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Et si nous n'étions que des esclaves de notre cerveau ? Jean-Jacques Hublin, paléoanthropologue, auteur de "La tyrannie du cerveau" (Robert Laffont) retrace une histoire de l'évolution humaine de cet organe si extraordinaire. Il est l'invité du 8h20 de France Inter.

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00:00Et si au fond, nous n'étions rien d'autre que des esclaves de notre cerveau ?
00:05Notre invité trace dans son livre une histoire de l'évolution humaine à travers le prisme
00:11de cet organe si extraordinaire et tellement, tellement gourmand en énergie, la tyrannie
00:17du cerveau.
00:18C'est le titre de ce livre paru chez Robert Laffont, Jean-Jacques Hublin.
00:22Bonjour.
00:23Bonjour.
00:24Paléo-anthropologue, professeur au Collège de France, membre de l'Académie des sciences,
00:27les auditeurs de France Inter, comme d'habitude, peuvent vous poser leurs questions au 0145
00:3224 7000 et sur l'application de Radio France.
00:35La tyrannie du cerveau, ça veut dire que depuis le début de son évolution, tout ce
00:39que fait l'homme, en fait, c'est de se plier en quatre pour répondre aux besoins
00:43de ce qu'il y a dans sa boîte crânienne ?
00:45Ce cerveau, c'est quand même un outil formidable.
00:49Et si je peux dire, le succès de l'homme et de ses prédécesseurs depuis deux millions
00:55d'années, il s'appuie sur les performances de ce cerveau.
00:59Mais c'est un outil qui coûte très cher.
01:02Parce que, justement, il faut l'alimenter en permanence, en énergie, vous comparez
01:07les neurones à des milliards de minuscules batteries qui ont besoin d'être rechargées
01:12en permanence.
01:13Voilà, 80 milliards de neurones qui sont des petites batteries rechargeables en permanence,
01:20un cerveau qui a besoin d'être maintenu à température, nourri.
01:25Donc, c'est un organe qui ne représente que 2% du poids du corps, mais qui consomme
01:3320% de son énergie au repos.
01:36Et en même temps, vous le disiez, c'est lui qui nous a permis de conquérir le monde
01:40pour paraphraser Minus et Cortex, fameux dessin animé adapté à la circonstance.
01:46Vous diriez que c'est à la fois notre trésor et une forme de malédiction, notre cerveau ?
01:51L'évolution humaine, on peut la voir d'une façon un peu épique en regardant l'histoire
02:01de personnages qui sont quasiment devenus des stars de la pop-culture, l'homme de
02:06Néandertal aussi.
02:07Mais c'est surtout une prise de contrôle de l'environnement, l'environnement proche
02:13puis ensuite l'environnement global, qui s'appuie sur des structures de coopération
02:20entre individus de plus en plus étendues.
02:23Et pour ça, il faut un cerveau.
02:25Et il faut un cerveau qui soit complexe, gros, de plus en plus gros, et qui développe des
02:33capacités cognitives très avancées.
02:36On va parler justement de la façon qu'a eu l'homme de sans cesse façonner son environnement
02:42grâce à ce cerveau, mais pour répondre aux besoins du cerveau.
02:45Nous sommes davantage, nous, homo sapiens, sujets à cette tyrannie du cerveau que les
02:52autres animaux, les autres vertébrés, même les autres espèces telles que Néandertal
02:56dont vous parliez.
02:57Pourquoi ?
02:58Alors certainement beaucoup plus que d'autres primates ou d'autres mammifères, mais si
03:05on se compare à d'autres formes d'hommes fossiles récentes comme l'homme de Néandertal,
03:12d'une certaine façon, notre espèce a un petit peu échappé quand même à ce problème
03:18de coût du cerveau en choisissant une voie un peu de travers, si je peux dire.
03:25Alors, ce n'est pas un choix personnel, c'est la sélection naturelle qui a poussé notre
03:29espèce dans cette direction, mais disons, au cours de l'évolution humaine récente,
03:34après deux millions d'années d'accroissement constant de la taille du cerveau, dans notre
03:40espèce, on voit une inflexion dans une autre direction.
03:43Donc, vous l'avez dit, l'homme est l'espèce animale qui transforme, et de loin, le plus
03:53son environnement.
03:54Tout ça, c'est grâce et à cause du cerveau, encore une fois.
03:58Oui, c'est un cercle, alors on peut dire vicieux ou vertueux, selon la façon dont
04:04on voit les choses, mais disons que ce gros cerveau, à cause de son coût énergétique,
04:12il entraîne un certain nombre d'autres adaptations, en particulier sur le mode de
04:17développement des enfants, la façon dont on les met au monde, la durée de leur croissance,
04:23et pour rendre tout ça possible, il faut un environnement artificiel qui nécessite
04:32ce gros cerveau.
04:33Donc, c'est un espèce de cycle dans lequel nous sommes rentrés, et dont je ne pense
04:39pas qu'on va sortir.
04:40Vous parlez des enfants, leur cerveau se développe encore beaucoup après la naissance, donc
04:50il faut mettre en place une structure de société adaptée au développement de l'enfant ?
04:56C'est ça, c'est ça.
04:57C'est-à-dire que, d'une façon générale, les mammifères qui ont des gros cerveaux
05:03sont des espèces qui ont peu de petits, qui prennent soin de leurs petits, elles ont une
05:08grande longévité, elles ont une fécondité réduite, et ça, ça a été poussé très
05:14très loin par l'homme, et ça demande des structures sociales très particulières,
05:20avec des adultes qui extraient de l'environnement beaucoup plus que ce dont ils ont besoin à
05:25titre personnel, qui redistribuent cela vers les plus jeunes et vers les plus vieux.
05:31Et donc, on peut voir les hommes comme des reproducteurs coopératifs.
05:38C'est-à-dire que ce n'est pas une femelle qui met au monde un petit et qui s'en occupe
05:44jusqu'à ce qu'il soit autonome, c'est une espèce de coalition d'adultes qui rend possible
05:50le développement des enfants.
05:51Donc c'est cet organe, le cerveau, particulièrement gros, donc on l'a dit chez l'homme en proportion,
05:58qui nous oblige à coopérer, à vivre en société ?
06:01Qui nous oblige, mais en même temps qui nous le permet.
06:04C'est-à-dire qu'on pense toujours à l'évolution des capacités cognitives dans le passé,
06:10du point de vue de la technologie, des inventions, des artefacts qui peuplent notre environnement,
06:18mais cet aspect coopératif, cet aspect de complexité sociale, c'est probablement au
06:26moins aussi important.
06:27Vous l'avez dit, plus une espèce a un cerveau important, un gros cerveau, moins cette espèce
06:38va avoir tendance à faire d'enfant, parce que justement, ça demande beaucoup d'énergie ?
06:42D'une façon générale, quand on regarde tous les êtres vivants, on peut se limiter
06:48aux vertébrés ou aux mammifères qui sont proches de nous, on a des espèces dont les
06:56petits coûtent cher, et puis des espèces dont les petits sont bon marché, et donc du
07:02point de vue énergétique, celles dont les petits sont bon marché, justement, ont beaucoup
07:08de petits, grande mortalité, quelques-uns survivent, vie courte, les espèces à grands
07:16cerveaux, les espèces qui ont des petits qui coûtent cher, les petits sont précieux,
07:21il y en a moins, et donc il y a un lien dans le monde animal entre la fécondité des espèces
07:28et puis leurs coûts, leurs coûts métaboliques.
07:31Et d'ailleurs, on peut regarder l'évolution humaine, même récente, de ce point de vue-là,
07:38c'est-à-dire que dans le fond, nous sommes devenus des êtres qui coûtent très très
07:41cher en énergie, et d'ailleurs, notre fécondité se réduit considérablement, même sous nos
07:48yeux actuellement.
07:50Et c'est ce qui fait que, justement, toute cette question de la recherche permanente
07:54et éternelle de l'énergie parcourt toute cette problématique que vous exposez dans
08:00le livre.
08:01J'en reviens justement à la transformation de l'environnement, transformation de l'environnement
08:07pour manger d'abord, c'est le cerveau qui fait que nous aimons tant le sucre, le gras,
08:14que nous mangeons de la viande ?
08:15Oui, il y a à peu près deux millions d'années, nous avons abandonné un régime alimentaire
08:20qui était le régime alimentaire de beaucoup de grands primates, qui était quand même
08:24très fondé sur le monde végétal, vers des nourritures plus riches en calories.
08:31Alors, on parle beaucoup de la viande, mais c'est surtout la graisse qui est à l'intérieur
08:35de la viande qui, si je peux dire, intéressait nos ancêtres.
08:40Et donc, il y a déjà, au début de cette évolution, un grand changement sur le plan
08:47diététique, sur le plan de ce que l'on consomme pour se nourrir.
08:52Et il y a un chapitre dont j'ai beaucoup aimé le titre, justement, cette période
08:55de fête, de l'importance d'être gras, un sous-chapitre.
08:59Oui, alors, les hommes sont des primates gras, on a une composition corporelle qui
09:05est beaucoup plus...
09:06Je ne veux offenser personne, mais surtout les femmes par rapport aux hommes, même en
09:12bonne santé, même sans obésité, en faisant de l'exercice, tout ce monde-là est plus
09:18gras que des chimpanzés, des gorilles, même s'ils sont dans un zoo et qu'ils ne font
09:23rien de spécial.
09:25Et en particulier, nos petits, les bébés, les bébés humains sont beaucoup plus gras
09:31que les bébés d'autres espèces de primates.
09:34Et cette présence du gras, elle s'explique par la nécessité d'avoir une espèce de
09:41sécurité énergétique, parce que ce cerveau en développement des petits-enfants, il a
09:47un besoin constant d'énergie.
09:49Et c'est pour cela, vous le dites dans le livre, qu'on dirait « tiens, c'est un beau
09:52bébé ».
09:53Oui, alors, ça rejoint le sujet des interactions sociales.
09:59Les bébés humains, pour se développer, ont besoin d'autre chose que de leur maman.
10:05Ils ont besoin des autres adultes.
10:07Et on voit bien comment l'évolution a façonné chez les humains tout un tas de comportements
10:14qui se manifestent dès la petite enfance et qui font que les bébés, les nourrissons,
10:21ont des comportements de séduction vis-à-vis de leurs grands-parents, de leur grand-mère.
10:28Oui, oui.
10:29Et quels rôles ces grands-mères ont ?
10:31Et bien, on pense que les grands-mères, mais pas que les grands-mères, les grands-pères
10:35aussi, je veux un peu défendre la cause des grands-pères, les grands-pères aussi, et
10:41puis tous les adultes, dans le fond, permettent à la mère de sevrer son petit beaucoup plus
10:49tôt que dans les autres espèces de primates, parce qu'ils vont contribuer au soutien du
10:55développement de ce cerveau d'enfant.
10:58Et d'ailleurs, du coup, la mère peut avoir d'autres enfants beaucoup plus rapidement
11:03que ce qui se passe chez des gorilles ou des chimpanzés.
11:06Et on voit effectivement que c'est le besoin du cerveau, du développement du cerveau qui
11:12fait qu'on a cette organisation de la société, de la famille particulière en effet.
11:18C'est ça qui est passionnant.
11:19Façonner notre environnement pour donner du carburant au cerveau, donc on le dit, c'est
11:23ce que nous faisons en permanence.
11:25Quitte à détruire l'environnement, c'est ça le paradoxe du cerveau humain ?
11:30Alors bon, détruire l'environnement, c'est un sujet un peu délicat.
11:35Il faut bien comprendre que d'autres espèces animales modifient l'environnement.
11:41Les mammouths, par exemple, ont façonné les paysages du nord de l'Eurasie pendant
11:48des dizaines de milliers d'années.
11:50Volontairement ?
11:51Pas volontairement, juste parce qu'ils mangeaient de l'herbe, ils piétinaient et ils fabriquaient
11:55un paysage qui était un paysage nouveau, si je peux dire, qui n'aurait pas existé
12:01sans eux.
12:02Alors les hommes ont poussé le bouchon quand même beaucoup plus loin et ils ont créé
12:08un environnement complètement artificiel autour d'eux et puis évidemment, ça finit par
12:14avoir un impact très important sur la faune, le climat aujourd'hui.
12:19Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que ça n'est pas une sorte d'accident industriel
12:23qui a commencé à se développer il y a deux siècles.
12:26C'est une vieille histoire.
12:28L'homme de Néandertal fichait le feu à la forêt déjà il y a 125 000 ans parce que
12:36pour lui, des paysages dégagés étaient plus favorables à la chasse que des paysages de
12:41forêt très dense.
12:43Mais l'ironie est cruelle quand on lit le livre, quand on vous écoute.
12:48C'est-à-dire que c'est ce cerveau qui nous a incités et qui même nous a permis de changer
12:53notre environnement et c'est peut-être lui qui va causer notre perte.
12:56Alors moi je suis un peu plus pessimiste, un peu plus optimiste que ça, parce que notre
13:03cerveau, il nous permet aussi d'analyser l'environnement d'une façon évidemment qui est inaccessible
13:10aux autres espèces vivantes.
13:12Alors le poison est dans la solution, mais la solution est aussi dans le poison.
13:19Donc on va, enfin je l'espère, quand même agir et il y a quand même en très peu de
13:26temps, à l'échelle des temps géologiques, avec la découverte de cet impact de l'activité
13:32humaine sur le climat, des formes de réaction.
13:35Donc ça c'est quand même à mettre au crédit de notre cerveau.
13:38Et ce qui peut donner espoir aussi, pardonnez-moi décidément, c'est de voir, et vous l'expliquez
13:45très bien là encore, que l'homme en façonnant son environnement, façonne d'une certaine
13:50manière son propre cerveau.
13:52Nous sommes les architectes de notre propre cerveau.
13:55Ce qui est particulier avec l'homme, c'est qu'on voit au cours de son évolution que
14:00de plus en plus, ses activités, l'organisation des sociétés, l'économie même, par exemple
14:07le passage à l'agriculture, a eu un impact sur notre génome, notre biologie, la façon
14:15dont notre corps fonctionne.
14:17Et avec le cerveau, ça a pris une dimension toute particulière.
14:22Au cours de notre vie, nos activités intellectuelles façonnent notre cerveau.
14:28Et sur le long terme, effectivement, on peut voir l'évolution humaine comme l'histoire
14:34d'une espèce qui fabrique son propre cerveau.
14:37Oui.
14:38Question de François sur l'application de Radio France pour vous, Jean-Jacques Hublin,
14:42paléoanthropologue.
14:43Je rappelle le titre de votre livre, « La tyrannie du cerveau » chez Robert Laffont.
14:47François demande « Comment se fait-il que des espèces avec des plus gros cerveaux que
14:51les êtres humains, comme les baleines ou les dauphins, ne soient pas parties à la conquête
14:55du monde pour plier leur environnement à leur volonté ? »
14:57Il n'y a pas un lien aussi simple que ça entre la taille du cerveau et puis les capacités
15:04cognitives.
15:05Beaucoup d'autres choses interviennent.
15:07Le nombre de neurones, le degré de connectivité, la vitesse des signaux électriques ou chimiques
15:15à l'intérieur du cerveau.
15:16Dans le cas des baleines, malheureusement, elles vivent dans l'eau, elles utilisent
15:23leurs membres pour se déplacer.
15:25On sait que les dauphins sont capables d'utiliser des outils, fabriquent des petits pièges
15:33avec des éponges.
15:34Mais c'est vrai que l'homme, avec ses mains, dans un environnement terrestre, a eu des
15:40capacités beaucoup plus grandes pour développer la technologie.
15:43On parle de la taille du cerveau, elle diminue depuis quelques millénaires la taille du
15:48cerveau humain ?
15:49Il semble bien, oui.
15:50Max s'en inquiétait aussi sur l'application de Radio France.
15:56C'est assez mystérieux.
15:57Quand l'évolution de notre espace a commencé il y a environ 300 000 ans, on a déjà des
16:09formes qui ont des cerveaux à peu près de la taille du cerveau des hommes actuels.
16:15Dans notre espace, au lieu de continuer dans la voie de l'augmentation de taille, on est
16:22allé plutôt dans une meilleure connectivité, une organisation différente.
16:27Récemment, quand je dis récemment, c'est quand même depuis 3-4 000 ans, il semble
16:33qu'on ait une réduction de la taille du cerveau qui va au-delà de ce qui serait entraîné
16:39par une pure réduction du format corporel.
16:42On pense que c'est lié au fait que dans les sociétés développées, hiérarchisées,
16:49il y a une division des tâches qui est beaucoup plus grande que ce qui existait autrefois.
16:53Donc on a moins de connaissances à acquérir ?
16:57Un homme de Cro-Bagnon, qui vivait il y a 25 000 ans, devait posséder toutes les connaissances
17:04du moment, toutes les expertises.
17:07Il y a sûrement des gens qui étaient plus doués pour certaines choses, mais tout le
17:10monde savait tout.
17:11Aujourd'hui, je ne dirais pas que tout le monde ne sait rien ou quelque chose comme
17:18ça, mais c'est la mise en commun de l'intelligence de nombreux individus qui permet de produire
17:24un iPhone ou une voiture.
17:28Et donc, dans le fond, comme le cerveau est quand même quelque chose qui coûte très
17:32très cher, les sociétés développées peuvent fonctionner avec des individus qui ont des
17:39cerveaux plus petits.
17:41On parle de la taille du cerveau qui aurait tendance à diminuer, le cerveau peut être
17:46aussi sujet à des maladies, la schizophrénie par exemple, la maladie d'Alzheimer.
17:53Pourquoi ce cerveau qui a été au centre de toutes les attentions de l'être humain
17:58depuis des dizaines de milliers d'années, des millions d'années si je vous suis bien,
18:04a-t-il laissé se développer des maladies comme celle-là ?
18:08Ce cerveau qui a une activité métabolique très très intense, il produit des déchets,
18:17c'est un gros sujet, le nettoyage du cerveau, et donc une partie des maladies dégénératives
18:24qu'on observe chez l'homme, elles sont liées à l'accumulation de ces plaques de
18:29déchets protéiniques entre les neurones, voilà Alzheimer, on pense que c'est en grande
18:35partie ça.
18:36Après, il y a un autre sujet, c'est qu'on s'est rendu compte que des parties du génome
18:43qui favorisent ces maladies avaient été sélectionnées positivement chez l'homme,
18:48et ça, ça paraît très très étrange, mais c'est intéressant de comprendre que
18:54dans le fond, l'évolution c'est toujours une balance entre des avantages et des coûts,
19:00et donc quelque chose qui autrefois était intéressant, si je peux dire, avantageux,
19:07parce que par exemple, il entraînait une meilleure connectivité du cerveau au début
19:13de la vie, était sélectionné positivement, parce que dans le fond, on n'en subissait
19:18pas les conséquences parce que les gens ne vivaient pas très longtemps.
19:21Aujourd'hui, on vit très longtemps et donc on paye le prix, si je peux dire, de ces mutations
19:25qui ont été autrefois avantageuses.
19:27Parlons de l'avenir de notre cerveau, de son évolution encore dans les années, les
19:34millénaires et peut-être les millions d'années à venir, parce qu'il y a beaucoup de questions
19:38sur l'application de Radio France.
19:40Frédéric, par exemple, voudrait savoir quel est l'impact de l'usage de l'intelligence
19:44artificielle au quotidien, en particulier dans les situations d'apprentissage.
19:48Il y verrait plutôt, Frédéric, un point positif, puisque l'intelligence artificielle,
19:54en tout cas, c'est sa question, pourrait peut-être alléger la consommation en énergie
19:57du cerveau.
19:58On externalise les tâches ?
20:00Mais on ne fait que ça depuis le début, c'est-à-dire qu'au départ, ce coût énergétique
20:06très important du cerveau a fait qu'on a externalisé un certain nombre de fonctions
20:12biologiques pour, dans le fond, économiser de l'énergie et la réallouer au cerveau.
20:17La préparation des aliments, la cuisson, par exemple, c'est une façon de les rendre
20:22plus digestibles et donc l'énergie qu'on ne dépense pas pour les digérer, on la brûle
20:27dans notre cerveau.
20:28Formidable.
20:29Mais cette externalisation aujourd'hui, depuis un petit moment, elle s'étend au cerveau
20:36lui-même.
20:37C'est-à-dire qu'on a externalisé, d'abord dans des systèmes de codage de la mémoire,
20:44l'écriture, et puis aujourd'hui, on stocke de la mémoire.
20:47Google, Wikipédia, c'est autant de connaissances qu'on n'a pas besoin de stocker.
20:52On a aussi externalisé des capacités de calcul, de prédiction, l'informatique, l'intelligence
21:00artificielle.
21:01Mais il faut quand même bien voir une chose, c'est que cette intelligence artificielle
21:06coûte très cher en énergie, justement.
21:08Ce n'est pas de l'énergie brûlée par notre corps sous forme de glucose, mais les
21:16GAFAM se payent des centrales nucléaires pour alimenter leur activité.
21:22Encore une question sur l'application de Radio France.
21:25Quels sont les effets des écrans sur les réseaux de neurones ? Et le sport est-il
21:30bon pour le fonctionnement du cerveau ?
21:32Alors le sport est bon pour tout, si je peux dire.
21:38Pas forcément un sport intense, mais c'est important d'avoir une activité physique,
21:45y compris pour le cerveau, ça je pense que c'est universellement reconnu.
21:49Alors les écrans, le côté négatif des écrans, c'est qu'ils réduisent les interactions
21:56sociales et puis aussi qu'ils entraînent une forme de sédentarité qui est un peu
22:04l'opposé de ce que je venais de dire sur l'activité physique.
22:07Puisqu'on parle des évolutions technologiques, vous écrivez « l'homme est à présent
22:12capable d'intervenir sur son propre génome, il est en mesure dans un futur proche de fabriquer
22:18sa propre évolution, ce qu'aucune autre espèce dans l'histoire de la vie n'a encore
22:22été en mesure de faire ».
22:24Oui c'est vrai, on me pose souvent la question de l'évolution future.
22:29C'est évidemment une question très difficile, mais il est quand même important de relever
22:37que l'action de l'homme sur son propre génome, c'est une très grande nouveauté
22:42dans l'histoire de la vie.
22:44Aucune espèce ne l'a fait avant.
22:46Alors on est en train de discuter de tout un tas de barrières éthiques à cette intervention
22:53sur le génome.
22:54Personnellement, je ne connais pas d'invention humaine qui n'ait pas été utilisée par
23:00l'homme d'une façon ou d'une autre.
23:01Donc je serais très surpris que dans l'avenir, pas peut-être immédiat, mais dans l'avenir
23:08à moyen terme, il n'y ait pas des formes d'intervention sur l'évolution humaine.
23:14J'en reviens à la question centrale pour terminer, Jean-Jacques Hubelin, qu'on posait
23:18tout à l'heure, celle de l'environnement, cette recherche de l'énergie, comment
23:23continuer à trouver de l'énergie sans détruire notre habitat ? Nous serons bientôt
23:2810 milliards, 10 milliards de cerveaux, est-ce qu'à nous tous, on peut trouver une solution
23:33pour y arriver ?
23:34Je l'espère, mais la demi-bonne nouvelle quand même, c'est qu'en partie à cause
23:40du coût énergétique des êtres humains, on voit justement leur fécondité décliner.
23:48Et donc oui, on va monter à 10 milliards, mais on va redescendre.
23:51Et toute la question, c'est de savoir à quelle vitesse et jusqu'où on va redescendre.
23:57Ce qui n'est peut-être pas une mauvaise nouvelle pour la planète.
24:00Merci beaucoup Jean-Jacques Hubelin.
24:02C'était passionnant, question, enfin boutade de Jean-Philippe pour terminer.
24:07Si le cerveau oblige à coopérer, faut-il en déduire que la classe politique française
24:11a perdu les siens ? Je ne vous demanderai pas la réponse à cette question.
24:15Jean-Jacques Hubelin, paléoanthropologue, votre livre « La tyrannie du cerveau »
24:20est apparu chez Robert Laffont.
24:22Merci encore.
24:23J'incite les auditeurs à venir assister aux cours du Collège de France,
24:28qui sont ouverts à tout public, sans aucune formalité.
24:33Eh bien, c'est un bon conseil.

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