L'ex-mannequin Farida Khelfa raconte son enfance marquée par l'inceste et la violence

  • il y a 6 mois
La figure de la mode et réalisatrice, Farida Khelfa, était l'invitée de BFMTV ce samedi soir.
Transcript
00:00 Bonsoir Farid Akelf. Bonsoir. Merci d'être avec nous, on est ravis de vous recevoir dans Week-end 3D. Vous êtes réalisatrice, productrice,
00:05 figure de la mode évidemment. Vous publiez "Une enfance française"
00:09 chez Albain Michel, vous y décrivez le huis clos familial
00:14 ultra violent dans lequel vous avez grandi et dont vous vous êtes sorti,
00:18 libéré, ce sont les deux facettes de votre livre, de votre vie et de votre personnalité aussi d'une certaine manière.
00:24 Page 238, vous écrivez "Ce qui se passait à la maison devait rester à la maison, l'habitude de ne pas dire mais rester,
00:30 mes tourments, mes peines, surtout je les garde secrets pour mieux les surmonter
00:34 seuls". Mais alors pourquoi aujourd'hui les rendre public à travers ce livre ?
00:38 Mais en fait c'était pas mon projet de rendre tout ça public, c'est venu presque naturellement, d'un seul coup j'ai,
00:45 au décès de ma mère, mes souvenirs d'enfance sont revenus et je me suis dit qu'il fallait
00:51 parler de ça mais je ne projetais pas du tout de faire un livre, le livre c'est bien plus tard que je
00:56 me suis rendu compte qu'en fait j'écrivais un livre,
00:59 mais c'était pas mon projet, c'était simplement d'écrire, de coucher sur papier mes souvenirs et
01:04 aussi la dernière année de vie de ma mère qui m'a raconté son enfance en Algérie et tout ça, donc pour moi
01:10 tout ça était important.
01:12 Mais c'est aussi un reflet de la cité de l'époque, de la Zup, de la vie, à l'intérieur des manguettes à Vénissieux et
01:20 aussi
01:22 Malgré une enfance comme ça, on peut décider de sa vie, on peut changer sa vie,
01:28 on ne doit pas rester une victime toute sa vie, les choses arrivent...
01:33 On a l'impression que vous n'aimez pas d'ailleurs,
01:35 vous concernant,
01:37 le terme de victime, vous diriez qu'il ne vous définit en rien ?
01:42 Il ne me définit en rien du tout, je ne suis absolument pas une victime, je suis quelqu'un qui a pris ma vie en main,
01:48 en
01:50 bras le corps, qui a décidé de changer
01:53 de parcours,
01:56 tout ça n'était pas programmé, j'ai improvisé en réalité, mais vraiment le mot victime quand j'étais enfant était une insulte et j'ai
02:04 vraiment profondément gardé ça en moi et je pense que
02:08 si on se définit comme victime, on donne
02:16 raison à l'agresseur quelque part, donc il faut faire
02:20 de ce qui nous est arrivé une victoire pour soi-même, faire quelque chose de plus grand et
02:28 en sortir grandit.
02:31 Je voyais bien le piège de la victimisation, ma mère en avait fait son emblème, je ne voulais pas être cette femme-là, martyr était
02:37 l'insulte suprême dans mon enfance, ça vient de là, votre refus absolu.
02:43 Parce qu'il y avait aussi chez ma mère cette position de
02:50 victime face à mon père qui était ultra violent, avec elle aussi, ce qui pour nous était
02:56 terrifiant, beaucoup plus terrifiant que quand il était violent avec nous, quand les adultes sont
03:01 la violence contre les femmes, c'est terrible, ça fait très peur aux enfants.
03:08 J'ai perçu chez elle cette
03:12 position de
03:15 victime et de finalement dire "je suis une mère sacrificielle,
03:21 je ne peux rien faire, je suis victime de mon mari".
03:26 - De victime, elle est passée au statut de bourreau ?
03:30 - Je ne dirais pas, en tout cas, de quelqu'un qui n'a pas protégé ses enfants.
03:35 - D'une certaine manière, elle vous a fait du tort ?
03:38 - Je crois qu'elle n'en était pas capable.
03:44 Vous savez, souvent les gens violents et les victimes de violences aussi,
03:48 enfin les adultes, je parle de ça, sont des gens qui sont restés
03:52 dans l'enfance, c'est-à-dire des gens qui ne sont pas devenus adultes,
03:58 sont des gens qui mourraient de faim en Algérie, mes parents, qui ont fait le long chemin de l'immigration,
04:05 qui ont traversé la Méditerranée, qui sont venus en France, qui ont eu à nouveau faim,
04:10 ils ont eu une vie très difficile.
04:12 Et quand on a cette vie-là, on n'a pas de place pour l'amour.
04:15 - Vous l'avez compris ?
04:17 - Très tôt, j'ai compris que d'une part ma mère ne me protégerait pas,
04:23 mon père non plus parce qu'il n'en était absolument pas capable,
04:26 et qu'en réalité je ne devais compter que sur moi-même.
04:31 - Sur vous et sur votre farouche volonté de vivre, qui vous a permis de survivre,
04:38 dotée d'une puissante force de vie, je survivais à la nuit,
04:42 vous parlez aussi de vitalité de l'enfance, vous qui avez été victime, pardon là c'est factuel,
04:48 d'un coup d'humiliation, d'inceste, de viol de la part de l'un de vos oncles,
04:53 j'ai longtemps pensé que les hommes n'aimaient que les petites filles,
04:56 qu'ils faisaient semblant d'aimer les femmes.
04:59 Quelle phrase terrible.
05:00 - C'est terrible mais je l'ai pensé longtemps,
05:02 j'étais sûre que les hommes n'aimaient que les enfants, que les petites filles,
05:06 et je le voyais comme ils nous regardaient, comme ils me regardaient,
05:09 qu'il y avait quelque chose, même s'ils étaient avec des femmes,
05:11 et je trouvais ça très bizarre, j'ai mis longtemps à comprendre que non,
05:15 tous les hommes n'étaient pas comme ça, et que voilà c'était...
05:19 Mais c'est quelque chose qui a fait partie de ma vie,
05:30 qui m'a d'une certaine manière construite,
05:33 et je vais dire quelque chose d'assez énorme,
05:36 mais que si je n'avais probablement pas eu cette enfance-là,
05:39 peut-être que je n'aurais pas la vie que j'ai aujourd'hui en fait,
05:41 c'est quelque chose de paradoxal mais c'est vrai aussi.
05:44 - Ça vous a constitué ?
05:45 - Voilà, ça a fait en sorte que moi,
05:47 qui ai toujours eu l'impression que j'étais vraiment une louseuse,
05:51 vraiment, qui étais vraiment une pauvre fille qui n'avait aucune force,
05:55 dans le fond, non, j'ai réussi à surmonter tout ça.
05:59 - Et c'est ce qui transparaît très bien dans votre livre,
06:01 l'obscurité bien sûr, mais aussi la lumière,
06:05 votre arrivée à Paris, en provenance de Vénitieux, de la cité des Minguettes.
06:11 Juste une question quand même autour de l'actualité, si je puis dire,
06:13 vous avez sans doute entendu parler de la civile,
06:15 de cette commission indépendante sur l'inceste
06:17 et sur les violences faites aux enfants,
06:20 de ces remous et de questionnements autour de l'avenir
06:22 en péril de cette structure.
06:25 Est-ce qu'on regarde votre expérience,
06:27 l'engagement, quel qu'en soit la forme,
06:29 peut-être naturel pour vous sur ces questions ?
06:34 - Je ne sais pas si moi je peux m'engager sur les questions…
06:36 - Sur les violences faites aux femmes aussi, c'est au cœur de l'actualité ?
06:39 - Moi, je racontais une histoire, j'ai raconté mon histoire.
06:45 C'est quelque chose de très personnel.
06:48 Si ça peut aider des gens, je serais ravie.
06:51 Je reçois beaucoup de messages de femmes qui me disent
06:54 que ça les a beaucoup éclairées sur elles-mêmes, sur leur enfance,
06:59 et de tout milieu, et de toutes origines.
07:01 C'est ça qui est intéressant, et de tout âge.
07:04 J'ai des retours très intéressants et très touchants
07:09 de jeunes filles, de jeunes femmes,
07:14 de toutes origines et de tous milieux sociaux.
07:17 - Et vous, ça vous a fait du bien ce livre ?
07:19 - Quelque part, oui.
07:20 - Avec un tout petit peu de recul.
07:21 - Maintenant, oui.
07:22 Au début, j'étais très bousculée, on va dire,
07:24 mais là, maintenant, oui.
07:25 C'est comme… je ne sais pas, c'est quelque chose…
07:30 je ne sais pas si ça m'emprisonnait ou si je me suis libérée de quelque chose,
07:34 mais c'est vrai que depuis que ce livre est sorti,
07:37 j'ai quelque chose d'apaisé en moi.
07:43 Voilà, on va dire.
07:44 - Merci.
07:45 - Merci à vous.
07:46 - Marie D'Aquelpha d'avoir accepté notre invitation.
07:48 Je rappelle le titre de votre livre,
07:49 "Autobiographique. Une enfance française",
07:51 chez Albin Michel.

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