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00:00 Il est 7h45, les perfusionnistes, une profession méconnue jusque dans les rangs des professionnels
00:06 de santé.
00:07 Elle est pourtant essentielle en chirurgie cardiaque, mais les vocations sont rares et
00:10 la profession manque cruellement de bras.
00:12 Nous en parlons ce matin avec Nicolas Rougier, il est perfusionniste au CHU de Bordeaux
00:16 et il répond à vos questions.
00:17 Marie Rouarch.
00:18 Bonjour Nicolas Rougier.
00:19 Bonjour.
00:20 On va commencer par un peu de pédagogie.
00:21 Qu'est-ce que c'est concrètement qu'un perfusionniste ?
00:24 Alors un perfusionniste pour le comprendre, c'est bien de le remettre dans son contexte.
00:27 Aujourd'hui en France, si on veut se faire opérer du cœur, le chirurgien a besoin d'avoir
00:31 le cœur qui est arrêté pour pouvoir réparer la partie du cœur qui est malade.
00:34 Donc si on fait ça, il faut assurer les fonctions vitales du patient et pour ça on met en place
00:39 une circulation extra-corporelle.
00:40 Le boulot du perfusionniste, c'est de gérer cette circulation extra-corporelle.
00:44 Donc on a en charge les fonctions vitales du patient pendant que le chirurgien fait
00:48 l'intervention.
00:49 Un rôle clé donc pendant ces chirurgies cardiaques.
00:52 Oui, c'est un métier qui est technique et sans nous, il n'y a pas de chirurgie cardiaque.
00:56 Alors le "nous", qui c'est ce "nous" ? Quelle profession ? Vous êtes infirmier pour la plupart,
01:00 c'est bien ça ?
01:01 Oui, on a un petit peu plus de 60% en France d'infirmiers.
01:04 On est 300 perfusionnistes.
01:07 Après, la plus grosse majorité sont infirmiers anesthésistes.
01:10 Un petit pourcentage d'infirmiers de bloc opératoire et on a également des médecins
01:13 qui sont anesthésistes réanimateurs, cardiologues.
01:15 Comment est-ce qu'on explique qu'aujourd'hui il y a 300 professionnels ? En France, 50
01:19 postes vacants, c'est énorme.
01:21 Pourquoi cette désaffection pour cette profession ?
01:23 Comme beaucoup de métiers dans le milieu de la santé, le Covid a beaucoup changé
01:28 de choses.
01:29 Cet métier a beaucoup de responsabilités qui est très attractif intellectuellement,
01:33 techniquement, mais le problème c'est le manque de reconnaissance.
01:35 Historiquement, on n'a pas eu trop de problèmes à recruter des perfusionnistes.
01:39 Aujourd'hui, c'est complètement différent.
01:41 Beaucoup quittent le métier et la jeune génération, on leur demande d'avoir tant
01:45 de responsabilités, de faire un diplôme avec deux ans supplémentaires, mais il n'y
01:49 a pas de revalorisation derrière, donc ça ne les intéresse pas.
01:52 Sachant que ce diplôme, pour l'instant, c'est un Master 2 qui existe à la Sorbonne,
01:56 je crois qu'il n'est pas officiellement reconnu, pas obligatoire en tout cas.
01:58 Il n'est pas obligatoire parce qu'il faut que le ministère de la Santé le reconnaisse.
02:02 Côté enseignement, c'est fait, le diplôme existe, il est validé, mais aujourd'hui
02:07 le ministère de la Santé ne reconnaît pas le métier.
02:10 On a eu deux rendez-vous avec eux.
02:12 Le premier, on a eu la crise Covid derrière, donc c'est passé aux oubliettes.
02:16 Et on a eu un deuxième rendez-vous où on a clairement dit qu'on cochait toutes les
02:19 cases pour créer ce nouveau métier.
02:21 Depuis, pas de contact.
02:23 Et c'est ça qu'on réclame, avoir la porte ouverte au ministère de la Santé.
02:27 Du coup, ça donnerait un même statut à toutes les personnes qui exercent ce métier
02:31 de perfusionniste ? Vous l'avez dit, ce sont des infirmiers, mais pas uniquement ?
02:33 Oui, chaque personne est payée.
02:37 Moi, je suis infirmier, je suis payé en tant qu'infirmier avec une grille de salaire
02:40 de la fonction publique.
02:41 Mes collègues qui sont infirmiers anesthésistes ont un salaire différent et les autres, pareil.
02:46 Donc, ce diplôme permettrait d'unifier complètement les choses et permettrait surtout de...
02:51 de recruter.
02:52 On a demandé à nos auditeurs ce matin si cette désaffection pour les métiers de la
02:56 santé en général les inquiète pour la qualité des soins.
02:59 Et voilà ce qu'a répondu Stéphane.
03:00 Ça ne rassure pas, non, c'est sûr.
03:01 Ça inquiète.
03:02 On entend de plus en plus d'histoires qui disent que les gens attendent des heures à
03:06 l'hôpital, les urgences sont fermées, à Bordeaux notamment.
03:08 Il y a des gens qui sont en galère, qui tiennent à l'hôpital et qui, peut-être, ont un manque
03:13 de reconnaissance.
03:14 Donc, c'est pas rassurant.
03:15 Vous le disiez, il y a depuis le Covid essentiellement ce problème de recrutement.
03:18 Quelles conséquences ça a sur la qualité des soins dans les hôpitaux ?
03:22 Alors, il faut aussi se dire que les perfusionnistes, la moyenne d'âge, elle est de 5 ans en 2
03:27 ans.
03:28 Donc, la population est plutôt âgée, il va y avoir un gros départ à la retraite
03:30 dans quelques années.
03:31 Factuellement, les conséquences, c'est pas moi qui l'ai dit, c'est le chef de chirurgie
03:36 cardiaque de l'hôpital Necker, donc la partie pédiatrique à Paris, qui sont en manque
03:42 de perfusionnistes.
03:43 Et il y a quelques semaines, il a fait une tribune dans Le Monde où il alerte sur des
03:47 décès de patients qu'il a eus parce que sans perfusionnistes, on déprogramme les
03:51 interventions, on les repousse, les patients s'aggravent et on finit par avoir des décès.
03:55 Donc ça, c'est une complication concrète de ce manque de reconnaissance.
03:59 C'est-à-dire que des enfants sont décédés parce qu'on a repoussé leur chirurgie cardiaque.
04:03 Exactement, oui.
04:04 Parce que pas de perfusionnistes, pas de chirurgie cardiaque.
04:07 Non, aujourd'hui, n'importe quelle chirurgie cardiaque pourra vous le dire.
04:09 Et de manière générale, le ministère de la Santé nous a demandé d'avoir l'appui
04:14 des médecins.
04:15 La Société française de chirurgie cardiaque et la Société française d'anesthésie
04:20 et réanimation nous soutiennent, ont signé une lettre qui a été faite par notre Société
04:26 savante pour alerter le ministère de la Santé de ce manque de reconnaissance.
04:30 On est le seul pays en Europe où les perfusionnistes ne sont pas reconnus.
04:33 Donc il est temps que ça change.
04:34 Comment on pallie cette pénurie de perfusionnistes aujourd'hui en France ?
04:38 Moi, c'est mon avis personnel, il faut attirer la nouvelle génération.
04:41 Et les nouvelles générations, leur demander de faire deux ans supplémentaires sans gagner
04:47 le moins de sentiments plus, ça ne les intéresse pas.
04:49 Vous devenez infirmier anesthésiste, vous faites deux ans d'études supplémentaires,
04:53 votre gride salaire change.
04:55 Infirmier de bloc opératoire, c'est pareil.
04:57 Puricultrice, c'est pareil.
04:58 Il faut que perfusionnistes, ça soit exactement la même chose.
05:01 Sans ça, on n'attira pas la nouvelle génération.
05:02 Et la moyenne d'âge des perfusionnistes en France, elle est factuelle, elle est élevée.
05:05 Est-ce qu'on lui en parle, cette nouvelle génération, de ce métier de perfusionniste
05:09 à l'école, dans les IFSI, partout en France ?
05:11 Non, pas du tout.
05:12 C'est un métier qui est assez… pas secret, mais dont on parle très peu.
05:16 Je pense que beaucoup d'infirmiers, s'il y en a qui m'écoutent, ne connaissent pas
05:18 mon métier.
05:19 Donc, c'est pour ça qu'on essaye de communiquer un peu.
05:21 C'est pour ça que je suis ici ce matin avec vous.
05:23 On essaye sur les réseaux sociaux aussi de faire découvrir notre métier et de le rendre
05:27 attractif.
05:28 Alors justement, qu'est-ce qui peut attirer un jeune étudiant infirmier aujourd'hui
05:31 pour devenir perfusionniste ? Vous disiez que c'était un métier technique, intéressant
05:34 à ce niveau-là notamment ?
05:35 Oui, c'est un métier qui est très technique.
05:36 J'ai commencé en réanimation ma carrière, je suis devenu perfusionniste par la suite.
05:39 Le gap technique, il est monté, on a beaucoup de responsabilités.
05:43 C'est très intéressant pour un infirmier d'être autant à l'écoute d'un chirurgien
05:47 ou d'un anesthésiste réanimateur.
05:48 Donc ça, c'est très attractif.
05:50 Beaucoup de responsabilités, mais aussi malheureusement beaucoup de fatigue.
05:53 On a beaucoup d'astreintes dans tous les hôpitaux français où il y a de la chirurgie
05:57 cardiaque.
05:58 Tout ça fatigue.
05:59 Donc oui, c'est attirant intellectuellement, mais aussi fatigant.
06:04 Ce manque de connaissances, malheureusement, je me répète, mais on ne va pas attirer
06:07 une nouvelle génération avec ça maintenant.
06:08 Ce qui est assez terrible, c'est qu'en attendant que de nouveaux perfusionnistes formés en
06:12 France arrivent, on fait appel à des perfusionnistes de pays voisins pour continuer à faire de
06:17 la chirurgie cardiaque dans certains établissements.
06:18 Oui, exactement.
06:19 Je prends l'exemple de l'hôpital de Rennes où il y a une partie de l'équipe qui sont
06:23 des perfusionnistes italiens qui viennent travailler en France, qui ont des statuts
06:27 qui sont complètement différents.
06:28 Donc ça peut être malheureusement un peu conflictuel parfois.
06:30 Et donc l'hôpital Necker, eux, ont fait appel à la société de perfusionnistes belges.
06:35 Donc ils sont venus plusieurs jours au travailler avec leurs conditions à eux, malheureusement.
06:40 Donc ça a un coût pour l'hôpital français et pour le ministère de la Santé.
06:45 C'est dommageable.
06:46 On pourrait reconnaître les Français plutôt que faire venir les étrangers, tout simplement.
06:50 Est-ce que le CHU de Bordeaux est concerné par cette pénurie ?
06:52 Alors, on risque parce qu'on a une de nos collègues qui arrête.
06:57 Elle aura le bol, la fatigue, elle veut changer de voie.
07:00 C'est intéressant comme elle dit, mais elle en a tout simplement marre.
07:03 Donc oui, on va être confronté à ça parce que je ferai demander aux personnes qui font
07:09 le recrutement, mais je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de CV sur la table.
07:12 Merci beaucoup Nicolas Rougier d'être venu ce matin nous parler de cette situation des
07:16 perfusionnistes et donc de cette demande de reconnaissance de votre profession.
07:20 Merci beaucoup à vous, bonne journée.