La réalisatrice et scénariste Audrey Diwan sera l'une des maîtresses de la cérémonie des César 2024. Elle est par ailleurs nommée avec Valérie Donzelli pour le César de la meilleure adaptation pour le film “L’amour et les forets”. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-22-fevrier-2024-2030472
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00:00 * Extrait de France Inter *
00:04 Il est 7h48, Sonia De Villers, votre invitée est autrice et cinéaste, Lyon dort à Venise
00:11 pour son film "L'événement" en 2021.
00:13 Et demain soir, elle co-présentera la cérémonie des Césars diffusée en clair et en exclusivité
00:18 sur Canal+ à partir de 20h45.
00:20 Avec elle, parlons de la place des femmes devant la caméra, les actrices et aussi derrière,
00:26 les réalisatrices.
00:27 En cette année si particulière, émaillée de scandales, des grands noms du cinéma
00:31 français Gérard Depardieu, Philippe Garel, Benoît Jacot, Jacques Doyon et Philippe
00:35 Cobert sont mis en cause ou attaqués en justice pour des faits de violences sexuelles.
00:39 La CGT Spectacles appelle d'ailleurs à manifester demain à l'extérieur de l'Olympia où
00:44 se déroulera la cérémonie, le slogan "Les violences, le silence, ça suffit".
00:48 Bonjour Audrey Diwan.
00:49 Bonjour.
00:50 Cette protestation, ce cri, est-ce qu'il doit se faire entendre aussi à l'intérieur
00:55 de l'Olympia ?
00:56 Cette parole a sa place dans la cérémonie des Césars ?
00:58 Oui, je pense qu'elle a sa place dans la cérémonie, oui.
01:01 Est-ce que Judith Gaudrech qui a déposé plainte à la brigade des mineurs pour des
01:05 viols et des violences commises sur elle quand elle était mineure par Benoît Jacot et Jacques
01:09 Doyon va s'exprimer demain soir ?
01:11 Écoutez, je n'en sais rien mais honnêtement je l'espère.
01:13 Vous l'espérez ? Pourquoi ?
01:15 Parce que le relais de cette parole est important, parce que je pense qu'on est une industrie
01:21 qui est en train de réfléchir sur ces questions-là, qui a besoin d'entendre.
01:25 Parce que la parole est à peu près la seule arme, la seule chose.
01:29 Arme, ça fait guerre, mais parce qu'on a besoin de mots, qu'on a besoin de s'écouter
01:33 et qu'on a besoin de réfléchir.
01:35 Est-ce que l'Académie des Césars a raison selon vous Audrey Diwan d'écarter de la
01:40 cérémonie toute personne mise en cause pour des faits de violence ?
01:44 C'est une règle qui avait été dictée l'année dernière, qui a été renforcée
01:48 cette année.
01:49 Mais moi j'adore qu'on se pose la question.
01:51 Est-ce que c'est une bonne idée d'écarter quelqu'un qui est mis en cause pour des
01:54 raisons de violence ? J'ai l'impression que la réponse est dans l'énoncé en fait.
01:57 C'est-à-dire ?
01:58 C'est limpide, oui en fait, la violence… Je vous pose la question à l'inverse.
02:03 Est-ce qu'on a envie d'intégrer quelqu'un qui est mis en cause pour des raisons de
02:07 violence ? Pour moi c'est évident en fait.
02:10 C'est évident qu'il faut le faire.
02:11 Marie Dozé et Julia Minkowski qui sont deux avocates pénalistes se sont indignées dans
02:15 la tribune dimanche et je les cite « Excommunier, bannir, isoler un présumé innocent dans
02:20 l'attente d'une décision de justice » revient à le préjuger.
02:24 Mais le problème c'est le choix des mots en fait.
02:26 C'est pas excommunier, bannir, c'est écarter le temps que la justice fasse son
02:29 travail en fait.
02:30 Je crois qu'en fait c'est laisser le temps à la justice de faire son travail.
02:34 Prenez quelqu'un qui est mis en cause, mettez-le au milieu de ces cérémonies publiques
02:38 et en fait il va être le catalyseur de questions.
02:40 Et ensuite on va dire c'est un tribunal médiatique.
02:43 Je pense que c'est l'inverse.
02:44 Donc quelque chose est en train de changer dans le cinéma français ?
02:47 Je crois oui.
02:48 Définitivement, à votre avis ?
02:50 Définitivement, ça c'est à bâtir.
02:51 Moi la question que je me pose toujours c'est qu'on voit des changements qui s'amorcent,
02:55 après il faut que ces changements s'ancrent.
02:57 C'est ça.
02:58 Parce qu'on peut parler, on peut voir ça comme un grand effondrement, on peut voir
03:02 ça comme un renouveau du cinéma français.
03:05 Le choix des mots.
03:06 Le choix des mots, c'est ça.
03:07 Le choix des mots, oui.
03:08 C'est ça.
03:09 C'est-à-dire l'OBS titre ce matin « Le cinéma d'après ».
03:11 Le cinéma d'après, c'est un choix de mots que j'aime bien.
03:16 Au moins trois tournages de films ont fait l'objet cette année d'enquêtes très
03:21 détaillées par la presse, révélant des maltraitances, des pressions, une forme d'omerta.
03:26 Ça signifie que les journalistes ne s'intéressent plus seulement aux grandes figures du 7e art,
03:31 qui catalyse comme vous dites les passions, les critiques, les défenses et tout ça,
03:35 mais au tournage.
03:36 C'est-à-dire au cinéma comme pratique, au cinéma comme lieu de travail.
03:40 Vous diriez, comme plusieurs réalisateurs, que ça peut être une dérive, que c'est
03:44 le règne de la suspicion, de la délation dans les équipes ?
03:47 Alors écoutez, je ne crois pas, mais je ne m'appuie que sur ma propre expérience.
03:50 Vous êtes réalisatrice.
03:51 Oui, c'est vrai que sur le plateau, j'ai l'impression qu'il y a des questions qui
03:56 se posent aujourd'hui, qui ne se posaient pas avant.
03:58 Je pense qu'il y a une attention des uns aux autres.
04:00 Je pense qu'il y a un rapport à toute l'équipe, à l'équipe technique, aux gens entre eux.
04:04 Alors si ça, c'est le début d'une dérive, elle est bien triste.
04:07 Parce que si faire attention aux autres, c'est le début d'une dérive, c'est que…
04:11 Non, j'ai l'impression que l'industrie se réforme.
04:14 Mais aussi, ce que vous disiez, que je trouve intéressant, c'est que vous parlez des
04:17 journalistes.
04:18 Et là où j'aurais tendance à croire qu'un monde d'après peut exister, c'est que
04:22 le changement systémique qui est en train de se produire n'est pas seulement un changement
04:25 de l'industrie, c'est un changement de l'industrie et de tous ses corollaires.
04:29 C'est-à-dire que même les journalistes aujourd'hui s'interrogent sur ces changements,
04:33 s'incluent dans cette réflexion.
04:34 Vous avez certainement vu la couverture de Télérama.
04:37 Et cette manière dont chacun repense un système me fait croire que peut-être on est en train
04:43 de dessiner ce monde d'après.
04:44 Télérama a titré sur le témoignage des très jeunes actrices qui racontent comment
04:47 elles ont été sous emprise ou comment elles ont été maltraitées, violentées, voire
04:51 violées, et titre « L'aveuglement collectif ». Et quand vous parlez d'une filière qui
04:55 s'interroge, il y a eu hier trois grands syndicats de producteurs du cinéma qui disent
05:00 qu'on ne peut pas laisser ça aux actrices en réalité.
05:02 C'est toute la filière qui doit se concerter et qui doit s'interroger.
05:07 Audrey Diwan, demain soir vous êtes nommée dans la catégorie « Meilleure adaptation
05:11 » avec Valérie Donzelli pour un très beau film qui s'intitule « L'amour et les
05:18 forêts » avec Virginie Effira.
05:21 En tant que scénariste, votre prochain film s'intitule « Pas de vague ». Vous l'avez
05:26 co-écrit avec un réalisateur qui s'appelle Teddy Lucie Modeste.
05:29 Le film sort le 27 mars.
05:31 Il raconte l'histoire d'un prof de français accusé à tort de harcèlement par une élève.
05:36 C'est formidable, je vous arrête tout de suite.
05:39 Non, ce n'est absolument pas ce que le film raconte.
05:42 C'est vrai ? Très bien, très bien.
05:43 Parlons-en parce que justement, moi j'ai vu passer ça sur les réseaux.
05:46 Le film s'appelle « Pas de vague ». Il commence à faire des vagues, il y a un début
05:49 de polémique, il y a des gens qui se sont emparés de ce qu'on appelle un « pitch »,
05:52 c'est-à-dire la description d'un scénario en quelques mots, pour dire « Et bien voilà,
05:57 pile au moment où on encourage des jeunes filles ou des enfants à parler, voilà un
06:00 film qui dit qu'on les accuse à tort et que les enfants mentent et que les jeunes
06:04 filles mentent ».
06:05 Oui, alors, la grande difficulté quand on sort un film, c'est de réussir à résumer
06:11 sa complexité en quelques minutes dans une bande-annonce.
06:14 Et là, en l'occurrence, je dois dire que le sujet du film n'est pas du tout celui
06:19 d'une accusation à tort.
06:20 Déjà, c'est l'histoire du réalisateur, enfin c'est vraiment inspiré de l'histoire
06:24 de Teddy Lucie Modeste, de son histoire d'enseignant.
06:27 Donc, c'était lui le prof ?
06:29 Lui, il est professeur, il est professeur de français et quand il est venu me voir,
06:33 il m'a dit que l'origine de sa démarche, c'était de s'interroger sur sa propre
06:37 responsabilité, sur le déclencheur.
06:40 Ensuite, sur la valeur de la parole en général, la valeur de la parole dans le cadre de l'école.
06:45 Il avait envie de retraverser son histoire pour mieux la comprendre.
06:49 Donc, en fait, c'est l'inverse d'une accusation à tort puisque c'est le professeur
06:53 lui-même qui se pose des questions sur ses propres méthodes.
06:55 Donc, c'est tout sauf une jeune fille qui ment ?
06:57 Je dois dire que je suis un peu tombée de ma chaise quand j'ai vu naître cette polémique.
07:00 Enfin, non, je ne suis pas tombée de ma chaise parce qu'en fait, je comprends ce que peut
07:02 produire une bande-annonce, un pitch, les raccourcis que l'exercice impose.
07:08 Mais c'est vrai que j'avais tellement envie de dire "Allez voir le film".
07:13 Et en plus de ça, il sort le 27 mars.
07:16 Je dois ajouter une chose, je trouve que François Civil est vraiment incroyable dans le film.
07:20 Donc, il incarne ce professeur mis en cause.
07:23 Parlons des femmes derrière la caméra, des femmes réalisatrices.
07:26 Agnès Jaoui recevra un César de l'honneur demain soir.
07:29 Elle est comme vous, membre du collectif 50/50 qui plaide pour plus de parité dans le cinéma.
07:33 Alors justement, comment ça va de se conner là ?
07:35 L'année dernière, il n'y avait aucune femme nommée au César dans la catégorie
07:40 meilleure réalisatrice.
07:41 Cette année, il y en a 3 sur 5.
07:42 Justine Trier pour Anandomie Dunschutt, Catherine Breillat pour l'été dernier,
07:46 Jeanne Héry pour "Je verrai toujours vos visages".
07:49 Décidément, c'est encourageant.
07:51 Il est tôt !
07:53 Oui, mais moi je suis censée avoir l'habitude.
07:55 Alors, c'est encourageant Audrey et Diwan ?
07:58 Oui, c'est encourageant.
07:59 Après, moi je me dis que tant qu'on continuera à faire se décompte, c'est qu'on n'y est pas encore complètement.
08:03 Tant qu'on continuera à s'étonner d'aller gentiment vers la parité,
08:08 en fait, moi je pense un peu qu'inévitablement, et c'est une bonne chose, on va y arriver.
08:15 Parce que, encore une fois, si l'industrie cesse de penser les films à l'endroit du genre,
08:19 mais s'intéresse aux talents, aux sujets, à ce que ces réalisatrices proposent,
08:24 j'ai l'impression qu'assez naturellement, ça va se réguler.
08:27 Alors, je ne comprends pas parfaitement ce que vous voulez dire, mais il n'empêche que quand même, les Césars,
08:31 il y a une femme réalisatrice récompensée aux Césars depuis la création des Césars, c'est Toni Marshall.
08:37 C'est quand même une gigantesque anomalie.
08:40 Oui, mais alors peut-être que je mesure mal et que ce sont de gigantesques changements.
08:44 En fait, ce qui se passe aussi, c'est qu'il y a plus de femmes qui deviennent réalisatrices,
08:50 donc en fait, on régule un peu ça.
08:52 Après, certainement, il y a des blocages plus profonds,
08:55 peut-être qu'il faut aussi interroger les votants et la perception qu'on a des réalisatrices,
09:00 mais ça, j'ai quand même le sentiment, je suis désolée, je pourrais être très optimiste,
09:03 mais j'ai le sentiment que c'est en train de changer aussi.
09:05 Et alors, quand vous avez remporté un Lion d'or en 2021 pour l'événement,
09:08 on vous a beaucoup rapproché avec Julia Ducournau, qui avait remporté la Palme d'or pour Titan.
09:13 Cette année, c'est Justine Trier qui, avec « Anatomie d'une chute »,
09:16 fait un parcours extraordinaire à l'international, à Cannes, aux Emmy Awards, aux BAFTA,
09:20 avec des nominations aux Oscars.
09:22 Est-ce que c'est une victoire pour les femmes ou est-ce que c'est une victoire pour le cinéma français ?
09:27 Je pense que c'est une victoire tout court.
09:29 En fait, il y a un phénomène incroyable autour du film.
09:31 J'ai l'impression qu'il produit ce que normalement une équipe de foot peut faire.
09:35 Tout à coup, on est tous derrière Justine Trier, on a envie qu'elle gagne.
09:40 Elle est très fédératrice, elle a une personnalité incroyable.
09:43 J'ai eu la chance de voir le film à Cannes et en en sortant, je me suis dit,
09:48 instantanément j'avais le sentiment que c'était un classique.
09:50 Un classique, c'est joli !
09:52 « Les César » c'est demain soir en exclusivité et en clair à 20h45 sur Canal+.
09:57 Merci Audrey et Yvonne.
09:58 Merci à vous.