Retour sur le parcours de Jeanne Lemoine, codirigeante et cofondatrice du groupe Lemoine, leader européen des produits d’hygiène à base de coton (vendus en marques distributeurs). Après des études à Sciences-Po et un passage en cabinet politique, elle a voulu devenir une « citoyenne économique engagée » et a créé son entreprise en 1978. Résultat, une belle ETI française basée en Normandie avec des usines dans plusieurs pays, dans une logique de proximité avec les marchés et de développement durable.
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00:00 Générique
00:02 -Bismarck.
00:03 -Bonjour, Jeanne Lemoyne.
00:04 Ravi de vous retrouver.
00:06 Jeanne, nous nous sommes connues
00:08 dans le cadre du cercle des femmes d'influence,
00:11 qui a été créé par Patricia Chaplotte.
00:13 -Exact. -Patricia Chaplotte,
00:15 que j'ai reçue d'ailleurs pour en parler,
00:18 pour parler de sa vision de grand témoin.
00:20 Elle était venue en mai 2023,
00:22 donc elle nous avait également parlé de tous ces sujets
00:25 qui nous sont chers.
00:27 Bien évidemment, "Femmes d'influence",
00:30 vous en êtes une, assurément, à divers titres.
00:32 Alors, comme je suis là pour faire votre portrait,
00:35 on va démarrer par le commencement,
00:37 c'est toujours plus simple.
00:39 Vous êtes avec votre époux
00:41 et désormais votre fils,
00:43 dirigeante du groupe du même nom,
00:47 donc du groupe Lemoyne.
00:48 Ce groupe est très représentatif,
00:50 je trouve, des belles ETI françaises
00:53 qui sont insuffisamment nombreuses,
00:56 bien évidemment, on le sait tous,
00:58 mais belles ETI françaises,
01:00 ancrées dans son territoire,
01:02 vous êtes dans l'orne,
01:04 et vraiment leader sur son marché
01:06 avec des qualités très spécifiques
01:08 d'engagement, développement durable, etc.
01:10 Tout ce que vous allez nous dire.
01:12 Commençons par le commencement.
01:14 Dites-nous comment cette aventure a démarré.
01:17 Vous avez fini vos études en 74.
01:19 Comment ça s'est passé ?
01:20 Le démarrage.
01:22 -Le démarrage, c'est un choix
01:24 et une volonté entrepreneurial.
01:27 Nous sommes tous les deux dans le couple
01:29 issus de milieux engagés et entrepreneuriaux.
01:32 Donc nous avons choisi
01:34 de créer notre propre entreprise
01:37 et l'aventure a commencé.
01:38 -Et là, c'était donc... -En 1978.
01:40 -Vous aviez fait un passage par des cabines,
01:43 donc vous avez eu une expérience autre.
01:45 -Oui, en sortant de Sciences Po,
01:47 j'étais au cabinet du président du Conseil de Paris.
01:50 -Vous avez eu plus envie de revenir
01:52 vers les racines entrepreneuriales.
01:54 -Tout à fait. C'est un choix, justement,
01:57 après la politique, en souhaitant être
01:59 une citoyenne économique engagée
02:01 et en voyant les résultats de ce que l'on fait.
02:04 -Bien sûr, et vous les montrer grandement.
02:06 Vous avez commencé par racheter
02:08 une toute petite entreprise, un peu vieillissante.
02:11 -Tout à fait. -Racontez-nous les grandes étapes.
02:14 -7 personnes, à l'époque, 2,5 millions de francs
02:17 de chiffre d'affaires,
02:18 et puis de croissance externe,
02:21 en développement interne,
02:23 nous avons grandi,
02:25 ajouté à notre gamme de produits
02:28 pour la cosmétique,
02:29 c'est-à-dire les shampoings,
02:31 les bâmes au sang, haute-cologne,
02:33 nous avons ajouté les produits
02:35 ouettés, les bâtonnets ouettés,
02:37 les disques à démaquiller, le coton, etc.
02:40 Tout cela a fait que, petit à petit,
02:42 d'usine en usine,
02:43 nous sommes dans l'univers industriel,
02:45 d'usine en usine, aujourd'hui,
02:47 nous sommes leader européen sur notre marché
02:50 de produits d'hygiène à base de coton
02:52 et de tissus.
02:53 -C'est quand même une très belle réussite.
02:56 -Une très belle ETI familiale, 100 % familiale.
02:59 -Absolument. Pour donner, néanmoins,
03:01 la carte, car le nom de Groupe Le Moine
03:03 n'est pas connu autant qu'il le devrait,
03:06 on connaît vos produits,
03:07 les cotons-tiges, les boîtes,
03:09 on parlera des couillons après,
03:11 mais dites-nous simplement
03:13 la carte d'identité du Groupe Le Moine,
03:15 en termes de chiffres, de dispositifs.
03:17 -Alors, donc, nous sommes un groupe
03:20 basé d'abord en Normandie,
03:23 ancré territorialement en Normandie,
03:25 et ensuite, nous avons développé,
03:27 puisque l'objectif, c'est d'être, pour pénétrer les marchés,
03:30 non seulement local, mais aussi sur le plan durable,
03:33 c'est-à-dire décarbonation.
03:35 Donc, nous avons implanté des usines en Allemagne,
03:38 aux Pays-Bas, en Estonie, en Espagne,
03:40 et pour le marché américain en Mexique
03:42 et pour la zone aséane aux Philippines.
03:44 Donc, nous avons aujourd'hui cette capacité
03:47 à faire des produits en marque distributeur,
03:50 donc c'est pour ça que le nom est peu que dû,
03:52 parce que nous travaillons pour les enseignes,
03:54 nos produits sont sous marque des grandes enseignes françaises,
03:58 internationales, américaines, espagnoles,
04:01 donc, voilà, vous utilisez sûrement nos produits
04:04 sans le savoir. -Bien sûr.
04:05 Bien sûr, absolument.
04:07 Et vous êtes aujourd'hui, vous êtes dans 8 pays,
04:09 dans les grands chiffres du groupe.
04:11 -Tout à fait, nous sommes dans 8 pays.
04:14 Nous avons des unités qui sont à chaque fois
04:16 des unités à taille humaine,
04:18 qui répond à nos valeurs, à nos convictions,
04:20 et à chaque fois, nous créons des usines,
04:23 nous développons nos process industriels
04:25 que nous avons développés d'abord en France,
04:27 c'est le rayonnement du savoir-faire français
04:30 à l'international.
04:31 -Et vous avez cette idée forte
04:33 que vous mettez en oeuvre en permanence,
04:36 qui est de maîtriser l'ensemble de la chaîne de valeurs.
04:39 -Exactement. -Parlez-en, c'est intéressant.
04:41 -Voilà, c'est cette capacité aussi de se dire
04:44 que pour maîtriser totalement nos productions,
04:47 mais nos innovations, et en même temps,
04:49 la décarbonation, il faut produire à côté.
04:52 Donc c'est comme ça que nous avons développé
04:54 la fabrication de nos tiges, la fabrication de notre mèche,
04:58 nous sommes les seuls...
04:59 Nous avons les seuls carteries en France,
05:02 la fabrication de nos boîtes.
05:03 Donc tout cela, à chaque fois,
05:06 nous permet d'être très réactifs,
05:09 dynamiques, et de pouvoir innover rapidement.
05:13 -C'est ce que vous avez fait avec ces fameux écouvillons.
05:16 -Vous pouvez nous raconter ? -Tout à fait.
05:19 En regardant un reportage à la télévision,
05:21 le 18 mars, je crois,
05:24 où je me suis aperçue de cette pénurie pénalisante
05:27 des écouvillons, et je me suis dit
05:29 "Mais finalement, ça ressemble à un long poteau-tige."
05:33 A l'époque, on n'en payait pas le mot.
05:35 Et comme nous fabriquons nous-mêmes nos tiges,
05:38 je me suis dit "Il faut fabriquer une tige plus longue,
05:41 "donc modifions notre process,
05:43 "garder une mèche un peu plus plate,
05:46 "et modifier aussi nos usines d'assemblage,
05:49 "puisque nous assemblons le coton et les tiges."
05:51 Et en huit jours, grâce à nos équipes de R&D
05:56 et grâce à nos sous-traitants locaux normands,
05:59 nous avons pu développer un écouvillon,
06:01 le présenter aussi bien au service de la DGE,
06:06 notamment à la ministre Agnès Pagnolini-Hachet,
06:08 à Olivier Véran, et au service de santé des armées.
06:11 C'est le premier que nous avons pu dépanner, comme l'APHP.
06:15 -Ces écouvillons ont été mis sur le marché...
06:17 -Après, il a fallu, bien entendu,
06:19 obtenir toutes les autorisations administratives.
06:22 Ca a été assez rapide sur le plan d'érogation.
06:25 Et cet écouvillon qui était prêt le 2 avril
06:29 a été mis sur le marché le 23 avril.
06:33 -Ce qui est remarquable.
06:34 Quand on entend souvent dire à quel point on est lent, etc.,
06:39 là, franchement, une entreprise,
06:41 une dirigeante d'entreprise perçoit un besoin,
06:44 se rend compte qu'elle est capable de le faire réaliser
06:47 dans sa propre entreprise,
06:49 met exécution, 7 jours après, c'est fait,
06:52 présentation aux résidences,
06:54 et un mois au total après, l'écouvillon est là.
06:58 -Et là, pour justement...
07:00 C'était principalement les soignants qui avaient besoin.
07:03 C'était une pénurie très pénalisante.
07:05 Et franchement, je dois dire que ça a été un bonheur,
07:09 mais pas que personnel, c'était un bonheur pour nos équipes
07:13 d'être à ce point-là engagées pour leur pays.
07:17 -Oui, bien sûr.
07:18 Et sur les temps, on sent bien dans tout ce que vous avez fait,
07:22 dans la façon dont fonctionne l'entreprise,
07:24 à quel point vous êtes attachée à cette notion d'engagement,
07:28 de durabilité. Je rappelle aussi que vous étiez
07:30 en anticipation de la loi, vous aviez supprimé les plastiques.
07:34 -Les tiges en plastique, à peu près deux ans avant,
07:38 nous avons pu intégrer dans notre process
07:41 avant, en juillet 2018,
07:43 et l'obligation était au 1er janvier 2020,
07:46 nous avons pu supprimer les tiges plastiques
07:49 et passer aux tiges papier.
07:50 -Franchement, tout ça est très bien.
07:52 Vous co-dirigez avec... Vous avez co-créé avec votre mari,
07:56 votre fils maintenant est également présent.
07:59 La répartition des rôles, comment les choses se sont passées ?
08:02 Ca s'est passé naturellement ?
08:04 -Naturellement, parce que chacun a son domaine de compétences.
08:09 Et en regardant tous avec la même stratégie.
08:12 Ca fonctionne. Après, en effet,
08:14 il y a des sensibilités, des capacités,
08:17 il y a le développement international,
08:19 le développement industriel,
08:21 il y a tout le côté juridique, ressources humaines.
08:24 Tous ces sujets-là sont des sujets
08:26 où chacun, nous pouvions montrer nos capacités
08:29 et être efficaces.
08:30 -Aujourd'hui, les principaux défis ?
08:33 -Aujourd'hui, les principaux défis,
08:35 je dirais, sur le plan entreprenarial,
08:37 c'est de poursuivre la réindustrialisation française,
08:40 verte, et compétitive.
08:42 Parce que tout l'objet, c'est celui-là.
08:44 On peut être vert, mais il faut être compétitif,
08:47 sinon, ça ne sera pas pérenne.
08:49 On vient d'une époque de désindustrialisation,
08:52 surtout, ne recommençons pas.
08:54 -C'est pour ça, d'ailleurs,
08:55 que pour terminer notre échange,
08:58 je voulais qu'on dise deux mots sur votre engagement
09:01 dans, justement, le METI,
09:04 enfin, le Club ETI.
09:05 Dites-nous, en quelques mots,
09:07 vos engagements parallèles à votre entreprise.
09:11 -C'est aussi un goût pour l'engagement,
09:13 une volonté, là aussi, et un choix, encore,
09:16 parce que c'est en plus.
09:17 Et c'est vrai que d'être aujourd'hui engagée
09:20 dans des mouvements comme le METI,
09:22 les entreprises de taille intermédiaire,
09:25 où je suis présidente du Club ETI Normandie,
09:27 être engagée également pour le développement des ETI
09:30 et pour que les PME de croissance deviennent des étincelles,
09:34 ce qui est souhaitable, et plus d'ETI.
09:36 Aussi, également, à la FEF, où je suis vice-présidente
09:39 d'une fédération des entrepreneurs et entreprises de France.
09:43 La spécificité, c'est de travailler avec la grande distribution.
09:46 C'est particulier comme univers, et là aussi,
09:49 on a besoin de pouvoir se battre
09:53 et de démontrer la capacité des entreprises,
09:55 du maillage et de l'écosystème territorial,
09:59 et la capacité qu'ont ces entreprises de faire vivre
10:02 et d'irriguer l'économie française.
10:04 Donc, voilà. Et les mouvements féminins,
10:07 où je suis engagée,
10:09 chez Farm and Challenge en Normandie,
10:12 au réseau féminin du MEDEF.
10:15 Bref, beaucoup d'engagements,
10:16 tous aussi passionnants les uns que les autres.
10:19 -Tous se traduisent toujours.
10:21 A la fois cette conviction que l'entreprise,
10:24 dans sa globalité, est une solution,
10:26 enfin, il a une grosse partie de la solution,
10:29 pour rester...
10:30 -Oui, oui. -Pour rester plus nuancée,
10:32 mais une grande partie de la solution,
10:34 et le côté engagement dans tout ce qui est transition
10:37 indispensable aujourd'hui, qui vous caractérise aussi.
10:40 Merci beaucoup. -Merci, Marie-Claire.
10:43 -Merci, et très belle continuation.
10:45 -Merci. -Merci.
10:46 -Voilà, notre émission est terminée.
10:49 Donc, à nouveau, trois témoignages
10:51 que j'ai trouvés passionnants,
10:53 j'espère qu'ils vous ont intéressés.
10:55 Des sujets divers, mais on voit à quel point
10:57 il y a une vitalité entrepreneuriale
10:59 dans notre pays, et c'est un grand bien.
11:02 Merci de votre écoute, et au mois prochain.