Vanessa Springora : "Le film "Le Consentement" apporte quelque chose que les mots n'ont pas pu atteindre"

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L'adaptation cinématographique du "Consentement" (Grasset), écrit par Vanessa Springora en 2020, sort en salles aujourd'hui. Vanessa Springora, l'auteure du livre, et Kim Higelin, l'interprète, sont les invitées de Sonia Devillers. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-11-octobre-2023-9976696
Transcript
00:00 Sonia De Villere, le consentement sort aujourd'hui sur les écrans, le film est l'adaptation
00:04 du récit de Vanessa Springora.
00:06 Un livre qui s'est vendu à 300 000 exemplaires, traduit dans 30 pays, qui a viré au phénomène
00:11 de société où comment une jeune fille de 14 ans sera la proie d'un écrivain pédophile,
00:15 Gabriel Matzneff, dans le Saint-Germain-des-Prés des années 80.
00:20 Vanessa Springora, bonjour, vous avez collaboré au scénario du film.
00:26 A vos côtés l'actrice qui interprète votre rôle, Kimi Jean.
00:29 Bonjour.
00:30 Bonjour.
00:31 Alors le film est d'une très grande justesse et il est signé Vanessa Philo.
00:35 Vanessa Springora, à la mécanique de l'emprise que vous décrivez parfaitement dans votre
00:40 livre, le cinéma ajoute l'image, la chair, les corps.
00:46 Un corps de 14 ans face à un corps de 50 ans.
00:49 Un corps d'homme qui exulte face à un corps de toute jeune fille qui souffre.
00:56 Il est salutaire pour vous ce choc visuel ?
00:59 Oui, il est très intéressant parce qu'artistiquement, effectivement, il apporte quelque chose que
01:05 les beaux peut-être ne peuvent pas atteindre de la même manière.
01:08 C'est cette frontalité de l'image.
01:12 Et je pense que dans la prise de conscience des violences faites aux mineurs, des violences
01:19 sexuelles vécues par les mineurs, puisque cette histoire est aussi une histoire emblématique
01:23 de celle de beaucoup de jeunes filles, comme il en existe des milliers.
01:28 Ce n'est pas seulement mon histoire, c'est ce que je veux dire.
01:31 C'est très important de montrer ce que vous dites, c'est-à-dire ce choc.
01:36 Peut-être que par pudeur, je n'ai pas creusé autant que j'aurais aimé le faire,
01:44 mais je n'en ai pas été capable.
01:45 Je trouve qu'au cinéma, effectivement, on peut atteindre cette violence-là.
01:53 C'est-à-dire que c'est votre histoire.
01:57 Entre-temps, la loi a changé.
01:59 Aujourd'hui, depuis le 21 avril 2021, le législateur criminalise tout acte sexuel
02:06 entre un adulte et un mineur de moins de 15 ans, lorsque la différence d'âge est
02:10 supérieure à 5 ans.
02:12 Donc, votre histoire est en effet devenue l'histoire de beaucoup de monde.
02:17 Et probablement que dans ce film, le personnage de Vanessa, quand elle a 14 ans, est plus
02:25 que dans le livre un objet sexuel.
02:27 C'est ça ? Un objet sexuel ?
02:30 Oui, là on est face à un profil psychologique de prédateur qui est extrêmement bien décrit
02:35 dans le film, qui est quelqu'un qui vit complètement enfermé dans son narcissisme,
02:41 un double narcissisme, puisque c'est un prédateur sexuel qui cherche ses proies,
02:46 ses victimes, à la sortie des collèges et des lycées.
02:48 Mais c'est aussi un prédateur littéraire, puisqu'il exploite ensuite ses histoires
02:53 d'amour, que lui considère comme des histoires d'amour, qu'il vend de cette manière-là
02:57 dans ses livres, alors qu'en réalité ce sont des histoires de viol.
03:01 Kimi Jean, quand vous avez tourné ce film, vous aviez déjà la vingtaine.
03:08 Vous avez un corps très menu, mais il vous a fallu vous remettre dans la peau d'une
03:14 jeune fille de 14 ans.
03:16 Comment on revient à son corps, à ses gestes et à ses mous de quand on avait 14 ans ?
03:21 Je pense que la première direction que j'ai pu trouver, c'était plutôt en termes de
03:28 regard, en termes de dimension.
03:30 Parce que je me rappelais de rues dans lesquelles je passais quand j'étais enfant, qui me
03:35 paraissait absolument immense, et soudainement quand j'y reviens, dix ans après, je me
03:39 rends compte que c'est petit, c'est très restreint.
03:42 Et du coup, je pense que j'ai fait ce travail-là de replacer la dimension, c'est-à-dire
03:49 de tout voir en beaucoup plus vaste, en beaucoup plus nouveau, essayer d'être dans une
03:52 découverte permanente et une envie, un désir de grandir, de se grandir.
03:57 Et quand Vanessa Springora a écrit son livre, personne ou très peu de gens parlaient du
04:03 mot consentement, en réalité elle a ouvert une voie, elle a ouvert une brèche jusqu'à
04:08 ce que la loi change, comme je viens de le dire.
04:10 Vous, quand vous vous emparez de ce texte pour l'interpréter à l'écran, en réalité
04:16 vous en connaissez toutes les dimensions, tous les ressorts.
04:19 Qu'est-ce que ça change ?
04:21 Oui, c'est vrai, c'est très juste.
04:26 Quand j'ai pris le livre de Vanessa, j'avais déjà cette notion-là, puisque je suis
04:32 née plus tard.
04:33 C'est vrai que j'ai pu avoir un regard assez objectif, même émotionnel.
04:44 Je pense que mes valeurs étaient déjà placées, à mon avis, plutôt au bon endroit, et donc
04:50 je pouvais l'aborder de manière très pragmatique et pouvoir en sortir un peu ce que je pouvais
04:56 pour créer le personnage.
04:58 Vanessa Springora, il y a dans le livre, et alors là c'est parfaitement réinterprété
05:03 à l'écran, un portrait assez assassin du milieu littéraire des années 80, qui regardait
05:11 cette histoire avec au pire indifférence, au mieux bienveillance ou l'inverse.
05:17 Pardon, j'étais en train de me remémorer ces scènes de dîner qui sont si pesantes,
05:26 ce silence et la toute jeune fille que vous êtes à l'époque au milieu de tout le
05:32 monde.
05:33 Il y a une séquence incroyable où la mère et la fille regardent à la télévision cette
05:36 fameuse émission d'Apostrophes, où Denise Bombardier va taper du poing sur la table
05:41 et en disant "il ne s'agit pas de jeunes filles, il s'agit de petites filles, et
05:44 de petites filles qui vont être flétries".
05:46 Denise Bombardier, elle vient juste de mourir.
05:48 Je me suis demandé si vous aviez eu l'occasion d'échanger avec elle.
05:51 Oui, au moment de la sortie du livre en 2020, évidemment, on a échangé.
05:58 Malheureusement, à cause de la crise sanitaire, on n'a pas pu se rencontrer parce que je
06:01 devais aller au Québec et le voyage a été annulé.
06:03 Mais on s'est beaucoup parlé à plusieurs reprises.
06:06 D'ailleurs, j'avais l'impression que je pouvais lui rendre justice avec ce livre.
06:13 C'était très important pour moi parce que cette femme avait une prise de parole
06:17 à l'époque qui était d'une modernité extraordinaire.
06:19 Elle s'était fait conspuer par toute l'intelligentsia parisienne.
06:24 Mais en fait, elle m'a dit qu'elle avait eu déjà à l'époque des marques de respect,
06:31 notamment de François Mitterrand.
06:32 Ce que j'ignorais, c'est qu'il avait appelé dès le lendemain pour l'inviter
06:36 à l'Elysée et lui dire qu'elle avait eu tout à fait raison de s'exprimer de
06:40 cette manière apostrophe.
06:41 C'est très intéressant parce que tout au long du film et dans le livre aussi, Maznev
06:46 répète à qui veut l'entendre qu'il se promène avec une lettre.
06:48 Une manuscrite de François Mitterrand et qu'il la garde sur lui et qu'il la montrera
06:52 à la brigade des mineurs si jamais il a des problèmes.
06:54 Tout à fait, cette lettre existait, je l'ai vue.
06:57 D'ailleurs, il en parlait lui-même dans ses livres.
06:59 Mais il n'empêche que François Mitterrand avait pris ses distances depuis un bon moment
07:04 avec lui et a affirmé son soutien plein et entier à Denise Bombardier après cette émission.
07:11 Kim Igelin, votre grand-père, était le chanteur Jacques Igelin.
07:15 Il est mort il y a 5-6 ans.
07:17 Et récemment est sorti le livre d'une consoeur qui s'appelle Valérie Lehoux.
07:21 Un livre délicat, elle le connaissait très bien, elle était sa biographe.
07:24 Et il lui avait raconté que quand il avait 14 ans, c'est-à-dire exactement l'âge
07:29 du personnage que vous interprétez et l'âge auquel s'est arrivé à Vanessa Springora,
07:34 il a été la proie d'un homme qu'il admirait tant, lui aussi, qui serait son mentor, lui
07:39 aussi, qui lui ferait découvrir le monde des arts et qui en réalité en a abusé et
07:43 l'a violé.
07:44 Voilà que maintenant vous jouez une histoire similaire au cinéma.
07:48 Vous êtes frappée par cette coïncidence ?
07:50 Moi j'ai découvert le livre à sa sortie en même temps que le public.
07:56 J'étais absolument pas au courant et mon grand-père je le connaissais très peu.
08:00 Donc forcément il y a une autre forme de distance qui est peut-être similaire à la
08:05 vôtre aussi.
08:06 Mais j'ai pu voir en effet tout ce mécanisme-là de l'emprise qui est très similaire à
08:13 beaucoup de prédateurs.
08:14 Et donc c'est très étonnant de se rendre compte de ça, du côté aussi malgré tout
08:22 très commun à cette histoire où je me rends compte en lisant beaucoup de témoignages
08:27 différents qui parlent de pédocriminalité.
08:29 Mais dans toutes ces méandres je me rends compte que oui, en fait c'est partout.
08:36 Merci beaucoup à toutes les deux.
08:38 Le Consentement sort aujourd'hui au cinéma.
08:40 C'est un très beau film.
08:42 Il est signé Vanessa Philo et c'est Jean-Paul Rouve qui interprète Gabriel Matzneff.

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