• il y a 9 mois
Jusqu’où ira Bruno Dumont ?

Il y a dix ans, le réalisateur présumé austère de “L’Humanité” avait surpris ses admirateurs (et, plus encore, ses détracteurs) avec une série policière à haut potentiel burlesque, l’insolite P’tit Quinquin”.

Avant de s’essayer à la science-fiction dans une autre série délirante, “Coin-Coin” et les “Z’inhumains”, où la présence d’extraterrestres se manifestait par… des bouses de vache géantes.

Avec “L’Empire”, son douzième long métrage, en compétition au festival de Berlin, et sans doute son plus ambitieux, le cinéaste pousse la radicalité encore plus loin en osant investir un genre cinématographique boudé en France : le space opera.

Mais à sa manière, aussi sérieuse que décalée, et sur son propre terrain : ses chers paysages du Pas-de-Calais.
Transcription
00:00 Il y avait un épisode inédit de Star Wars et on ne le savait pas.
00:03 Et plus dingue encore, cet épisode inédit, il se déroule non pas en Tunisie, non pas en Californie,
00:08 mais dans le Pas-de-Calais, c'est l'Empire de Bruno Dumont.
00:12 "Et dans son proche..."
00:15 "Sire, voici enfin parmi nous."
00:18 "Ne tardons pas."
00:19 "Nous livrons bataille pour la cause dont vous êtes la souveraine, ici sur la Terre."
00:28 "Vous n'avez pas vu un ovni ?"
00:30 "Un quoi ?"
00:31 "Un ovni."
00:32 Il y a vraiment un côté Star Wars, ou plutôt "Shtar Wars",
00:35 c'est les grandes figures de la Guerre des Etoiles et du space opera en général,
00:42 le combat du bien et du mal dans l'espace et sur Terre,
00:45 des chevaliers qui ressemblent beaucoup à des chevaliers Jedi,
00:48 des incarnations des forces du mal, des sabres lasers, des vaisseaux spatiaux en veux-tu en voilà,
00:54 et tout ça dans ce paysage assez insolite pour ce genre de film du Pas-de-Calais.
01:00 Là, c'est la première force de ce film, c'est de pouvoir mélanger à la fois un décor que l'on connaît bien,
01:05 surtout si on apprécie les films de Bruno Dumont,
01:07 et puis cet univers international, et plus spécialement américain,
01:12 transplanté dans un décor très français.
01:14 Je crois que c'est ce que je préfère dans le film,
01:16 ce sont ces images de vaisseaux spatiaux,
01:20 ces chevaliers qui se battent aux sabres lasers mais devant des pavillons,
01:25 et que ce soit inscrit dans un paysage tellement français,
01:29 à la fois tellement beau quand on regarde ces plages,
01:32 quand on regarde la mer qui sont survolées par des vaisseaux qui sont soit la Sainte-Chapelle,
01:37 soit un château qui rappelle drôlement Versailles quand même.
01:40 Et je me dis, il est vraiment très fort, Dumont,
01:43 parce que tout à coup, en voyant ça, je sens qu'il est en train de décoloniser mon regard.
01:49 Mon imaginaire, voilà.
01:51 C'est un imaginaire traditionnellement américain.
01:53 On se rend compte qu'on est formaté malgré tout, notre regard l'est.
01:57 Et là, c'est comme de voir des vaisseaux spatiaux pour la première fois.
02:01 C'est vraiment stupéfiant.
02:18 Après, moi, j'ai un peu plus de réserve peut-être que Samuel sur le scénario.
02:22 Je suis assez amusée par les personnages.
02:25 J'aime beaucoup ce qui se passe à l'écran.
02:28 Il ne faut pas que j'y réfléchisse trop non plus,
02:30 parce qu'il y a un petit côté chez Dumont d'Emerdensizich.
02:34 Qu'est-ce que ça veut dire que le bien soit représenté par la Sainte-Chapelle ?
02:38 OK, mais en même temps, il n'y a que des femmes.
02:40 Alors c'est woke, c'est pas woke ? Qu'est-ce qu'il veut raconter ? On ne sait pas bien.
02:44 Le mal, c'est que des hommes et c'est dans un château extraordinaire.
02:49 Et donc c'est quoi ? C'est le pouvoir temporel, c'est le capitalisme, c'est les hommes.
02:53 On ne sait pas bien.
02:54 Tout ça est un peu flou, peut-être moins naïf, moins mythologique
02:58 que l'était la guerre des étoiles, tout bêtement.
03:00 L'entreprise est vouée à l'échec.
03:03 La gendarmerie, ils sont de coup.
03:06 Mais les humains, Johnny, ils sont nuls.
03:08 Faites attention à ce que vous dites.
03:10 Vous adressez quand même à la gendarmerie nationale.
03:12 So what ?
03:13 Ce qui est très fort dans l'Empire, c'est que ça joue encore plus que d'habitude
03:17 dans le cinéma de Bruno Dumont sur le choc des contraires,
03:20 ou plus précisément l'association des contraires.
03:23 Marie l'a dit, il y a du mythologique, il y a du hyper naturaliste.
03:26 On est vraiment dans un territoire très précis,
03:28 avec mine de rien une petite dimension sociale.
03:31 Il y a du trivial et du sacré.
03:33 Il y a beaucoup, beaucoup d'humour.
03:34 On rit énormément devant l'Empire.
03:36 Et il y a aussi de l'émotion, de la grandeur, du drame, de la tragédie même.
03:40 Et puis, ce choc des contraires, ça se retrouve aussi dans l'interprétation.
03:43 Alors comme le fait beaucoup Bruno Dumont,
03:46 c'est d'associer des comédiens non professionnels du cru, je dirais,
03:50 de ce territoire du Nord Pas-de-Calais,
03:52 avec des comédiens professionnels, voire des vedettes.
03:56 Ce qui est très intéressant, c'est que les différents acteurs ne jouent pas dans le même registre.
04:00 Peut-être par choix, mais en tout cas, Bruno Dumont l'a vraiment,
04:04 parfaitement utilisé ça.
04:05 Ça donne un peu de la friction,
04:07 une friction qui, à mon sens, est très féconde pour le film.
04:10 Et puis, le plaisir de retrouver, évidemment, les grandes figures de son cinéma.
04:14 Et puis, à titre personnel, revoir pour la troisième fois le duo de gendarmes de Petit Quinquin,
04:20 le commandant Von der Weyden et son adjoint Carpentier,
04:23 encore plus incompétent et dépassé que d'habitude.
04:25 C'est un bonheur.
04:26 On est au cœur du mal, Carpentier.
04:28 C'est ça qui est bien.
04:29 L'Empire, c'est complètement fou, mais c'est très bien.
04:33 Allez, ouvre la voiture !
04:35 Ouais, là, là, c'est le tien, Carpentier !
04:37 Ouais, là, là, c'est le tien, Carpentier !
04:39 Merci.
04:40 [Musique entraînante diminuant jusqu'au silence]
04:42 [SILENCE]

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