé, d'un homme d'expérience.
00:31 Et sa bienveillance, elle se sent, ça a été une bienveillance tout au long de sa vie
00:35 qui n'est pas incompatible avec une grande exigence intellectuelle, morale.
00:39 Donc c'est une photo que j'aime beaucoup.
00:42 Vous vous souvenez de ce que vous avez ressenti lorsqu'il a aboli la peine de mort en 81 ou pas ?
00:46 Oui, oui, oui, oui, oui, j'étais en âge déjà de ressentir quelque chose, bien sûr.
00:51 C'était un grand événement. C'était bien sûr la suite d'un très long combat.
00:56 Et c'est ça aussi que nous avons aimé, c'est cette constance, cette rigueur,
01:00 cette humanité de l'homme qui ensuite s'est traduite évidemment dans une grande réforme,
01:07 celle de l'abolition de la peine de mort et qui nous a tous émus.
01:10 C'était une constance aussi, parce qu'à une époque où les ministres passent d'un ministère à l'autre en moins de cinq minutes,
01:15 lui, il voulait la justice, que la justice, quand Maurice Faure est nommé à sa place entre guillemets en 80,
01:20 il dit à Mitterrand « je ne veux rien d'autre ». C'était aussi de la conviction.
01:24 Oui, oui, oui, il ne cherchait pas un poste pour un poste. Il avait une conviction, il voulait faire passer des idées.
01:29 Et ça n'a pas été le ministre uniquement de l'abolition de la peine de mort.
01:33 Il ne faut jamais oublier que de considérables réformes ont été adoptées pendant qu'il était ministre.
01:39 Des réformes d'abord sur les juridictions d'exception qu'il a également abolis,
01:44 mais aussi des réformes, et on l'oublie un peu trop, tendantes à faciliter les plaintes des victimes
01:52 et à favoriser l'indemnisation des victimes. Donc il a été aussi le ministre des victimes.
01:57 Et puis, bien entendu, la ratification très importante du droit de faire un recours individuel
02:03 devant la Cour européenne des droits de l'homme, qui est une réforme porteuse de beaucoup de changements par la suite.
02:08 Vous avez raison, il ne faut pas le réduire à l'abolition de la peine de mort, mais c'était fondamental.
02:11 Je voudrais vous faire entendre quelques mots, Christophe Souler, du discours d'hommage prononcé hier
02:15 par la présidente de l'Assemblée nationale, Yael Brun-Pivet, devant une assemblée debout et très émue.
02:20 De Victor Hugo, il aimait à citer cette phrase
02:25 "Le droit qu'on ne peut retirer à personne, c'est le droit de devenir meilleur."
02:32 Aussi considérait-il avec Hugo la peine de mort comme le signe spécial et éternel de la barbarie.
02:41 Est-ce qu'aujourd'hui, on croit encore, la société croit encore que la justice aide ceux qu'elle condamne à devenir meilleurs ?
02:48 Il faut le croire, en tout cas, nous n'avons pas le choix.
02:51 Et c'était en effet l'intime conviction de Robert Bannater, la présidente de l'Assemblée nationale, Victor Hugo,
02:58 qui a été pour Robert Bannater une très grande figure. C'était un écrivain qu'il aimait, il m'en a parlé.
03:04 Il a d'ailleurs composé un opéra sur un roman de Victor Hugo.
03:10 Il disait d'ailleurs que Victor Hugo c'était le premier abolitionniste. C'était lui le premier abolitionniste.
03:14 Oui, oui, et quand il a... Je sais que lorsque l'abolition de la peine de mort a été adoptée par le Sénat,
03:20 et par l'Assemblée nationale, mais aussi par le Sénat, il a regagné le fauteuil que Victor Hugo occupait au Sénat.
03:27 Il ne faut pas oublier que dans l'œuvre de Victor Hugo, il y a une foi dans l'homme, même dans les misérables,
03:34 l'idée que tout passe par l'éducation, et je crois que c'était la conviction profonde aussi de Robert Bannater.
03:39 Maître Henri Leclercq, vous connaissez aussi autre grand avocat pénaliste, disait hier, à propos de sa dernière conversation avec Robert Bannater,
03:45 "Nous n'avons parlé que d'une chose, la surpopulation pénitentiaire et l'horreur des prisons."
03:50 Vous entendez ce qu'on dit des prisons ? Ce sont des centres de formation pour délinquants.
03:54 On rentre délinquant, on sort radicalisé. Comment devenir meilleur, pour revenir encore à Victor Hugo, quand on passe par les prisons françaises aujourd'hui ?
04:01 Dans la situation des prisons françaises actuelles, il est difficile de devenir meilleur.
04:06 C'est en effet, il faut s'imaginer qu'une prison aujourd'hui, c'est une cellule surpeuplée, avec des gens qui ont des matelas par terre
04:14 parce qu'on n'a pas assez de lits, qui ne peuvent sortir qu'une heure sur 24 heures de promenade, qui peuvent prendre une douche de temps en temps.
04:23 Ce n'est pas comme ça qu'on va convaincre ces personnes.
04:26 Est-ce que la France doit avoir honte de ces prisons ?
04:28 La France doit être très préoccupée de ces prisons. En effet, beaucoup l'ont dit, pas seulement Robert Bannater, la Cour européenne des droits de l'homme aussi l'a dit.
04:35 Est-ce que vous pensez qu'il a sa place au Panthéon, Robert Bannater ? Emmanuel Macron va sans doute annoncer qu'il le souhaite, en tant que chef de l'État.
04:41 Est-ce qu'il a sa place au Panthéon ?
04:43 Il a évidemment sa place au Panthéon. Le Panthéon, c'est vraiment là que doivent être les hommes des Lumières, ou les femmes des Lumières.
04:50 Robert Bannater est par essence un homme des Lumières, donc en effet, il a sa place au Panthéon.
04:56 Dans une époque qui a tendance à douter de tout, à tout remettre en question, est-ce que vous craignez que même l'abolition de la peine de mort puisse être remise en cause aujourd'hui ?
05:05 La Croix, dans son édition du jour, parle d'un sondage où une majorité de Français est favorable au retour de la peine de mort.
05:12 Oui, il est certain que la peine de mort n'a jamais emporté l'adhésion de la majorité des Français.
05:17 Donc il faut saluer le courage, non seulement de Robert Bannater, mais je dirais aussi du candidat de l'époque qui était François Mitterrand,
05:23 d'annoncer l'abolition de la peine de mort, sachant qu'une majorité de Français était contre.
05:29 Aujourd'hui, il y a des instruments juridiques qui font que ce serait beaucoup plus difficile de revenir sur cette abolition,
05:36 dans la mesure où, grâce à Robert Bannater d'ailleurs, c'est inscrit maintenant, la France a aussi adhéré à un protocole à la Convention de la peine de droit,
05:42 l'homme qui interdit la peine de mort. Ce serait aussi se mettre de façon totalement isolée par rapport à l'ensemble des pays européens.
05:49 Donc ça ne vous paraît pas réaliste ?
05:51 Ça me paraît difficile quand même, j'espère que c'est très difficile.
05:54 Dans la même logique, l'homme de droit que vous êtes, pense-t-il qu'il faut inscrire le droit à l'IVG dans la Constitution ?
05:59 C'est une question peut-être plus difficile. Robert Bannater, enfin là, ça ne revient pas forcément sur Robert Bannater,
06:06 mais la question de l'inscription de l'IVG dans la Constitution est une question compliquée.
06:11 L'avantage évidemment de l'inscrire dans la Constitution, c'est que c'est beaucoup plus difficile de revenir dessus ensuite.
06:17 On peut toujours revenir, parce qu'on peut quand même toujours modifier la Constitution.
06:20 D'autant on n'a pas envie de revenir sur le droit à l'IVG.
06:22 Voilà, on n'a pas envie, donc c'est la position du Président du Sénat, dire de toute façon l'IVG n'est pas menacée,
06:27 donc est-ce qu'il est utile de l'inscrire dans la Constitution ? Il faut savoir aussi ce qu'on met dans une Constitution.
06:32 Est-ce que ce sont des règles ou est-ce que ce sont des principes comme le droit à l'IVG ?
06:37 Voilà, c'est une question qui n'est pas pour moi évidente.
06:40 Monsieur le Premier Président de la Cour de cassation, dans votre discours d'introduction il y a quelques mois,
06:43 vous aviez mis l'accent sur la défiance accrue envers les institutions et la crise de confiance à l'égard de la justice.
06:49 Qu'est-ce qui ne va pas aujourd'hui entre la justice française et les citoyens ? Qu'est-ce qui cloche ?
06:53 Les citoyens se plaignent souvent à juste titre de la justice parce qu'ils la trouvent lente.
07:00 Elle est lente. Trop lente par rapport à l'époque ?
07:03 Elle est trop lente. Ça ne s'est pas forcément détérioré, mais de fait elle est trop lente.
07:08 Le ministre de la Justice actuel et le président de la République ont raison de fixer comme objectif une diminution des délais
07:18 et ont eu raison de prévoir des moyens très importants en ce sens parce que cette lenteur vient quand même beaucoup aussi
07:24 de ce que les moyens sont insuffisants. Il n'y a pas assez de magistrats, mais ce n'est pas seulement les magistrats.
07:28 Le système informatique n'est pas à la hauteur.
07:31 Tantôt le budget augmente chaque année depuis des années.
07:33 Oui, il augmente chaque année récemment. C'est-à-dire que là il y a eu une augmentation très importante.
07:37 Vous avez raison, il faut vraiment s'en féliciter. Cette augmentation ne peut pas produire d'effet immédiat.
07:42 Il faut 31 mois pour former un magistrat. Il faut recruter aussi des personnes qui vont travailler avec les magistrats.
07:48 Il faut améliorer le système informatique. Tout ça ne se fait pas non plus en 15 jours.
07:52 Et puis il y a le conflit entre le temps judiciaire et le temps médiatique.
07:55 Aujourd'hui les procès se font dans les médias et sur les plateaux télé avant de se faire dans les prétoires.
07:58 La présomption d'innocence semble souvent devenue une présomption de culpabilité. Qu'est-ce que ça vous inspire ?
08:04 Est-ce que ça vous inquiète ? Est-ce que c'est dangereux pour la démocratie ?
08:07 Oui, parce que la présomption d'innocence doit rester un principe fondamental de notre droit, évidemment.
08:12 Mais là il y a forcément un temps très différent entre le temps des médias et le temps de la justice.
08:19 La justice prend son temps parce qu'elle agit selon des procédures qui sont respectueuses des droits de la défense,
08:26 qui sont respectueuses du contradictoire. Le juge c'est quelqu'un qui prend le temps de la réflexion avant de décider.
08:32 Et ça c'est un petit peu le contraire des réseaux sociaux, si vous voulez. Donc évidemment il y a un décalage.
08:37 Il y a du temps, il faut accepter qu'il y ait du temps. Dernière question.
08:39 Il paraît que vous êtes ceinture noire de judo, monsieur le Premier Président.
08:41 Est-ce que c'est pour pallier au manquement de la justice le cas échéant ou pas du tout ?
08:45 Non, je crois que c'est sans rapport. Le judo m'a beaucoup apporté, mais c'est très indirect quand même.
08:49 Merci beaucoup d'être venu dans les 4V pour évoquer Robert Bannater et bonne journée à vous. Merci.