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Dimitri Minic, chercheur au Centre Russie/Eurasie de l’Institut français des relations internationales, fait le point sur la possibilité d’une guerre ouverte entre la Russie et l’OTAN dans les années à venir

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Transcription
00:00 Personne ne sera prêt en Europe à un tel choc,
00:02 à la fois parmi la population, mais même les élites politiques,
00:04 alors que les élites politiques ont eu le temps de s'y préparer.
00:07 C'est vrai que récemment, la Suède,
00:15 mais pas que la Suède en fait,
00:16 ça fait maintenant un certain temps que la Pologne aussi,
00:19 certains des pays baltes et d'autres pays,
00:22 là encore récemment la Roumanie,
00:24 et puis l'Allemagne en fait,
00:26 alertent sur la possibilité d'une guerre ouverte,
00:29 une lutte armée directe en fait,
00:31 entre la Russie et l'OTAN.
00:32 Et la question c'est, évidemment,
00:36 est-ce que la Russie franchirait ce pas ou non ?
00:38 Quand on observe les scénarios qui ont été produits
00:41 par l'armée allemande,
00:42 je pense que déjà il faut avoir à l'esprit
00:43 que toutes les armées font des scénarios,
00:46 si vous voulez,
00:47 que tous les scénarios produits
00:48 ne sont pas considérés comme absolument probables.
00:51 L'intérêt c'est d'évacuer les différentes,
00:54 et d'évaluer les différentes possibilités
00:57 de l'évolution de la situation.
00:59 C'est vrai que le scénario présenté
01:01 et fait, produit par l'armée allemande,
01:02 il est à mon avis assez improbable.
01:04 Malgré tout, il y a des éléments intéressants
01:07 dans le scénario élaboré par l'Allemagne,
01:09 une invasion, en tout cas une agression directe
01:12 à militaires russes contre les pays baltes,
01:15 contre l'OTAN donc.
01:16 D'abord, il y a la forme de cette invasion
01:18 qui en prend en compte la façon dont les Russes,
01:20 dont l'armée russe post-soviétique,
01:21 non seulement a imaginé la guerre,
01:23 mais l'a fait.
01:24 D'abord en posant une période initiale de la guerre
01:27 qui serait une période de confrontation indirecte,
01:29 plus ou moins longue, contre les pays baltes,
01:31 en utilisant les minorités russophones,
01:34 en menant des cyberattaques,
01:36 en menant des attaques psychologiques
01:38 ou informationnelles,
01:38 en menant une stratégie de subversion des élites
01:41 et de subversion de ces pays,
01:43 avant de lancer une attaque qui serait précédée
01:45 par ailleurs par une phase de dissuasion stratégique,
01:47 d'intimidation, avec le regroupement
01:50 et le déploiement de nombreux soldats russes
01:52 aux frontières des états baltes.
01:53 Si vous voulez, ces dimensions
01:56 peuvent être séduisantes sur la façon russe de procéder.
01:59 Ça paraît quand même assez improbable.
02:01 D'abord parce que le scénario évoqué
02:04 part du principe que l'armée russe
02:05 réussirait à battre l'armée ukrainienne
02:08 dans les 4 à 5 mois ou 6 mois à venir,
02:10 ce qui est quand même assez improbable.
02:12 L'Ukraine a encore de la réserve.
02:13 Et au fond, même si sur le temps long,
02:16 la Russie a des avantages que l'Ukraine n'a pas,
02:18 et peut-être des alliés qui seront amenés
02:20 à soutenir la Russie de façon plus déterminée,
02:23 plus intense et sur une longue durée,
02:25 que ceux de l'Ukraine.
02:26 Pour autant, est-ce qu'il faut exclure
02:28 un scénario de guerre entre la Russie et l'OTAN ?
02:32 Je crois pas.
02:32 Je crois qu'il ne faut absolument pas exclure
02:34 un scénario de guerre entre la Russie et l'OTAN.
02:35 Simplement, il faut le considérer avec mesure.
02:38 Il faut que notre imagination soit tempérée par notre raison.
02:41 Personne ne sera prêt en Europe à un tel choc,
02:48 à la fois parmi la population,
02:49 mais même les élites politiques.
02:50 Alors que les élites politiques ont eu le temps de s'y préparer,
02:53 mais tous leurs investissements pour l'Ukraine,
02:55 jusque maintenant,
02:55 montrent que les élites européennes
02:58 cherchent à éviter la guerre, ce qui est très bien,
03:01 mais elles se croient à distance de la guerre.
03:03 Je pense qu'elles n'ont pas très bien compris
03:04 ce qui se passait en Ukraine,
03:06 et au-delà de l'Ukraine,
03:07 ce que l'Ukraine avait non pas déclenché en soi,
03:10 mais ce qu'elle avait accéléré.
03:11 Et au fond, je crois que si les élites européennes
03:15 ne se mettent pas au diapason,
03:16 c'est-à-dire si elles ne comprennent pas que la guerre
03:18 n'est plus qu'une possibilité théorique et lointaine,
03:23 mais une possibilité concrète,
03:24 même si pour l'instant assez improbable,
03:26 mais concrète et possible,
03:28 eh bien elle sera dépassée.
03:30 Et au-delà, en fait,
03:31 ce serait un scénario qui ne se serait pas produit
03:33 depuis 80 ans en Europe,
03:36 c'est-à-dire des puissances occidentales, européennes,
03:38 attaquées par une puissance impériale et expansionniste.
03:41 Toute une alliance d'ailleurs qui serait mise à mal,
03:44 mise en grande difficulté avec des États-Unis de plus en plus,
03:47 alors je ne sais pas si on pourrait dire
03:48 que les États-Unis sont de plus en plus isolationnistes,
03:50 mais en tout cas qui ont de moins en moins envie
03:52 de s'impliquer pour la défense de l'Europe.
03:57 Donc ça pose quand même de grandes questions
03:59 et de grands défis à l'Europe en tant qu'entité politique
04:03 et stratégique en devenir.
04:04 Il est toujours possible,
04:05 entre maintenant où on parle et quelques années,
04:08 de prendre des mesures adéquates
04:09 sur les plans industriels, organisationnels,
04:12 y compris informationnels d'ailleurs,
04:13 techniques, morales,
04:15 et aussi d'adapter la posture dissuasive de l'OTAN,
04:18 parce que l'attaque à grande échelle,
04:20 l'invasion à grande échelle de l'Ukraine le 24 février 2022,
04:24 c'est aussi dû à une faille de la posture dissuasive occidentale,
04:28 dans le sens où cette posture est essentiellement réactive
04:31 et cherche à éviter un conflit,
04:35 et cherche à éviter la guerre en tant que telle,
04:38 en tout cas pour ce qui la concerne,
04:40 ce qui est très bien, c'est à ça que sert la dissuasion,
04:42 mais parfois elle a été trop réactive.
04:44 Quand vous entendez Biden, le président américain,
04:46 expliquer que les États-Unis n'interviendront pas en Ukraine,
04:50 quoi qu'il se passe,
04:50 c'est quand même problématique du point de vue de la posture dissuasive américaine.
04:54 Et ça, ça devra être changé,
04:57 quitte à prendre une posture plus proactive,
05:00 et peut-être moins prévisible.
05:01 D'abord, des facteurs matriciels, je dirais,
05:08 présents depuis longtemps chez les élites politico-militaires russes,
05:10 et qui font craindre une telle guerre entre la Russie et l'OTAN.
05:14 Le premier point, c'est une perception traditionnelle,
05:17 et traditionnellement et radicalement hostile de l'Occident en Russie,
05:20 parmi les élites politiques et militaires russes.
05:23 L'Occident y est perçu comme une entité monolithique,
05:25 une entité hostile,
05:27 qui souhaite la mort de la Russie,
05:28 qui serait, si vous voulez, en lutte à mort historique contre la Russie.
05:33 C'est une donnée importante, cette perception.
05:35 Mais par ailleurs, et paradoxalement,
05:37 et c'est toujours cette tension chez eux qui est importante,
05:40 et qui explique beaucoup de leurs actions
05:43 qui nous paraissent un peu incompréhensibles et déstabilisantes,
05:45 c'est aussi leur perception d'un Occident passif,
05:48 hédoniste, faible, pacifique,
05:50 d'un Occident relégué à l'État, si vous voulez,
05:53 de créatures à soumettre, et à soumettre facilement,
05:56 et en même temps, une sorte d'entité qui ne représente
05:59 une menace que par la décadence.
06:02 Cette menace serait réduite à cette décadence
06:04 qui pourrait s'infiltrer en Russie,
06:06 et contaminer la société russe et les élites russes.
06:09 Et puis, il y a une volonté qui découle de ces perceptions aussi, en partie,
06:14 c'est la volonté de chasser les États-Unis d'Europe.
06:16 Pour les Russes, pour les élites politico-militaires russes,
06:18 c'est une anomalie de l'histoire, en vérité.
06:22 Les États-Unis n'ont rien à faire en Europe.
06:24 Je rappelle les mots importants de Yeltsin à...
06:27 De Yeltsin, on ne parle même pas de Poutine,
06:28 de Yeltsin à Clinton en 1999 au sommet d'Istanbul.
06:31 "Donnez-nous l'Europe, donnez-nous l'Europe,
06:33 vous, vous prenez le reste du monde,
06:35 nous, on a l'Europe, c'est très bien."
06:36 Clinton lui répondait à l'époque,
06:38 "Mais je ne suis pas sûr que les Européens apprécieraient."
06:40 Je crois qu'il avait raison et je crois qu'il a encore raison.
06:42 Il y a aussi cette volonté en Russie,
06:45 cette idée, cette volonté impérialiste en Europe.
06:48 Les élites politico-militaires russes pensent avoir des droits sur l'Europe,
06:51 évidemment, Yalta, pour eux, a confirmé ces droits.
06:54 La Russie est montée en puissance dans son histoire
06:57 et est entrée sur la scène européenne assez tardivement, en fait,
07:00 par rapport à ce qui existait à l'époque, aux puissances existantes,
07:05 mais a vite eu des dessins expansionnistes
07:09 et a voulu se faire accepter comme une grande puissance.
07:12 La Russie se voit à la fois comme un protecteur
07:14 et comme une puissance qui assainira une Europe décadente, il y a cette idée.
07:19 La Russie garde les yeux rivés sur l'Europe,
07:21 même si elle a été contrainte de faire le pivot vers l'Est,
07:24 un pivot qui lui est largement défavorable
07:26 et qui ne servait à rien d'autre, pendant très longtemps en tout cas,
07:28 qu'à faire chanter les Européens,
07:30 chanter les Européens et les Américains.
07:32 La Chine est une douée de sauvetage et ce n'était évidemment pas prévu ainsi.
07:35 [Musique]

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