Titre complet: Les Aigles Foudroyés (1/7) : Le bel été 14
Type d'œuvre: Série télévisée
Année de production: 1988
Genre: Drame, Guerre
Pays d'origine: France
Réalisateur: Jean-Claude Lubtchansky
Scénaristes: Jean-Claude Lubtchansky, Didier Decoin
Musique: Philippe Sarde
Acteurs principaux:
Jean-Pierre Bacri : Capitaine Maréchal
Bernard Giraudeau : Lieutenant de vaisseau de Kermellec
Sophie Marceau : Marie-Pierre
François Négret : Commandant Rivière
Jacques Spiesser : Capitaine de frégate de La Tullaye
Synopsis:
L'été 1914. Le capitaine Maréchal et le lieutenant de vaisseau de Kermellec sont affectés à l'escadrille "Les Aigles Foudroyés". La série raconte leurs aventures et celles de leurs camarades aviateurs pendant la Première Guerre mondiale.
Épisode 1 : Le bel été 14
Cet épisode raconte l'arrivée des deux officiers au sein de l'escadrille et leur première mission.
Ils font la connaissance de Marie-Pierre, une jeune femme qui travaille dans un garage automobile.
L'épisode se termine par le déclenchement de la guerre.
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Court métrageTranscription
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00:06:45 La guerre de 1914 a-t-elle ainsi vraiment commencé
00:06:50 par une brûlante matinée dans un coin perdu des Balkans ?
00:06:54 En tout cas, nul n'en eut conscience
00:06:59 parmi ceux qui se saisirent de principe et manquèrent de le lyncher,
00:07:02 ni parmi les fidèles des Habsbourg
00:07:05 qui brandirent des portraits de l'Empereur
00:07:08 et saccagèrent les maisons des sympathisants de la Serbie.
00:07:11 (musique)
00:07:13 Mais au fond, trop de pulsions morbides agitaient déjà l'Europe
00:07:23 et cette étincelle en valait bien d'autres.
00:07:26 Unissant un terroriste de 19 ans
00:07:30 et un archiduc méconnu,
00:07:33 le mieux à même de le désarmer
00:07:36 pour sceller l'apocalypse de millions d'hommes.
00:07:40 (musique)
00:07:42 Tandis qu'à Trieste, port de l'Empire,
00:07:50 trois enfants attendent leurs parents pour les vacances au château de Miramar
00:07:53 sans qu'on n'ose les prévenir.
00:07:56 En fait, la mort de François Ferdinand et de Sophie
00:08:01 arrange beaucoup de monde à la cour de Vienne.
00:08:04 Certes, on insiste sur l'épouvante de l'assassinat,
00:08:09 le sacrilège du régicide,
00:08:12 le sort du vieil empereur,
00:08:14 frappé d'une nouvelle tragédie
00:08:17 après tous les deuils familiaux qui l'ont déjà accablé.
00:08:20 Mais en même temps,
00:08:24 comme François-Joseph paraît surmonter ce nouveau coup du sort
00:08:28 sans excessive émotion,
00:08:31 un sentiment inavoué de soulagement s'infiltre dans le deuil officiel.
00:08:37 (musique)
00:08:39 La mort de François Ferdinand et de Sophie,
00:08:43 c'est l'effacement du mariage morganatique
00:08:46 et le retour à l'ordre immuable de la succession dynastique.
00:08:50 Et pour le prince de Montenuovo,
00:08:53 grand chambelan qui haïssait Sophie d'une politesse classée,
00:08:57 c'est aussi l'occasion d'un règlement de compte définitif.
00:09:01 Il entend expédier les funérailles de Vienne
00:09:05 comme la formalité réservée à De Gêneur.
00:09:08 Mais il faut faire vite.
00:09:13 L'imagination populaire est de nouveau saisie
00:09:16 par le spectre de la malédiction
00:09:18 qui condamnerait tous les Habsbourgs.
00:09:21 Et c'est peut-être pour cela que rien ne se déroule
00:09:28 comme l'avait prévu l'humiliant scénario du grand chambelan.
00:09:32 Une foule considérable retarde le convoi funèbre
00:09:36 le long du chemin de fer
00:09:38 et se presse à Vienne devant la chambre ardente.
00:09:42 A défaut de souverains discrètement prévenus de ne pas venir,
00:09:49 les ambassadeurs retirent une désagréable impression
00:09:53 devant la sécheresse mesquine
00:09:55 qui a placé le cercueil de Sophie plus bas que celui de son mari,
00:10:00 et son éventail esséquant de dames d'honneur
00:10:03 rappelle sournois de la différence de condition entre les deux époux.
00:10:08 Et si François-Joseph lui-même
00:10:13 paraît affecté par l'outrance d'un cérémonial qu'il a pourtant accepté,
00:10:18 son neveu se venge par-delà la mort.
00:10:22 Son testament refuse en effet la nécropole des Habsbourgs
00:10:25 au couvent des Capucins
00:10:27 qui reposaient auprès de Sophie dans leur château d'Arstretten.
00:10:31 Et ainsi le couple échappe-t-il encore dans la mort
00:10:35 à ceux qui n'avaient pu les séparer dans la vie ?
00:10:39 Cependant une enquête bâclée met en évidence les liens de Prinship
00:10:46 et de ses complices avec la Main Noire
00:10:49 qui infeste l'entourage du roi Pierre Ier de Serbie.
00:10:56 Le vieux souverain n'a certainement rien su de ce qui se préparait
00:11:00 mais plusieurs de ses proches connaissaient la possibilité d'un attentat
00:11:05 et certains même avaient tenté de prévenir Vienne.
00:11:10 En fait, tout est au pac à la cour de Belgrade.
00:11:15 Pierre Ier lui-même, qui s'est servi des terroristes en d'autres temps,
00:11:21 les ménage pour essayer de les surveiller.
00:11:25 Et l'officier supérieur Apis en profite
00:11:29 pour tramer les sinistres affaires de la Main Noire
00:11:32 dans le dos et à quelques mètres d'un roi
00:11:36 qui d'ailleurs le fera fusiller quelques années plus tard.
00:11:41 Pour les maîtres de la caste militaire autrichienne fervente alliée de l'Allemagne
00:11:48 il n'est que temps de punir les serbes.
00:11:51 L'épée duc Frédéric assure que l'armée est prête et qu'elle réclame vengeance.
00:11:56 Il est lui-même manipulé par deux hommes, anciennes créatures de François Ferdinand
00:12:01 que l'héritier du trône tenait étroitement en laisse
00:12:05 et qui peuvent désormais laisser libre cours à leur haine obsessionnelle de la Serbie.
00:12:10 Le très élégant et très frivole ministre des affaires étrangères Comte Berchtolt
00:12:16 et le puissant et habile chef d'état-major général Konrad von Hötzendorf.
00:12:23 Reste à persuader le vieil empereur.
00:12:30 François-Joseph a perdu trop de guerre dans sa jeunesse
00:12:33 pour souhaiter en déclencher une autre dans son grand âge.
00:12:38 Et s'il est devenu au fil des décennies l'incarnation même
00:12:43 des vertus de la paix autrichienne et de la gloire de sa maison,
00:12:48 il ne se déplace plus aussi que dans une aura de majestueuse éternité.
00:12:54 Ainsi, pour résister aux fauteurs de guerre, il lui faudrait précisément François Ferdinand,
00:13:00 ce neveu qu'il n'aimait pas et que de tous côtés on l'a dur de venger.
00:13:10 Cependant, l'Europe de la fortune oublie très vite le drame de Sarajevo
00:13:16 et s'étourdit d'un glorieux mois de juillet.
00:13:20 A Deauville, s'il est beaucoup question de Guillaume II, l'empereur d'Allemagne,
00:13:27 c'est moins pour s'interroger sur l'état d'esprit de cet ami intime de François Ferdinand
00:13:33 qu'il ne se déroule porter l'excitante rumeur selon laquelle on l'aurait vu tout récemment incognito
00:13:40 à Paris chez la comtesse Greffeuil.
00:13:43 Sous le soleil et sur les planches, entre deux beignets des jeux de ballons,
00:13:49 on se passionne aussi pour le procès de Madame Caillot,
00:13:53 épouse du leader radical qui a froidement assassiné le directeur du Figaro dans son bureau.
00:14:00 La scandaleuse de l'été en somme, qui occupe de pleines pages dans les journaux
00:14:06 tandis que la polémique austro-serbe est réduite à quelques entrefilés.
00:14:12 A Venise, la dernière escale du somptueux yacht "Owen's Aulernes" de l'empereur Guillaume
00:14:21 alimente les mêmes conversations insouciantes.
00:14:27 Les concierges des grands hôtels rêvent à ces fabuleux pourboires
00:14:31 tandis que dans les palais sur la lagune, on se gosse encore de ces manières de nouveau riches.
00:14:37 Il n'y a rien à redouter de la situation politique.
00:14:41 Les grandes familles de Vienne et du Budapest ont retrouvé leur palace du Lido
00:14:45 et on a vu sur la place Saint-Marc l'élégant comte Caroli,
00:14:49 aristocrate hongrois qui affirme que tout va s'arranger,
00:14:53 malgré son peu de sympathie pour les Habsbourg.
00:14:57 Oui, il n'y a qu'à suivre l'exemple du roi Victor Emmanuel
00:15:03 qui s'est déclaré neutre en cas de conflit
00:15:06 pour profiter de ce bel été et respirer jour après jour le parfum des fleurs de la paix.
00:15:14 Personne ne veut la guerre et surtout dans ces Balkans si remuants
00:15:21 qui viennent d'en subir deux coups sur coup.
00:15:24 Prenez Athènes par exemple.
00:15:27 La capitale d'une Grèce qui vient de s'agrandir considérablement
00:15:32 reste inconsolable de la mort du roi Georges Ier,
00:15:36 assassiné par un fou alors qu'il entrait dans Salonique libérée.
00:15:40 Ce Danois importé chez les Hellènes
00:15:45 était le frère de l'ancienne reine d'Angleterre et de l'ancienne impératrice de Russie.
00:15:50 Son fils Constantin a complété ce tableau flatteur en épousant la sœur de l'empereur Guillaume.
00:15:57 Malgré la confusion des conflits locaux,
00:16:02 on croit encore à la sécurité collective assurée par la famille des rois.
00:16:07 Et d'ailleurs on n'a même plus peur d'un empire ottoman qui part en morceaux
00:16:16 dont la réputation se dissout dans le sirop des vignettes exotiques et l'alcool du capitalisme occidental.
00:16:22 A force d'avoir incarné le rôle du méchant de l'Europe,
00:16:29 le sultan turc fait aussi partie de la famille.
00:16:32 D'autant plus que son dernier avatar est un affable vieillard
00:16:37 qui assure en soupirant que les récents massacres de chrétiens
00:16:41 ne sont que les derniers remugles d'une sorte de folklore.
00:16:45 A l'opposé des charmes du Bosphore.
00:16:48 Mais pour qui voudrait ressentir avec le plus d'intensité
00:16:53 ce que furent la douceur et l'inconscience de cette paix de 1914,
00:16:57 il faudrait alors rejoindre en Crimée les grands domaines
00:17:01 que possèdent les familiers de la cour des Romanoff.
00:17:04 Simeï, Saloubka, Aït-Odor, Oréanda,
00:17:08 tous sonorent des visites de la famille impériale.
00:17:14 En Crimée, le tsar, la tsarine, leurs quatre filles
00:17:18 et l'héritier, le tsarevitch Alexis,
00:17:21 sortent facilement de leur palais sur la mer Noire.
00:17:25 Ils se risquent même à faire des promenades jusqu'à Yalta
00:17:30 où l'on surprendrait bien des gens
00:17:32 en leur disant que la tsarine a la réputation d'être froide
00:17:36 et le tsar, celle d'être un despote.
00:17:43 Cette année 1914, ils sont venus au printemps
00:17:47 comme ils avaient coutume de le faire
00:17:49 avant la succession d'épreuves privées et d'engagements officiels
00:17:53 qui les ont accablés depuis de longs mois
00:17:56 et ils ont décidé de rester jusqu'à l'été.
00:17:59 Le palais de l'Ivadia est très bien installé
00:18:02 pour que le tsar puisse continuer à travailler.
00:18:05 La tsarine paraît particulièrement épuisée
00:18:09 mais il en est toujours de même
00:18:11 lorsqu'elle arrive de Saint-Pétersbourg
00:18:13 et que son fils paraît si là qu'il faut le porter.
00:18:18 Tandis que le tsar est affable comme à son habitude
00:18:21 manifestement heureux de retrouver avec les siens
00:18:24 des gens et des lieux qui lui sont chers.
00:18:27 Pour la ville de Yalta, l'arrivée de la famille impériale
00:18:31 est toujours une fête.
00:18:33 Rien à voir avec les foules de Saint-Pétersbourg et de Moscou
00:18:36 que la police tient à distance.
00:18:40 L'Ivadia est tout proche surplombant la mer Noire
00:18:44 au milieu de jardins luxuriants à la végétation méditerranéenne.
00:18:48 Au fond c'est une grande villa plutôt qu'un palais
00:18:51 conçu et décoré par la tsarine
00:18:54 dans ce style riviera des anglais auquel elle est attachée.
00:18:58 La Crimée, cette maison, le fait d'avoir ceux qu'elle aime auprès d'elle
00:19:04 exerce toujours le même miracle sur son comportement.
00:19:08 Ses inquiétudes s'apaisent,
00:19:11 elle redevient souriante.
00:19:13 Recevoir ne lui coûte plus d'effort.
00:19:17 On passe d'ailleurs beaucoup de temps dans le patio
00:19:22 qui est une sorte de salon à l'air libre.
00:19:25 Les visiteurs, invariablement compassés,
00:19:30 au milieu de la pompe écrasante qui entoure généralement la famille impériale,
00:19:34 y découvrent une atmosphère surprenante.
00:19:37 Une atmosphère surprenante de chaleur familiale.
00:19:40 Le tsar et la tsarine s'entretiennent sans protocole avec leurs hôtes,
00:19:44 les jeunes filles sont d'une gentillesse délicieuse
00:19:47 et puis il y a l'enfant,
00:19:50 cet héritier dont la rumeur colle porte qu'il est atteint d'une maladie incurable,
00:19:55 que paraissent démentir son espièglerie et sa curiosité.
00:20:00 Oui, pour qui pénètre à l'Ivadia,
00:20:05 sont là des gens simples, amicaux, très timides,
00:20:09 qui aiment infiniment à demeurer ensemble.
00:20:13 Le tsar est cependant un homme de grande terre
00:20:20 et comme la tsarine ne se baigne pas, c'est sa sœur Olga Alexandrovna
00:20:25 qui affronte avec lui les vagues de la mer Noire.
00:20:33 Elle se dit à la promenade du soir avec ses filles.
00:20:37 De son côté, la tsarine ne manquerait sous aucun prétexte
00:20:46 la vente de charité qu'elle organise chaque année
00:20:49 durant quelques jours sur le quai de Yalta.
00:20:52 Elle y arrive de très bonne heure,
00:20:57 pour voir si tous les arrangements ont été faits comme elle l'avait prévu.
00:21:02 Toute la famille a été mise à contribution depuis plusieurs semaines
00:21:07 et ses filles l'accompagnent.
00:21:10 Le tsar les rejoindra un peu plus tard avec son fils.
00:21:14 Il est là de dos, un peu emprunté dans cet univers plutôt féminin.
00:21:21 La tsarine et ses filles ont peint elles-mêmes les bibelots,
00:21:29 cousu et brodé les châles et les coussins qu'elles vont vendre.
00:21:33 Qui imaginerait que cette dame qui veille sans affectation
00:21:37 au moindre détail de son petit commerce
00:21:40 est l'impératrice toute puissante, redoutée et critiquée de l'immense Russie ?
00:21:45 Et qui penserait que le tsar se prête au jeu pour faire l'article ?
00:21:49 Évidemment, la présence de la famille impériale assure à chaque fois le succès de la vente,
00:21:56 destinée à l'une des innombrables œuvres de la tsarine.
00:22:00 Mais il y a tant de monde qu'il est difficile de faire tenir l'enfant en place.
00:22:05 Il veut aider, tout voir, monter sur la table.
00:22:09 La tsarine laisse faire, elle aime tant cet enfant
00:22:12 qui est un perpétuel sujet d'inquiétude qu'elle n'a aucune autorité sur lui.
00:22:17 Et puis à chaque fois qu'elle le voit ainsi,
00:22:20 elle ne le dit pas mais elle se reprend à espérer.
00:22:24 La grande amie de la tsarine, Anna Vyroubova,
00:22:28 une grosse fille désargentée qui a eu bien des malheurs
00:22:32 et qu'on protège parce qu'elle fait partie des meubles,
00:22:35 c'est elle aussi des pensées sans compter.
00:22:38 Elle vend bien mieux d'ailleurs qu'Olga, trop douce,
00:22:41 qui n'ose pas insister, et Anastasia, trop malicieuse,
00:22:45 qui préfère regarder les acheteurs sous le nez.
00:22:49 Certes, les démocrates ne manqueront pas de se moquer à mots voilés
00:22:54 dans la presse du lendemain de cette bienfaisance inutile
00:22:58 quand on la compare à tous les maux dont souffre la Russie.
00:23:02 Mais la tsarine et sa fidèle Vyroubova vivent dans un autre monde
00:23:07 dont la réalité leur semble évidente.
00:23:10 Et pour elle, cette fois encore, la vente a été fatigante,
00:23:14 gaie, bonne en somme.
00:23:17 Cette année, cependant, il aura fallu demander au tsar d'intervenir
00:23:27 pour que l'enfant accepte de ne pas monter sur le char-au-fleur.
00:23:31 Il a été trop mal récemment et il risquerait de se blesser.
00:23:35 L'enfant obéit à son père et se souvient du char-au-fleur
00:23:39 des anciens tsars.
00:23:42 Et se souvient du char-au-fleur d'il y a deux ans,
00:23:45 lorsqu'il allait encore si bien.
00:23:49 Sa mère l'avait accompagnée.
00:23:54 Le marin Derevenko, qui veille sur lui à chaque instant, suivait derrière.
00:23:59 Le char-au-fleur est une œuvre utile.
00:24:02 On s'en sert pour présenter des cocardes
00:24:05 dont on vend les fleurs pour venir en aide aux malades de la tuberculose.
00:24:09 La tsarine, ensuite, l'avait laissé gérer son affaire avec ses sœurs
00:24:13 et l'enfant s'y était appliqué avec beaucoup de gravité.
00:24:17 Aucune morgue chez lui.
00:24:20 Et en retour, guerre de timidité chez les mougiques qui l'approchaient.
00:24:24 Anna Vyrobova avait ensuite collé la photo
00:24:29 dans un de ses énormes albums
00:24:32 que les Romanovs transportent partout avec eux.
00:24:37 Ne pleure pas, petite Alexie.
00:24:40 L'année prochaine, comme il y a deux ans,
00:24:43 Olga, Tatiana, Marie et Anastasia
00:24:46 te reprendront avec elles pour le char des fleurs.
00:24:49 Et tu pourras en profiter, comme tu sais si bien le faire,
00:24:52 pour réjanter ces sœurs qui t'adorent.
00:24:55 Ne t'inquiète pas, 1915 sera comme aujourd'hui.
00:25:00 Au fond, j'aurais dû le laisser y aller, pense le tsar,
00:25:05 en l'emmenant avec lui sur le glacier d'Aipetri.
00:25:08 Et au professeur Gilliard, qui enseigne le français aux enfants,
00:25:11 il murmure, "Vous n'avez pas l'impression comme moi qu'il est guéri?"
00:25:16 Mais il est temps de faire des projets pour ses sœurs
00:25:23 et notamment pour les deux plus grandes, Olga et Tatiana.
00:25:26 Si tendres sont les relations du tsar et de ses filles
00:25:29 qu'il est absolument exclu qu'elles ne fassent pas
00:25:32 un mariage d'amour comme leurs parents.
00:25:35 Tatiana ayant maintes fois déclaré qu'elle ne s'éloignerait pas de sa mère,
00:25:39 on a décidé de temporiser avec son caractère si bien trempé.
00:25:43 En revanche, qu'en pense Olga, l'aînée de 19 ans,
00:25:47 à la personnalité si sentimentale et poétique?
00:25:51 Olga n'en pense pas grand-chose, et rien encore
00:26:00 du prince Karol de Roumanie dont on lui assure
00:26:03 qu'il est très beau et très intelligent.
00:26:06 Le portrait de sa mère Marie, avec les qualités
00:26:10 plus secrètes de son père Ferdinand.
00:26:13 Oui, un jeune homme à la mesure de cette Roumanie nouvelle,
00:26:17 orthodoxe, alliée des Russes, arbitre des Balkans,
00:26:20 dont le port récemment achevé de Constanza
00:26:23 atteste l'essor et les ambitions.
00:26:28 La croisière d'exploration sentimentale est aussi une visite de famille.
00:26:32 Le vieux roi Karol et sa femme, poétesse appréciée
00:26:36 sous le nom de Carmen Silva, sont des princes d'origine allemande
00:26:40 devenus d'une roumanité fervente, parentée plutôt vague.
00:26:44 En revanche Marie, la puissance derrière le trône,
00:26:47 affublée d'un bizarre chapeau en forme d'aileron,
00:26:50 est la cousine germaine de la tsarine et au second degré du tsar.
00:26:56 Évidemment, sans en avoir l'air, les enfants Romanov
00:26:59 dévorent des yeux le beau Karol.
00:27:02 Tatiana surtout. Elle a fait un pacte avec sa sœur.
00:27:06 Comme elle n'est pas concernée directement, elle observera tout.
00:27:10 Ce manège n'échappe pas aux ailerons, glissant doucement
00:27:14 entre les regards à la dérobée.
00:27:17 Quant au premier ministre Bratiano, redingote attentive et empressé,
00:27:22 il aimerait bien que l'affaire soit conclue aussi vite que possible.
00:27:26 Il se méfie du prince Karol.
00:27:29 En effet, si le jeune homme est bien tel qu'on l'a dépeint,
00:27:33 sa forte personnalité n'est pas sans ombre.
00:27:37 Dominateur, dissimulé, avide de plaisir,
00:27:40 celui qui deviendra l'un des rois les plus intéressants
00:27:43 et les plus justement critiqués de l'entre-deux-guerres,
00:27:46 traîne déjà derrière lui toutes sortes de petits secrets,
00:27:50 partage une escouade de jolies femmes
00:27:53 et que l'adulation de sa mère a la faiblesse d'étouffer.
00:27:57 Or, au déjeuner de famille, seuls les deux promis
00:28:02 demeurent comme indifférents l'un à l'autre,
00:28:05 étrangers à la gaieté générale.
00:28:08 Le tsar n'éprouve pas la réticence de sa fille
00:28:13 et il n'a que des louanges à formuler.
00:28:16 Le vieux roi Karol a bâti un pays solide et respecté
00:28:19 à partir d'un obscur débarras de l'Empire turc.
00:28:22 Son héritier Ferdinand est un homme d'honneur.
00:28:25 Quant à Karol le jeune, celui qu'on voudrait pour Olga,
00:28:28 il est manifestement à la hauteur de l'avenir qu'on lui prépare.
00:28:32 Ainsi, dans leur simple univers d'évidence virile,
00:28:35 les aînés se réjouissent déjà de la réussite du projet.
00:28:39 Cependant, Olga persiste à réserver sa réponse.
00:28:44 Oui, Karol est effectivement très bien,
00:28:47 mais il y a quelque chose qui fait peur dans son regard.
00:28:50 Tandis que Marie de Roumanie a beaucoup observé le tsarevitch
00:28:56 en songeant à l'hérédité et à ses mystères.
00:28:59 Bientôt, Olga, cramponnée à Tatiana,
00:29:03 exprime un refus définitif.
00:29:06 Elle aussi veut rester près de sa famille
00:29:08 et n'épouser qu'un Russe ou personne.
00:29:11 Karol, sa mère, leur séduction trop ondoyante
00:29:14 la rendraient malheureuse.
00:29:17 Les parents n'insistent pas.
00:29:19 Or, Olga aurait sans doute été malheureuse,
00:29:22 mais aussi sauvée du destin fatal des Romanovs.
00:29:25 Peu après, la famille impériale regagne Saint-Pétersbourg
00:29:32 où le tsar doit recevoir le roi de Saxe.
00:29:35 C'est un invité sympathique
00:29:37 dont un rapport de force inéluctable
00:29:39 a fait un satellite de l'empereur d'Allemagne.
00:29:43 D'ailleurs, il ne s'en console pas
00:29:45 et boit plus que de raison pour oublier.
00:29:48 Le tsar lui pardonne ce travers,
00:29:50 mais cette fois, le roi de Saxe force vraiment sur la vodka
00:29:53 en confiant l'air sombre qu'il se passe des choses très graves en Allemagne.
00:29:58 Vision d'après-boire ou appel au secours
00:30:01 devant la crise qui couvre et dont on ne sait rien ?
00:30:04 La Russie vit comme le reste de l'Europe
00:30:12 la splendeur d'un beau début d'été.
00:30:14 La grande duchesse Maria Pavlovna, cousine du tsar,
00:30:18 organise ses habituelles piqueniques champêtres
00:30:21 tandis que la canicule attire les baigneurs
00:30:24 dans les canaux de la Venise du Nord.
00:30:27 Les souvenirs de l'embrasement révolutionnaire de 1905 sont loin.
00:30:33 L'empire des Romanovs a retrouvé la prospérité
00:30:36 avec la paix civile.
00:30:38 Tchékov et Tolstoy ne sont plus là,
00:30:42 mais la nostalgie du bonheur, la générosité
00:30:45 et la fraternité slaves demeurent inchangées.
00:30:48 Elles animent la vie de tous les jours,
00:30:50 où les dames aux petits chiens sourient dans des jardins lumineux
00:30:54 à des écoliers en uniforme
00:30:56 et où les petits enfants d'Anna Karenin
00:30:59 lisent sans trop se cacher les écrits interdits de Gorky.
00:31:03 Ce sont peut-être de futurs mécontents
00:31:06 qui feront comme les autres, silencieux, sibéries ou exil.
00:31:11 Vacances.
00:31:12 Les trains pour le golfe de Finlande sont bondés.
00:31:15 Ne regardez pas les faubourgs.
00:31:17 On y construira bientôt des cités modernes.
00:31:20 Croisière.
00:31:22 Aucun bateau ne se compare au standard qui est celui du tsar.
00:31:26 La famille en fait chaque été sa résidence flottante.
00:31:30 Le premier jour est pour Maria Feodorovna, la mère du tsar.
00:31:34 Sur l'étoile polaire, le yacht que son fils lui a donné.
00:31:40 C'est une petite femme qui fait très jeune.
00:31:43 D'origine danoise, elle en a gardé une simplicité chaleureuse.
00:31:47 Très attachée à son fils, elle s'est résignée à la prudence.
00:31:50 Elle n'a plus d'avis politique,
00:31:52 n'émet aucun jugement sur sa belle-fille.
00:31:55 Pour elle, le tsar et la tsarine sont Niki et Aliki.
00:32:00 La paix de la famille est dans cette perpétuelle enfance
00:32:04 des diminutifs affectueux.
00:32:08 Cependant, lorsque Maria Feodorovna se retrouve seule avec son équipage,
00:32:12 elle ne se montre pas toujours aussi gaie.
00:32:15 La mère du tsar connaît l'illusion de l'été,
00:32:18 la certitude du retour de l'hiver.
00:32:21 C'est sur le standard que la famille impériale vit le mieux son rêve inavoué
00:32:31 de n'être jamais séparée,
00:32:33 en traversant sans s'arrêter un monde enfin tranquille.
00:32:37 La tsarine s'y repose, rassurée de sentir tous les siens auprès d'elle.
00:32:42 Si le tsar passe de longues heures dans son bureau, il n'y a pas d'audience.
00:32:46 L'un et l'autre s'adonnent à leurs loisirs favoris.
00:32:49 Pour lui, c'est la lecture, pour elle, broderies ou aquarelles.
00:32:54 Jamais l'ombre d'un nuage.
00:32:57 L'enfant se passionne pour les manœuvres.
00:33:01 Ses sœurs ont de petites flirtes avec les officiers de l'équipage.
00:33:05 Elles écrivent les lettres des marins quand ils ont du mal avec la nouvelle orthographe.
00:33:11 Il y a un orchestre qui joue des mélodies pour les repas,
00:33:19 des airs plus à la mode pour le thé dansant,
00:33:22 où les officiers servent de cavaliers.
00:33:25 La tsarine préfère qu'on évite le tango,
00:33:28 cette danse nouvelle qui a plutôt mauvais genre.
00:33:31 Mais enfin, depuis que ses filles ont déclaré qu'elles voulaient être bronzées
00:33:35 et mettre du rouge à lèvres,
00:33:37 elle attend que jeunesse se passe,
00:33:39 en confiant vaguement l'espionnage à Anna Virobova,
00:33:43 qui aime bien trop danser pour moucharder quoi que ce soit.
00:33:47 Ces images auront beaucoup de succès après la Révolution,
00:33:55 au rayon turpitudes égoïstes des Romanov.
00:33:59 Elles sont plutôt celles de leur innocence.
00:34:02 Cependant, même le standard n'est plus tout à fait sûr,
00:34:08 depuis qu'il a failli couler, quelques années plus tôt,
00:34:11 sur une étrange épave que les révolutionnaires auraient placée sur son parcours.
00:34:16 Ainsi, pour le tennis, l'efficace colonel Spiridovitch a fait aménager une île déserte,
00:34:23 où le tsar et ses filles peuvent jouer avec les officiers en toute quiétude.
00:34:29 La tsarine s'essayait aussi au tennis autrefois,
00:34:32 avant qu'elle ne souffre de ses angoisses et de ses malaises cardiaques
00:34:36 que les médecins sont impuissants à conjurer.
00:34:39 Mais au fond, ça l'arrange.
00:34:41 Elle peut rester à observer ses filles et son mari,
00:34:46 pour qui elle garde les yeux du premier jour.
00:34:50 Un des traits de son caractère qui la touche le plus,
00:34:56 c'est qu'il soit resté tellement juvénile,
00:34:59 alors qu'elle se sent si souvent triste, déjà sur la pente de l'âge.
00:35:04 Quelque chose qu'il tient de sa mère, son côté Danemark sans doute.
00:35:11 C'est curieux de la part de quelqu'un qui confie à ses ministres
00:35:15 qu'il se sent marqué par la malchance,
00:35:17 et qu'il se sait destiné au plus grand malheur qu'un homme puisse connaître.
00:35:24 Dans les croisières, l'enfant peut aussi faire un peu de sport,
00:35:28 à condition que le marin des Revenko ne le quitte pas d'un pouce.
00:35:32 D'autant plus qu'en cas de malheur,
00:35:35 le frère Rasputin est bien trop loin pour soulager ses souffrances,
00:35:39 dans son village en Sibérie,
00:35:41 où il se soigne d'une blessure infligée par une mauvaise femme.
00:35:51 Les mousses de l'équipage ont un avantage sur le Tsarevitch,
00:35:55 le droit de se baigner.
00:35:57 Et depuis la grande frayeur qu'il a infligée un jour à des Revenko,
00:36:01 en plongeant brusquement avec les autres enfants,
00:36:04 il a promis de ne pas recommencer,
00:36:06 et n'en retire nulle amertume.
00:36:09 Hémophile, il ne sait pas très bien ce que cela veut dire,
00:36:13 si ce n'est qu'un simple bobo peut le faire mourir,
00:36:17 et qu'aimant tellement la vie,
00:36:19 qu'il doit la mener dans une sorte de cloche de verre.
00:36:23 Pour le reste, ce serait un enfant comme les autres,
00:36:26 avec tout de même une maturité bien au-dessus de son âge,
00:36:30 comme le dit le professeur Giliard,
00:36:32 qui insiste auprès de sa mère,
00:36:34 pour qu'il se prenne lui-même en charge.
00:36:37 La tsarine ne dit pas non,
00:36:42 mais enfin si le temps du standard pouvait durer toujours.
00:36:47 Évidemment, les fjords de Finlande, ce n'est pas la mer noire.
00:36:51 L'eau y est glacée,
00:36:53 et il faut avoir une robustesse à la Russe pour aimer s'y baigner.
00:36:57 Votre père est encore dans l'eau,
00:37:00 sous Pierre la tsarine à ses filles, en levant les yeux au ciel.
00:37:03 Plutôt sous l'eau, où nous l'avons versée,
00:37:06 pourraient répliquer ses ordonnances.
00:37:09 Plaisir de solide moustachu,
00:37:12 ou de joli pommadé de Saint-Pétersbourg,
00:37:15 aurait du mal à retrouver un frisson de perversité,
00:37:19 malgré la nudité générale.
00:37:22 Mais on a cours sur la plage.
00:37:26 C'est un câble de Berlin, avec marqué "très urgent".
00:37:30 En 1914, le Kaiser Guillaume,
00:37:41 troisième empereur allemand,
00:37:43 se jouit avec délectation du titre de prince de la paix,
00:37:47 dont toutes sortes de flatteurs l'ont couronné
00:37:50 pour le jubilé de ses 25 ans de règne.
00:37:53 Aujourd'hui, c'est le Kaiser ami des enfants,
00:37:58 qui rend visite au Homme pour petits nécessiteux
00:38:01 qu'il protège généreusement de ses deniers,
00:38:04 en compagnie de la plus fidèle de ses admiratrices,
00:38:07 son épouse, l'impératrice Augusta Victoria,
00:38:10 et son mari, le noble Donat, dans la famille des rois.
00:38:14 C'est l'un de ses nombreux jardins secrets,
00:38:18 où il peut jouer, comme à son habitude,
00:38:21 le seul rôle qui l'intéresse, c'est-à-dire le premier.
00:38:24 Mais il s'y adonne avec une réelle gentillesse.
00:38:27 Bien qu'affublé d'un de ses uniformes favoris,
00:38:30 genre chasseur d'ours avec bottes et poignards,
00:38:33 les enfants ne le prennent pas pour l'ogre,
00:38:36 à la moustache en crocs dont se goberge la presse française,
00:38:39 et son oncle en le manipulant familièrement.
00:38:42 Si Donat avait droit à la parole,
00:38:45 elle expliquerait peut-être que cette douceur avec les enfants
00:38:48 relève de l'infirmité dont il souffre lui-même tout petit.
00:38:52 Ce bras gauche, inerte et atrophié,
00:38:57 dont il ne peut se servir, et dont il maîtrise
00:39:00 l'inutilité et le complexe avec un art consommé.
00:39:03 Au fait, l'aviez-vous remarqué ?
00:39:07 Le Kaiser tient d'ailleurs beaucoup à cette image d'un bon père de famille
00:39:10 dans la prue de tradition Hohenzollern.
00:39:13 Les fêtes du Jubilé ont vu fleurir les photos
00:39:16 d'un patriarche encore jeune, exerçant un charme incontestable
00:39:20 sur de petites têtes blondes.
00:39:23 Chez les Hohenzollern, on se marie à 20 ans
00:39:28 pour éviter les tentations, ce qui ne veut pas dire
00:39:31 qu'il n'y en ait pas d'autres ensuite,
00:39:34 comme le prince le prouve abondamment.
00:39:37 Mais bien sûr, c'est comme pour le bras gauche,
00:39:40 Donna veille à ce qu'on ne parle pas de ce genre de choses.
00:39:43 Les fêtes du Jubilé sont encore dans toutes les mémoires,
00:39:50 même si le macabre uniforme de Hussar de la Mort
00:39:53 parut nettement moins pacifique
00:39:56 lors de l'inauguration du stade prévu
00:39:59 pour les Jeux Olympiques de 1916.
00:40:02 Enfin, ce fut colossal,
00:40:05 bien dans la manière dont le Kaiser aime à se contempler,
00:40:08 régnant à peu près sans partage
00:40:11 sur une énorme puissance de 60 millions d'hommes
00:40:14 dont l'Empire s'étend de la frontière russe
00:40:17 à la ligne bleue des Vosges.
00:40:20 Donna, fervente adepte des valeurs féminines,
00:40:25 cuisine, foyer, église, se montra elle-même
00:40:28 très intéressée par le défilé
00:40:31 de la nouvelle jeune fille allemande,
00:40:34 tout en se demandant si elle allait bien faire leur dévotion
00:40:37 dans ces temples dont elle avait méthodiquement recouvert
00:40:40 toutes les cités germaniques.
00:40:43 Car l'Empire des Hohenzollern, c'est aussi le triomphe
00:40:48 des valeurs de la Prusse,
00:40:51 où l'armée et la religion inspirent la même discipline
00:40:54 et où le Kaiser, autoproclamé maréchal sous toutes les coutures,
00:40:57 commande à un peuple d'enfants,
00:41:00 dociles et laborieux, comme à une infanterie à l'exercice.
00:41:03 Ce qui ne veut pas dire forcément la guerre.
00:41:09 L'obsession militaire du Kaiser est d'ailleurs très curieuse.
00:41:12 Elle s'exprime par un perpétuel carambolage
00:41:15 d'uniformes, de décorations,
00:41:18 de manœuvres et de parades
00:41:21 où tout lui semble délicieux.
00:41:24 A commencer par le cirage de bottes dont il flatte son orgueil démesuré.
00:41:29 Sa maîtrise de l'équitation,
00:41:32 arrachée tout enfant et avec une volonté remarquable
00:41:35 à son bras infirme.
00:41:38 Le regard fervent de Donna et de ses fils
00:41:41 qui le prennent pour le nouveau Siegfried
00:41:44 des temps modernes.
00:41:47 Ici, Auguste Wilhelm et Oscar,
00:41:52 les autres ne doivent pas être bien loin
00:41:55 quand tout se résume à un jeu de soldats de plan.
00:41:59 Elle l'enivre aussi
00:42:02 parce qu'elle le place au centre d'un mécanisme simple
00:42:05 qu'il aimerait imaginer être l'efficacité de l'Allemagne
00:42:08 qui, il sait pourtant,
00:42:11 est bien plus complexe
00:42:14 et où elle l'installe dans la lignée des rois conquérants prussiens
00:42:17 dont au fond il ne se sent pas digne.
00:42:20 Mais c'est une drogue qui ne le rassure jamais non plus
00:42:25 même s'il doit forcer les doses
00:42:28 pour qu'elle continue à opérer
00:42:31 en redoutant infiniment le jour où l'Allemagne entière
00:42:34 marchera au pas pour lui réclamer une vraie guerre.
00:42:37 Ah, si le Kaiser pouvait acquérir la gloire
00:42:43 après laquelle il court
00:42:46 en endossant seulement un uniforme
00:42:49 comme ce serait plus simple pour lui.
00:42:53 L'Empire allemand est un état récent
00:42:56 construit sur la ruine de Napoléon III
00:42:59 mais qui a commencé à poindre avec puis contre Napoléon Ier.
00:43:02 Ainsi, en 1913
00:43:05 pour le centenaire de la bataille de Leipzig
00:43:08 le Kaiser s'était grisé d'une autre version superlative
00:43:11 de son propre jubilé
00:43:14 devant un arrêt au page de rois et de princes
00:43:17 pressant comme de vieux poussins
00:43:20 sous l'aile du jeune aigle prussien
00:43:23 et avec la bénédiction des faucons de la grande industrie
00:43:26 véritable maître de ce vaste poulailler de féodalité.
00:43:29 Mais en 1913
00:43:35 le chantecler impérial n'a pas seulement salué
00:43:38 l'ascension de son propre soleil
00:43:41 il a aussi entonné un hymne nuptial
00:43:44 avec les autres royautés d'Europe
00:43:47 pour sa fille Victoria Louise
00:43:50 au jeune duc de Camberland.
00:43:53 Le gendre est aussi prince de Hannover
00:43:58 ce vénérable et infortuné royaume
00:44:01 que la Prusse a brutalement effacé de la carte
00:44:04 50 ans plus tôt comme un avertissement pour les autres.
00:44:07 Or, un stupéfiant caprice d'amour
00:44:11 entre rejetons de la vendetta
00:44:14 et de l'obligation générale
00:44:17 à laquelle assistent tous les proches cousins.
00:44:20 Par leur présence, les souverains britanniques
00:44:23 George et Mary récompensent ainsi le bon procédé du kaiser
00:44:26 qui a replacé dans la corbeille des tourtereaux
00:44:29 un petit morceau redécoupé du Hannover.
00:44:32 Tandis que le tsar Nicolas II se penche sur le berceau
00:44:36 où un invraisemblable confetti dynastique
00:44:39 vagie le grand air de la paix des rois.
00:44:43 Cependant, l'attentat de Sarajevo
00:44:46 altère singulièrement la bienveillance du kaiser
00:44:49 qui s'indigne bruyamment du sort des victimes
00:44:52 et de leurs orphelins.
00:44:55 Au fait, en dehors de lui, tout le monde a déjà oublié
00:45:00 les trois enfants de François Ferdinand et de Sophie.
00:45:03 Leurs parents les élevaient au château de Konopice en Bohême
00:45:06 et à l'église de Saint-Germain-en-Provence
00:45:09 loin de cette cour de Vienne qui souhaite qu'on ne parle plus d'eux.
00:45:12 Or, le kaiser les avait connus en étant plus heureux.
00:45:15 Par un trait habile de son caractère,
00:45:21 il s'était en effet lié d'amitié avec François Ferdinand
00:45:24 en déployant de grands égards pour Sophie.
00:45:27 Et le couple avait été touché
00:45:30 par cette sollicitude unique dans les cours royales.
00:45:33 Mise en confiance,
00:45:36 François Ferdinand s'était alors souvent épanché auprès du kaiser
00:45:39 et ce dernier s'était laissé gagner
00:45:42 par un réel sentiment d'estime.
00:45:45 Leur dernière rencontre se déroule précisément
00:45:48 quelques jours avant le double assassinat
00:45:51 dans les roseraies de Konopice.
00:45:54 Ainsi, tandis que le château de Bohême
00:45:57 s'enfonce dans la mélancolie,
00:46:00 le kaiser se sent investi de la mission de faire puissance
00:46:03 aux régicides qui ont insulté son credo monarchique
00:46:06 et outragé un sentiment d'affection plus intime.
00:46:09 Et pendant ce temps, sans rien savoir des imprécations
00:46:17 qui font trembler les vitrages du palais de Postdam,
00:46:20 l'Allemagne s'amuse.
00:46:23 Opérettes et fêtes foraines,
00:46:26 aimable Gandin charmantant et chère,
00:46:29 de l'Alexanderplatz,
00:46:32 sont allés faire un tour sur les machines à frissons
00:46:35 des batteleurs du Brandenburg.
00:46:38 Serrez-vous contre moi, Fräulein de Drünn,
00:46:41 l'été passe si vite sous les cieux changeants de Berlin.
00:46:44 Gymnastique naturiste et bain de hambourg,
00:46:51 nous sommes un vieux pays si jeune
00:46:54 qui a la vitalité sans limite de son corps.
00:46:57 Et tant pis pour les touristes anglaises
00:47:00 choquées par nos manières si libres
00:47:03 et tant mieux pour ceux de leurs époux
00:47:06 qui nous retrouveront ce soir.
00:47:09 Shop de bière et vin de Moselle,
00:47:12 conservateur de Königsberg, centre catholique de Munich,
00:47:15 socialiste de Stuttgart, chantons tous ensemble
00:47:18 notre bonheur d'être allemand malgré tous ces peuples étrangers
00:47:21 qui voudraient étouffer notre paix
00:47:24 parce qu'ils jalousent nos succès.
00:47:27 Et si, comme le roi de Saxe,
00:47:30 vous vous méfiez de la Prusse,
00:47:33 alors allez faire un tour du côté de Dresde, sa capitale.
00:47:36 C'est une des plus belles villes d'Europe
00:47:39 et cet homme délicieux vous réconciliera
00:47:42 avec la culture allemande.
00:47:45 Enfin, il paraît qu'il est inquiet
00:47:48 et tente de savoir ce que signifient
00:47:51 toutes ces allées venues de fonctionnaires autrichiens.
00:47:54 Les princes d'Allemagne ont bien du mal
00:47:57 à se faire écouter du Kaiser quand il est de méchante humeur.
00:48:00 On les renvoie à leurs cours endormies.
00:48:03 Prenez le roi de Bavière.
00:48:06 Il regrette sans l'avouer de lui avoir confié
00:48:09 l'essentiel de ses affaires. Mais comme il est trop tard,
00:48:12 alors il se promène en ce doux mois de juillet.
00:48:15 C'est un neveu de Louis II.
00:48:18 C'était bien la peine de détrôner le protecteur de Wagner
00:48:21 pour avoir maintenant
00:48:24 Parsifal à Berlin.
00:48:27 Bientôt, le Kaiser semble avoir retrouvé son calme.
00:48:32 C'est le mois de sa croisière annuelle en Norvège
00:48:35 où, flanqué de son meilleur ami,
00:48:38 le Tekel Esmond, il échappe
00:48:41 à l'austère félicité conjugale avec Donna.
00:48:44 Le chancelier Bettmann-Holweg a beaucoup insisté
00:48:47 pour qu'il prenne ses vacances.
00:48:50 L'agitation du Kaiser en ces temps de crise
00:48:53 pèse à cet homme réfléchi. Trop réfléchi
00:48:56 pour la houle qui monte de Vienne
00:48:59 et le ressac qui lui répondra de Norvège.
00:49:02 Le yacht du Kaiser ne ressemble pas à celui du tsar.
00:49:08 Alors que le standard est un délicat poisson noir,
00:49:11 vif et silencieux, le Hohenzollern est un énorme
00:49:14 monstre de ferraille immaculée
00:49:17 qui transporte un équipage de palaces
00:49:20 dans le sillage écumant d'un cuirassé.
00:49:23 Dès qu'il est en mer, le Kaiser retrouve
00:49:28 ses facéties coutumières, qui ne sont pas toujours
00:49:31 d'un genre très impérial.
00:49:34 Inconscience, réelle gaieté de sa nature capricieuse
00:49:37 ou manœuvre pour cacher ses intentions.
00:49:43 Il a un problème avec le Kaiser
00:49:46 et qu'il peut se montrer vraiment sympathique.
00:49:49 Ce brave monsieur qu'il vient de prendre en bateau stop
00:49:56 vous le confirmera bien volontiers.
00:49:59 "Appelez-moi Guillaume, votre tête me revient,
00:50:02 je vous décore." Et ce ne sont plus
00:50:05 qu'agacements, tapotements, plaisanteries
00:50:08 comme si l'on était de vieux amis.
00:50:11 Les gens les plus prévenus contre lui,
00:50:14 qui le rencontrent pour la première fois, repartent
00:50:17 charmés par la manière dont il s'est mis à leur portée.
00:50:20 Pourtant, cette année, le Kaiser a de curieux
00:50:25 moments d'absence. Les câbles de Bethman-Holweg
00:50:28 sans doute, qui emberlificotés et trop apaisants
00:50:31 ne permettent pas de saisir ce qui se trame
00:50:34 entre Vienne et Berlin. Alors le Kaiser
00:50:37 s'assombrit, réplique par des câbles enragés
00:50:40 chargés d'apostrophes, où il réclame la punition
00:50:43 des serbes. Comment, jusqu'à quel point,
00:50:46 c'est un homme qui n'a jamais mesuré la gravité de ses actes.
00:50:49 Et puis, l'amusement des vacances
00:50:55 reprend bien vite ses droits.
00:50:58 Promenade, nature et pique-nique.
00:51:01 L'une des particularités de ces croisières
00:51:04 est que l'on s'y retrouve entre messieurs,
00:51:07 invités, généralement aristocrates
00:51:10 et pères de familles honorables, aimant les blagues
00:51:13 un peu lestes et la musique légère,
00:51:16 et ceux qui forment l'équipage, jeunes et vigoureux garçons
00:51:19 qui n'ont pas froid aux yeux.
00:51:22 Au zénith de cette atmosphère bien masculine,
00:51:28 le bain dans les fjords, où de pseudo-pirates,
00:51:31 devant le Kaiser et ses amis, figés comme des
00:51:34 barbons face au frétillement de la jeunesse,
00:51:37 font étalage de leurs prouesses athlétiques.
00:51:40 "Notre avenir est sur les mers" a proclamé le Kaiser
00:51:52 dans l'un de ses plus fameux discours.
00:51:55 Et les viriles assauts de ces jeunes gens ne sont
00:51:58 que la réponse que lui adressent ses fidèles matelots.
00:52:01 Mais comme il ne saurait y avoir d'abordage,
00:52:04 sans promesse de belles captives,
00:52:07 qui s'est honoré parmi l'assistance un peu congestionnée,
00:52:10 que certains d'entre eux soient devenus
00:52:13 valkyries amphibies et sirènes aux larges épaules
00:52:16 avant de rejoindre leur cabine, où il y a bien du monde.
00:52:19 Ainsi, d'ici peu tôt, sur le Hohenzollern,
00:52:25 préoccupations présentes et vilains ragots tenaces
00:52:28 se déroulent dans le spectacle des tritons du Kaiser.
00:52:31 Enfin, pourvu que le Crown Prince n'en sache rien.
00:52:37 Car s'il est un homme que le Kaiser redoute,
00:52:43 c'est bien son fils aîné, l'aimable et élégant Crown Prince,
00:52:47 dont l'apparente frivolité dissimule la féroce ambition
00:52:52 de toujours épingler les fautes de son père.
00:52:57 Emblème des puissantes organisations ultra-nationalistes,
00:53:01 le Prince héritier traîne une sulfureuse réputation
00:53:04 de noceur et d'aventurier politique.
00:53:07 Ni son épouse, la princesse Cécilie,
00:53:10 une demi-russe anglophile très café-society,
00:53:13 ni ses enfants, qui adorent ses fantaisies,
00:53:16 ne parviennent à le retenir.
00:53:19 Cet été, pourtant, il le passe à Sopot,
00:53:22 tout près de la garnison de Danzig,
00:53:24 où son père l'a éloigné,
00:53:26 et il y joue sans remords la comédie du père attentif.
00:53:30 Son physique de playboy, ses belles manières,
00:53:36 lui valent des succès de magazines de mode
00:53:39 et l'admiration du monde international de l'argent facile.
00:53:43 Mais c'est un homme dangereux, qui attend le pouvoir,
00:53:46 et dont le perpétuel sourire dissimule mal,
00:53:49 un regard fuyant, comme toujours aux aquets.
00:53:53 Le Crown Prince est évidemment pour la punition des serbes,
00:53:57 même au prix d'une guerre généralisée.
00:54:00 Mais comme on le tient à l'écart,
00:54:03 il concentre son instinct de prédateur
00:54:06 sur la chasse aux jolies femmes.
00:54:08 Et Dieu sait s'il y en a sur les plages de la Baltique,
00:54:12 en ce mois de juillet 1914,
00:54:15 au désespoir de son épouse abandonnée.
00:54:18 Sa séduction insouciante et onctueuse
00:54:23 fait ainsi les seuls ravages qu'on lui autorise,
00:54:27 avant d'autres qui l'attendent de son destin.
00:54:31 Enfin il est à Sopot, qu'il y reste,
00:54:36 et s'y amuse tout son soul,
00:54:39 pense le chancelier qui,
00:54:41 à la fin de son vie,
00:54:43 le déteste.
00:54:45 Mais il paraît qu'il y a beaucoup de femmes seules à Berlin,
00:54:49 depuis que l'on déplace discrètement des troupes vers les frontières.
00:54:54 Pendant ce temps, sur le Hohenzollern, la fête continue.
00:55:05 Toutefois, les autres fils de la fête
00:55:09 lui ayant réservé l'espièglerie d'une visite surprise,
00:55:13 elle a un peu changé de genre.
00:55:16 Dame de la meilleure société norvégienne
00:55:20 et épouse des jeunes princes affolés par l'air vif,
00:55:23 ont fait fuir les autres invités.
00:55:26 Le Kaiser s'ennuie, sans l'avouer.
00:55:35 Alors il s'enfuit dans son bureau,
00:55:37 anote furieusement les câbles si vagues de Bettmann.
00:55:40 Ah, s'il pouvait arrêter avec leur satanée musique,
00:55:43 il est impossible de réfléchir.
00:55:46 Mais le roi à Hakone de Norvège,
00:55:51 et son épouse Maud,
00:55:53 qui est la cousine germaine du Kaiser,
00:55:55 ont demandé à lui rendre visite.
00:55:58 Le plus tôt sera le mieux.
00:56:01 Hakone présente la curiosité d'avoir été élu par son peuple,
00:56:05 qui est allé le chercher au Danemark.
00:56:08 Le Kaiser n'est pas chaud pour ce genre de pédigré
00:56:12 bien trop démocratique,
00:56:14 mais enfin la demande a été formulée de manière très pressante.
00:56:18 Et lorsqu'Hakone monte à bord du Hohenzollern,
00:56:22 en lui confiant ils sont tous devenus fous
00:56:25 entre Vienne et Berlin,
00:56:27 il prend soudainement peur
00:56:29 et ordonne qu'on pousse les feux pour rentrer au plus vite.
00:56:33 À Vienne, en effet, le comte Berchtolt
00:56:39 joue des indécisions et des réflexions molles
00:56:42 du chancelier d'Allemagne,
00:56:44 en tirant largement sur le chèque en blanc
00:56:47 des appels inconsidérés du Kaiser à la punition des serbes.
00:56:53 Et cependant, la teneur de ces conciliabules inquiétants
00:56:57 ne filtre que lentement.
00:56:59 Et à Bad Isch, petit village de Basse-Autriche,
00:57:03 dans un cadre enchanteur d'opérettes viennoises,
00:57:06 où l'empereur François-Joseph a repris son séjour estival,
00:57:10 la foule, bon enfant, qui attend son arrivée pour la messe,
00:57:14 n'a aucune idée de l'écoulement de la fête.
00:57:19 D'ailleurs, le vieil empereur persiste à refuser
00:57:23 d'envisager une guerre contre les serbes.
00:57:26 Il a retrouvé ses habitudes, sa fille Marie-Valérie,
00:57:30 son gendre, l'archiduc François-Salvator,
00:57:33 sont venus le rejoindre avec leurs enfants,
00:57:36 et maintenant ils souhaitent que le lourd manteau
00:57:39 de silence des Habsbourgs,
00:57:41 qui a été le plus fortement défendu
00:57:44 par les serbes,
00:57:46 recouvre le linceul des assassinés de Sarajevo.
00:57:50 Mais en même temps, certaines images le poursuivent,
00:57:56 celle de l'uniforme ensanglanté de François Ferdinand,
00:58:00 ou le souvenir teinté d'un remord qu'il s'avoue peu à peu
00:58:05 de ses relations difficiles avec son héritier défunt.
00:58:12 Lors de l'une des dernières manifestations publiques
00:58:16 où ils parurent ensemble,
00:58:18 il avait été très frappé par la bonne tenue de cette armée
00:58:22 que François Ferdinand avait si efficacement reprise en main.
00:58:26 Et il le lui avait dit,
00:58:28 ce qui avait manifestement fait plaisir à son héritier,
00:58:32 peu habitué à être complimenté par lui.
00:58:36 Certes, les deux hommes étaient de caractère
00:58:41 opposé, l'empereur de l'ancien monde,
00:58:44 ayant enfermé depuis l'adolescence tous ses rêves
00:58:48 dans l'accomplissement du devoir,
00:58:50 devenu au fil de l'interminable succession des jours
00:58:55 d'un règne de plus de soixante ans,
00:58:58 le premier bureaucrate de ses états.
00:59:01 Vivant dans une simplicité monacale,
00:59:04 sa lente ascension vers un statut légendaire,
00:59:08 masquant l'érosion de sa puissance.
00:59:12 Et l'héritier, impulsif et brutal,
00:59:17 prêt à faire se lever les orages pour imposer son idée de l'Empire.
00:59:22 Pourquoi n'était-il pas parvenu malgré tout à se comprendre ?
00:59:27 Car enfin, c'était Habsbourg comme lui-même,
00:59:30 désintéressé, avec la vocation de respecter l'identité de chacun de ses peuples.
00:59:37 Ah, s'il avait pu se marier,
00:59:40 aussi bien que l'archiduc Charles, avec Zita de Bourbon-Parmes !
00:59:45 Et l'empereur refaisait cette comparaison des préjugés de sa caste,
00:59:52 dont le jeune couple de ses nouveaux héritiers sortait toujours vainqueur.
00:59:57 Charles et Zita, tellement imprégnés de toutes les grâces autrichiennes,
01:00:02 que l'empereur avait vu se dissoudre autour de lui avec les temps nouveaux,
01:00:07 et qu'ils retrouvaient intactes dans leurs regards et leurs sourires.
01:00:12 Mais François-Joseph n'est pas porté non plus à des introspections trop longues.
01:00:20 Il laisse cela à tous ces penseurs viennois
01:00:23 qui subissent l'influence d'un certain Dr Freud,
01:00:26 dont il connaît vaguement l'existence.
01:00:29 Et il préfère s'en retourner avec Marie-Valérie,
01:00:33 qui est si proche de lui,
01:00:35 alors qu'elle ressemble si peu à Sissi, sa mère.
01:00:40 Les enfants de Marie-Valérie égayent la villa de Bad Ischl,
01:00:46 où l'empereur joue avec eux le bonheur d'être grand-père.
01:00:50 Mais il porte aussi une affection particulière à Élisabeth,
01:00:56 unique enfant de son fils Rodolphe,
01:00:59 le suicidé du scandale mal étouffé de Meierling.
01:01:03 Sait-il qu'elle partage déjà certaines des bizarreries de son père ?
01:01:07 Bad Ischl s'est aussi le plaisir de franchir la petite porte
01:01:12 qui conduit au chalet de Catherine Schratt.
01:01:15 Cette ancienne comédienne est depuis trente ans l'ami de cœur du vieil homme.
01:01:19 Elle avait été choisie en somme par Sissi elle-même,
01:01:23 et depuis la mort de l'impératrice,
01:01:26 François-Joseph lui est passionnément attaché.
01:01:29 Ainsi, la vie de l'été est-elle bien partagée,
01:01:34 entre le travail dès avant l'aube,
01:01:37 le café, les cigares, l'agréable conversation de Catherine,
01:01:41 les allées et venues de l'archiduc Charles,
01:01:44 qu'il faut maintenant garder le plus souvent près de soi.
01:01:51 Costume de styrie pour la chasse,
01:01:54 avec culotte de peau et petit chapeau à plumer.
01:01:57 La stricte et subtile étiquette si formaliste,
01:02:02 mais nimbée d'une politesse exquisement surannée,
01:02:06 s'évanouit à la villa dans les charmes du style Biedermeier,
01:02:11 où l'empereur s'autorise même un léger mouvement d'humeur
01:02:15 quand sa voiture a un instant de retard,
01:02:19 où les archiducs n'ont plus peur
01:02:22 de ne pas lui parler à la troisième personne
01:02:25 et où Marie-Valérie joue dans le soleil avec son éventail.
01:02:30 Enfin, veillez sur lui, jeunes gens,
01:02:38 s'il ne vous laisse pas trop épuisés.
01:02:45 À 84 ans, fruit de sa discipline de vie
01:02:49 et sans doute d'une certaine sécheresse de cœur,
01:02:52 François-Joseph jouit d'une santé de fer
01:02:56 qui efface par exemple la différence d'âge avec ses gendres.
01:03:01 Et s'il confie à Catherine Schradt qu'il se sent parfois un peu là,
01:03:06 ses compagnons de chasse sont plutôt à la traîne de sa stupéfiante vitalité.
01:03:14 La chasse est une activité qu'il pratique assidûment
01:03:18 et comme à peu près tout le monde à son époque,
01:03:21 mais sans les pulsions de massacre du Kaiser Guillaume.
01:03:26 Elle lui offre un moment de répit au contact d'une nature qu'il aime
01:03:32 et où il peut mûrir ses décisions.
01:03:35 Or cette fois, ce sont les conséquences de l'attentat de Sarajevo
01:03:39 qui ne quittent pas ses pensées.
01:03:43 François-Joseph est viscéralement attaché à la paix de ses états
01:03:47 qui peut s'exprimer par la dévotion qui l'entoure
01:03:50 comme par la tranquillité d'une belle matinée de chasse.
01:03:54 En la contaminant par sa propagande, en servant de base arrière aux assassins,
01:04:01 la Serbie menace cette paix, insulte la maison des Habsbourg
01:04:06 et surtout brise les règles de l'ordre d'un monde immuable.
01:04:11 Pour le vieil empereur, pénétré d'un sens de l'honneur qui remonte à d'autres temps,
01:04:16 non seulement il faut châtier les serbes pour punir le crime,
01:04:20 mais les empêcher de nuire pour écarter tout danger à l'avenir,
01:04:24 ce qui n'est pas exactement la même chose.
01:04:27 La grande roue du Prater, cette fiancée viennoise de la Tour Eiffel,
01:04:37 continue néanmoins à tourner sur le cours d'une vie encore heureuse.
01:04:43 La presse a beau faire de gros titres sur les manifestations de joie indécente en Serbie,
01:04:54 les élégants uniformes pensent plus aux petites libellailles
01:04:58 qu'ils emmèneront danser dans les gargotes près du Danube.
01:05:03 Jolie Slovène, angroise charmeuse, rutine un peu farouche,
01:05:07 il faut de toutes les belles filles pour faire ce centre du monde qui valse sur lui-même.
01:05:14 L'archiduc François Ferdinand et son épouse sont morts depuis trois semaines.
01:05:20 La force de l'Empire, c'est sa faiblesse.
01:05:23 Passés ses accès de colère, tout retombe comme avant.
01:05:28 Voyez le comte Berchtold, ses chevaux viennent de gagner aux courses.
01:05:33 Hélas, s'il s'occupe toujours autant de ses plaisirs,
01:05:38 le comte Berchtold l'écorce désormais de son frivole goût du risque.
01:05:44 Il est assuré du soutien de l'Allemagne et le général von Zondorf en retire un surcroît de confiance.
01:05:56 Notre ombre recouvrira la Serbie, comme les grands épleins lorsqu'ils se posent sur le sol.
01:06:03 Et en effet, si l'Autriche s'est rendormie, le souffle de l'Allemagne sur son sommeil,
01:06:18 tel celui d'un amant qui voudrait à la fois veiller sur elle et la prendre,
01:06:23 s'enfonce inexorablement dans le cauchemar des apprentis sorciers.
01:06:28 François-Joseph pèse tous les maux de l'ultimatum à la Serbie
01:06:38 que le comte Berchtold a mis si longtemps à préparer.
01:06:42 Il l'essaie très dur, difficilement acceptable, mais il espère que la Serbie va céder.
01:06:50 S'il refuse, ce sera la guerre et l'alliance allemande fera reculer
01:06:55 ce qui voudrait faire déraper cette simple opération de police.
01:07:00 François-Joseph ne connaît que les guerres qu'il perdit autrefois.
01:07:06 Il ne sait rien de celles des temps modernes.
01:07:09 Cette ignorance est sa faiblesse et elle entraîne le monde à sa suite.
01:07:19 En France, la grande manœuvre de Longchamp signe l'apogée du 14 juillet
01:07:23 et si Marianne est encore bien solitaire dans l'Europe des monarchies,
01:07:27 la république, laïque et patriote, s'enracine dans la prospérité et l'épopée coloniale.
01:07:34 Le président Poincaré, élu depuis quelques mois, est un lorrain, coriace,
01:07:42 au caractère trempé, au souvenir des provinces arrachées par l'Allemagne.
01:07:48 Même s'il s'en défend courtoisement auprès des diplomates du Kaiser,
01:07:53 à qui il a fait une visite très remarquée durant l'hiver.
01:07:58 Il n'imagine pas que l'attentat de Sarajevo puisse entraîner une guerre
01:08:05 et lors d'un service funèbre pour l'archiduc et son épouse,
01:08:09 l'ambassadeur d'Autriche-Hongrie le conforte dans cette certitude.
01:08:15 Or, il doit se rendre à Saint-Pétersbourg,
01:08:18 ce qui agite beaucoup le regard d'aigle dans un crâne de piaf
01:08:22 de l'ambassadeur russe Izvolski,
01:08:25 qui a de sérieux comptes personnels à régler avec les Autrichiens
01:08:29 et souhaite un pugilat général qui le vengerait de ses griefs.
01:08:34 La France et la Russie sont alliées depuis 20 ans.
01:08:40 Ce mariage contre nature entre la démocratie républicaine
01:08:44 et l'autocratie tsariste est une union solide,
01:08:47 forgée par le souci d'encadrer la puissance en plein essor de l'Allemagne
01:08:52 et de contenir ses ambitions.
01:08:55 Le tsar connaît point carré et l'apprécie au point de déclarer
01:09:01 qu'il aimerait la voir pour premier ministre.
01:09:04 Quant au président de la République, il adopte l'attitude de la France
01:09:08 quand il s'agit de la Russie.
01:09:10 Contact personnel chaleureux, du concret militaire et financier
01:09:15 et pas un mot de politique intérieure.
01:09:18 Tout de même, le gouvernement du tsar lui fait piètre impression,
01:09:23 pour la plupart de vieux courtisans sans talent ni consistance.
01:09:28 Les Russes ont mis les petits plats dans les grands,
01:09:33 escadres, palais de péterhof, barra de tsar Koyesello.
01:09:37 L'empire du tsar a manifestement retrouvé la santé.
01:09:41 La famille impériale est aussi présente au grand complet
01:09:45 et point carré, déjà habitué au charme pénétrant du tsar,
01:09:49 découvre avec curiosité cette tsarine dont on lui a dit le plus grand mal.
01:09:54 Une belle femme, hâlée par sa récente croisière du standard,
01:09:58 très aimable, qui a été la première à se marier
01:10:01 et qui le présente à ses enfants comme un ami de la famille.
01:10:05 Une rapide tournée dans les rues de la capitale s'avère moins sereine.
01:10:13 Les usines sont en grève, la police est partout.
01:10:17 Les ministres du tsar affirment à point carré que les Allemands
01:10:21 suscitent des désordres, en soumain, pour torpiller le succès de la visite.
01:10:27 Réponse commode à un malaise inavouable
01:10:31 ou écho d'une crise que le silence de Vienne et de Berlin
01:10:35 semblait laisser s'assoupir.
01:10:38 Le ministre des affaires étrangères Sazonov,
01:10:41 qui est en revanche très compétent, persiste.
01:10:44 L'Autriche s'apprêterait à attaquer la Serbie.
01:10:47 A vrai dire, si le tsar paraît calme, les Russes sont nerveux.
01:10:54 Alors qu'il se rend dans le landau de la Tzarine,
01:10:57 à la grande parade de Krasnoye Selo,
01:11:00 où l'armée russe s'apprête à faire étalage
01:11:03 de son bon usage des prêts de l'épargne française,
01:11:06 point carré est frappé par le climat d'exaltation générale.
01:11:11 Le dangereux Zizvolski, l'efficace Sazonov,
01:11:16 le tsar impénétrable, qui croire ?
01:11:19 Point carré étouffe dans la loge d'honneur de la Tzarine.
01:11:23 C'est vrai qu'elle a le regard fixe et respire avec effort.
01:11:27 Quant au grand-duc Nicolas, commandant-chef,
01:11:32 il ne parle que de la nécessité d'un ordre de mobilisation immédiat
01:11:36 si les informations de Sazonov se confirment.
01:11:39 Quelle chaleur !
01:11:42 C'est normal qu'elle se sente mal.
01:11:44 Et toujours pas de nouvelles de Paris.
01:11:47 Ils sont donc tous en vacances ?
01:11:50 L'armée russe est magnifique.
01:11:53 Mais compte tenu des distances, il faudrait au moins un mois pour la rassembler.
01:11:57 Et en cas de malheur, la France ne pourrait pas compter sur elle.
01:12:01 Et si le grand-duc Nicolas avait raison ?
01:12:04 Ainsi, point carré ne freine pas les russes,
01:12:07 alors qu'il a l'ascendant pour le faire.
01:12:10 De même qu'il abandonnera plus tard le tsar et la Tzarine à leur sort.
01:12:15 Toujours au nom de l'intérêt supérieur de la République.
01:12:21 La teneur de l'ultimatum autrichienne à la Serbie parvient à point carré
01:12:30 alors que résonnent encore les canonades d'adieu de l'escadre russe.
01:12:34 Puis le refus méprisant parvienne de la réponse pourtant conciliante de Belgrade.
01:12:40 C'était donc ça le silence du comte Berchtold.
01:12:44 Attendre qu'il fût en mer, empêché dans ses réactions pour déclencher la machine infernale.
01:12:50 Après avoir croisé le Hohenzollern qui rentre à toute allure,
01:12:57 le bateau des français devine en longeant les côtes allemandes
01:13:01 les masses confuses et gigantesques de la flotte du Kaiser.
01:13:05 A la lumière des projecteurs, les équipages s'activent sans connaître de repos.
01:13:10 Des messages menaçants en parviennent, il faut s'éloigner en hâte.
01:13:15 Et tandis que Poincaré apprend le bombardement de Belgrade,
01:13:19 le brusque réveil de Paris, l'élan de la Russie pour venir au secours des serbes,
01:13:24 avec l'escadre allemande, c'est toute l'Europe qui disparaît devant lui dans la nuit.
01:13:38 Allons, pourquoi dramatiser ?
01:13:41 Ce ne sera qu'une bonne petite guerre de plus,
01:13:44 purgeant toutes les mauvaises tensions qui traînent depuis trop longtemps.
01:13:49 Nous avons tous eu un si beau début d'été, tellement lumineux et tranquille.
01:13:55 La paix reviendra très vite.
01:13:58 On se retrouvera bientôt comme avant, pour Noël ou dès le printemps prochain.
01:14:05 Et les aigles des Romanov, des Hohenzollern et des Habsburg seront encore là,
01:14:12 pour veiller sur notre vieux monde, sans misère, sans désastre et sans révolution.
01:14:21 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
01:14:25 La guerre des serbes
01:14:31 Le printemps prochain
01:14:36 Le printemps prochain
01:14:41 Le printemps prochain
01:14:47 Le printemps prochain
01:14:53 Le printemps prochain
01:14:59 Les gars, c'est le printemps prochain !
01:15:02 Hurrah !
01:15:03 C'est le printemps !
01:15:05 Messieurs, vous ne comprenez pas ?
01:15:25 Le printemps prochain
01:15:30 Le printemps prochain
01:15:36 Le printemps prochain
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