Des histoires du cinéma - Au bonheur des livres

  • il y a 6 mois
Chaque semaine, Guillaume Durand reçoit deux auteurs, romanciers, essayistes, biographes... dans « Au bonheur des livres », l'émission littéraire de Public Sénat. Le rendez-vous propose également une séquence dédiée aux lecteurs et une sélection d'ouvrages à ne pas manquer. Année de Production : 2023

Category

📺
TV
Transcript
00:00 Générique
00:02 ...
00:17 -Bonjour à tous.
00:18 Je suis ravi de vous accueillir avec deux personnages
00:21 qui jouent un rôle considérable dans la vie culturelle.
00:24 Il s'agit d'abord de Nicolas Sédoux. Bonjour, Nicolas.
00:28 Vous avez dirigé "La Gaumont" pendant des années.
00:30 "La Gaumont", le monstre du cinéma français.
00:33 Dans ce livre que j'ai sur mes genoux,
00:35 "Le cinéma, 50 ans de passion",
00:37 vous racontez l'aventure, chez Gallimard,
00:39 de ce qu'a été "La Gaumont",
00:41 de ce qu'a été votre vie auprès de "La Gaumont".
00:44 Je précise qu'auparavant, vous avez travaillé à la C2I
00:48 comme juriste de haut niveau.
00:49 Vous avez été chez Morgan Stanley à New York.
00:52 C'est après ce double passage
00:54 que vous vous êtes jeté avec difficulté
00:56 et avec des personnages que tout le monde connaît,
00:59 Jean-Pierre Rassam, Daniel Toscan du Plantier,
01:02 et bien d'autres, dans cette aventure phénoménale
01:05 qui a donné lieu à des films célèbres
01:07 et à des metteurs en scène célèbres.
01:09 L'autre qui est donc face à nous,
01:12 qui vous est d'une certaine forme le duc de Quenne du cinéma,
01:15 je l'ai surnommé "l'homme qui en savait trop".
01:18 Il n'y a pas de meurtre, il n'y a pas de cymbale,
01:21 c'est bien un Hitchcock dont il nous parle,
01:23 car Carol Beffa vient d'écrire un livre succulent
01:26 sur Bernard Herrmann,
01:28 dont on dit un peu abusivement,
01:30 mais c'est vrai qu'il fut le grand musicien d'Hitchcock,
01:33 la musique de Psychose, qui fait encore frissonner,
01:36 mais qui a été aussi, vous le savez probablement,
01:38 le musicien de Citizen Case,
01:40 le musicien de Mankiewicz,
01:43 le musicien de tant d'autres grands réalisateurs,
01:47 et qui lui-même a fait une carrière de compositeur,
01:50 car je veux être complet,
01:52 cette carrière l'a amené à jouer
01:54 un petit peu dans le monde entier.
01:56 Un mot, puisque nous allons commencer sur Carol,
01:59 quand je disais que c'était l'homme qui en savait trop,
02:02 ce garçon est normalien, Trinity College,
02:05 prof à Normale, prof au Collège de France.
02:07 Quand il fait un concerto pour piano,
02:09 c'est M. Berezovsky qui vient de jouer.
02:12 Quand il fait un concerto pour violon,
02:14 c'est Renaud Capuçon qui s'y colle.
02:16 Il est improvisateur, il a improvisé avec le monde entier.
02:19 La question que je voulais vous poser,
02:21 c'est dans cet océan musical,
02:23 pourquoi avez-vous choisi Bernard Herrmann,
02:26 qui vient de cette famille de ce qu'on appelle l'Ukraine,
02:29 qui sont des gens qui ont fui le tsar Alexandre III,
02:32 qui en matière d'antisémitisme et de Russification forcée
02:35 était plus violent que le pont qui porte son nom à Paris ?
02:39 -C'est vrai. Pourquoi je l'ai choisi ?
02:41 J'ai envie de vous dire que c'était le meilleur,
02:43 au sens où je pense qu'il n'y a pas un compositeur de musique de film
02:47 aujourd'hui qui ne le reconnaît comme un géant,
02:50 comme une figure tutélaire.
02:52 Et puis aussi parce que c'est un personnage truculent,
02:55 lui et son père, d'ailleurs, et dans une moindre mesure, sa mère.
02:58 Alors, vous l'avez dit, effectivement,
03:01 il vient de l'Ukraine russifiée.
03:05 -On est dans les années 1880, le père s'en va.
03:07 -Exactement. -Il va aux Etats-Unis.
03:09 -Il va aux Etats-Unis. Son père fait quantité de métier.
03:13 -Il terminera opticien à New York.
03:15 -Exactement. Il forme aussi sa femme.
03:18 Il forme sa femme pour être opticienne.
03:21 Lui-même meurt lorsque son fils Bernard est relativement jeune.
03:27 Et pour Bernard Hamann, c'est assez incroyable,
03:30 cette période de formation dans les années 30 aux Etats-Unis,
03:34 parce qu'il est confronté à une effervescence culturelle,
03:37 musicale en particulier, qui fait qu'il s'intéresse à tout,
03:40 à tout le monde, et sa formation va être plutôt une formation,
03:44 on va dire, buissonnière.
03:46 Il fréquente quantité d'institutions musicales,
03:49 il a plein de professeurs, mais comme c'est un caractère bien trempé,
03:52 il s'entend avec à peu près aucun d'entre eux,
03:55 sauf éventuellement Percy Granger, musicien très étonnant.
03:58 -Il est un Australien, il faut le dire.
04:01 -Tout à fait. -Percy Granger, Nicolas,
04:03 Percy Granger était un Australien complètement dingue,
04:06 il y a pas d'autre mot.
04:08 Il avait une sexualité débridée, une femme qui acceptait tout.
04:11 Je rappelle que Herman, il faut le dire, est né en 1911,
04:14 qui s'est précipité, après des études brillantes,
04:17 il était plus fort que tout le monde,
04:19 un peu comme le camarade Befa à DeWitt-Winton School,
04:22 où on a quand même vu passer Fats Waller,
04:26 Bud Powell, Al Kazer, Dean Dixon, chef d'orchestre,
04:29 Stanley Kramer, Bill Finger, le créateur de Batman,
04:32 tant d'autres, mais également un prix Nobel de physique,
04:36 son grand copain, Hibbert Lancaster,
04:38 qui, vous le voyez, a fait une grande partie
04:40 de ce qu'est le cinéma d'Hollywood.
04:42 Après, il va à la Juilliard School,
04:45 et il continue à croiser Aaron Copland
04:47 et de gens qui vont marquer la musique américaine,
04:50 plus tard, ce sera le cas de Hilary Schwinn,
04:52 mais tous ces braves gens,
04:54 qui sont très marqués par Ravel,
04:56 Debussy, je résume, puisque tout votre livre est...
04:58 Et qui sont très marqués, très cultivés,
05:01 ils s'engueulent à 15 ans en composant,
05:03 en écoutant leurs professeurs sur des symphonies de Mahler,
05:07 ils s'engueulent sous la table.
05:09 Ils ont une obsession, créer une musique américaine.
05:12 C'est ça qui est formidable chez Herman,
05:14 comme c'est formidable avec Rhapsody in Blue,
05:17 chez Gershwin, ils savent tout de la musique européenne,
05:20 mais ils veulent exister.
05:21 -Oui, c'est bien le problème des Etats-Unis
05:24 du point de vue musical,
05:26 c'est qu'il n'y a pas vraiment de tradition symphonique
05:29 au 19e siècle. Elle n'est pas totalement inexistante,
05:32 elle est juste peu présente, et elle est aujourd'hui peu présente
05:35 dans les programmes de concert.
05:37 On pourrait difficilement citer un grand musicien classique
05:41 qui a fait une grande part de son travail.
05:43 Donc, l'obsession de toute cette génération,
05:46 c'est l'américanité, si j'ose dire,
05:48 que faire pour écrire une musique qui puisse être considérée
05:51 comme américaine ? Certains se tournent du côté du jazz,
05:55 et ils ont raison, probablement.
05:57 -Vous l'écrivez très bien, tous les clubs qui existent à New York,
06:00 qui se mélangent. Il va travailler chez CBS,
06:03 parce que la radio est dominante,
06:05 puis quand la radio perioclite, il travaille pour la télévision,
06:09 on commence à l'intéresser un peu moins,
06:11 il travaille pour le cinéma,
06:13 et il tombe sur un petit garde, Orson Welles,
06:16 et ils font tous les deux la musique de Citizen Kane.
06:19 C'est absolument phénoménal.
06:20 Premier film pour l'un, première musique pour l'autre.
06:24 -C'est un coup de génie, pour l'un comme pour l'autre.
06:27 -Il a travaillé 3 mois. -On lui laisse beaucoup de temps.
06:30 C'était une des conditions qu'il exigeait
06:32 pour pouvoir se lancer dans la musique de film,
06:35 c'était d'avoir un peu de temps pour ne pas bâcler sa partition.
06:39 -Qu'est-ce qu'il écrit ?
06:40 -Il écrit une musique qui s'inspire de ses prédécesseurs
06:43 dans le monde de la musique de film.
06:45 Par exemple, ce génie absolu qu'était Korngold,
06:48 "Enfant prodige" merveilleux,
06:50 qui lui-même s'inspire un peu de Mahler, de Strauss,
06:54 il en était assez proche,
06:56 et ses deux géants étaient admiratifs de Korngold.
06:59 Donc, Herman va s'inspirer de cette grande tradition
07:03 post-symphonique et post-romantique germanique,
07:09 et va matiner cela d'un certain sens de la miniature,
07:13 de la transition infime,
07:16 qui fait que, avec une petite virgule musicale,
07:19 il arrive à faire en sorte qu'on passe d'un climat à un autre,
07:22 et c'est ce qui fait ainsi que mille autres choses
07:25 le succès de la musique de Citizen Kane.
07:27 -La musique américaine de film, c'est un peu comme John Williams
07:31 avec "Les aventuriers de l'arche perdue"
07:33 ou avec les autres grands films.
07:35 Il a aussi fait les films d'Arthur Penn,
07:38 mais c'est une musique aussi célèbre que les films.
07:40 C'est ça qui est caractéristique.
07:42 Ils n'accompagnent pas, ils font rendre célèbre.
07:45 Le premier des célèbres célèbres,
07:47 qui me fait peur tous les matins,
07:49 quand j'ai pris ma douche ou quand je prends ma douche,
07:52 c'est normal, c'est cette invention démente de psychose.
07:55 Écoutez.
07:57 ...
08:11 -Anthony Perkins, évidemment.
08:13 On voit bien qu'il y a une inventivité extraordinaire
08:16 pour un jeune homme.
08:17 Il est déjà très célèbre.
08:20 Il a déjà travaillé pour Mankiewicz,
08:22 pour Robert Choise et beaucoup de grands réalisateurs.
08:26 Il rencontre Hitchcock, en gros, après la guerre.
08:29 Il a d'abord refusé des films, puis il y va.
08:32 Voici, par exemple, "Vertigo".
08:34 Là aussi, vous allez vous en souvenir,
08:36 mon chat Nicolas.
08:38 "Vertigo", Hitchcock,
08:40 et notre ami, donc, Bernard Herrmann.
08:43 ...
08:59 Et l'un des acteurs américains que je préfère,
09:02 l'homme qui en savait trop, c'est Jimmy Stewart.
09:06 C'est le deuxième film d'Hitchcock.
09:10 On est à Londres, et ce qui est paradoxal,
09:13 dans cette affaire, c'est que Bernard Herrmann
09:15 a demandé à Hitchcock de diriger lui-même
09:18 dans la scène finale,
09:19 où le méchant veut tuer
09:23 un représentant d'un pays
09:25 qui assiste au concert.
09:28 Il a voulu lui-même diriger l'orchestre
09:30 dans la grande salle du Royal Albert Hall.
09:32 On le voit diriger une adaptation.
09:35 On écoute quelques instants,
09:36 et on va terminer par la surprise Herrmann
09:39 de la fin de sa carrière.
09:40 ...
09:51 Voilà. Beaucoup de films vont suivre.
09:53 Je suppose que vous les connaissiez tous,
09:55 évidemment, Nicolas, mais la surprise Herrmann,
09:58 la surprise du début,
10:00 de cette jeunesse tumultueuse,
10:01 colérique à mort,
10:03 c'est qu'à un moment, il disparaît un peu,
10:05 il s'engueule avec Hitchcock,
10:07 comme souvent dans les longues collaborations,
10:10 comme vous en racontez dans votre livre.
10:12 Et voici qu'arrive un petit Italo-New-Yorkais
10:15 qui parle très vite, comme une mitraillette,
10:17 qui s'appelle donc Martin Scorsese,
10:19 et qui vient le voir un jour et lui dit
10:22 "Ça vous intéresserait de faire la musique ?"
10:24 Ce qui va devenir, évidemment,
10:26 le gros boom de la carrière de Scorsese,
10:28 c'est "Taxi Driver".
10:29 -Au début, Herrmann est un tout petit peu sceptique.
10:32 Il dit "J'y connais rien, au taxi."
10:34 À la limite de l'impolitesse.
10:36 Et puis, il avait quand même beaucoup aimé
10:39 certains des films précédents.
10:41 Il avait un vrai talent opératique chez Scorsese,
10:44 et donc, il se prend au jeu
10:45 et il écrit peut-être une de ses plus belles partitions,
10:49 une partition, et ça mérite d'être noté,
10:51 car c'est rare dans sa carrière.
10:53 -Un tout petit peu de la partition "Merci en revue".
10:56 -Qui s'inspire du jazz, en grande partie,
10:58 d'abord parce qu'il y a ce solo sinueux
11:01 assez incroyable de saxophone,
11:02 parce que le roulement de caisse claire
11:05 a aussi quelque chose d'un peu nébuleux
11:07 et qui, en ce moment, s'est montré
11:09 les fêlures de l'être du personnage principal,
11:11 très paradoxal, à la fois héros et martien.
11:14 -Joué par Robert de Niro. -Exactement.
11:16 Donc, c'est sa partition testament.
11:18 Le film lui est d'ailleurs dédié
11:20 et c'est une de ses plus réussies, assurément.
11:23 -Voilà. Question pour terminer, alors qu'on écoute.
11:26 C'est fondamental que vous êtes aussi musicien, compositeur.
11:29 J'ai rappelé votre palmarès tout à l'heure,
11:32 donc j'ai oublié les victoires de la musique par paquet.
11:35 Est-ce qu'il est l'équivalent
11:37 de ce qu'on appelle classiquement un grand compositeur ?
11:40 -Oui, je pense.
11:42 D'abord, il était très apprécié
11:44 par la quantité de grands compositeurs
11:46 pour le concert de son temps,
11:48 avec qui il entretenait de bonnes relations,
11:50 lui qui, pourtant, était plutôt soupelet.
11:53 Et puis, je pense, encore une fois,
11:56 que l'unanimité autour de lui,
11:58 peut-être un brin suspect, d'ailleurs,
12:00 montre que c'est le géant de la musique de film
12:04 de la deuxième moitié du XXe siècle.
12:06 -On y ajoutera évidemment Morricone,
12:08 on y ajoutera évidemment John Williams
12:11 et un certain nombre d'autres.
12:13 Le reste, c'est souvent de la copie de l'arodite.
12:16 Le cinéma, 50 ans de passion, chez Gallimard.
12:18 Je le disais tout à l'heure, Nicolas,
12:20 vous êtes né dans une famille célèbre française,
12:23 d'aristocratie, d'une certaine manière protestante.
12:26 Les Sédoux étaient plutôt des diplomates,
12:29 les Schumbergers étaient des industriels.
12:32 Vous avez commencé, après avoir été à Sciences Po
12:35 et avoir arrêté les études d'ingénieur à Toulouse,
12:38 donc à chercher une entreprise,
12:41 et puis, au fond, le goût du cinéma,
12:43 l'envie de la Gaumont, vous met l'eau à la bouche
12:46 et vous vous dites "Pourquoi pas
12:48 "ne donner mes compétences ?"
12:50 Car vous en aviez, à l'époque, justement,
12:53 pour essayer de conquérir quelque chose qui me plaise vraiment.
12:57 Et ce ne sera pas si simple que ça.
12:59 On est au début des années 70,
13:01 parce qu'elle est un peu contrôlée
13:03 par un homme qui s'appelle M. Le Dux,
13:05 si ma mémoire est bonne pour vous avoir lu en détail.
13:08 Il va falloir beaucoup de temps pour mettre le pied à l'étrier.
13:12 Et alors, évidemment, derrière le côté extrêmement chic
13:15 de Nicolas Sédoux, il y a un dingue,
13:17 qui est Jean-Pierre Rassam, grand producteur de cinéma,
13:21 qui a s'abordé, contrairement à notre ami,
13:24 son grand oral de l'ENA,
13:26 et qui est devenu le producteur de Jean-Yann,
13:29 le producteur de Marco Ferri,
13:30 tout en faisant des succès énormes,
13:32 des bides retentissants, et en vivant au Plaza Athénée,
13:36 donc à longueur de journée, plus, évidemment,
13:38 à un paquet de gorgues,
13:40 bien qu'il fût la compagne de Carole Bouquet.
13:42 Cette prise de contrôle de Gaumont,
13:45 qui est au début du livre, après l'histoire de votre père,
13:48 justement, sortant de la guerre, et l'histoire de votre famille,
13:52 ça n'a pas été simple. -Avec le recul,
13:54 on a l'impression que tout a été très vite,
13:57 mais c'est vrai que quand vous avez acquis, voilà,
14:00 acheté 40 % d'une société
14:02 et que vous vous êtes laissé à la porte,
14:05 il y a quelque chose d'un peu particulier.
14:07 Surtout que ceux qui sont là,
14:09 vous me direz à l'âge que j'ai aujourd'hui,
14:11 mais j'avais l'impression, ayant 35 ans,
14:14 qu'ils étaient très âgés,
14:15 ayant 50 ans de moins qu'eux,
14:17 mais aujourd'hui, je parle de cinéma,
14:19 peut-être qu'il y a des gens qui se disent "mais qu'est-ce qu'il fait ?"
14:24 C'est que, musique et cinéma,
14:26 le Gaumont Palace,
14:28 c'est le directeur musical du Gaumont Palace
14:32 qui fait la musique des films,
14:35 des films qui sont projetés.
14:37 Et il dirige un orchestre symphonique,
14:39 et ceux dont il s'inspire, ce ne sont pas les Allemands,
14:42 ce sont fondamentalement Eric Satie et Arthur Honegger.
14:45 Et donc, c'est après la guerre de 14,
14:49 et en fait, c'est tout à fait même paradoxal,
14:52 c'est avec le cinéma parlant,
14:54 donc, 1927,
14:56 "Le chanteur de jazz",
14:58 que c'est le réalisateur
15:01 qui va choisir un musicien pour, entre guillemets,
15:04 son film.
15:05 Mais à l'époque, il faut se faire l'idée
15:09 que Louis Feuillade ne contrôle pas la musique de ses films.
15:12 Juste une parenthèse,
15:13 mais dans l'histoire de la musique et du cinéma,
15:16 qui est une histoire absolument formidable
15:19 et dont vous parlez bien,
15:20 je suis sûr que vos lecteurs en sont convaincus,
15:23 je crois qu'il était important de rappeler
15:25 que le cinéma, le film muet, n'existe pas.
15:28 Dans la plus petite salle de province,
15:30 vous avez soit un piano,
15:33 soit un violon,
15:35 soit, enfin, un violoniste,
15:37 un pianiste, un flûtiste,
15:39 mais il y a toujours un accompagnement musical.
15:42 -Nicolas, vous fondez une société qui s'appelle Sierra.
15:45 Vous avez deux associés.
15:47 On va faire plus d'issemblables.
15:49 Vous avez donc Rassam,
15:50 qu'on peut considérer comme une sorte de dingue génial,
15:53 Jean-Yann, qui vient de faire des succès monumentaux.
15:57 Rassam a évidemment obtenu, avec "La Grande Bouffe",
16:02 un succès phénoménal aussi avec "Ferreri".
16:04 Après, "Touche-moi la femme blanche" a été plus compliqué.
16:08 Mais vous voilà parti.
16:09 Il faut convaincre le patron de Paramount.
16:12 C'est très compliqué, mais il vous donne votre accord.
16:15 Vous devenez liés avec Marcel Dassault
16:17 pour essayer de trouver, justement,
16:19 les alliés dans ce monde du cinéma.
16:21 Quand est-ce que... Quel est le jour
16:24 où vous vous êtes dit, "Bon, là, Gaumont, c'est moi ?"
16:27 -J'avais la certitude, avec 40 % et mon âge,
16:32 que ça viendrait un jour.
16:33 C'est venu en six mois.
16:37 Ca aurait pu prendre six ans,
16:39 mais ça pouvait pas prendre 60 ans.
16:41 Voilà.
16:42 À un moment donné,
16:44 vous avez acquis quelques compétences
16:47 dans le domaine financier et dans le domaine juridique.
16:51 Vous avez des actionnaires de l'autre côté
16:53 qui ne pourront pas, à terme, rester ensemble.
16:57 Voilà. Ne serait-ce que parce que Jean-Luc a près de 80 ans
17:01 et que j'en ai 35.
17:02 Mais le jour où ça s'est fait, c'est très simple.
17:05 C'est le jour où j'ai eu le représentant
17:08 de Charles Bloodorne,
17:09 qui était le patron de Paramount,
17:14 qui avait 7 % de Gaumont.
17:15 Ce jour-là, c'était terminé.
17:17 Nous sommes donc au mois de septembre 1974.
17:21 -Alors, il y aura évidemment...
17:23 J'ai sorti quelques phrases.
17:25 J'ai d'abord beaucoup aimé ce livre,
17:27 parce qu'on voit défiler, évidemment,
17:29 de Georges Lautner et les tontons-flingueurs
17:32 jusqu'à Depardieu et le cinéma des Intouchables,
17:35 d'un cas chez Toledano, tout ce que la Gaumont a fait.
17:38 Vous avez un énorme producteur qui existe là.
17:42 Avant que vous n'entriez chez Gaumont,
17:44 c'est Alain Poiré, le père du réalisateur,
17:47 qui va faire l'opération "Corned Beef",
17:49 "Le Père Noël est une ordure", etc.,
17:51 qui a eu un catalogue de réalisateurs phénoménaux,
17:54 qui font des grands tubes, Gérard Roury,
17:57 Moïse Naro, qui a fait tourner "La Gifle",
18:00 si j'ai bien mémoire, Ebon, Pinotto...
18:03 -Je citerai des films qu'on a tendance à oublier.
18:07 "Le général de la Roverée", de Rossellini,
18:11 "Un condamné à mort s'est échappé". -Magnifique.
18:14 -Chat d'oeuvre absolu.
18:16 Et puis, côte à côte, parce qu'ils n'ont pas un point commun,
18:20 "Caroline chérie",
18:22 on voit bien, entre Caroline chérie et Robert Bresson,
18:26 il y a de la place.
18:28 Et puis "La poison", de Sacha Guitry,
18:31 qui pour moi est également... -Un film magnifique.
18:34 -Et alors, vous étiez sur les plus récents.
18:37 Eh bien, ça se termine tout de même par les films de Francis Weber.
18:41 -Le dîner de cons. -Le dîner de cons.
18:43 -Je voudrais citer des phrases qui sont...
18:46 Le livre est extrêmement riche, on est sur 50 ans.
18:49 Euh...
18:51 Automne 2011.
18:52 On va revenir après sur des choses qui sont peut-être plus touchantes.
18:56 Ils ont fait 2-3 films, dont on a parlé,
18:59 mais sans plus, "Nakashito le Yano" ou "C'est la Gaumont".
19:02 Et vous écrivez, donc, le film sort,
19:05 c'est la première fois que les gens autour de vous,
19:09 comme Guy Verrecchia, vous disent qu'il va se passer quelque chose.
19:13 Vous écrivez cette phrase, "Le triomphe, finalement",
19:16 et Dieu sait qu'il y en a eu, des succès et des échecs.
19:19 "Le triomphe est rarissime, il faut en avoir conscience,
19:22 "en profiter, le respecter, le savourer."
19:24 "Nakashito le Yano", qui vont faire plus de 53 millions
19:28 de spectateurs dans le monde,
19:29 s'était fait éreinter par "Variety", qui est la bible du cinéma mondial.
19:34 -Oui, et en plus, je trouve un éreintement...
19:38 J'assume le mot "scandaleux".
19:40 C'est-à-dire qu'ils y voient un film raciste.
19:44 Un film qui a été vu par 50 millions de personnes dans le monde,
19:47 raciste, un film avec Omar Sy...
19:51 -Qui vous rendait hommage.
19:53 -"Omar Sy, raciste, "Nakashito le Yano", raciste."
19:55 C'est une absence de réflexion, et c'est ce qui est inquiétant.
20:00 Je pense que celui qui a écrit ça,
20:02 il doit être très jeune.
20:04 Alors, sur le journal écrit,
20:08 c'était convenable.
20:10 Ils n'aimaient pas le film, mais c'était convenable.
20:13 En revanche, sur le net, que je n'avais pas écouté à l'époque,
20:16 j'ai eu bien raison, d'ailleurs, c'était absolument fascinant.
20:20 C'est-à-dire que le public,
20:22 les bas instincts du public
20:25 peuvent le conduire à voir le film.
20:27 On méprise le public.
20:29 C'est ce qu'il y a de pire.
20:30 -Il y a une phrase que j'ai beaucoup aimée,
20:33 qui est peut-être la plus émouvante,
20:35 c'est Georges Lautner, "Les tontons flingueurs",
20:38 60 millions de spectateurs,
20:40 en rappelant que la Gaumont, c'est aussi Don Giovanni,
20:43 c'est aussi Carmen, c'est aussi, de passage,
20:46 avec votre ami Toscan du Plantier,
20:48 qui va vous rejoindre pour occuper
20:50 une sorte de ministère glorieux de la parole
20:53 et en même temps pour produire des grands films,
20:55 qui vous sont très chers, mais qui sont quand même des grands films.
21:00 Il en sort le DVD restauré de ce film
21:02 que tout le monde s'arrache et qui s'est fait défoncer
21:05 dans les journaux.
21:06 J'ai la grande première que je n'ai pas eue
21:08 lors de la sortie du film.
21:10 Dites-vous ce qui est très émouvant,
21:12 parce qu'au fond, tous les succès, il les a eus,
21:15 mais trois maux l'ont fondamentalement blessé,
21:18 le monde et la critique de l'époque.
21:20 -Le...
21:21 Je pense que les critiques devraient être
21:24 un peu plus attentifs de temps en temps
21:26 quand ils démolissent une oeuvre humaine de quelqu'un d'autre.
21:29 La critique est libre, mais il y a, me semble-t-il,
21:33 de temps en temps,
21:34 une limite à la méchanceté.
21:38 -On voit cette phrase, d'ailleurs,
21:40 derrière elle et derrière nous.
21:42 -Non, il y a une autre phrase,
21:44 sur un film de Francesco Rosi,
21:45 qui est quand même pas le pire des réalisateurs,
21:48 première page d'un journal,
21:50 "Chronique d'une merde annoncée".
21:53 Euh...
21:54 Il faut...
21:58 -C'est compliqué. -Le respect,
21:59 on sait plus ce que c'est.
22:01 Il faut dire, voilà, Francesco Rosi, c'est pas...
22:04 -Ca a toujours existé.
22:05 Vous dites vous-même dans le livre
22:07 que parfois, quand vous voyez les bonnes critiques annoncées,
22:11 vous vous dites, je croise les doigts,
22:13 ça va être une catastrophe.
22:15 Peut-être peut-on voir des visuels
22:19 avec, évidemment, cette famille particulière qui est la vôtre,
22:23 car vous étiez quatre enfants,
22:25 trois dans le cinéma, Jérôme, vous et Michel Sédoux.
22:28 J'espère que cette photo va apparaître à l'antenne.
22:31 Le logo de Gaumont,
22:32 qui est extrêmement célèbre dans le monde entier.
22:35 D'ailleurs, à un moment, vous vous expatriez vers New York
22:38 pour acheter un immeuble à Manhattan
22:40 qui sera revendu à un prix qui n'est pas celui d'aujourd'hui.
22:44 Et puis, évidemment, des photos de vous avec Gérard Depardieu,
22:47 mais on va parler de tout ça
22:49 dans un instant, de l'état du cinéma aujourd'hui,
22:52 car c'est évidemment
22:54 plutôt complexe après le passage de "Me Too".
22:57 Mais je vous recommanderais chaleureusement ces deux films,
23:00 ces deux livres. Je commence à faire du cinéma tout seul.
23:03 "Le Bernard Herrmann", donc, de Carol Beffa.
23:07 Et donc, ce livre très complet, qui se termine, d'ailleurs,
23:10 Nicolas Sédoux, par un plaidoyer pour la culture
23:13 que vous faites en disant qu'au fond,
23:15 vous soutenez Rachida Dati,
23:17 vous soutenez le président de la République,
23:20 mais vous les poussez à, comment peut-on dire,
23:23 faire plus d'initiatives pour qu'à l'école, définitivement,
23:26 on se débarrasse de cette obsession
23:28 des mathématiques et du français,
23:30 qu'on aille voir les musées, les monuments,
23:33 et que ce soit vraiment... -On connaisse la France.
23:36 -Comment ? -Je voudrais que tous
23:38 les petits Français s'approprient leur capitale
23:41 et s'approprient leur région et celle du voisin et de la voisine.
23:44 Je pense que visiter Paris,
23:48 aller au Mont-Saint-Michel,
23:50 aller sur, oui, Verdun, qui n'est pas gai,
23:53 mais qui fait partie de notre histoire,
23:56 je pense que c'est essentiel et que les Français,
23:59 plus que jamais, ont besoin de se rapprocher.
24:01 -Pour des questions de cohésion. -Pour des questions de cohésion.
24:05 Et voir ce qu'on appelle les territoires.
24:07 Nous avions les agriculteurs à Paris.
24:10 Il faudrait que les citadins aillent plus à la vraie campagne.
24:13 -Vous dites, de Jean Reynaud, qu'Alain Poiret a dit
24:16 que c'était le seul acteur français modeste.
24:19 Avec Bourvil.
24:20 C'est une phrase qui est évidemment charmante.
24:24 De deux parts, vous dites ce qui vous sort du coeur,
24:27 à savoir qu'il y a lui...
24:29 Je parle comme acteur, je parle pas encore
24:31 de ses propos que vous connaissez.
24:33 Dans le cinéma français, il y a les autres.
24:36 Il y a un abîme entre lui et les autres,
24:38 un relatif abîme comme acteur.
24:42 En revanche, j'avais déclaré dans le Chigaro,
24:44 puisqu'on parle de l'état du cinéma français,
24:47 que si ses propos étaient condamnables,
24:49 on ne pouvait pas dire que le cinéma français
24:52 l'avait protégé depuis le début de sa carrière.
24:55 Pourquoi cette phrase ?
24:56 -Pourquoi cette phrase ?
24:58 Parce que je pense que le cinéma est visible.
25:00 Je crains et redoute
25:02 que ce dont on parle,
25:05 ça arrive dans toutes les sociétés
25:08 où il y a une hiérarchie.
25:10 La première hiérarchie, c'est celle de la famille.
25:13 Nous savons aujourd'hui que dans les familles, malheureusement,
25:16 garçons et filles ont été violentés.
25:19 -70 000 viols par an en France,
25:21 donc ça ne peut pas être que le cinéma.
25:24 -Non, mais ce que je veux dire, c'est que je crains
25:27 que toutes... Je parle de la société française.
25:30 Je pense pas que ce soit mieux à l'étranger.
25:33 Je pense que les enfants,
25:34 dans beaucoup de lieux,
25:37 dans beaucoup d'associations,
25:39 dans le sport,
25:40 oui, dans le cinéma, il y a un pouvoir hiérarchique.
25:43 Il y a ce dont on parle aujourd'hui.
25:46 D'abord, ne mélangeons pas tout.
25:48 Dans certains cas, on parle de crime.
25:51 Il appartient à la justice de définir
25:53 si c'est ou si ce n'est pas un crime.
25:55 Dans d'autres cas, on parle de propos déplacés
25:58 tenus en plus en Corée du Nord
26:00 de la part d'un provocateur,
26:02 dans quelles conditions... -Il y a des plaintes
26:04 contre lui. Je ne vais pas jouer le procureur,
26:07 mais il y a des plaintes contre lui.
26:09 -Elles n'ont pas été... Écoutez,
26:11 je vais parler de quelqu'un d'autre
26:13 qui a été accusé qu'il y avait des plaintes
26:16 contre lui, je connais bien,
26:17 Kébesson. Eh bien, il a été...
26:21 -Non, il n'y a pas. -Le Casse-Sachon a estimé
26:23 qu'il n'y avait aucune raison qu'il y ait des plaintes.
26:26 Il ne faut pas non plus...
26:28 Il y a une plainte qui a un criminel.
26:30 Le viol, c'est un crime. Les propos, c'est indécent,
26:33 c'est scandaleux, c'est scabreux.
26:35 Ne mélangeons pas tout.
26:37 -Vous avez produit avec votre fille, ici, Denis,
26:40 le jacuzzi de Polanski, considérant qu'il avait été blanchi
26:43 par les Suisses et par les Français,
26:45 même s'il y avait des problèmes aux Etats-Unis.
26:48 Mais moi, j'aurais voulu savoir, justement,
26:51 le musicien, l'enseignant que vous êtes,
26:53 Collège de France et Normale Sub, c'est quand même important.
26:57 On considère même que vous représentez,
26:59 d'une certaine manière, Carole, l'élite de la nation,
27:02 même si vous êtes un bohémien, pianiste et compositeur de talent.
27:06 Comment vous réfléchissez à ces questions,
27:09 vous qui êtes en contact tous les jours avec des gens jeunes ?
27:12 Qu'est-ce qu'ils vous disent ? -Ils disent pas forcément grand-chose.
27:16 -Quand on leur parle de Jacob, de Godrej, de Doyon ?
27:21 -Alors, effectivement,
27:22 il y a sans doute un effet de génération.
27:25 Certaines générations sont plus sensibles,
27:28 voire épidémiquement sensibles à ces questions que d'autres.
27:31 Il se trouve que, s'agissant de musique,
27:34 j'ai la chance d'avoir affaire à un langage,
27:38 tant et que ce soit un langage, qui n'est pas très mimétique.
27:42 C'est-à-dire que je peux parler d'une symphonie
27:44 sans qu'on arrive forcément à voir des...
27:47 des idées sur "cette symphonie veut dire ceci" ou...
27:52 -Oui, "La nuit sur le mont Chauve" de Mussorgsky.
27:55 -Par exemple. En revanche, j'ai des collègues,
27:58 qui, aujourd'hui, se sentent obligés de faire un "trigger warning",
28:01 comme on dit en franglais, quand ils parlent de Don Giovanni.
28:05 Je trouve ça un peu dommage.
28:07 Il est un chef-d'oeuvre absolu de l'histoire de l'humanité.
28:10 -Votre voisin est à gauche.
28:12 -Je ne suis pas certain qu'il faille...
28:15 Enfin, je ne vais pas mettre les points sur les "i",
28:18 sur le fait que Don Giovanni, c'est quelqu'un de pas bien, etc.
28:22 Donc, ça, c'est une première chose.
28:24 Ensuite, que la parole des victimes ou présumées victimes
28:29 se libère, c'est évidemment une très bonne chose.
28:32 Ce qu'il faut faire, c'est respecter la présomption d'innocence,
28:36 évidemment, et puis, ne pas se livrer
28:40 à un tribunal populaire,
28:42 se méfier aussi des lynchages publics et médiatiques,
28:46 toute chose que, très récemment, Julie Gaillet a dite,
28:49 avec, à mon avis, beaucoup de soin et beaucoup de nuance,
28:53 dans une interview qu'elle a donnée à Laurent Geoffrin,
28:56 que je vous recommande.
28:58 -Merci à vous deux. Vos livres sont excellents.
29:00 Au bonheur des livres, on se termine,
29:02 mais c'est un bonheur de suivre Public Sénat.
29:05 Ciao, à la semaine prochaine. -Merci.
29:07 ...

Recommandée