À 9h05, les débatteuses du jour sont Caroline Mécary et Caroline Eliacheff. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-jeudi-21-mars-2024-4959658
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00:00 Débat ce matin sur la transidentité des mineurs.
00:03 Ce sujet a fait l'objet d'un rapport sénatorial de la droite LR estimant que cette transidentité des mineurs était, je cite,
00:13 « un des plus grands scandales éthiques de l'histoire de la médecine ».
00:16 Les sénateurs LR souhaiteraient interdire avant 18 ans la prescription et l'administration d'hormones croisées
00:24 et la chirurgie de réassignation sexuelle.
00:28 Que penser de cette position sénatoriale sur une question qui prête à controverse dans le débat public ?
00:35 On va poser la question à Caroline Mécari, qui est avocate en droit des familles,
00:40 et à Caroline Eliacheff, pédopsychiatre, psychanalyste, co-auteur de La Fabrique de l'enfant transgenre.
00:47 Comment protéger les mineurs d'un scandale sanitaire ? Point de l'interrogation.
00:52 C'était aux éditions de l'Observatoire.
00:54 Bonjour à toutes les deux.
00:55 Bonjour.
00:56 Vous êtes là ce matin. Comment accueillir et accompagner aujourd'hui les mineurs qui souhaitent changer de genre ?
01:01 Faut-il durcir les règles qui ont lieu aujourd'hui, notamment sur l'administration des fameux bloqueurs de puberté ?
01:08 Vous avez été consultée pour ce rapport sénatorial, vivement consultée Caroline Eliacheff.
01:13 Comment vous l'avez reçu ce rapport ? Est-il trop rigide, trop idéologique ?
01:18 Ou est-il la bonne réponse à une question difficile ?
01:23 Effectivement, c'est une question difficile.
01:26 Le rapport aura au moins le mérite de lancer le débat, car jusqu'à présent, il y a des controverses,
01:33 mais de débat réellement, il n'y en a pas.
01:37 Le rapport prend des positions qui peuvent paraître extrêmes, on va dire ça comme ça.
01:43 Même pour vous, vous avez trouvé que certaines préconisations étaient extrêmes ?
01:47 Non, je ne trouve pas que certaines préconisations sont extrêmes, mais je pense qu'il faut les expliquer.
01:52 Les expliquer en détail, car il y a...
01:56 Ce qui serait intéressant, c'est de placer le débat sur le plan de la controverse médicale.
02:02 Il y a une controverse médicale concernant ces prescriptions.
02:07 Vous avez parlé des hormones croisées, mais la controverse porte principalement sur les bloqueurs de puberté,
02:12 avant les hormones croisées.
02:14 On aura peut-être l'occasion d'en parler.
02:16 On va en parler des bloqueurs de puberté.
02:18 Caroline Mécary, trouvez-vous ce rapport trop extrême, trop idéologique ?
02:22 Très clairement, comme vous l'avez rappelé, il s'agit d'un rapport qui a été fait par le groupe Les Républicains.
02:28 C'est un rapport partisan, qui en plus, il faut quand même le préciser,
02:33 aujourd'hui n'est pas diffusé.
02:35 Toutes les informations que nous avons, c'est la synthèse du rapport,
02:38 c'est-à-dire les conclusions auxquelles il arrive, et la dépêche de l'AFP.
02:41 Mais le contenu même du rapport, on n'en sait rien.
02:43 C'est-à-dire que du point de vue méthodologique, on ne peut pas vérifier la pertinence des conclusions qui sont données.
02:49 Ça c'est le premier point, c'est quand même important de le rappeler, parce que ce n'est pas un rapport du Sénat.
02:54 Ensuite, dans les conclusions qui sont proposées, il y a deux types de conclusions.
02:58 Il y a les conclusions de nature médicale, et il y a des conclusions de nature civile et administrative.
03:03 Et là où on voit que c'est très idéologique, c'est lorsque l'on regarde les conclusions de nature civile et administrative.
03:09 Par exemple, la proposition de revenir sur la circulaire blancaire,
03:13 qui permet aux enfants d'utiliser le prénom de leur choix en accord avec leurs parents.
03:19 Ça, ça montre bien que c'est totalement idéologique.
03:23 Et donc, cette idéologie qui se manifeste du côté des mesures administratives,
03:28 évidemment, elle est sous-jacente dans les mesures médicales.
03:33 Parce que les mesures médicales, si on veut parler de la transidentité,
03:38 c'est-à-dire aujourd'hui, on ne parle même pas de dysphorie de genre,
03:42 on parle d'incongruence de genre, c'est-à-dire un hiatus entre le corps que l'on a et ce que l'on ressent être,
03:49 du point de vue médical, en réalité, il y a deux solutions, enfin il y a deux possibilités, il y a deux voies possibles.
03:55 Soit on considère qu'il faut accompagner les mineurs trans dans leur démarche,
04:01 qui ne va pas forcément d'ailleurs aboutir à une transition,
04:05 et l'accompagnement se fait d'un point de vue médical, notamment à la Pitié-Salle-Pétrière,
04:10 où vous avez des équipes pluridisciplinaires qui, par exemple, reçoivent à peu près 300 demandes d'utilisation de bloqueurs de puberté,
04:19 et vous avez évidemment, sous le contrôle médical, pédopsychiatres, psychiatres, endocrinologues, psychologues, etc.,
04:27 11% des dossiers qui sont acceptés. Il y a des process.
04:31 11% ! C'est-à-dire que c'est vraiment extrêmement réduit.
04:35 Donc le rapport part d'un postulat qui est faux, qui serait de dire "on fait n'importe quoi, n'importe comment".
04:40 Cela ne correspond pas à la réalité de la pratique médicale.
04:43 Alors est-ce que vous êtes d'accord avec ça, Caroline Eliatchef, que c'est très encadré, aujourd'hui à ce stade,
04:48 que c'est très encadré médicalement, et que...
04:52 Non, non, ça ne l'est pas. Je ne vais pas vous répondre sur le plan idéologique.
04:56 Les grands services parisiens ne sont pas la France entière.
05:01 Et donc il y a des pratiques qui sont absolument hors de ces cadres-là,
05:06 et même dans les services, il y a des positions qui sont différentes.
05:11 Personnellement, je ne mets pas en cause la façon dont pratiquent, par exemple, la pitié salpétrière.
05:17 Ce n'est pas ça le sujet.
05:18 Alors donnez-nous des exemples dans d'autres villes, ou dans d'autres endroits, où ça se passerait mal, à vos yeux en tout cas.
05:24 Écoutez, il y a des services dans toutes les villes,
05:31 toutes les grandes villes de France, et toutes les villes moyennes.
05:35 Et donc nous avons des retours sur ce qui peut se passer ici ou là.
05:39 Je ne veux pas nommer telle ou telle ville.
05:42 Donc aujourd'hui, il n'y a effectivement pas...
05:45 Des retours qui disent quoi, en fait ?
05:47 Ils disent premièrement, diagnostic rapide, une ou deux consultations.
05:54 Ensuite, prescription de bloqueurs de puberté rapide.
06:00 Ensuite, prescription d'hormones croisées rapide.
06:04 Alors que jusqu'à présent, avant cette augmentation quasi exponentielle du nombre de jeunes,
06:12 par exemple pour les adultes qui souhaitaient faire leur transition, ce qui est leur droit le plus strict,
06:19 cette transition prenait un à deux ans.
06:22 Ça n'est absolument plus le cas maintenant.
06:25 Et donc un encadrement serait nécessaire.
06:29 Souhaitable à vos yeux.
06:30 Le système public de santé en Angleterre a annoncé la semaine dernière qu'il ne prescrirait plus de bloqueurs de puberté
06:36 aux mineurs qui souhaitaient changer de genre, en dehors d'essais cliniques.
06:41 Ce n'est pas le seul.
06:42 Plusieurs pays nordiques l'ont déjà interdit.
06:44 Est-on en train de revenir en arrière ?
06:47 Est-ce une régression selon vous, Caroline Mécary, ou je mets des guillemets, un principe de précaution ?
06:53 Non, alors je vais juste revenir sur deux petites choses.
06:56 D'abord, moi je veux bien qu'on me parle de centres médicaux qui feraient n'importe quoi,
07:00 sauf qu'en même temps, ce qui est affirmé n'est pas documenté.
07:04 Je rappelle quand même que l'académie de médecine,
07:06 on ne peut pas dire que ce soit l'institution la plus alliée des personnes LGBT,
07:12 n'a absolument pas interdit les bloqueurs de puberté.
07:15 Parce qu'on sait très bien aujourd'hui qu'ils sont préconisés uniquement dans des cas
07:19 où le jeune qui peut avoir 14 ans, 15 ans, 16 ans, 17 ans, 18 ans,
07:23 parce que c'est quand même à ce niveau-là, au moment où la puberté commence,
07:26 va être préconisé dans des cas extrêmement graves.
07:29 C'est-à-dire le jeune a fait des tentatives de suicide, il y a des scarifications,
07:33 il y a un mal-être qui est très profond.
07:35 Ça ne se fait pas dans n'importe quelle condition.
07:37 Permettez-moi juste de préciser sur ce que vous avez dit sur la Grande-Bretagne.
07:40 Ils ont interdit le principe des bloqueurs de puberté.
07:44 Il n'y a pas que deux exceptions, les essais cliniques et le cas par cas.
07:48 Parce qu'on ne peut absolument pas poser une interdiction de principe, ça ne correspond à rien.
07:53 Est-ce qu'il n'y a pas un mouvement là, en Grande-Bretagne ou dans les pays nordiques,
07:57 qui revient un petit peu, alors que c'était les pays qui étaient précurseurs ?
08:00 Oui, vous avez un mouvement conservateur qui parle notamment de la Russie.
08:05 D'ailleurs, c'est assez intéressant que vous alliez inviter cet auteur russe qui vous parle
08:09 de comment en Russie il y a eu la possibilité pour les gays de vivre.
08:13 Et aujourd'hui, il y a une véritable descente aux enfers avec encore l'arrestation
08:16 de deux responsables hier par les autorités russes.
08:19 On va en parler tout à l'heure avec Mathilde Serrel.
08:21 Il y a ce mouvement conservateur qui parle de la Russie poutinienne.
08:26 C'est-à-dire qu'avec une idéologie, il ne peut exister que la famille, un père, une mère,
08:31 deux enfants et hétérosexuels.
08:33 La Grande-Bretagne ou les pays nordiques, ce n'est pas la Russie poutinienne.
08:37 Les interdictions ne sont pas totales.
08:40 C'est-à-dire qu'il y a toujours des exceptions.
08:44 Et c'est à l'appréciation des médecins.
08:47 C'est ça qu'il faut quand même entendre.
08:49 Et le principe qui est posé par le rapport, que personne n'a lu,
08:53 puisque nous ne l'avons pas, il n'est pas encore mis en ligne sur le site des Républicains,
08:57 est une position vraiment idéologique.
08:59 Cela ne correspond pas par ailleurs au consensus médical sur la nécessité
09:04 non pas d'interdire la transidentité, non pas de vouloir l'effacer, l'annihier,
09:10 mais au contraire de l'accompagner.
09:12 Parce qu'on s'est rendu compte dans des études sociologiques
09:14 que cette transidentité, quand elle est accompagnée chez les mineurs,
09:17 ça a des effets positifs pour les gamins.
09:20 Et ce n'est pas parce que vous avez éventuellement une personne
09:23 qui a fait une transition qui le regrette
09:25 que ça vaut pour l'ensemble des personnes qui agissent.
09:29 Une dernière chose, excusez-moi, juste sur les chiffres quand même.
09:32 Et je les ai pris auprès de la Sécurité Sociale,
09:35 la transidentité c'est une infection de longue durée.
09:38 Donc entre 2013 et 2023, on est passé de 9 cas par an,
09:43 aujourd'hui on en est à 293.
09:46 Donc en termes d'explosion, et là les chiffres sont fiables,
09:50 excusez-moi du peu.
09:51 Caroline Eliat.
09:52 Oui, moi j'aimerais apporter quelques informations
09:54 sur ces fameux bloqueurs de puberté.
09:56 Parce que d'où ça vient cette affaire ?
09:58 Ça vient d'une étude qui a été publiée en 2006.
10:05 Elle concernait 55 garçons ayant souhaité devenir des filles
10:13 dans la petite enfance.
10:16 Et pour ces garçons, on a donné des bloqueurs de puberté
10:21 en disant que ça allait beaucoup mieux.
10:24 Première chose, c'est cette étude-là qui est remise en question.
10:27 Pourquoi ? Parce que depuis 2006,
10:30 la population a entièrement changé.
10:33 Ce ne sont plus des petits garçons, ce sont 80% de filles
10:37 qui ne disent pas forcément qu'elles veulent devenir des garçons,
10:40 qui disent qu'elles ne veulent pas devenir des femmes.
10:43 Cette population a entièrement changé.
10:46 Et donc un certain nombre de médecins sont restés sur ces préconisations
10:51 qui ne concernent pas la population actuelle.
10:55 Voilà pourquoi...
10:57 Ca vous en convenez que aujourd'hui, c'est surtout des filles ?
11:00 Je voudrais dire autre chose.
11:02 Sur l'interdiction des bloqueurs de puberté,
11:05 il y a une différence entre les Etats-Unis,
11:07 où effectivement les bloqueurs de puberté ont été interdits par la loi,
11:11 et les pays nordiques, où il s'agit de préconisations.
11:15 Et c'est beaucoup mieux,
11:17 parce qu'effectivement quand il y a des préconisations,
11:20 comme vous l'avez dit,
11:22 les médecins, au cas par cas, peuvent décider.
11:26 Car il y a des cas exceptionnels où ça serait possible.
11:30 Donc vous vous dites qu'il ne faut pas une loi
11:32 qui interdise brutalement l'administration de bloqueurs de puberté aux mineurs.
11:36 Vous dites qu'il faut laisser aux médecins le cas par cas.
11:40 Mais n'est-ce pas le cas déjà aujourd'hui ?
11:42 Ce n'est pas exactement ce que je dis,
11:44 puisque les médecins en France n'ont pas bougé.
11:46 Les pays nordiques, ce sont les médecins qui ont bougé.
11:49 Et ça ne vient pas de la Russie, je suis désolée.
11:51 Ca vient de chefs de services, en particulier en Finlande,
11:56 qui ont observé dans leurs services
11:59 que les promesses qui étaient dues à ces bloqueurs de puberté
12:05 et aux hormones croisées n'étaient pas tenues.
12:07 Donc ce sont des médecins.
12:10 Ce que je veux dire, c'est que justement, ça n'est pas idéologique.
12:13 Ce sont des médecins qui, comme dans n'importe quel domaine,
12:16 quand ça ne marche pas, on revient sur ce qu'on fait.
12:19 Caroline Macari ?
12:20 C'est assez simple.
12:21 La pratique aujourd'hui médicale,
12:23 dans les centres qui reçoivent les jeunes trans,
12:25 que ce soit Paris, Lyon ou Marseille,
12:27 c'est une pratique pluridisciplinaire
12:29 où on ne fait pas n'importe quoi,
12:31 et où on fait du cas par cas.
12:33 Donc les bloqueurs de puberté,
12:35 c'est une minorité qui les reçoit,
12:38 et c'est parce que ça correspond à une situation,
12:40 qui le nécessite.
12:42 Le suivi, quand on donne un bloqueur de puberté,
12:45 le suivi prend un à deux ans pour pouvoir parler avec le jeune,
12:48 le faire parler, voir exactement ce qu'il veut,
12:52 s'il veut réellement aller à la transition jusqu'au bout.
12:54 Donc entre le moment de la première consultation
12:56 où il dit "je veux devenir fille" ou "je veux devenir garçon"
12:58 et le moment où on donne le premier bloqueur de puberté,
13:00 vous dites que ça met un an ?
13:02 Non, le délai peut être plus court.
13:06 Il y a un examen pluridisciplinaire de la situation du jeune.
13:10 Il parle avec pédiatre, pédopsychiatre,
13:12 comme je vous l'ai dit, psychologue, endocrinologue.
13:15 On lui explique s'il est vraiment en demande de changer,
13:19 il ne supporte plus son corps, ses seins qui poussent,
13:21 sa barbe, que sais-je encore.
13:23 On lui explique les effets,
13:25 et c'est la réunion pluridisciplinaire médicale
13:30 qui décide de l'accepter ou pas.
13:32 Donc en réalité on ne fait pas n'importe quoi.
13:34 Ce qui est détestable dans ce rapport,
13:36 c'est que ça parle du postulat que les médecins
13:38 feraient n'importe quoi aujourd'hui,
13:40 alors que ça ne correspond pas à la réalité.
13:42 C'est en cela que c'est idéologique.
13:44 Caroline Elietchev, un mot ?
13:46 Les médecins ne font pas n'importe quoi,
13:49 mais les grands services parisiens
13:51 ne sont pas les seuls endroits où ces enfants sont traités.
13:55 Et si vous demandez à n'importe quel parent
13:57 est-ce que vous voulez bien que votre enfant
13:59 prenne des bloqueurs de puberté ?
14:01 Ou est-ce que vous demandez à n'importe qui,
14:03 vous aurez une réponse je pense un petit peu différente
14:06 que celle que l'on vient d'entendre.
14:08 Je précise par ailleurs que les bloqueurs de puberté,
14:10 s'ils sont prescrits, vont l'être avec l'autorisation des parents.
14:13 Ce sont des mineurs.
14:14 Et le consentement.
14:15 Merci à toutes les deux.
14:17 Merci du consentement.
14:19 Caroline Mecari, Caroline Elietchev.