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News
Transcription
00:00 du ministre français des affaires étrangères en Afrique.
00:03 Stéphane, ces journées viennent d'arriver au Kenya.
00:05 Avant de se rendre ce soir à Kigali, après avoir déclaré avec le Rwanda
00:09 "Nous avons su regarder notre passé en face, nous réconcilier
00:12 et lancer des coopérations prometteuses".
00:15 Demain, cela fera 30 ans que débutait le génocide des Tutsis au Rwanda.
00:19 Un million de Tutsis assassinés en quelques semaines
00:21 par le régime Hutu extrémiste entre le 7 avril et le 17 juillet 1994.
00:28 Bonjour Isabelle Darras, vous êtes journaliste et écrivaine,
00:30 autrice de ce dernier ouvrage sur l'Orwanda après la pluie d'avril.
00:36 Vous vous êtes rendue pour la première fois l'an dernier au Rwanda
00:39 pour écouter et rencontrer les rescapés du génocide des Tutsis.
00:43 Tout d'abord, qu'est-ce qui vous a le plus marqué ?
00:47 Ce qui m'a le plus marqué, c'est finalement la vie très très forte.
00:52 J'ai rencontré des gens en face de moi qui étaient combattifs,
00:56 qui avaient envie vraiment d'aller de l'avant et de continuer à vivre.
01:01 Il y a des femmes qui disent, vous leur dites "vous êtes forte"
01:05 et elles vous répondent "mais qui peut l'être à ma place ?"
01:09 Oui, évidemment, qui peut l'être à leur place, oui.
01:12 Vous dites que les Rwandais se méfient des mots, les mots M O T S.
01:15 La parole, c'est le seul moyen pourtant pour surmonter le traumatisme.
01:19 Oui, mais c'est très difficile.
01:21 Le génocide, il commence déjà dans les mots.
01:24 C'est-à-dire qu'avant 1994, pendant des années,
01:27 on a modifié le sens des mots.
01:29 Le gouvernement génocidaire les a utilisés pour traquer les Tutsis,
01:34 pour en faire des boucs émissaires de tout ce qui n'allait pas dans ce pays.
01:39 Des cafards, des cancrelas, des nuisibles.
01:41 Exactement.
01:42 Et puis même, par exemple, des mots comme "travailler"
01:45 qui veulent dire tout à coup "tuer".
01:46 C'est-à-dire quand les génocidaires, les tueurs,
01:49 allaient partir le matin pour aller tuer des Tutsis,
01:52 ils disaient qu'ils allaient travailler.
01:54 Même ce mot-là, "travailler", comment vous l'utilisez après ?
01:57 Il y a une perversion du langage.
01:59 Tout à fait.
02:01 Aujourd'hui, officiellement, il n'y a plus de Tutsis et de Hutus,
02:06 mais seulement des Rwandais.
02:07 Et qu'en est-il réellement ?
02:10 Alors évidemment, dans la vie de tous les jours,
02:12 les gens trouvent des périphrases ou des façons de désigner l'autre
02:17 pour dire d'où il vient en fait, quel est son parcours.
02:20 Est-ce qu'il était plutôt du côté des victimes
02:22 ou plutôt du côté des tueurs ?
02:24 Mais en même temps, les gens ont envie de vivre en paix
02:29 les uns avec les autres.
02:30 Donc parfois, ils s'évitent parce que dans un village,
02:34 vous pouvez avoir à la fois des tueurs et des victimes.
02:38 Donc ils vivent, ils cohabitent.
02:39 C'est toute la politique du gouvernement.
02:41 De toute façon, il n'y avait pas d'autre choix dans un pays
02:43 où il y a eu tant de personnes qui ont été impliquées dans un génocide.
02:48 Évidemment que votre voisin était peut-être celui qui a tué vos parents.
02:53 Donc il faut faire avec.
02:55 Et les victimes font attention justement à ne pas tout révéler
02:59 pour permettre le bon voisinage ?
03:02 Oui, c'est ce qu'une de ses mamans me dit.
03:04 Elle me dit comment expliquer à mon enfant
03:07 qu'en fait, ce sont les parents de ses copains, de ses copines
03:13 qui ont tué ses grands-parents à lui.
03:15 Donc c'est compliqué.
03:16 Ça pose des problèmes de relation pour la vie de tous les jours.
03:20 Les génocides s'accompagnent de viols contre les femmes.
03:23 On sait que c'est une arme de guerre.
03:24 Au Rwanda, vous dites 250 000 femmes ont été violées
03:28 pendant les trois mois de génocide.
03:30 Quelle est aujourd'hui la situation pour les femmes dans le pays actuellement ?
03:35 Le Rwanda, c'est un pays qui a permis aux femmes
03:40 de prendre toute leur place dans la vie de la société.
03:42 De toute façon, le pays n'avait pas le choix.
03:44 Après le génocide, il a fallu que ces femmes, souvent des veuves,
03:48 participent à la reconstruction du pays.
03:50 Et aujourd'hui, il y a des associations, des organisations
03:55 qui font en sorte que les relations entre hommes et femmes
03:58 soient le plus égales possible.
04:01 Mais c'est comme en France, c'est difficile.
04:03 Il y a toujours des problèmes de violence conjugale, etc.
04:07 Mais globalement, ces femmes peuvent vivre en paix aujourd'hui.
04:15 Et il y a de nombreux groupes de paroles entre femmes.
04:17 Oui, c'est l'une des solutions pour essayer de s'en sortir,
04:22 d'être ensemble, de savoir qu'on n'est pas seul dans sa souffrance,
04:26 dans ses souvenirs, et qu'ensemble, en formant des collectifs,
04:31 c'est plus facile d'affronter le présent
04:33 et puis aussi les souvenirs qui reviennent régulièrement.
04:36 Demain, on l'a dit, c'est le 30e anniversaire
04:38 du génocide des Tutsis au Rwanda.
04:39 Quelle est l'importance de cette commémoration ?
04:43 C'est énorme parce qu'il faut bien comprendre,
04:46 il faut que les Français comprennent que ce qui s'est passé
04:49 en 1994 au Rwanda, c'est un chapitre aussi de notre histoire de France.
04:54 Et que certes, régulièrement, nos représentants,
04:59 notamment là, M. Macron, font des pas pour,
05:03 on dirait, dans la bonne direction.
05:05 Mais en même temps, la réalité n'est pas reconnue.
05:07 La réalité, c'est que la France n'a pas été passive au Rwanda.
05:11 La France, elle a été complice d'un génocide.
05:14 Et il faudrait pouvoir le reconnaître.
05:18 Et ça, ça prend du temps.
05:20 Et établir des responsabilités individuelles ?
05:23 Oui, parce qu'au plus haut sommet de l'État,
05:27 nos responsables politiques ont été complètement impliqués
05:30 dans cette politique.
05:31 Ils n'ont pas été témoins de ce qui s'est passé
05:34 au Rwanda, d'une politique de discrimination,
05:38 une politique raciste, une politique génocidaire.
05:40 Ils ont été partie prenante de cette politique.
05:43 Et que pensent les Rwandais aujourd'hui du rôle qu'a joué la France
05:47 et des dernières déclarations du chef de l'État, Emmanuel Macron ?
05:50 Alors, chaque nouvelle déclaration d'un président français
05:54 qui, petit à petit, reconnaît la part de responsabilité de la France,
05:58 elle est toujours bien accueillie.
06:00 Mais pour la plupart des Rwandais que j'ai rencontrés,
06:03 il est évident que la France est complice du génocide,
06:06 qu'elle a participé à ce génocide.
06:09 Ça, c'est une réalité qui fait aucun doute.
06:11 Et le fait que le chef de l'État ne soit pas présent demain,
06:13 comment c'est perçu ?
06:15 Alors, bon, ils sont un peu habitués à ce qui a été là,
06:20 à ce qu'est le comportement de nos responsables français au Rwanda.
06:24 Je pense que c'est sans doute un peu décevant pour eux,
06:27 parce que les 30 ans de commémoration comme celle d'un génocide,
06:31 c'est très important.
06:33 On aurait pu imaginer que le président lui-même fasse le déplacement.
06:37 On comprend bien aussi dans votre livre que le Rwanda
06:38 et son président, Paul Kagame,
06:40 jouent un rôle important sur le continent, même africain,
06:43 malgré la petitesse du Rwanda.
06:47 Mais ça reste également un pays très pauvre.
06:50 Oui, moi, c'est ce qui m'a frappée.
06:52 C'est quand même, je crois qu'il est classé 186e mondial,
06:56 ce qui est vraiment...
06:57 160e, vous dites dans votre livre.
06:59 189, faites-vous ce qu'il dit.
07:01 Oui, oui, alors ça doit être vrai.
07:03 Mais effectivement, c'est un pays très pauvre.
07:06 Et c'est vrai que pour beaucoup de rescapés,
07:08 aujourd'hui, l'enjeu, c'est pas forcément le tueur
07:11 qui vient de sortir de prison.
07:13 C'est comment on vit, comment on survit,
07:15 comment on nourrit ses enfants tous les jours.
07:17 Ça, c'est un vrai enjeu.
07:20 Comment aussi, pour les plus jeunes, on trouve du travail.
07:23 Parce qu'à 20 ans, 30 ans,
07:25 quand on a fait des études et qu'on ne trouve pas de travail,
07:27 c'est très, très dur.
07:29 Parce qu'ici, on parle beaucoup de la vitrine économique,
07:31 du boom économique de Kigali.
07:33 C'est une réalité.
07:34 Il y a des gens qui vivent très, très bien à Kigali, au Rwanda.
07:38 Et c'est un pays parmi les pays africains
07:41 où il est possible de vivre bien.
07:45 C'est un pays qui est agréable et c'est un pays qui est sûr aussi.
07:49 Ça, c'est très important pour les gens qui y vivent.
07:53 Il y a indéniablement une croissance et un succès rwandais.
07:58 Et il y a aussi l'extrême pauvreté des gens.
08:03 Et pour terminer, le processus de réconciliation entre Hutu et Tutsi,
08:06 est-ce qu'on peut dire qu'il est achevé ?
08:09 Je ne sais pas si on peut dire qu'il est achevé.
08:11 Je pense que les jeunes générations ont envie de vivre ensemble.
08:15 Ça, c'est sûr.
08:16 Et qu'on ne peut pas reprocher aux enfants de ceux qui ont tué
08:20 une quelconque responsabilité.
08:22 70% de la population rwandaise, me semble-t-il,
08:26 est jeune, à moins de 20 ans.
08:28 Donc, ils n'ont pas connu le génocide.
08:31 Et évidemment, c'est quelque chose qui est en cours.
08:34 Ça prendra du temps.
08:35 Ça prend du temps.
08:36 Il y a la transmission de l'histoire.
08:38 Il y a la mémoire qui est là.
08:39 Et il y a l'avenir aussi de toutes ces jeunes générations.
08:43 Il y a encore des procédures judiciaires en cours ?
08:45 Oui, bien sûr.
08:46 Merci beaucoup, Isabelle Darras, d'être venue sur France 24.
08:49 Merci à vous.
08:49 Et je rappelle votre ouvrage, "Après la pluie d'avril".

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