Maître Antoine Régley publie un ouvrage intitulé "Drames de la route, combats contre l’injustice" - A travers dix histoires aux conséquences dramatiques, l'avocat nous emmène dans le quotidien de victimes de la route - VIDEO
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00:00 Je voulais qu'on parle d'un livre, un livre qui est signé de Maître Antoine Réglet.
00:04 Bonjour Maître, merci d'être en direct avec nous.
00:06 Un livre sur les drames de la route, combat contre l'injustice.
00:09 Et si j'ai été sensible à ce livre, c'est qu'à travers dix dossiers, en fait, que vous avez traités,
00:13 vous évoquez en particulier les victimes.
00:16 Et vous dites que les victimes, généralement, sont invisibilisées, sont inaudibles.
00:20 Et vous avez voulu leur redonner la parole.
00:22 Oui, on les voit assez peu, les victimes, on les entend peu.
00:24 On parle beaucoup des auteurs, encore que sur cette chaîne, on parle peut-être plus qu'à rien.
00:27 On essaie, c'est pour ça qu'on est sensible à ce livre.
00:29 Donc, oui, les victimes sont oubliées, on ne les entend pas.
00:32 Et puis elles souffrent d'une double injustice.
00:34 L'injustice, d'abord, de l'accident, qui est terrible.
00:36 Ce sont des innocents qui n'ont rien demandé à personne.
00:38 On leur rend dedans, on leur enlève leur enfant, leur vie, leur jambe.
00:41 Et puis, une injustice à laquelle on ne s'attend pas, c'est l'injustice d'une justice, justement,
00:46 qui ne se rend pas ou qui se rend mal.
00:48 La justice est trop lente.
00:49 Elle est parfois, en tout cas pour les victimes, pas du tout assez sévère.
00:52 Et puis, il y a tout le côté indemnisation, où on a une injustice des assurances,
00:56 qui vont tout faire pour culpabiliser les victimes en leur disant
00:59 "Vous avez peut-être commis une faute dans votre accident,
01:01 et du coup, on va vous opposer votre faute pour vous retrancher une part de l'indemnisation."
01:06 Donc, on a une justice lente, pas assez sévère,
01:08 des assureurs qui pensent clairement, en grande majorité, aux sous,
01:11 et puis, aucun accompagnement psychologique.
01:14 Il y a quelques mois, vous aviez invité Sophie, qui témoigne dans ce livre,
01:17 qui était venue avec une grande dignité, expliquer qu'en gros, en 7 ans, elle n'avait pas vu un psy.
01:21 Vous les appelez les inaudibles ou encore les invisibles,
01:25 alors que c'est des gens qui souffrent dans leur chair, parfois.
01:27 C'est-à-dire qu'il y a des gens qui se retrouvent amputés, par exemple,
01:30 leur vie change, il y a des gens qui se retrouvent paralysés,
01:32 également, leur vie change.
01:33 Or, ces gens-là, la société n'y fait pas attention.
01:36 Au fond, on les regroupe sous le terme de "blessés".
01:39 C'est un accident, il y a eu deux blessés.
01:41 Et dans l'esprit des gens, c'est terrible, parce qu'on dit "C'est pas grave, il n'y a pas de mort".
01:44 - Oui, alors 3 000 morts, c'est pas rien, et puis 200 000 blessés,
01:47 dont en gros 16 000 personnes qui trouvent le handicap lourd,
01:50 et ces personnes-là, effectivement, n'existent pas,
01:53 ou alors, si elles existent, parfois, c'est dans le regard désapprobateur des gens,
01:57 c'est le chauffeur de bus qui dit "Désolé, ma rampe, elle marche pas",
02:00 c'est des ascenseurs qui ne sont pas accessibles,
02:02 et donc, c'est une question du handicap, effectivement,
02:04 qu'on n'aime pas tellement regarder, peut-être parce qu'il nous fait peur, ce handicap.
02:07 Moi, ce que je veux dire aussi dans ce livre,
02:09 parce que c'est pas un livre négatif,
02:11 moi, j'ai voulu qu'on ne ferme pas ce livre le cœur serré, mais le point levé.
02:14 C'est dire, ces gens-là, certes, on ne les regarde pas assez, etc.,
02:17 mais eux, ils se relèvent et ils nous donnent des leçons de vie.
02:20 C'est un livre extrêmement positif.
02:22 Moi, j'ai voulu leur donner le courage de se relever, grâce à ce livre,
02:26 et puis, leur donner, effectivement, l'espoir, également, de combattre,
02:29 parce qu'il faut combattre les injustices, on l'a dit,
02:31 vous parlez de société, moi, je crois aussi que le pouvoir politique
02:35 a une responsabilité immense dans le regard absent que l'on porte sur ses victimes.
02:41 - Alors, parmi les 10 cas que vous évoquiez, il y a celui de Jade,
02:44 et Jade, forcément, ça fait écho à l'affaire Palmad,
02:47 on va comprendre pourquoi, parce que vous commencez,
02:48 et je voudrais juste vous lire, parce que je trouve ça très fort,
02:50 vous dites "Jade est morte avant même d'être née,
02:53 pour la justice française, elle n'est rien, ni personne,
02:56 elle n'a pas respiré, donc elle n'a pas le droit d'exister",
02:59 donc elle était dans le ventre de sa maman, Jade,
03:02 et elle est décédée dans un accident,
03:04 et comme elle n'a pas respiré, au fond, comme elle n'est pas née,
03:08 exactement comme dans l'affaire Palmad,
03:10 on considère qu'elle n'existe pas ?
03:13 - Oui, le pire, c'est qu'ils étaient sur le chemin de la maternité
03:16 lors de cet accident-là.
03:18 - À 4 jours du terme de grossesse, ils allaient à la maternité.
03:22 - Ils y étaient allés la veille, à Arras, on les avait renvoyés,
03:24 en disant "le coin n'est pas assez ouvert, revenez demain",
03:26 et effectivement, une femme de 70 ans arrive en contresens,
03:30 et les percutes de plein fouet,
03:32 Jade meurt à l'intérieur du ventre de sa mère,
03:34 avant même d'avoir respiré à l'extérieur,
03:36 et effectivement, pour le droit pénal,
03:38 depuis trop longtemps, on considère que Jade n'ayant pas respiré,
03:42 alors elle n'est pas autrui, et du coup, elle n'est pas, elle, Jade,
03:45 victime d'un homicide involontaire ou d'un homicide routiné.
03:47 - Mais pourtant, elle était vivante, parce qu'en plus,
03:49 vous expliquez, vous dites que s'ils vont à la maternité,
03:51 c'est parce qu'elle donne des coups tellement forts
03:53 dans le ventre de sa maman,
03:55 enfin, je ne veux même pas imaginer
03:57 ce qui peut se passer dans un cas comme ça
03:59 dans la tête de sa maman, parce qu'elle la sent, sa fille,
04:01 elle la sent, elle sent les coups qu'elle donne,
04:03 elle dit "c'est pour ça que je vais à la maternité,
04:05 ils ont un accident sur la route de la maternité",
04:07 on lui dit "mais votre fille n'existe pas",
04:09 en fait, la justice, ensuite, après l'accident, leur dit "votre fille n'existe pas".
04:11 - La justice leur dit parce que le droit le dit ainsi,
04:15 effectivement, quand je vous disais "il y a une responsabilité du législateur",
04:17 je ne pensais pas tellement à celle-là,
04:19 mais effectivement, depuis une jurisprudence de 2002
04:21 où la Cour de cassation est venue nous dire
04:23 "un enfant à naître n'est pas autrui"
04:25 pour protéger l'IVG, on peut,
04:27 tout en protégeant l'IVG, changer la loi,
04:29 et c'est le combat qu'Angélique et Valentin m'ont demandé de mener,
04:31 on est aidé en cela par le député
04:33 Di Filippo de Moselle,
04:35 par la députée Violette Spilbut,
04:37 qui m'a promis hier qu'on allait présenter
04:39 les réformes de ce livre à Éric Dupond-Moriti
04:41 très prochainement, donc peut-être que ça va bouger,
04:43 mais la responsabilité de l'État, elle est importante.
04:45 Quand ils viennent dire, les ministres de l'Intérieur
04:47 ou de la Justice, "c'est terrible,
04:49 c'est terrible, c'est terrible", mais que derrière,
04:51 ils ne changent pas un décret, qu'ils ne changent pas une loi,
04:53 et que quand ils changent une loi, en réalité, ils nous changent un mot,
04:55 l'homicide involontaire devenant l'homicide routier,
04:57 aussi symbolique et important soit-il,
04:59 ça ne change rien, ils ont une responsabilité,
05:01 et moi je considère
05:03 que l'on ne peut pas faire de la politique
05:05 par le symbole, on doit faire la politique
05:07 de la considération, alors que là, depuis trop d'années,
05:09 on est sur de la politique de la communication.
05:11 - Il y a les lois, et puis il y a l'humain,
05:13 c'est important, l'humain aussi,
05:15 et par exemple, les psys,
05:17 il n'y a jamais de psys qui sont
05:19 avec les gendarmes, qui sont... par exemple,
05:21 un gendarme vient vous annoncer que votre fils ou votre fille
05:23 a eu un accident de la route et est décédée,
05:25 ils sont tout seuls.
05:27 Il faudrait qu'il y ait un psy avec eux, parce que
05:29 déjà, même les gendarmes, pour eux, enfin, le poids
05:31 d'aller dire à une maman, d'aller dire à un papa,
05:33 une frère, un sœur, une sœur,
05:35 que leur enfant est mort,
05:37 c'est une horreur.
05:39 - C'est une proposition extrêmement simple, de bon sens,
05:41 qui ne coûte pas grand chose, ni politiquement,
05:43 ni au niveau économique, même si on n'est plus à un dérapage
05:45 près, de toute façon. Donc, effectivement,
05:47 moi, je souhaite que les gendarmes, les médecins, soient formés
05:49 quelques heures pour utiliser les bons mots,
05:51 parce que ce sont des mots que les gens,
05:53 dont les gens se souviendront toujours.
05:55 La résonance de ces mots, de la voix qu'on
05:57 utilise, va résonner. Donc, on forme
05:59 ceux qui annoncent, et dès qu'on arrive
06:01 à l'hôpital, soit pour constater le décès,
06:03 soit pour constater le handicap, le sien
06:05 ou celui d'un proche, le psy
06:07 qui est de permanence au cinquième étage,
06:09 il descend, il est là,
06:11 et c'est un soutien important. Et après,
06:13 parce qu'il faut gérer l'après, Sophie le dit,
06:15 quand je rentre à la maison, que j'annonce aux enfants
06:17 "Jean est mort", j'ai personne.
06:19 Donc, je crois qu'il faut accompagner Sophie
06:21 et les enfants, et tous les autres, pendant un ou deux ans,
06:23 la solidarité nationale doit leur
06:25 payer, via la sécurité sociale,
06:27 des séances de psy. - Merci beaucoup,
06:29 votre livre s'appelle "Drame de la rue, combat
06:31 contre l'injustice, pour ne pas être victime deux fois",
06:33 ce qui est le cas aujourd'hui. Ils sont victimes
06:35 fois et c'est paru chez Hugo Doc.