Ce matin, Samuel Olivier a envie de nous plonger dans le monde des services secrets russes où se mêlent espionnage, manipulation, et infiltration. Il reçoit à ce titre Nicolas Quénel, journaliste indépendant et auteur du livre « Allô, Paris ? Ici Moscou ».
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00:00 Il est 8h13 dans Télé Matin, Etienne Lénard nous parlait hier de l'assassinat en Espagne, d'un jeune pilote russe qui avait déserté.
00:08 Une affaire sur laquelle perdent forcément l'ombre la main des services secrets russes.
00:13 Et ce matin, Samuel, vous avez envie de nous plonger dans ce monde où se mêlent espionnage, manipulation, infiltration.
00:19 Et vous recevez Nicolas Kennel, journaliste indépendant et également auteur du livre "Allô Paris, ici Moscou" publié chez De Noël.
00:26 Bonjour Nicolas Kennel. On débute avec le dossier du point auquel vous avez collaboré.
00:32 C'est aujourd'hui que sort l'hebdomadaire "De Staline à Poutine, c'est français au service de Moscou".
00:39 C'est la une. On apprend notamment qu'un agent russe a infiltré le monde diplomatique et l'humanité de titre de presse pendant 6 ans et jusqu'en septembre 2022.
00:47 Quelle est la portée de cette révélation ?
00:50 C'est une révélation qui est importante parce qu'elle montre encore une fois qu'il y a une perméabilité des médias français, dans leur globalité, à ce genre de manipulation.
00:59 C'est-à-dire qu'il a été possible pour une agent d'influence russe d'aller débarquer, de se faire embaucher d'une certaine manière, même si elle n'a jamais été payée pour ça,
01:06 ce qui était peut-être un signe d'ailleurs, elle a été embauchée à l'humanité puis au monde diplomatique de cette manière.
01:12 Donc ça montre la perméabilité des médias français aujourd'hui, mais comme hier, que pendant la guerre froide, c'était exactement la même chose.
01:19 Comment se fait-il que personne ne se soit rendu compte de rien sur ce cas précis ? Ni dans les rédactions, ni dans les sphères un peu plus hautes ?
01:26 Peut-être tout simplement parce que ça montre qu'il y a un défaut de vérification des profils qui sont embauchés.
01:31 Parce que vous le savez, on est dans un milieu qui fonctionne énormément à la confiance et au réseau.
01:36 Et là, pour le coup, on est sur quelqu'un qui a fait des efforts pendant une dizaine d'années pour aller rencontrer les bonnes personnes,
01:42 notamment à la fête de l'humanité, où à la, ce qu'on dit dans le jargon, à la tamponnée des journalistes,
01:47 pour se faire présenter aux pontes de ces rédactions afin de leur proposer de collaborer avec eux.
01:52 Alors si on dézoome un peu, est-ce qu'il y a, au moment où on se parle, des agents infiltrés russes ou des Français qui collaborent avec Moscou sur notre sol en France ?
02:00 Bien sûr, bien sûr. Et généralement, on appelle ça globalement des agents d'influence.
02:05 Il faut faire la distinction avec les idiots utiles. Les idiots utiles, c'est les gens qui, généralement, ne se font pas rémunérés pour ce genre de choses, pour ces activités d'influence.
02:13 Les agents d'influence, eux, au contraire, se font rémunérer pour ça.
02:16 C'est un job.
02:17 C'est un job. En tout cas, ils en tirent un bénéfice, pas forcément des billets, mais un bénéfice de prestige, ça peut être tout ce qu'on peut imaginer.
02:24 Et les Russes, mais pas que les Russes, les Chinois, les Indiens, toutes les puissances étrangères dites adversaires,
02:30 vont essayer de cibler des politiciens, des journalistes, des avocats, des gens qui ont accès au débat public pour porter un certain message
02:38 et qui ont tous l'avantage, en plus, d'exercer des professions qui sont un petit peu plus protégées, on va dire, d'un point de vue de liberté d'expression vis-à-vis des services de renseignement.
02:46 Comment évaluer cette menace ? Combien sont-ils ? Est-ce possible de le dire ? On parle de dizaines de personnes, de centaines de personnes présentes en France ?
02:52 J'aimerais bien pouvoir vous dire quels sont les effectifs secrets des Russes et des agences secrètes qu'ils ont en France.
02:59 Par définition, ils sont secrets, donc je ne peux pas le faire.
03:02 Est-ce qu'on connaît leurs profils ? Comment ils sont recrutés ? Il y a des journalistes ?
03:06 On a des journalistes, on a des politiciens. En fait, on a un petit peu tous les profils.
03:11 Globalement, ça va chercher assez souvent dans les extrêmes du bord politique, que ce soit à l'extrême droite ou à l'extrême gauche.
03:17 Là, en l'occurrence, ils ont utilisé plutôt des réseaux d'extrême gauche pour arriver là où elle s'est retrouvée.
03:25 Après, tous les cas de figure sont envisageables concrètement. Il y a des gens qui vont être très motivés par l'argent, d'autres qui vont être très motivés par le prestige.
03:33 Il y en a qui vont adorer qu'on leur déroule le tapis rouge quand ils vont en vacances à Moscou, par exemple.
03:37 Il y a des gens qui peuvent très bien mener des opérations d'influence juste pour avoir ce petit prestige-là.
03:42 Que sait-on des techniques d'approche ? Comment ça se passe concrètement ?
03:46 Il y a autant de techniques d'approche qu'il y a d'approche en réalité.
03:49 Je me suis fait approcher plusieurs fois dans des meetings par des gens qui disaient être diplomate, notamment russe, travailler à l'UNESCO.
03:57 Je me suis fait approcher à des conférences, par exemple, là-dessus, avec des gens très agréables qui viennent vous parler pour vous dire
04:02 "Ce serait intéressant qu'on prolonge cette conversation. Écoutez, est-ce que je peux vous payer un café ?"
04:06 - Et là, évidemment... - Avez-vous répondu ?
04:07 Non, pour le coup, merci, ça ne m'intéressait pas. En plus, je n'avais absolument pas le temps, pour le coup.
04:12 Mais il y a des collègues aussi qui ont dit oui. Je peux citer mon très bon confrère Romain Miel-Carré, qui en a fait même un livre,
04:18 qui raconte comment pendant huit ans, il a entretenu une relation avec un espion russe,
04:21 son livre s'appelle "Les Mougiques", et qui est tout bonnement fascinant, pour le coup.
04:25 Quand des gens qui se présentent comme des diplomates russes, ou proches de la diplomatie russe, vous contactent,
04:31 quelles sont leurs intentions ? Qu'est-ce qu'ils veulent avoir comme type d'information ?
04:35 Ça dépend de la personne qu'ils vont aller tamponner, par définition.
04:39 Moi, peut-être ce qui les intéresse, c'est des notes d'analyse, des renseignements que moi, je peux avoir vis-à-vis des sujets qui m'intéressent, en l'occurrence.
04:47 Il peut y avoir tous les sujets, après, à chaque fois, c'est du travail d'artisan.
04:51 Ce n'est pas des approches industrielles avec une méthode qui est souvent très définie, avec un procédé à mettre en place, point par point.
04:58 Non, ils voient, ils s'adaptent à la personne qu'ils ont en face d'eux, et ils essayent de trouver toujours les failles et les choses qui pourraient motiver cette personne,
05:05 que ce soit l'argent, le prestige ou autre.
05:08 Quand vous avez dit non, est-ce que, par la tête, vous avez traversé l'idée que ça pourrait être intéressant d'aller un peu plus loin dans ces échanges ?
05:15 Bien sûr, oui, même pas que avec ce cas-là.
05:18 Ça a arrivé plusieurs fois, oui, il y a des fois où je me dis que ça peut être très intéressant.
05:22 J'ai un collègue, il n'y a pas longtemps, qui s'est fait approcher, lui, pour faire de la désinformation au service de l'Azerbaïdjan,
05:28 par un intermédiaire qui lui proposait jusqu'à, je crois que c'était jusqu'à 10 000 euros,
05:32 pour arriver à placer des éléments de langage dans des articles dans des grands médias français.
05:36 Donc c'est des choses qui arrivent, en fait.
05:38 Comment la France peut-elle se défendre ? Est-ce qu'on sait, est-ce qu'on est armé, se défendre face à cette menace qui vient notamment de Russie, mais pas seulement ?
05:48 Déjà, on peut dire qu'on a pris conscience de l'ampleur de la menace.
05:51 Ça, c'est déjà, on va dire, une sacrée avancée, parce que jusqu'à il n'y a pas si longtemps, en 2019,
05:56 on avait le président de la République qui expliquait au Fort de Brégançon que Vladimir Poutine,
06:00 c'était la Russie des droits de l'homme, que la Russie était européenne, profondément européenne,
06:04 il parlait même de la Russie des Lumières.
06:05 Bon, ce temps-là est manifestement terminé, peut-être qu'il reviendra, mais là, pour le coup, il est terminé.
06:09 Et je pense qu'il y a eu une vraie mobilisation maintenant des services de l'État pour se mettre en ordre de bataille,
06:14 pour arriver à lutter de la manière la plus efficace possible contre ce type de phénomène.
06:18 Merci Nicolas Quenel d'être venu jusqu'à nous pour nous parler de cette situation étonnante
06:23 qui peut faire penser à des films ou des séries, mais qui se passe en réalité sur notre sol en France.
06:28 Merci.
06:29 Merci beaucoup.