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Transcription
00:00 Place à la page spéciale dans ce Journal de l'Afrique consacré à la commémoration des victimes du génocide des Tutsis au Rwanda.
00:08 Vous le savez, une mort est une tragédie. Un million de morts, une simple statistique.
00:14 Pour sortir de ces statistiques, nous avons l'honneur de recevoir un grand acteur, auteur, dramaturge, metteur en scène, éditeur, Dorsey Rougamba.
00:23 Lui aussi a perdu toute sa famille au printemps 94, mais ce soir, ce n'est pas une émission pour les morts, mais pour les vivants.
00:30 Dorsey Rougamba, merci d'être notre invité. Bienvenue chez vous dans le Journal de l'Afrique.
00:35 Merci. Bon matin.
00:37 Alors, je souhaitais... Alors, on vous invite pour ça, pour ce livre que vous publiez qui s'appelle "Ewa Rwanda".
00:44 Je souhaitais qu'on nous commencions justement cet entretien par une image que je vous demanderais de commenter.
00:52 C'est cette dernière photo prise le 2 avril 1994. On va voir l'image. On voit l'image.
01:00 Alors, c'est une image qui est revenue en fait longtemps après par des amis qui étaient à la maison le 2 avril.
01:09 C'était un samedi. Et puis, comme les photos de l'époque n'avaient pas de numérique, ils ont dû développer des années beaucoup plus tard.
01:17 Et qu'ils nous l'ont envoyée. Et j'ai beaucoup aimé cette photo parce qu'on voit mon père, ma mère et la Benjamine de la famille,
01:25 qui était une jeune fille qui avait 7 ans, Ginny. Et alors, elle m'a vraiment beaucoup restauré d'une certaine manière parce qu'ils sont souriants.
01:37 Et je me suis dit, tiens, c'est comme ça que j'ai envie de parler d'eux, de parler de la vie qui se voit vraiment sur cette photo
01:45 et pourquoi cette famille était une famille heureuse. Elle n'a pas totalement disparu parce qu'on est resté,
01:51 on a réchappé à 4 sur une famille de 10 enfants dont Ginny était la Benjamine. Mais c'est une photo qui me parle beaucoup.
01:58 Et on comprend néanmoins cette photo, donc vous le disiez bien, c'était la dernière que vous aviez le 7 avril, car le 7 avril,
02:07 quelques jours plus tard, 94, 20 militaires de la garde présidentielle entrèrent dans votre maison et assassinèrent toute votre famille.
02:14 Vos parents, vos frères, vos sœurs, y compris ceux qui étaient là de passage. Vous, vous n'êtes pas là. Comment l'avez-vous appris ?
02:21 Je l'ai appris de la part d'un jeune frère à moi qui était dans la maison. Donc les militaires ont tué 10 personnes
02:30 et 2 personnes ont réchappé, parmi lesquelles un de mes jeunes frères, blessé, qui nous a appelés.
02:36 Moi, je me trouvais à Boutaré chez ma tante, la sœur de mon père. Et c'est une information que j'ai vraiment eu du mal à encaisser
02:43 parce qu'elle arrivait comme ça, subitement, le premier jour, et donc c'est 5 jours après cette photo.
02:50 Et c'est comme ça que cette nouvelle accablante est arrivée, m'est tombée dessus.
02:56 Et alors, vous l'avez dit, vous étiez à l'époque étudiant, vous avez 24 ans, à Boutaré, la deuxième ville du pays.
03:03 Finalement, dans quelles conditions, vous, vous allez avoir la vie sauve ?
03:07 Je devais revenir sur Kigali, j'étais parti voir ma tante, qui disparaîtra, elle aussi d'ailleurs.
03:14 Et je devais rentrer le 6 avril, sauf qu'il était 17h, j'appelle mon père au téléphone,
03:23 qui me dit "non, les routes ne sont pas sûres, le pays est dangereux, reste, dors chez ta tante, et tu reviendras demain matin".
03:32 Et donc je ne pourrais pas revenir, et c'est comme ça que nos routes se sont séparées là.
03:36 Et vous avez pu avoir la vie sauve grâce à des amis, vous êtes parti vers le Burundi.
03:41 J'aimerais qu'on parle de vivants à présent, de votre famille, et en particulier de votre père.
03:47 Dans ce livre, vous en parlez, c'est extrêmement touchant.
03:50 Cyprien Rugamba, qui alias Roamo, c'est ça, qui signifie un guerrier de la paix,
03:57 un poète justement étudié de son vivant au Rwanda.
04:01 Il est magnifique votre père, je voulais vous le dire, justement, à travers, et merci de nous le faire connaître, parlez-nous de lui justement.
04:10 Je voulais parler d'un père et de la filiation, de ce rapport que l'on a,
04:15 et j'étais très heureux en échangeant avec vous que vous y ayez vu aussi un petit peu de cette relation paternelle qu'il peut avoir un père africain.
04:24 Et je me suis rappelé de lui, en fait, je raconte que quand je retourne chez moi deux ans après le génocide,
04:32 tout avait disparu, totalement, toute trace de vie, et il ne restait qu'une seule chose, c'était les livres.
04:38 Et je me suis dit, j'ai remarqué finalement des années beaucoup plus tard, qu'au fond, la littérature, c'était la relique la plus importante.
04:47 Parce qu'on rentre dans l'intimité d'une personne, et alors moi je l'appelle mon père et maître, parce qu'il m'a formé aussi.
04:58 Donc j'ai une relation filiale avec lui, d'affection, mais aussi de respect, beaucoup.
05:04 Et je suis devenu artiste, pas nécessairement dans l'idée de suivre sa trace, mais parce que c'était ma destinée.
05:12 Mais j'ai réalisé finalement qu'il m'avait mis vraiment le pied à l'étrier, très jeune.
05:18 Et je suis très heureux, c'est un poète de l'amour. J'ai réalisé que finalement...
05:24 - Et vous en publiez des pages magnifiques d'ailleurs, quelques extraits.
05:27 - Quelques extraits. Dans un moment où finalement, dans un moment de burn-out, je dirais, le vide avait fini par m'envelopper.
05:39 C'est la mort qui vous gagne petit à petit.
05:42 Et en relisant ces textes, en découvrant que lui-même avait traversé des moments très durs, j'ai eu l'impression qu'il venait me sortir de là.
05:50 Et c'est très beau aussi de voir qu'un père reste un père, même par-delà la mort.
05:56 - Absolument, absolument. Je suis très convaincue par cette phrase.
06:00 Alors c'est absolument magnifiquement décrit dans ce livre.
06:04 Eh oui, Rwanda, restez avec nous, évidemment, Dorsey, parce que la résilience finalement,
06:10 c'est dont vous parlez, par la culture et par l'art, il va être question de cela dans cette émission.
06:17 Et le continent, justement, africain n'est pas exempt de ça.
06:20 Et on se rappelle d'une initiative FestAfrika en 1998, cofondée par l'écrivain tchadien Noki Diedanoum et l'ivoirienne, justement, Maïwuna Koulibaly,
06:30 qui embarquèrent à l'époque, on s'en souvient, une dizaine d'écrivains pour une résidence d'écriture qui fera date d'ailleurs,
06:35 à Kigali, baptisée "Rwanda, écrire pour devoir de mémoire".
06:39 Et parmi ces écrivains, on a reçu ici l'écrivain sénégalais Boris Boubakardiop, qui va écrire "Mourambi, le livre des ossements",
06:47 qui est sans doute un des livres les plus forts écrits là-dessus. On l'écoute et on rejoindra nos invités, justement.
06:53 Il n'y a rien de tel que l'art, la littérature, pour inscrire l'événement dans la durée.
07:00 Moi, je vais au Rwanda en 98, 4 ans après le génocide, en me demandant si vraiment ça a du sens d'écrire sur un génocide.
07:11 Je crois que la fiction rend mieux compte que l'histoire, la sociologie, l'anthropologie.
07:21 - Et que l'œuvre journalistique évidemment.
07:23 - Voilà.

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