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00:00 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:04 Voilà Marguerite, vous vous êtes échauffée n'est-ce pas ?
00:07 Tout à fait, à fond.
00:09 Vous allez maintenant parler d'Europe.
00:11 Oui, à deux mois des élections, on zoom ce matin sur le Parlement européen.
00:15 Tous les cinq ans, c'est plus de 700 députés, 720 précisément pour la prochaine législature qui sont envoyés à Strasbourg.
00:21 Alors comment fonctionne l'institution ? Quel regard sur les cinq années passées et les chantiers à venir ?
00:26 Voilà les questions que nous allons poser à Laurent Varlouzet. Bonjour.
00:29 Bonjour.
00:30 Vous êtes professeur d'histoire de l'Europe à la Sorbonne,
00:32 auteur de l'ouvrage "Europe contre Europe entre liberté, solidarité et puissance" paru aux éditions du CNRS
00:38 et avec les chercheurs Eurolab, vous avez examiné pour le Conseil économique, social et environnemental
00:43 le bilan de la mandature 2019-2024. Merci beaucoup d'être avec nous ce matin.
00:49 Merci à vous.
00:50 Alors au début de la construction européenne, le Parlement était une institution secondaire.
00:54 Qu'en est-il aujourd'hui ? Les pouvoirs se sont-ils rééquilibrés ?
00:57 Tout à fait, vous avez raison. Au début, quand on a créé le Parlement, on a fait le pari de l'existence d'un peuple européen en 1952
01:03 qu'il faudrait représenter directement dans une institution.
01:06 Donc c'était une idée assez originale, assez folle. Il y avait juste un seul précédent, c'était l'Assemblée du Conseil de l'Europe.
01:12 On en a parlé juste avant dans le journal à propos du cas des Harkis. C'est l'Assemblée du Conseil de l'Europe.
01:19 Même institution, sauf que là c'était la Cour.
01:22 Mais c'était des institutions qui avaient très peu de pouvoirs au début.
01:25 C'était des institutions un peu symboliques qui incarnaient un peuple européen en gestation.
01:31 Et aujourd'hui, par contre, c'est une institution extrêmement puissante depuis les années 80-90.
01:36 Surtout dans le domaine économique, moins dans le domaine régalien, dans les domaines de la défense de la politique étrangère.
01:41 A tel point qu'on peut dire que c'est l'une des assemblées délibérantes, démocratiquement élues, les plus puissantes au monde.
01:47 D'où l'importance des élections du 9 juin.
01:49 Avec d'ailleurs un pouvoir de veto sur les accords commerciaux négociés par l'Union européenne.
01:53 Ce qui est important aujourd'hui vu qu'il est co-législateur.
01:56 Tout à fait. Donc là, dans tout ce qui est législation économique, commerciale, le Parlement européen a une énorme importance.
02:03 Dans le matière environnementale aussi, on en parlera peut-être.
02:06 Et effectivement, les accords commerciaux auparavant étaient conclus essentiellement par la Commission et par les Etats.
02:11 Et aujourd'hui, on a une troisième jambe, si j'ose dire, le troisième pied du tripod qui s'ajoute.
02:18 C'est le Parlement européen qui permet une expression un petit peu plus directe des peuples européens.
02:23 Alors, on dit souvent que les Français sont assez mal informés de ces travaux.
02:27 Puisque selon l'Eurobaromètre de juin 2023, c'est parmi les habitants de l'Union européenne qui sont les moins informés des débats du Parlement européen par leurs médias nationaux.
02:35 Ce qu'on observe, Laurent Varlouzet, c'est que du fait de la montée en puissance assez progressive de cette institution,
02:42 elle s'est historiquement structurée autour de deux camps, les anti d'un côté, les pro de l'autre, europhiles contre europhobes.
02:49 Mais aujourd'hui, à l'heure actuelle, vous parlez d'une normalisation croissante.
02:54 Désormais, c'est un clivage gauche-droite plus classique qui s'impose. Alors, comment s'est opérée cette bascule ?
02:58 Oui, merci pour ces deux questions, information et normalisation.
03:01 Alors, sur l'information, la faible information des Français, je pense que pendant longtemps, on a eu du mal à mettre le Parlement dans notre logiciel mental.
03:09 Mais y compris au niveau national, du fait de la Ve République, du fait d'un espèce de prisme bonapartiste,
03:16 golo-bonapartiste qu'on a dans nos actualités, qui fait qu'on a une espèce de monarchie élective avec un phénomène de cours
03:22 où il est plus important de savoir ce que pense la Première Dame, quelle que soit la Première Dame, que de comprendre quels sont les débats parlementaires.
03:30 Alors, ça change un petit peu depuis 2022, puisque maintenant le président n'a plus de majorité parlementaire.
03:34 On s'intéresse un petit peu plus aux différentes alliances, à l'alchimie entre les différentes opinions politiques,
03:42 les différentes dynamiques qui peuvent se créer au sein du Parlement. Et c'est exactement ce qui se passe au Parlement européen.
03:46 Donc c'est peut-être pour ça que, d'une part, on est en retard, mais que d'autre part, je pense qu'on va rattraper ce retard grâce à votre émission.
03:53 Et aussi, on le voit grâce au fait que les partis prennent un petit peu plus au sérieux l'élection européenne.
03:59 Les têtes de liste, par exemple, là, sont des députés européens ou sont des gens qui sont spécialistes de la question,
04:05 alors que pendant longtemps, les têtes de liste étaient des personnalités politiques nationales qui faisaient une campagne essentiellement nationale.
04:11 Donc là, il y a une dimension nationale. On voit bien que l'élection européenne, ce sera aussi l'un des premiers tours de la présidentielle.
04:16 Mais on parle quand même sérieusement d'Europe, un petit peu plus en tout cas qu'auparavant.
04:21 Donc j'espère que cette exception française tendra à s'atténuer.
04:25 Et alors sur l'évolution de la structuration politique de l'institution ?
04:30 Voilà. Et cette exception, elle va peut-être s'atténuer à la faveur d'une forme de normalisation.
04:35 Pendant longtemps, effectivement, le Parlement européen a été structuré par un clivage, on va dire, comme vous dites,
04:39 europhile, eurosceptique ou europhobe, c'est-à-dire une majorité centriste allant de la droite modérée à la gauche sociale-démocrate,
04:47 en passant par les écologistes, les libéraux, qui s'entendaient déjà sur les postes au Parlement européen,
04:54 présidence, vice-présidence, grande commission, et puis qui ne s'entendaient pas forcément sur tous les textes,
04:59 mais qui fournissaient suffisamment de députés pour avoir une majorité.
05:03 Il faut penser qu'au Parlement européen, les majorités sont moins stables qu'à l'Assemblée nationale française,
05:07 puisque au clivage partisan, ça s'ajoute des clivages nationaux, bien entendu.
05:11 Donc la discipline de vote est moins forte.
05:13 Et aujourd'hui, on passe de cette configuration un peu centriste à une majorité droite-gauche sur certains textes,
05:20 et c'est ce qu'on développe dans cette note de l'Eurolab qu'on a faite pour le CESE, notamment en matière environnementale,
05:25 où là, depuis 2023, on voit qu'il y a un clivage droite-gauche avec une droite et une extrême droite,
05:30 et aussi un centre parfois, qui vote contre les textes environnementaux, pour des textes plus productivistes,
05:35 ce qui n'était pas le cas au début de la législature, entre 2019 et 2022, à l'époque du Pacte vert.
05:40 Et puis sur les migrations aussi, il y a un clivage droite-gauche assez virulent.
05:45 Le Brexit a été l'un des événements les plus marquants de ces cinq dernières années,
05:49 puis le Covid, la guerre en Ukraine.
05:51 Quelles ont été les conséquences sur les orientations du Parlement et de l'Union ?
05:54 Plus de protectionnisme, peut-être ?
05:56 Le Brexit a permis de favoriser une transition d'une Europe vraiment purement libérale,
06:01 de régulation du libéralisme, ou parfois néolibérale, vers une Europe plus solidaire ou puissante.
06:05 C'est pour ça que j'intitule mon livre "Europe contre Europe, entre liberté, solidarité, puissance".
06:09 Pendant longtemps, l'Europe était surtout libérale,
06:11 avec des projets de solidarité et de puissance qui avaient du mal à se réaliser.
06:14 Et là, ils ont pris un peu plus de consistance à la faveur du départ des Britanniques,
06:19 depuis dans la dernière législature du Parlement européen,
06:21 par exemple avec le plan de relance, avec le salaire minimum,
06:24 avec beaucoup de législation environnementale,
06:26 et effectivement avec des législations un peu plus protectionnistes en matière commerciale, industrielle,
06:30 par exemple la taxe carbone au fond d'hier, même si elle ne porte pas ce nom-là,
06:33 à tel point qu'on peut parler d'une espèce d'Europe phénix,
06:35 parce qu'on a des projets anciens défendus depuis longtemps par la France,
06:39 comme la taxe carbone, qui pendant longtemps a été rejetée
06:41 comme étant une espèce de marque, une espèce de protectionnisme néandertalien,
06:45 qui sont aujourd'hui adoptées parce qu'elles font l'objet d'un consensus un petit peu plus fort.
06:50 Et toute la question est de savoir si c'est temporaire ou si cela va durer.
06:54 C'est l'un des enjeux des élections à venir.
06:56 On comprend que vous décrivez une institution assez mature,
06:58 où les différentes opinions politiques sont représentées.
07:01 Faut-il dès lors s'attendre à un changement de majorité,
07:03 d'une majorité centriste que vous avez décrite ?
07:05 Est-ce qu'on va vers une majorité de droite et d'extrême droite, Laurent Varlouzet ?
07:09 Oui, exception ou inflexion, c'est un petit peu le sujet.
07:13 Est-ce que cette tendance d'aller vers une Europe solidaire ou puissance va se poursuivre
07:19 ou va au contraire s'interrompre ?
07:21 Effectivement, les sondages laissent penser qu'on pourrait avoir une majorité de droite et d'extrême droite.
07:27 Il y a deux groupes d'extrême droite ou de droite radicale au Parlement européen,
07:30 plus le groupe de droite classique du Parti populaire européen.
07:33 Est-ce que ce groupe va avoir une majorité ?
07:36 Et d'autre part, est-ce qu'il va être capable aussi de fonctionner comme une majorité ?
07:39 Puisque, je l'ai dit, les majorités sont beaucoup plus habiles au Parlement européen.
07:42 Ce sera tout l'enjeu des élections, d'où l'importance des élections du 9 juin.
07:46 Savoir si on veut plus ou moins d'Europe, mais aussi savoir quelle Europe on veut.
07:49 Europe libérale, Europe socio-environnementale, Europe puissance ou simple zone de coopération commerciale.
07:55 Merci beaucoup Laurent Varlouzet.
07:56 Je renvoie les auditeurs à votre ouvrage "Europe contre Europe"
07:59 et à notre pour le CESE "Bilan de la 9e législature du Parlement européen".
08:02 On mettra le lien sur la page de l'émission. Merci.