Ce n'est pas tous les jours qu'on rencontre une légende de la bande dessinée : Batman, Superman, Wonder Woman, les X-Men, les quatre Fantastiques, les Wildcats, Divine Right, le Punisher. L'homme que reçoit Frédérick Sigrist a littéralement tout dessiné.
Interview : Frédérick Sigrist
Images : Noémie Sudre, Claire Sarfati
Prise de son : Ivan Charbit
Montage : Didier Mariani
Voix française : Hervé Lacroix
Interview : Frédérick Sigrist
Images : Noémie Sudre, Claire Sarfati
Prise de son : Ivan Charbit
Montage : Didier Mariani
Voix française : Hervé Lacroix
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00:00 C'est pas tous les jours qu'on rencontre une légende de la bande dessinée.
00:03 Batman, Superman, Wonder Woman, les X-Men, les 4 ans fantastiques, les Wildcats d'Ivan
00:10 Wright, le Punisher, l'homme en face de moi a littéralement tout dessiné.
00:14 Peu d'artistes incarnent autant que lui la quintessence de la BD américaine.
00:19 Et c'est à l'occasion de la sortie d'un documentaire qui retrace l'histoire de la
00:22 maison d'édition DC Comics, intitulée Superpowered, sur Warner TV Next, que l'on a le privilège
00:28 de rencontrer cet immense monsieur qui est Jim Lee.
00:30 Merci de m'avoir invité.
00:32 C'est un endroit fantastique pour évoquer mon travail.
00:35 C'est une très belle ville, très inspirante, donc je suis très content d'être ici.
00:39 Oui, je trouve ça plutôt bien.
00:41 Oui, je vous le dis, si vous vivez ici, à la longue, vous pouvez devenir insensible,
00:47 mais pour moi, rien que déambuler dans une rue au hasard, apprécier l'architecture,
00:52 le design, le son de la ville, me remplit de joie et me donne envie de m'asseoir et
00:57 de créer.
00:58 Une personne dans Paris qui est heureuse !
00:59 Alors ma première question, à quel âge avez-vous découvert le comic book ?
01:06 C'était probablement vers 5 ans, parce que nous avons quitté la Corée du Sud où je
01:17 suis né pour déménager aux Etats-Unis.
01:18 Et chez un coiffeur où mon père m'avait emmené pour me faire une coupe, il y avait
01:26 une table remplie de BD pour faire patienter les enfants en attendant leur tour.
01:29 Et je ne parlais pas anglais, mais les comics, ce sont des images qui, si les artistes ont
01:36 bien fait leur travail, permettent de faire comprendre l'histoire sans savoir ce que
01:41 les dialogues racontent.
01:42 Après avoir regardé les images, je voulais savoir, qu'est-ce qu'ils disent ? Qu'est-ce
01:48 que c'est que ces ballons blancs, ces rectangles jaunes ? Et donc j'ai appris à lire et
01:52 à comprendre l'anglais à travers les comics.
01:55 Et de là, je me suis mis à lire les publicités, le courrier des lecteurs.
01:59 J'ai consommé le tout encore et encore, et j'ai encore ces comics aujourd'hui.
02:04 Ils sont déchirés, j'ai mis du scotch pour faire tenir la couverture.
02:08 Est-ce que vous avez remercié le coiffeur ?
02:10 Oui, le coiffeur a été la véritable origine de mon succès.
02:13 Et qu'est-ce qui vous a séduit dans ce médium ?
02:17 Ce qui m'a séduit dans le médium ? À l'époque, il n'y avait pas de gros blockbusters
02:26 pleins d'effets spéciaux.
02:27 Il n'y avait rien dans les médias jusqu'à bien plus tard.
02:30 Peut-être occasionnellement une série télé comme Batman 66, que je n'ai découvert que
02:36 plus tard lors d'une rediffusion.
02:38 J'ai vu le dessin animé Superman quand j'étais tout petit en Corée.
02:43 Oui, de Max Fleischer.
02:46 Donc c'est ainsi que j'ai découvert Superman.
02:49 Mais je pense que cela ne ressemblait à rien d'autre.
02:52 Et à un niveau inconscient, ça a été pour moi un moyen d'échapper à la pression d'être
02:57 dans une nouvelle culture où tu te sens continuellement jugé parce que tu es différent.
03:03 C'était votre forteresse de solitude à vous ?
03:04 Ça l'était à 100%, je le crois vraiment.
03:08 Je ne l'avais pas réalisé jusqu'il y a peut-être deux ans.
03:11 Je pensais juste que c'était des histoires cool et fun.
03:14 Des histoires fun et divertissantes, mais à un niveau inconscient plus profond, c'était
03:18 ma forteresse de solitude.
03:19 C'était un endroit où quand je m'asseyais pour lire un comic, j'échappais à tout ce
03:26 qu'il y avait autour de moi et j'ai eu le même sentiment d'échappatoire en dessinant
03:30 mes propres images.
03:31 Quand tu dessines quelque chose, tu plonges dans cet univers et tu n'entends ni ne vois.
03:36 Un peu comme les jeunes avec leur téléphone aujourd'hui.
03:39 Quand tu es là-dedans, tu deviens imperméable à ton environnement.
03:42 Et j'avais ce même sentiment d'évasion dans les livres que j'ai lus, mais aussi quand
03:46 j'ai créé mes propres œuvres.
03:47 Est-ce que vous vous êtes immédiatement dit que vous vouliez devenir artiste ?
03:50 Je le pense, je le pense.
03:54 Je ne savais pas qu'on pouvait être payé pour dessiner.
03:57 Vous êtes payé ?
03:58 Oui, quand j'avais peut-être 10 ans, j'avais un dessin d'un Hulk à moitié fait et j'ai
04:06 vu dans une BD Marvel qu'il y avait une adresse, donc j'ai envoyé le dessin Marvel.
04:10 Je pensais qu'ils allaient m'embaucher.
04:13 Vous savez, les enfants ne savent pas comment marche le monde.
04:16 Mais ils m'ont envoyé une réponse très gentille.
04:18 Ça a l'air prometteur, persévère, mais dans mon esprit, j'ai toujours su que c'était
04:23 ce que je voulais faire.
04:24 Bien sûr, j'ai été dans une prépa privée pour garçons, puis je suis allé au collège.
04:29 Mon père était médecin, donc il voulait que je sois docteur.
04:34 Donc, je suivais plus ou moins leurs plans, mais secrètement, dans le fond de mon crâne,
04:38 je me disais « j'aimerais vraiment dessiner des comics ».
04:40 Alors évidemment, la grande question, c'est comment ça a été accueilli par vos proches
04:45 et notamment votre père ?
04:46 Comment il l'a découvert ?
04:48 Oui, car il voulait que vous deveniez médecin également.
04:51 Mes deux parents le voulaient.
04:54 Ils étaient du genre à m'acheter une lampe, à la mettre dans ma chambre et à dire « on
04:58 t'a acheté cette lampe pour que tu étudies plus dur et que tu deviennes médecin ». Tout
05:02 était comme ça.
05:03 « Voici une sucette, profites-en parce que tu sais… »
05:08 « Tu vas devenir médecin ».
05:09 « Tu pourras te permettre d'acheter autant de sucettes que tu veux si tu deviens médecin ».
05:15 Tout tournait autour du fait de devenir médecin.
05:17 Mais à la longue, ils ont dû reconnaître mon intérêt pour les comics.
05:26 J'étais un fanatique, je les lisais encore et encore, je dessinais tout le temps, et
05:31 il a fallu attendre jusqu'à mes junior years au collège, j'avais 19 ou 20 ans, pour
05:37 que je leur confie que je ne voulais vraiment pas devenir médecin, que ce n'était pas
05:40 ma passion, que ça ne me faisait pas vibrer, que j'aimerais dessiner des personnages
05:45 en sous-vêtements en train de voler dans le ciel.
05:48 Ils ont été très dubitatifs, ils n'ont pas été très heureux de cela.
05:53 Il y a beaucoup de conversations très difficiles, beaucoup de cris, de pleurs, des larmes de
05:57 colère, mais ils ont fini par réaliser à quel point c'était important pour moi,
06:02 donc ils m'ont donné une échéance.
06:04 Donc je leur ai dit « Donnez-moi un an pour voir si je peux trouver du travail dans l'industrie
06:09 du comics ». J'ignorais totalement comment le faire, mais j'ai dit « Donnez-moi un
06:13 an et si ça ne marche pas, je retourne dans une école de médecine ».
06:16 Et est-ce qu'après avoir constaté votre succès, ils ont dit « Oh, on l'a toujours
06:19 su ! » ? Non, non, non.
06:21 Je vais vous dire à propos de ma mère, dès que j'ai eu du travail, la première
06:26 tâche que l'on m'a confiée, elle était ravie.
06:28 J'ai eu le coup de téléphone dans la cuisine, je lui ai dit « On s'est tenu la main,
06:33 on a fait une petite danse dans la cuisine, je me souviens de ça ». Donc ils n'ont
06:37 pas été déraisonnables.
06:39 Une fois qu'ils ont compris que l'on pouvait être payé pour faire ça, parce qu'ils
06:43 pensaient que les artistes étaient des gens qui n'avaient pas les moyens de se nourrir,
06:47 éternellement pauvres, obligés de se couper l'oreille, c'était un futur qu'ils ne
06:52 voulaient pas pour moi.
06:53 Mais une fois qu'ils ont vu que c'était un vrai métier, et puis quand les livres
06:57 ont commencé à sortir, ce sont devenus mes plus grands fans, et c'est devenu un peu
07:01 embarrassant pour moi.
07:03 Par exemple, on allait au restaurant, ils disaient « Voici notre fils, c'est un célèbre
07:07 artiste de comics ». Et moi je voulais juste commander à manger.
07:10 Et mon père a commencé à ramener des bandes dessinées de l'hôpital qui appartenaient
07:14 à des infirmières avec lesquelles il travaillait et qui étaient fans de comics.
07:17 Il me ramenait des livres à signer.
07:19 À Thanksgiving, pendant les vacances.
07:22 C'était une convention Comic-Con tous les jours à la maison.
07:25 S'il vous plaît, stop ! Ils se sont passionnés pour le sujet.
07:28 Finalement, vous êtes devenu médecin par les images.
07:30 Je n'avais jamais vu les choses ainsi, mais c'est intéressant car, un peu comme vous,
07:34 vous l'avez fait en me partageant votre histoire personnelle au début de cet entretien, j'ai
07:39 rencontré beaucoup de fans qui m'ont dit qu'ils étaient passés par des moments très
07:42 compliqués durant leur enfance, et que ça avait été un échappatoire similaire pour
07:48 eux.
07:49 Donc je pense qu'il y a évidemment un peu de vrai là-dedans, et c'est vraiment touchant,
07:53 très émouvant.
07:54 Je dessine des comics parce que j'aime leur narration, leur personnage.
08:02 Mais tu réalises plus tard qu'ils servent de modèles, que tu inspires des gens.
08:06 J'ai rencontré beaucoup de personnes qui m'ont dit « J'ai lu vos comics, et désormais
08:12 je suis devenu graphiste, je suis devenu dessinateur de mode, quoi que ce soit.
08:16 » Parce qu'ils ont vu dans mon travail quelque chose qui leur a parlé si profondément qu'ils
08:20 ont voulu le faire eux-mêmes.
08:22 Est-ce qu'il y a un héros ou une héroïne que vous n'aviez de cesse de dessiner ?
08:27 Oui, je pense que les X-Men étaient probablement mes préférés, mais j'ai aussi dessiné
08:32 Batman.
08:33 Vous savez, c'était intéressant quand j'étais très jeune, peut-être 8 ou 10 ans, j'étais
08:38 plus attiré par les personnages de DC parce que c'était des histoires plus enfantines.
08:42 Et puis quand je suis devenu adolescent, j'ai été plus intéressé par les trucs de Marvel.
08:47 Et puis plus tard, quand George Perez et Marvel Wolfman ont fait Newton Titans, et puis évidemment
08:53 le milieu des années 80 avec Dark Knight Returns, Watchmen, Shadow of DC, ça m'a
08:59 époustouflé.
09:00 J'ai donc fait des allers-retours entre les deux sociétés.
09:03 Je dirais qu'à ce stade, j'aime les bandes dessinées en général, peu importe qui les
09:07 publie.
09:08 On vous a connu via Marvel, mais j'ai le sentiment que votre cœur a toujours été
09:11 chez DC Comics.
09:13 Qu'est-ce que ces héros représentent pour vous ?
09:15 Je pense qu'ils représentent beaucoup de choses différentes.
09:22 Très clairement, à un tout premier niveau, ce sont des divertissements.
09:31 Ce sont des histoires qui sont censées vous attirer et vous téléporter dans un autre
09:35 monde.
09:36 Même si ce monde, ou le monde de Gotham City, ça vous raconte une histoire faite de haut
09:40 et de bas, dans lesquelles le héros suit un chemin avec une fin vraiment cool.
09:44 Je pense que tout cela, c'est en surface.
09:49 Mais à un autre niveau plus profond, je pense que ce sont des histoires avec lesquelles
09:53 vous vous connectez émotionnellement.
09:55 Vous vous voyez vous-même dans ces personnages.
09:58 Peut-être que vous pouvez comprendre le traumatisme que ces personnages ont vécu, et vous voyez
10:03 comment ils les ont surmontés.
10:05 Et je pense que c'est une grande partie de l'attrait de ces bandes dessinées.
10:10 Que ce sont tous des personnages qui ont subi des traumatismes, et ce sont les choix qu'ils
10:14 font ensuite dans la vie qui les transforment en héros ou en méchants.
10:17 Alors rassurez-vous de prendre les bonnes décisions.
10:20 Et puis, je pense qu'encore plus profondément que ça, ils servent de soutien psychologique
10:24 ou même d'évasion pour beaucoup de gens.
10:27 J'ai rencontré des fans qui considèrent ces personnages comme leurs frères ou leurs
10:30 sœurs.
10:31 Ils ont une place très importante dans leur vie.
10:33 Donc je pense que ces héros fonctionnent à bien des niveaux.
10:36 Vous avez dessiné quasiment toutes les grandes stars de ces maisons d'édition, chez Marvel
10:40 et DC Comics.
10:41 Qu'est-ce qui les différencie selon vous ?
10:43 C'est intéressant.
10:46 Je pense que les personnages de Marvel ont vraiment touché une corde sensible auprès
10:52 du public au milieu des années 60, parce que leurs personnages avaient tellement de
10:56 faiblesses, de défauts.
10:57 Ils ressemblaient beaucoup à Monsieur et Madame Tout-le-Monde.
11:01 Même lorsqu'ils avaient de grands pouvoirs, ils avaient aussi de grandes responsabilités.
11:05 Et quelquefois, leurs pouvoirs eux-mêmes étaient des malédictions, comme chez les
11:08 X-Men.
11:09 Ils ont ces dons incroyables, mais ils ont l'air bizarres ou ils ressemblent à des
11:13 monstres.
11:14 Et ils se sentent rejetés.
11:15 Et je pense qu'en tant qu'adolescent, ça a résonné en moi, parce que tu traverses
11:20 beaucoup de changements durant cette période.
11:22 Mais je pense que les personnages DC Comics sont plus emblématiques.
11:25 Ce sont des incarnations de vertus.
11:27 Ils sont plus iconiques à cause de cela.
11:30 Donc quand vous pensez à Superman, vous pensez à la vérité et à la justice.
11:33 À Batman, vous pensez à la justice.
11:35 Wonder Woman a la passion, a la compassion et a la vérité.
11:39 Ce sont des valeurs vraiment puissantes et je pense qu'à bien des égards, ils sont
11:43 très attractifs pour les gens, très inspirants.
11:45 Et vous pouvez voir à quel point il y a un besoin pour ce genre de personnages mythologiques.
11:49 De bien des manières, ils sont notre mythologie moderne.
11:52 J'ai rencontré pas mal d'artistes qui ont tous cette particularité d'avoir un
11:58 truc qu'ils adorent dessiner et un autre truc qu'ils détestent.
12:01 Ma question, c'est, qu'est-ce que vous adorez dessiner ? Qu'est-ce que vous détestez
12:05 dessiner ?
12:06 Je pense que j'aime dessiner les personnages très durs comme Wolverine ou Batman, mais
12:14 aussi les personnages plus ludiques comme les acolytes des héros, comme Jubilee ou
12:19 Robin.
12:20 Parce que j'ai l'impression que la simple juxtaposition de l'obscurité avec la lumière
12:24 est vraiment fascinante.
12:25 Vous savez, c'est leur manière de bouger qui transmet vraiment leur personnalité
12:29 les uns par rapport à l'autre et c'est ce qui rend les choses vraiment intéressantes.
12:33 Ce que je n'aime pas dessiner, je pense l'avoir déjà dit, je n'aime pas dessiner
12:39 les costumes trop compliqués.
12:40 Or, j'ai créé pas mal de costumes compliqués, donc c'est plutôt ironique.
12:43 Je ne suis pas un grand fan du dessin d'animaux.
12:50 Je peux le faire, mais il faut connaître l'anatomie de chaque animal.
12:53 Ça ressemble à l'anatomie humaine, mais pas tout à fait.
12:56 Les pattes qui se plient en arrière, comme chez une chèvre.
13:00 Ils bougent de manière très différente.
13:04 Dessiner un cheval puissant au galop est très différent d'un dessin d'homme ou
13:09 d'une femme forte en train de courir.
13:11 Il faut beaucoup de documents et de travail pour pouvoir dessiner cela.
13:16 Donc oui, il m'est déjà arrivé de dessiner des animaux, mais je ne suis pas un grand
13:20 fan de ça.
13:21 Il y a aussi les caricatures.
13:27 Pour moi, c'est presque une autre discipline artistique à part entière.
13:30 Comment vraiment dessiner quelqu'un d'existant ? Je dois deviner dans ton dessin quoi exagérer
13:37 et sur quoi mettre l'accent pour que cela fasse plus réel.
13:40 Pour moi, c'est une science intéressante.
13:42 Plus tu dessines les choses telles qu'elles sont, moins ça ressemble à la personne.
13:47 Plus tu les exagères, leur donnes un aspect cartoon, plus ça va capturer l'essence
13:52 de celui ou celle que tu dessines.
13:53 Je pense à J.
13:57 Scott Campbell.
13:58 Oui, il est incroyable pour dessiner des caricatures.
14:02 Il y a deux semaines, je faisais une caricature pour un employé de Warner Bros qui prenait
14:06 sa retraite et j'ai envoyé à J.
14:09 Scott Campbell quelques photos de mes dessins pour qu'il me fasse un retour et qu'il
14:13 me donne quelques idées.
14:14 Et il m'a donné quelques conseils très utiles, quelques ajustements à faire.
14:17 La première fois que vous vous êtes retrouvé sur une série mensuelle, comment vous avez
14:21 géré la pression des deadlines ?
14:23 Au tout début, je me suis assuré de respecter mes deadlines pour faire bonne impression
14:30 car je voulais garder mon travail.
14:32 Je voulais être connu en tant qu'artiste fiable car, évidemment, si vous n'êtes
14:36 pas fiable, ils vont trouver un autre artiste qui, lui, l'est.
14:40 On dit qu'un artiste a besoin de trois choses et tu dois en avoir au moins deux
14:46 sur trois.
14:47 Tu dois être vraiment bon ou talentueux.
14:51 Tu dois respecter tes deadlines ou tu dois être cool et sympa.
14:55 Vous pouvez décider quelles sont mes deux qualités sur trois.
14:58 Ce sont les choses les plus importantes à respecter.
15:00 Et au fil de ma carrière, c'est devenu de plus en plus compliqué de respecter mes
15:04 deadlines car je me suis de plus en plus impliqué dans tous les aspects business de mon métier.
15:09 Et soudain, quand j'ai créé Wildstorm, j'ai été écartelé dans de multiples directions.
15:14 Dans une journée ordinaire, je pouvais dessiner un petit peu, puis relire un contrat d'une
15:18 licence d'exploitation, puis aller dans une réunion pour parler de ce que l'on allait
15:23 faire avec une série animée.
15:24 Mon temps était vraiment découpé, mais c'est le défi, je crois.
15:31 J'ai découvert que si je ne fais qu'une chose, j'ai tendance à m'ennuyer.
15:36 Je n'ai pas encore trouvé la solution pour réussir à tout concilier, si ce n'est
15:40 faire ce qui me plaît le plus et espérer que ça se fasse au mieux.
15:43 Est-ce qu'il y a un artiste en particulier qui a eu une influence sur votre style ?
15:47 Je crois que c'est un mélange de tous mes artistes favoris, mais aussi de l'absence
15:53 de mes artistes les moins favoris.
15:55 Quand j'étais enfant, il y avait des artistes que j'aimais, comme Frank Miller, John Byrne,
16:00 Kevin Nolan, Mike Mignola, Barry Windsor Smith, Arthur Adams.
16:05 La liste pourrait s'étendre.
16:08 Mais il y avait également des artistes que j'aimais moins, mais j'ai mis un point
16:12 d'honneur à savoir ce qui ne me plaisait pas dans leur travail.
16:15 Est-ce que c'est parce qu'ils dessinent les mêmes bouches, qu'il n'y a pas assez
16:21 de détails ? Ils n'utilisent pas beaucoup d'ombrages.
16:24 Pour moi, mon style est une synthèse de tout ce que j'aime, mais aussi de tout ce que
16:31 je ne trouve pas aussi séduisant.
16:33 Donc, au final, j'ai appris de mes artistes les moins favoris comme de ceux que j'aime
16:37 le plus.
16:38 Et vous pouvez nous donner des noms ?
16:41 De mes artistes les moins favoris ? Non, non, ce ne serait pas gentil.
16:47 Mais laissez-moi vous dire qu'en devenant plus âgé, quand on est plus jeune, on est
16:54 absolu en matière de ce que l'on aime ou déteste, comme avec la musique par exemple.
16:58 On peut en venir aux mains sur une chanson qu'on aime ou qu'on déteste.
17:02 Et en vieillissant, tu deviens plus nuancé, plus sage, tu deviens plus tolérant.
17:06 Et même les artistes que je n'aimais pas, étant enfant, je vois désormais leur savoir-faire
17:11 dans leur dessin.
17:12 Je vois des tas de choses que je ne voyais pas étant enfant.
17:15 Je crois que j'aime tout désormais.
17:16 Ça change avec le temps.
17:18 Absolument.
17:19 C'est la chose merveilleuse en vieillissant.
17:21 Tout le reste crame est ça.
17:22 Savoir qu'en vieillissant, on peut acquérir ce genre de sagesse de savoir que tout n'a
17:27 pas besoin d'être tout blanc ou tout noir.
17:29 Quel souvenir avez-vous gardé de vos passages sur la Division Alpha et sur Punisher War
17:33 Journal ? Qu'est-ce que le Jim Lee d'aujourd'hui dirait au Jim Lee d'hier ?
17:37 Achète des actions Apple ou des actions Amazon dès qu'elles seront disponibles.
17:45 Artistiquement, c'était des jours très excitants parce que votre cerveau était comme
17:59 une éponge.
18:00 Tout ce que vous faisiez, vous le faisiez pour la première fois.
18:03 Et avoir à l'apprendre personnellement pour la première fois...
18:08 Et je n'avais pas de méthode, si je puis dire.
18:11 Donc j'ai expérimenté différentes manières de créer mon art.
18:14 Je me souviens avoir lu que Neil Adams dessinait ses croquis en tout petit puis les agrandissait
18:19 avec une machine appelée autographe ou quelque chose comme ça pour ensuite redessiner par
18:24 dessus.
18:25 Et j'ai essayé ça, mais ça n'a pas vraiment marché pour moi.
18:27 D'autres dessinaient à l'arrière d'une page, la retournaient et s'en servaient comme un
18:32 arrière-plan de la composition finale.
18:34 J'ai essayé ça aussi.
18:36 Je suis passé par beaucoup d'erreurs et de tâtonnements pour comprendre exactement ce
18:39 que j'étais en train de faire.
18:41 J'apprenais chaque page.
18:42 Chaque fois que je dessinais quelque chose pour la première fois, une certaine pause,
18:46 un mouvement de main.
18:48 C'était une période intense d'apprentissage et d'absorption.
18:51 Et quand j'ai fait Punisher War Journal, j'ai commencé à m'ancrer moi-même, donc il a
18:56 fallu que j'apprenne ça par moi-même.
18:58 Et quand je me suis retrouvé sur X-Men, j'ai commencé à co-scénariser, à écrire de
19:04 plus en plus.
19:05 Et c'était un autre champ d'expertise qui m'a époustouflé.
19:09 C'était des années très formatives.
19:11 Mais six premières années, c'était un peu comme essayer de boire à une lance à un incendie.
19:17 C'était tellement d'informations.
19:19 Je pense que je m'y suis pris de la bonne manière dans le sens où j'étais demandeur
19:23 d'apprendre.
19:24 À chaque fois que je rencontrais un artiste professionnel plus vieux et plus expérimenté,
19:30 je lui demandais quelle était sa façon de travailler et j'essayais d'en tirer des leçons.
19:34 C'était l'Internet avant l'Internet, un Internet humain.
19:39 C'était comme une recherche Google.
19:41 Chaque humain était une recherche Google.
19:43 Tu pouvais leur poser des questions et ils te donnaient des réponses.
19:45 Et puis il y a votre passage sur les X-Men qui est entré dans la légende, avant même
19:49 le fameux X-Men 1.
19:50 Je me souviens de Lady Mondarin, Captain America et Black Widow, les X-Men dans l'espace
19:56 avec Death Bird.
19:57 X-Men 1 qui s'est quand même vendu à 8 millions d'exemplaires.
20:00 Quel était votre état d'esprit à l'époque ?
20:04 Est-ce que vous étiez conscient que vous étiez en train de définir ces super-héros
20:07 pour des dessinés dans l'esprit des gens ?
20:09 Non, pas vraiment.
20:14 Je veux dire, je voyais bien que ça plaisait à la communauté des fans parce que je voyais
20:20 d'où on était partis en termes de vente sur les X-Men et cette augmentation jusqu'à
20:25 8 millions.
20:26 Et puis quand on allait en convention et que l'on voyait concrètement le nombre de fans
20:30 en train de faire la queue pour avoir un autographe qui ne cessait de grandir.
20:34 Et ma mère qui était dans la queue.
20:39 Mais je n'ai pas vraiment pensé à ce que cela représentait.
20:48 L'impact que ça aurait des décennies plus tard.
20:52 Et honnêtement, les histoires que j'ai fait sur les X-Men, je crois que j'essayais
20:56 d'imiter les histoires de mes artistes favoris.
20:58 J'aimais ce que Chris Claremont, John Byrne et Dave Cockrum ont fait.
21:02 Donc on a fait les Broods, l'Empire Shi'ar, la Terre Sauvage.
21:06 Je voulais retourner en arrière et dessiner ça car c'était un moyen pour moi de retrouver
21:10 mon enfance et d'expérimenter à nouveau ce genre de choses.
21:13 Et ça ne me stupéfie que 30 ans plus tard.
21:17 30 ou 40 ans ?
21:19 30 ans.
21:20 Notre travail est aussi essentiel pour les fans aujourd'hui qu'il ne l'était pour
21:26 nous à l'époque.
21:27 Et je ne m'y attendais pas du tout.
21:29 Donc c'est une surprise très agréable et une heureuse conséquence.
21:32 Et soudain, avec d'autres grands noms de l'industrie, vous décidez de quitter Marvel
21:37 pour créer Image Comics.
21:38 Ça a été un tremblement de terre, je m'en souviens très bien à l'époque.
21:42 Et qu'est-ce qui s'est passé précisément dans votre tête à ce moment-là ?
21:45 Vous savez, nous étions tous au milieu de la vingtaine.
21:53 Donc vous devez savoir qu'à cet âge-là, on a l'impression d'être un adulte.
21:57 Mais rétrospectivement, nous n'étions qu'une bande de gosses.
22:00 Vous savez, quand on est plus jeune, on a tendance à être intrépide.
22:04 On a le sentiment d'être invulnérable.
22:06 Donc ça ne me surprend pas que nous ayons pensé pouvoir tout faire par nous-mêmes.
22:10 Nous ne le pouvions pas.
22:12 Honnêtement, nous ne savions rien sur rien.
22:14 Donc nous sommes partis et aucun de nous n'avait jamais monté une entreprise avant.
22:18 J'avais fait un peu de publication au collège.
22:20 J'avais travaillé au journal de l'école et sur le livre annuel.
22:23 Donc je comprenais les mécaniques du fonctionnement.
22:26 Mais comment engager des gens ?
22:28 À la fin, 120 personnes travaillaient pour Wildstorm.
22:30 Donc une fois de plus, comme pour les cinq premières années d'apprentissage du dessin,
22:35 il m'a fallu cinq ans pour démarrer ma propre entreprise.
22:37 J'ai dû comprendre ce qu'étaient les ressources humaines,
22:41 et comprendre ce qu'il fallait faire pour payer les gens.
22:44 À quoi sert le marketing ? À quoi sert le département des ventes ?
22:47 À quoi sert la publicité ?
22:49 Donc c'était un petit peu un crash test,
22:51 et nous avons fait toutes les erreurs que nous pouvions humainement faire.
22:54 Mais on a appris de cela.
22:56 C'était comme aller dans une école de commerce, mais dans la vraie vie,
23:00 et c'était une expérience vraiment folle.
23:02 Est-ce que c'est un souvenir que vous chérissez, ou un moment difficile ?
23:07 C'était très difficile.
23:11 Mais vous savez, je pense que le cerveau humain, pour se protéger,
23:20 préfère se rappeler de toutes les bonnes choses.
23:24 Les traumas ont tendance à être refoulés, oubliés.
23:27 Donc il y a eu beaucoup de défis, mais mes souvenirs de tout cela sont très bons.
23:31 Vous avez créé le studio Wildstorm, les Wildcats, Divine Rite,
23:34 vous avez invité des auteurs tels que Warren Ellis ou Alan Moore,
23:38 vous aviez les pleins pouvoirs, une totale liberté créative et éditoriale.
23:43 Qu'est-ce qui vous a amené à retravailler avec Marvel via Heroes Reborn,
23:47 mais aussi céder Wildstorm à DC Comics ?
23:50 Je crois que le stress du changement,
23:57 le paysage économique du moment qui change aussi,
24:00 les comics ont connu un énorme essor.
24:04 Et nous pensions que ça durerait toujours.
24:07 Nous ne savions pas que c'était un cycle économique.
24:09 Donc, quand les choses ont commencé à changer,
24:13 j'ai commencé à réaliser qu'il me fallait prendre une grande décision.
24:17 Est-ce que je continue à m'investir dans l'entreprise en espérant qu'elle tienne bon ?
24:22 Ou est-ce que je trouve un partenaire qui va m'aider à continuer à la faire grandir ?
24:27 J'ai donc commencé à réfléchir aux compagnies avec lesquelles on pouvait s'associer,
24:30 et DC Comics a été une de celles qui s'est dit intéressée par l'acquisition de Wildstorm.
24:36 Et quand je parle d'un partenaire,
24:37 je parle surtout d'une entreprise qui avait les ressources,
24:40 mais aussi le capital, l'argent et les employés.
24:43 Le marché était en train de passer des numéros individuels périodiques
24:46 aux livres reliés à imprimés.
24:48 Il y a un nombre minimal d'exemplaires à imprimer.
24:51 Si vous éditez un livre, vous ne pouvez pas en éditer un seul.
24:54 À l'époque, c'était au moins 3 000,
24:56 mais il n'était pas dit que vous alliez les vendre.
24:59 Donc, basiquement, vous achetiez un inventaire en espérant qu'il se vende.
25:03 Donc, il y a un risque inhérent dans cette logique.
25:06 Mais si vous avez une entreprise qui a une perspective à plus long terme,
25:09 et le capital pour encaisser les hauts et les bas du marché,
25:12 il était plus facile pour DC Comics de tout convertir en livres
25:16 et de les diffuser dans le temps.
25:18 Et c'était quelque chose que, personnellement,
25:20 je ne pouvais pas faire avec le capital dont je disposais.
25:23 Et donc, c'était vraiment un très bon partenariat,
25:26 car ils ont pu assurer la transition de notre business,
25:29 des périodiques à un mélange du numéro mensuel et de livres.
25:33 Ils avaient également accès à une équipe plus étendue.
25:36 Ils avaient cinq personnes pour gérer la publicité,
25:39 là où nous, nous n'en avions qu'une.
25:42 Par conséquent, avoir ce genre de soutien nous a permis de nous concentrer
25:44 sur ce que nous faisions de mieux, la création de contenus, la dramaturgie.
25:49 Et eux s'occupaient du business, du marketing, des ventes, la production.
25:53 Vous avez parlé du marché.
25:55 Et est-ce que le public a évolué au fil des ans,
25:58 entre vos débuts et aujourd'hui ?
26:01 Et qu'est-ce qui a changé selon vous ?
26:03 Ça change continuellement.
26:08 Je pense qu'une des choses sur lesquelles on peut définitivement compter,
26:11 la seule constante, c'est qu'il y aura du changement.
26:15 Et je pense que c'est une chose que l'on ne réalise
26:17 qu'après des décennies dans le métier.
26:19 Si quelqu'un m'avait dit à mes débuts en tant que mentor,
26:21 il va falloir que tu réalises que rien ne restera jamais comme avant,
26:25 que quelque chose qui a du succès aujourd'hui
26:27 n'en aura plus d'ici trois ans, ne sera plus ni important ni populaire.
26:31 Que tu as continuellement besoin d'évoluer, besoin de te réinventer,
26:37 toi, ton travail et ton modèle économique.
26:40 Et ça, je l'ai appris de la plus difficile des manières, vous savez.
26:46 Nous sommes un peu à la traîne des tendances.
26:49 Mais maintenant que je dirige DC avec notre équipe,
26:52 nous savons que c'est l'avenir.
26:55 Donc nous essayons désormais de diversifier notre portfolio
26:58 de sources de revenus, si je peux parler en langage économique.
27:01 Oui, nous avons des comics périodiques,
27:05 mais nous avons aussi des livres qui se vendent en librairie.
27:08 Nous avons un marché mondial,
27:10 mais nous avons aussi des plateformes digitales
27:12 avec un service d'abonnement.
27:13 Mais nous proposons également du contenu Webtoons,
27:20 qui a plus de 10 millions de lecteurs sur la surface du globe.
27:24 Nous établissons des partenariats avec des entreprises telles que Kodansha,
27:28 avec lesquelles nous produisons des mangas japonais.
27:31 Tout un tas de tonalités très différentes
27:35 de ce que nous proposions traditionnellement.
27:37 Mais il s'agit aussi de trouver un nouveau public,
27:40 comme par exemple celui des romans Young Adults,
27:43 qui est un autre marché à part entière.
27:46 Le marketing y est très différent, les ventes sont différentes.
27:49 Les gens que vous embauchez pour créer du contenu sont différents.
27:52 Et c'est la beauté de DC.
27:54 Nous avons les ressources et les gens capables de mener une bataille sur plusieurs fronts
28:00 et de déployer ainsi nos forces.
28:02 Est-ce que vous pensez que dans la très longue histoire de DC Comics
28:05 et du comic book en général,
28:07 les artistes, dessinateurs et scénaristes ont été équitablement reconnus ?
28:11 Oui, je le pense.
28:14 Je pense que c'est le cas.
28:16 Il y a toujours des choses à améliorer.
28:18 Il est certain que durant les premiers jours de l'industrie du comic,
28:21 il y a 30, 40, 50 ans,
28:23 personne n'était crédité sur les couvertures de comics.
28:26 Même dans les années 80 ici, je ne sais pas...
28:33 Sur celle-ci, il n'y a pas de nom sur la couverture.
28:36 Bref, ils sont passés de ces personnes anonymes
28:39 qui créent le contenu et qui avaient peut-être ce petit encart sur la première page
28:44 à ces gens qui ont désormais leur nom sur la couverture,
28:47 connus des réseaux sociaux.
28:49 Et qui peuvent même avoir leur nom au générique des films eux-mêmes.
28:53 Donc, je pense que ces gens sont reconnus pour leurs contributions.
28:57 Mais je pense qu'il y a évidemment encore de la place pour améliorer les choses.
29:01 Je pense que nous sommes continuellement en train de rappeler aux gens
29:04 que tous leurs jeux vidéo favoris, leurs films et leurs séries télévisées,
29:08 ces personnages, ils ne se sont pas créés tout seuls.
29:11 Ils appartiennent à des entreprises ou de grosses corporations.
29:14 Mais ce sont des humains véritables qui les ont créés dans les années 30.
29:18 Et ce sont des générations de créateurs et de créatrices
29:21 qui se sont juchées sur leurs épaules et ont participé à la création du monde immersif
29:25 et écrit ces histoires que vous aimez et chérissez.
29:28 L'histoire de DC Comics est intimement liée à l'histoire des Etats-Unis et à sa politique,
29:32 mais aussi aux nouveaux médiums.
29:34 Par exemple, la kryptonite est apparue à la radio.
29:36 Superman s'est mis à voler à la télévision.
29:39 Harley Quinn est apparue dans un dessin animé.
29:42 D'autres ont découvert vos designs dans le jeu vidéo DC Universe Online.
29:46 Quelle place a encore le comic book dans cet univers cross-média ?
29:50 Je pense que ce sont les exceptions à la règle.
29:53 Je pense que ça montre qu'il y a un écosystème dans lequel il y a le matériel source.
29:58 Ce qui est canonique, la continuité principale, réside dans la publication
30:03 et est ensuite adaptée dans des médias.
30:05 Des personnes très créatives adaptent ces histoires
30:08 et les modifient selon leurs propres besoins parce que leurs films ont un début, un milieu, une fin,
30:13 tandis que les comics, eux, continuent encore et encore, éternellement.
30:17 Et ces créatifs ont besoin de créer des personnages qui servent ces objectifs particuliers.
30:21 Et quand nous, dans l'industrie BD, nous voyons ces personnages incroyables,
30:26 nous voulons les réintégrer dans la continuité canonique
30:29 parce que nous les aimons également en tant que fans.
30:31 Et ainsi, c'est une sorte de magnifique jeu d'échange,
30:34 et on prend l'inspiration d'où qu'elle vienne.
30:36 Une des choses les plus cool dans le jeu vidéo, c'est quand vous voyez les personnages utiliser leur pouvoir.
30:41 Ils peuvent représenter des trucs très difficiles à dessiner,
30:43 mais qui vont influencer toute la prochaine génération de créateurs.
30:46 Parce que dans leur esprit, c'est désormais à cela que ressemble la vision calorifique de Superman.
30:50 Et donc, ils vont essayer de l'incorporer dans leurs propres pages de bande dessinée.
30:54 Mais le cœur canonique de ces personnages réside dans la BD.
30:57 La cross-platformisation, c'est-à-dire cinéma, télévision, jeux vidéo, la Trinity DC Comics,
31:04 est-ce que c'est selon vous un atout ou un handicap pour le travail des artistes de BD ?
31:08 Oh, oui, la média ? La production de la média ?
31:12 Le mélange entre...
31:13 Non, non, je pense que c'est un atout.
31:15 Non, non, je pense que c'est un plus.
31:17 Il n'y a rien... Je pense que...
31:20 J'ai eu beaucoup d'idées ou des personnages créés en bande dessinée,
31:26 et ils sont apparus dans d'autres médias.
31:28 C'est vraiment cool, parce que vous savez, vous touchez un public plus large
31:32 et qui ne lit pas forcément des comics.
31:35 Et je trouve ça personnellement très cool quand vous rencontrez un réalisateur et qu'il vous dise,
31:40 « Oui, quand j'étais gosse, je lisais vos comics et ils ont influencé mon travail. »
31:45 Et ça me stupéfie, parce que quand j'étais gosse, et quand je dis gosse, je parle de mes 20 ans,
31:50 quand je créais ces histoires, je le faisais pour moi-même,
31:53 pas dans l'espoir qu'un jour un réalisateur un peu cool tombe dessus
31:56 et se dise « C'est trop bien, je vais faire un film avec ces designs ».
32:00 Comme avec les X-Men 97 qui viennent tout juste de sortir.
32:04 C'est vraiment très flatteur qu'ils aient choisi ce moment de mon passage sur les X-Men
32:08 pour les adapter et les mettre à l'écran, c'est cool.
32:10 Via le documentaire Superpowered, on découvre l'importance que certaines femmes ont eues
32:13 dans l'histoire de DC Comics.
32:15 Janet Cahn, Karen Berger.
32:17 Quelle est la place de ces artistes, femmes, dans l'histoire du comic book
32:21 et est-ce qu'elles ont toujours été visibles ?
32:23 Je ne pense pas qu'elles ont toujours été visibles.
32:26 Par contre, elles ont toujours été là.
32:28 Pas dans les proportions dans lesquelles nous sommes désormais,
32:31 mais elles ont toujours eu un impact profond.
32:33 C'est une mauvaise idée reçue de penser qu'elles n'ont jamais été là.
32:37 Ceci dit, c'était une industrie principalement occupée par des hommes
32:41 pendant plusieurs décennies.
32:43 Je pense que c'est dans les dix dernières ou vingt dernières années
32:46 que les choses ont changé et c'est un petit peu comme si on avait un film
32:50 qui était un peu plus ou moins réaliste.
32:52 C'est dans les dix dernières ou vingt dernières années que les choses ont changé
32:56 et c'est un petit peu notre étoile polaire d'amener plus de diversité
32:59 et de représentation, non seulement dans les pages des histoires que l'on crée,
33:04 mais aussi parmi les décisionnaires, les éditeurs et les exécutifs
33:08 et qui font que la communauté créative va aussi être un miroir
33:13 de la diversité que nous cherchons à avoir dans nos livres.
33:20 Et pas parce que nous aurions un agenda particulier.
33:23 Je pense qu'au bout du bout, nous voulons juste que les comics soient
33:26 le reflet du monde dans lequel on vit et de la communauté de fans mondialisés
33:29 que nous avons.
33:31 Et je pense que c'est vital que les lecteurs et les fans puissent se connecter
33:34 émotionnellement à ces personnages.
33:36 C'est une chose importante.
33:38 Et qu'est-ce que vous pensez de ces lecteurs qui disent
33:46 « Je ne veux pas de politique dans mes comics, pas de diversité ».
33:49 Je comprends ce qu'ils veulent dire, mais je ne suis pas d'accord.
33:54 Je pense que la politique et les comics ont toujours été une partie intégrante
33:59 de la narration depuis le premier jour.
34:02 Superman ne combattait pas juste des méchants,
34:05 il se battait pour les petites gens.
34:08 Il combattait un système bancaire corrompu et les forces de l'autorité.
34:12 Il tentait d'apporter la liberté et la justice.
34:16 Et je ne sais pas comment tu peux avoir ce type de discours
34:19 sans parler de politique.
34:21 Je pense qu'il y a une différence entre avoir un message sous-jacent
34:25 à l'intérieur d'une histoire divertissante et...
34:28 Je pense que ce qu'ils critiquent, c'est quand un personnage est utilisé
34:33 pour être le véhicule d'un point de vue politique ou singulier.
34:37 Et ça, je le comprends.
34:39 Je pense que nous devons, avant toute autre chose,
34:42 être divertissants.
34:44 S'il y a un message en plus, tant mieux.
34:47 Parce que vous savez, quand Stan Lee a créé Black Panther,
34:50 quand DC a créé Nubia en 1972 ou 1973,
34:54 il s'agissait de représentations.
34:57 Et ces personnages parlent de vérité et de justice.
35:00 Et quand vous parlez de vérité et de justice,
35:03 pourquoi avoir besoin de justice ?
35:05 Parce qu'il existe un système corrompu et injuste.
35:08 Et qui a créé ce système ?
35:10 Ce sont des figures d'autorité politique.
35:13 Donc, je ne sais pas comment séparer les deux.
35:17 Mais je pense que vous ne voulez pas être didactique dans votre message.
35:21 Et c'est là le défi.
35:23 Batman a 85 ans. Il est plus enfant que moi.
35:26 Il est une bête-chèvre mémé.
35:29 Batman a été écrit de plein de manières.
35:32 Comment on explique cette elasticité narrative
35:35 en contraste avec Superman et Wonder Woman ?
35:38 Vous veulez dire...
35:41 Il y a un Batman slapstick, un Batman Lego,
35:44 un Batman noir, un Batman noir et gris...
35:47 Ils sont tous passés par différents changements.
35:50 Et je pense...
35:52 Quand on publie, on veut devancer la tendance,
35:56 ou bien la suivre, car c'est là que sont les ventes et l'intérêt.
36:00 Il est certain que dans les années 60,
36:02 il y avait beaucoup d'activisme social dans le pays.
36:05 Et ça s'est reflété dans les histoires aussi.
36:08 Je veux dire, peut-être encore plus qu'aujourd'hui,
36:11 de bien des façons, comme Green Arrow ou Green Lantern.
36:14 Ils ont fait un voyage à travers le pays
36:17 où ils ont dû se confronter au racisme, au corporatisme,
36:20 à la société consumérisme.
36:23 Ce que je veux dire, c'est que ça a toujours été des sujets de fond.
36:26 Et il y a aussi des moments où ils ont été plus légers et plus clownesques,
36:30 comme quand Batman 1966 est apparu.
36:33 Batman était très ridicule pendant un moment.
36:36 Et puis, dans les années 70, il est devenu plus sombre et urbain.
36:39 Et puis, évidemment, dans les années 80, avec Frank Miller,
36:42 c'est devenu encore plus sophistiqué dans la narration.
36:45 Et je pense que c'était à l'image
36:47 de ce que les gens recherchaient à ce moment de leur vie.
36:50 C'est pourquoi je pense que c'était un instinct de survie.
36:53 C'est un modèle économique.
36:55 Je pense que nous voulons être pertinents,
36:57 et pour être pertinents, nous devons être le reflet
37:00 dans laquelle nous publions.
37:02 Je pense que ça montre également l'élasticité de ces personnages.
37:05 Vous pouvez faire un Batman ridicule,
37:07 et vous pouvez aussi faire un dessin animé pour enfants en Bat-Wheels.
37:10 Et vous pouvez faire un film Joker,
37:12 qui est destiné à un public très adulte.
37:14 Je pense que c'est une des qualités de l'univers DC
37:17 et que nous avons un large spectre de contenu,
37:20 qui, grâce à l'élasticité de nos personnages,
37:22 peut plaire aux fans les plus jeunes, mais à des adultes également.
37:25 DC Comics a été à l'origine du concept multiverse,
37:28 avec Crisis on Infinite Earth.
37:30 C'est un concept qu'on retrouve non seulement chez la concurrence,
37:33 mais aussi à la télévision, au cinéma.
37:35 Et à un moment où on commence à parler de super-héros fatigues,
37:39 est-ce que c'est un concept réellement adaptable sur grand écran ?
37:43 Oui, je pense qu'il y a eu un peu de mal au démarrage.
37:50 Peut-être que c'était trop tôt, peut-être que...
37:52 Je ne sais pas, c'est difficile à dire.
37:54 Ce n'est pas que...
37:55 Vous savez, il y a un certain nombre de facteurs
37:58 qui expliquent pourquoi certains films n'ont pas été bien reçus.
38:00 Personnellement, j'aime le multiverse.
38:02 C'est un concept qui m'a époustouflé quand j'en ai entendu parler,
38:05 alors que j'avais 10 ou 11 ans.
38:07 J'étais là, "Quoi ?"
38:09 Ça m'a vraiment fait me questionner sur la réalité
38:11 et me demander peut-être que c'est vraiment possible.
38:14 Et je me pose encore les questions aujourd'hui.
38:16 Mais je pense qu'il y a quelque chose de spécifique dans les comics,
38:20 et particulièrement dans la continuité
38:22 qui les rend difficilement accessibles pour un large public.
38:25 Parce que, vous savez, DC Public, depuis maintenant 90 ans,
38:29 il y a énormément de continuité, donc c'est très complexe.
38:34 Et ce n'est pas très accueillant de dire à un nouveau fan
38:39 que pour comprendre ce personnage,
38:41 il va falloir lire des décennies d'histoire.
38:44 Donc je pense qu'il y a un certain nombre de défis à relever
38:47 pour les réalisateurs, les showrunners,
38:49 et également les scénaristes de comics.
38:51 Comment prendre ce contenu si complexe
38:53 et le rendre aux nouveaux fans ?
38:56 Donc je pense que c'est une correction de course.
38:59 Vous savez, les films de super-héros ont connu un énorme essor
39:02 et soudain, boum !
39:04 On a rencontré une série d'obstacles, de défis.
39:07 Les gens sont intelligents, les gens sont super créatifs,
39:10 abordables et séduisants.
39:12 Ils vont trouver un moyen de s'ajuster et de se réinventer.
39:16 Et les fans qui sont peut-être fatigués,
39:18 et aussi du fait qu'il y a trop de contenu,
39:21 il y a certainement du vrai là-dedans.
39:23 Mais je pense que c'est un des symptômes du succès.
39:26 Et cela fait sens que l'on ait atteint un point
39:29 où il y en a trop et où il va falloir évidemment en faire moins.
39:32 C'est une relation que je donne et que je prends.
39:35 Le manga est très populaire en France.
39:37 Lorsqu'un animé a du succès, en général,
39:39 son manga aussi a du succès.
39:41 Pour les films de super-héros, un succès, par contre,
39:43 ne se traduit pas systématiquement par une augmentation des ventes.
39:46 Pourquoi, selon vous ?
39:48 Je pense qu'il y a un certain nombre de raisons.
39:51 Ce que nous constatons, c'est que pour que cela ait un vrai impact
39:55 sur les publications, cela doit atteindre un certain seuil.
39:59 Une série télé, même avec un million de spectateurs,
40:03 ne se traduira pas forcément par énormément de gens achetant des comics.
40:08 Et si vous avez un gros film blockbuster,
40:11 généralement, on voit une augmentation des ventes de nos publications.
40:14 Mais pas n'importe lequel.
40:16 Vous ne pouvez pas sortir une mauvaise histoire de Batman
40:18 en espérant qu'un bon film de Batman sorte et porte les ventes.
40:22 Quand nous constatons une augmentation,
40:24 c'est toujours sur nos meilleures histoires de Batman.
40:27 Parce que les gens qui aiment Batman à cause du film
40:29 vont venir dans un magasin et demander
40:31 « Je voudrais des histoires de Batman ».
40:33 Et le vendeur intelligent va généralement les diriger
40:36 vers les meilleures histoires, n'est-ce pas ?
40:38 « Batman Year One », « The Dark Knight », « La Cour des Hiboux ».
40:42 Et donc ces livres, et sans discuter de nos meilleurs archives littéraires,
40:46 sont « Batman », « Watchmen ».
40:48 Et ce sont sur ces titres que l'on voit une réelle augmentation.
40:52 Quand « Sandman » est sorti sur Netflix,
40:54 nous avons vu une énorme augmentation de ventes.
40:57 Parce que c'est Neil Gaiman,
40:59 et les histoires de Sandman sont incroyables.
41:02 Donc cela signifie que ce n'est pas n'importe quoi qui va se vendre.
41:06 Le très bon matériel va voir une augmentation des ventes,
41:09 et c'est ainsi que l'on construit notre stratégie.
41:12 Jim Lee, encore une question.
41:14 Est-ce qu'il y a un personnage ou une histoire qui vous tient à cœur
41:17 et que vous n'avez toujours pas dessiné ?
41:19 Il y en a plein.
41:21 En fait, on vient d'organiser un déjeuner
41:23 avec quelques fans d'albums comics,
41:25 et j'ai partagé avec eux quelques histoires
41:27 que je veux encore raconter.
41:29 Et je pense que c'est bien.
41:31 Vous savez, parce que je me dis à quel point ça serait triste
41:35 de ne plus avoir d'histoires à raconter.
41:38 C'est ce qui vous motive à vous lever le matin.
41:41 C'est ce qui fait que vous pouvez encore vous enthousiasmer pour ce métier.
41:46 Le potentiel que pourrait donner quelque chose.
41:49 Et c'est super d'avoir ces escapades possibles
41:53 et d'avoir les moyens et l'habileté de prendre ces idées
41:57 et de les transformer en dessins et en histoires bien concrètes.
42:05 C'est une vraie bénédiction.
42:07 Je suis content de pouvoir faire ça.
42:09 Je serais très triste s'il y avait un jour où je me réveillais en me disant
42:12 "Ça y est, j'ai fini, je n'ai plus d'histoires à raconter."
42:15 J'aurais l'impression que c'est la fin de la vie en elle-même.
42:17 Encore une chose, juste pour savoir,
42:19 est-ce que vous avez appris à vos enfants à dessiner
42:21 et est-ce que vous dessinez avec eux ?
42:23 Tous mes enfants dessinent,
42:26 mais ils ne vont prendre aucun conseil ou instruction venant de moi.
42:31 Ils disent "Non, non, non, non."
42:36 Vous savez, vous êtes leur père avant tout.
42:42 Ils sont à fond dans les mangas.
42:44 Je laisse traîner plusieurs exemplaires de DC Comics.
42:48 Vous savez, un petit peu comme des pièges à souris.
42:51 Ils aiment les mangas, ils aiment ce qu'ils aiment et ça fait sens.
42:55 C'est leur génération.
42:57 Occasionnellement, ils vont écouter un conseil ou deux,
43:01 mais ils me voient comme un vieux type qui n'a rien à leur apprendre.
43:05 Mais je les observe.
43:07 Ils apprennent des choses des vidéos YouTube,
43:10 des tutos, d'autres artistes sur les réseaux sociaux.
43:13 Ils sont vraiment talentueux,
43:15 mais ils ne veulent pas apprendre des choses de moi.
43:18 Bien que notre fils, qui a 23 ans,
43:25 est en train de lancer son propre comic book intitulé "Wallow",
43:29 et lui, j'ai pu lui donner quelques conseils niveau business.
43:32 Donc, j'ai pu lui donner quelques conseils professionnels et aussi artistiques,
43:36 parce que je pense qu'il a réalisé qu'à un certain âge,
43:39 on est toujours résistant à ce que les parents vous racontent,
43:43 parce qu'ils ne sont pas tellement cools, n'est-ce pas ?
43:46 Et puis à un quart-four, tu deviens adulte
43:48 et tu te dis qu'il y a peut-être un peu de vérité dans ce qu'ils t'ont dit
43:51 et tu deviens plus réceptif alors...
43:53 Donc c'est plutôt super de voir ça également.
43:56 Mais ils ne veulent pas que ça se sache.
43:58 Je ne leur en tiens pas rigueur.
44:00 Vous savez, quand j'étais gamin,
44:02 je n'étais pas des plus sympas vis-à-vis de mes parents quand j'étais adolescent.
44:05 Et quand j'étais diplômé collège, j'ai réalisé, tu sais quoi ?
44:08 C'était de super parents qui m'ont toujours beaucoup soutenu.
44:11 J'étais idiot ou j'étais un imbécile,
44:13 donc je sais que cela fera aussi partie de leur futur.
44:15 Merci pour cette incroyable interview
44:20 et d'avoir fait toutes ces recherches et posé ces questions.
44:23 C'est la mienne aussi.
44:25 Merci beaucoup. J'ai adoré. Merci.
44:27 Merci beaucoup, j'ai adoré, merci.