• il y a 7 mois
Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales, professeur émérite à Sciences Po Paris, répondait aux questions de Jules de Kiss et Hadrien Bect.

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Transcription
00:00 [Générique]
00:07 Bonjour Bertrand Baddy.
00:08 Bonjour.
00:09 Cette attaque iranienne sur Israël la nuit passée, c'est la première fois que l'Iran lance une attaque depuis son sol sur l'état d'Israël.
00:16 Près de 300 drones et missiles, quasiment tous interceptés. 99% des engins interceptés fait savoir l'armée israélienne.
00:25 Est-ce que vous avez été surpris vous par la forme de cette attaque de l'Iran ? L'Iran qui avait prévenu qu'il y aurait des représailles à la frappe de son consulat en Syrie il y a deux semaines.
00:33 Surpris non. D'ailleurs personne ne pouvait l'être puisque ça fait trois jours qu'on nous annonce une attaque de ce genre et que de toute manière,
00:41 face à une attaque du style de celle menée par Israël contre le consulat iranien à Damas, l'Iran ne pouvait pas, ne pas réagir.
00:53 Alors à partir de cela, il s'est créé un jeu triangulaire que l'on est en train d'observer en direct.
00:59 L'Iran qui a tout fait pour qu'il ne se passe pas grand chose dans la riposte mais qui déclare que ce qui s'est passé est important et décisif,
01:11 ce qui lui permet éventuellement de quitter la scène. Israël qui a tout fait pour qu'il ne se passe rien mais qui crie très fort qu'il s'est passé de très grandes choses
01:20 pour éventuellement continuer dans l'escalade. Et enfin le troisième acteur, les Etats-Unis qui disent qu'il se passe beaucoup de choses
01:28 et que cette constatation ouvre une nouvelle séquence dans les relations internationales.
01:36 Est-ce que ça veut dire, pour être sûr de vous avoir bien concret, qu'on est dans une forme de paradoxe, à la fois une escalade manifeste mais une retenue généralisée ?
01:43 Généralisée, je ne sais pas. Il y a une retenue évidente du côté de l'Iran. Le type d'attaque tel qu'on l'a vu se dérouler cette nuit était attendu
01:58 et un type d'attaque dont l'Iran savait très bien qu'Israël avait tous les moyens de la parer. Donc effectivement, il n'y avait pas de volonté d'escalade du côté de l'Iran
02:11 donc il n'y a aucun intérêt. Si l'Iran s'intègre dans une guerre généralisée dans la région du Grand Moyen-Orient, elle n'en tirera que des effets négatifs.
02:23 Côté Israël, c'est différent. Et c'est ça qu'il faut bien comprendre. Parce que côté Israël, on sait depuis fort longtemps, fort longtemps et pas seulement depuis le 7 octobre,
02:35 qu'il y a une volonté délibérée de saisir une occasion pour mettre fin au programme iranien, au programme nucléaire iranien.
02:44 Et là, la grande question qu'on doit se poser ce matin, est-ce que c'est l'aubaine attendue ? Est-ce que c'est le prétexte désiré pour lancer une attaque de plus grande ampleur ?
02:55 Ça, c'est les jours à venir qui nous le disent.
02:57 Alors justement, est-ce que la riposte israélienne est inévitable ce matin ? Israël répondra et attaquera l'Iran, c'est ce qu'avait dit avant même l'attaque le chef de la diplomatie israélienne.
03:07 Oui, alors pour prolonger le jeu triangulaire que je décrivais tout à l'heure, on constate que l'Iran a plus ou moins explicitement déclaré que voilà, c'est fini, l'affaire est réglée.
03:20 Alors qu'Israël, au contraire, déclare "nous saurons répliquer à une attaque contre notre sol".
03:29 Donc la porte est à moitié fermée d'un côté à un risque d'escalade, la porte est à trois quarts ouverte de l'autre pour effectivement prolonger cette attaque telle qu'elle s'est produite cette nuit.
03:42 Quand on évoque la prolongation de cette attaque dont vous venez de parler, certains experts parlent de possibilité pour Israël de viser des sites militaires, des sites nucléaires, ça pourrait être ça la riposte ?
03:56 Mais est-ce que déjà d'ailleurs, autre question en parallèle, est-ce que ce ne serait déjà pas aller trop loin de la part d'Israël ?
04:03 Alors, l'élément important et que Israël est en train d'exploiter actuellement, c'est que l'Iran a frappé le sol israélien, ce qui permettra à Israël de dire "nous sommes autorisés à frapper le sol iranien".
04:19 C'est la raison pour laquelle on peut craindre une riposte forte de la part d'Israël qui permettrait de réaliser cette stratégie décrite, énoncée depuis longtemps et pas seulement par le gouvernement Netanyahou, la volonté de détruire ce programme nucléaire iranien.
04:39 Pourquoi ? Parce que Israël est le seul détenteur de l'arme atomique dans la région du Grand Moyen-Orient, cet État ne veut pas qu'il y en ait un autre et surtout pas l'Iran qui soit co-détenteur de la puissance nucléaire.
04:53 Alors, effectivement, comme vous l'avez dit, Israël peut répondre y compris sur ces sujets-là et l'Iran prévient déjà qu'en cas de réponse à la réplique, on va dire, il y aurait encore une nouvelle réponse.
05:06 Est-ce que là, l'Iran a les moyens de répondre à nouveau ?
05:10 Justement, le problème, c'est que s'il y a escalade, on est dans une escalade asymétrique.
05:15 Israël a les moyens militaires et diplomatiques dont ne dispose pas l'Iran.
05:22 Il suffit de voir avec quelle discrétion la communauté internationale a réagi à l'attaque israélienne sur le consulat iranien de Damas et avec quelle visibilité cette même communauté internationale a immédiatement réagi à l'attaque iranienne sur le sol d'Israël.
05:44 Donc, tant du point de vue militaire, là, l'évidence est connue, que du point de vue diplomatique, Israël a les moyens de contrôler une escalade, ce que l'Iran n'a pas et l'Iran, les dirigeants iraniens le savent très bien.
05:55 Mais pour bien vous comprendre, Bertrand Baddy, est-ce que si, dans les jours qui viennent, Israël répond de façon militaire à l'Iran, est-ce que là, on pourra dire que c'est le début d'un conflit régional ?
06:09 Alors, vous savez, le conflit régional, il existe potentiellement depuis déjà fort longtemps.
06:15 Maintenant, le problème est de savoir jusqu'où chacun des États entend aller dans la concrétisation de cette conflictualité déjà installée depuis fort longtemps.
06:28 Il est certain que l'Iran continuera, continuera à faire tout ce qu'elle peut pour que sa riposte soit en même temps spectaculaire, sans être porteur de destruction qui lui coûterait extrêmement cher.
06:47 Mais, vous savez, plus on va haut dans l'escalade, plus le risque est élevé et que, effectivement, s'il y a un nouveau cran atteint à l'occasion de la riposte à l'attaque iranienne de cette nuit, là, effectivement, on entre dans une situation extraordinairement dangereuse.
07:06 Pour l'instant, on n'en est pas là. L'ambassadrice d'Israël en France était l'invité de France Info ce matin. Pas de réponse pour l'heure qu'il est. Il y en aura une, mais il reste à savoir laquelle. C'est ce qu'elle nous disait en substance.
07:18 On va continuer cette discussion, la position de la France, que la réponse israélienne face à cette attaque, notamment ce bouclier de fer et la solidité des alliances, aussi, démontrer qu'est-ce que tout cela dit.
07:30 Ce sera juste après le Fil info, 8h40, Claire Chez Caglini.
07:34 De LFI au LR, les tirs de l'Iran sur Israël ont été condamnés. Marine Tondelier, la patronne des Verts, estime sur le réseau X que rien ne peut justifier des attaques d'un pays souverain.
07:44 La France insoumise fustige une riposte synonyme d'escalade militaire. Eric Ciotti, des LR, affiche son soutien à Israël et demande à la France d'être à ses côtés.
07:53 Et justement, on vient d'apprendre que Paris a aidé Israël à se défendre contre l'attaque iranienne. C'est ce que vient de dire l'armée israélienne.
08:01 La nuit dernière, des sirènes ont retenti sur nombre de régions israéliennes. Plus de 250 drones et missiles ont été lancés sur l'état hébreu, la plupart depuis l'Iran.
08:11 99% de ces engins ont été détruits, s'est félicité le gouvernement de Benjamin Netanyahou. Washington a assuré Israël de son soutien, mais ne participera pas à une réplique militaire.
08:23 Les LR, à égalité avec Reconquête, résultat d'un sondage Ipsos pour France Info. Le Parisien, les deux listes sont créditées de 6,5% d'intention de vote.
08:34 Très loin devant, le RN, avec 32%. Le RN creuse l'écart avec Renaissance, qui totaliserait moitié moins de suffrages que le parti d'extrême droite si le scrutin avait lieu aujourd'hui.
08:46 Le 15 de France Féminin reçoit l'Italie à 13h30 au stade de Jean-Bouin à Paris, en cette troisième journée du tournoi des 6 nations.
08:54 Les Bleus sont deuxième derrière les Anglaises et peuvent encore prétendre au Grand Chelem.
09:08 Bertrand Bady, professeur des universités, spécialiste des relations internationales et l'invité du 8.30 de France Info.
09:14 Après cette attaque iranienne sur Israël, lancée depuis le sol iranien, et ça c'est une première, en direction d'Israël dans la nuit, plus de 300 drones et missiles, presque tous interceptés.
09:25 C'est ce qu'ont dit les Etats-Unis et Israël. Et donc pas de gros dégâts majeurs. Quelles conséquences ? Quelle réponse ? C'est la question.
09:32 Justement, Bertrand Bady, on apprend là, il y a quelques minutes, que la France a joué un rôle à aider Israël à se défendre contre l'attaque iranienne.
09:40 C'est ce que dit le porte-parole militaire en chef de l'armée israélienne. Les Etats-Unis, on le savait, la Grande-Bretagne aussi, la Jordanie qui s'était positionnée.
09:48 Mais est-ce que la France ait participé dans cette œuvre-là ? Est-ce que ça vous étonne ?
09:53 Ça ne m'étonne pas vraiment. Ce qui m'étonne, c'est la précipitation avec laquelle on l'explicite.
09:59 Ce n'est pas une information de nature à aider le retour de la diplomatie française au Moyen-Orient.
10:09 Il y a eu un contentieux, une sorte de malentendu qui s'est installé depuis le 7 octobre.
10:15 Et ce type de déclaration risque de ne pas faciliter les choses, bien entendu en direction de l'Iran.
10:23 Mais ça, les relations bilatérales franco-iraliennes ne sont pas véritablement au bout fixe.
10:28 Mais je dirais auprès de l'opinion publique dans le monde arabe.
10:33 Et ça, ça sera un autre chapitre de réflexion à mener.
10:37 Vous savez, il n'y a pas que les gouvernements qui comptent dans ce genre d'événements.
10:41 Il y a aussi la réaction des opinions publiques.
10:43 Entendre dire que la France a fait écause pour Israël dans cette affaire risque de créer une sorte de malaise au sein de l'opinion publique arabe, déjà mal disposée.
10:57 Autre chose intéressante à regarder, c'est ce qu'il a pu en être dans l'aide face à cette attaque iranienne des voisins d'Israël,
11:04 et notamment des pays arabes comme la Jordanie, comme l'Arabie saoudite, qui sont des pays sunnites, des rivaux de l'Iran chiite.
11:12 Est-ce qu'on peut dire qu'il y a peut-être, c'est ce que nous disait le correspondant de France Info à Jérusalem, Thibault Lefebvre,
11:20 qu'il y a peut-être un axe qui se dessine justement de soutien à Israël avec les Etats-Unis, les pays occidentaux et les pays arabes sunnites ?
11:28 Non, ça pardonnez-moi, mais c'est un vocabulaire qu'il faut mettre de côté, qui est beaucoup trop simplificateur et donc faux.
11:36 Même si la Jordanie a par exemple aidé Israël à intercepter des missiles, ça ne veut rien dire.
11:39 La Jordanie et l'Arabie saoudite n'ont pas eu la même position. La Jordanie a effectivement aidé Israël à se protéger et à faire parade à cette attaque.
11:50 L'Arabie saoudite n'est restée, à ma connaissance, sur le registre rhétorique. C'est déjà différent.
11:56 Arrêtons, je vous en supplie, d'opposer...
12:00 C'est pour ça qu'on pose ces questions.
12:01 Non, mais c'est une formule rhétorique de ma part aussi.
12:04 D'opposer toujours sunnites et chiites, ça ne veut strictement rien dire.
12:09 Si vous regardez la complexité de la question Moyenne-Orientale, vous vous apercevez que c'est ligne qui scie,
12:15 parce qu'on a besoin dans la culture occidentale de trouver des amis, des ennemis, des axes, des alliances.
12:21 Mais dans le cas du conflit Moyenne-Orientale, le Hamas est sunnite, l'Iran est chiite, alors dans ce cas-là, ils devraient se taper dessus.
12:29 Mais ce n'est pas le cas. On a fait des gorges chaudes sur l'opposition entre Riyad et Téhéran,
12:34 parce que l'un est sunnite et l'autre chiite.
12:37 On s'est aperçu qu'en l'espace de quelques heures, les deux se sont réconciliés.
12:43 Donc, il n'y a aucune indication à tirer de ce côté-là.
12:47 Ce qui est intéressant, effectivement, vous avez raison de le souligner, c'est cette position de la Jordanie,
12:54 qui est d'autant plus surprenante que la Jordanie, le gouvernement jordanien, est l'otage d'une opinion publique
13:02 qui majoritairement est palestinienne et qui, dans cette affaire, sans forcément soutenir l'idée d'une destruction d'Israël,
13:11 n'est pas forcément du côté de ce réflexe de défense solidaire avec Israël.
13:17 Si l'on en vient, Bertrand Baddy, au rôle des Etats-Unis, Joe Biden a échangé cette nuit avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou
13:25 et il lui a dit deux choses qu'il faut bien noter.
13:28 Il lui a demandé, déjà, de ne pas lancer d'offensive majeure sur l'Iran
13:31 et il a affirmé que les Etats-Unis ne participeraient à aucune attaque contre l'Iran.
13:36 Qu'est-ce qu'il faut comprendre de ce message américain qui semble plutôt prudent ?
13:42 Alors c'est le cauchemar diplomatique des Etats-Unis qui continue, ce cauchemar a commencé le 7 octobre,
13:48 lorsque Biden, se précipitant au Proche-Orient, explique à Israël qu'il ne doit surtout pas commettre l'erreur
13:56 que les Etats-Unis avaient commise et en Irak et en Afghanistan et qu'il ne fallait surtout pas répliquer,
14:02 les Etats-Unis n'ont pas été entendus.
14:04 Deuxième séquence forte, l'attaque du 1er avril d'Israël sur l'ambassade iranienne à Damas
14:11 n'avait manifestement pas été connue de l'administration américaine et de la Maison-Blanche.
14:19 Troisième étape, suite à cette attaque iranienne de la nuit dernière,
14:26 les Etats-Unis sont amenés à nouveau à effacer leur prudence rhétorique et à s'aligner totalement sur...
14:35 - Le soutien inébranlable évoqué par Joe Biden.
14:38 - Exactement, ce qui d'un certain point de vue affaiblit ce que les Etats-Unis avaient dit
14:44 et continuent de dire concernant Gaza et qui, d'autre part, risque de créer une quatrième séquence
14:52 encore plus douloureuse pour les Etats-Unis, c'est-à-dire Israël n'écoutant pas les nouveaux conseils américains,
14:58 attaquant ou ripostant à cette attaque iranienne et là, ce sera une nouvelle humiliation pour la diplomatie des Etats-Unis.
15:06 - Mais justement, n'est-ce pas peut-être un peu tôt pour imaginer ce scénario-là ?
15:09 Est-ce qu'on ne peut pas aussi imaginer que cette fois-ci, puisqu'il est question d'implications internationales plus importantes
15:14 que ce qu'il en est entre Israël et la bande de Gaza, cette fois-ci, Israël pourrait suivre le conseil, l'avertissement des Etats-Unis ?
15:22 - Alors, il faut voir, voir ce qui va se passer. J'ai jamais écrit de ma vie de horoscope
15:28 et ce n'est pas aujourd'hui que je commencerai, surtout dans cette situation telle que nous la connaissons.
15:33 Mais deux choses quand même. Moi, ce que j'observe, c'est que depuis un certain temps, mais qui ne date pas non plus du 7 octobre,
15:40 déjà bien avant, Israël semble prendre comme un besoin de montrer que ce sont les dirigeants israéliens seuls
15:52 qui prennent leurs décisions à l'abri et je dirais presque à l'indifférence des conseils qui leur sont donnés.
15:58 C'est un changement radical par rapport au temps de la guerre froide ou de la bipolarité, où Israël, rappelez-vous la guerre de 67, la guerre de 73,
16:07 il y avait une autonomie, là aussi, d'Israël, mais finalement, les Etats-Unis avaient la main.
16:12 Aujourd'hui, ils ne l'ont plus du tout et Israël se plaît à le montrer, c'est-à-dire que ce n'est pas une dissidence implicite,
16:19 c'est une dissidence qu'on rend la plus explicite possible et compte tenu de ce désir israélien de frapper les installations nucléaires iraniennes,
16:31 ça m'étonnerait personnellement beaucoup.
16:34 Mais vous pensez qu'on en est vraiment là, que c'est possible qu'Israël se saisisse de ce prétexte ? C'est le risque en tout cas, selon vous ?
16:40 Comme vous dites, c'est possible, c'est le risque. Je ne dis pas que c'est ce qui se produira, mais si tel est le jeu israélien,
16:47 c'est pas les Etats-Unis qui l'en empêcheront. Deuxièmement, n'oubliez jamais...
16:52 Ils pourront l'en empêcher, ils essaieront tout de même, on l'a compris.
16:55 Ils essayent en ce moment, mais avec le risque d'être humiliés une nouvelle fois, ce qui pour une superpuissance est désastreux.
17:01 Et puis, il y a un deuxième élément, n'oubliez pas que le dogme d'Israël, c'est tout régler par les rapports de puissance,
17:09 c'est les vieilles méthodes des relations internationales, donc la subjectivité là-dedans, liée à la pression des Etats-Unis, ne joue pas un grand rôle.
17:19 Bertrand Baddy, professeur des universités spécialistes des relations internationales,
17:23 votre éclairage ce matin dans le 8.30 de France Info après cette attaque iranienne en direction d'Israël la nuit dernière.

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