L'écrivain William Marx est l'auteur de la chronique "Un été avec don Quichotte" diffusée sur France Inter, publié le 1er mai aux éditions des Equateurs.
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00:00 Grand entretien d'Inter ce matin avec Marion Lourdes, nous recevons un écrivain, un immense lecteur,
00:05 un très grand professeur de littérature, il occupe la chaire de littérature comparée au Collège de France.
00:12 Les auditeurs de France Inter se sont passionnés l'an dernier pour sa traversée d'été avec Don Quichotte,
00:18 une série que l'on pourra désormais lire à partir de la semaine prochaine avec la publication d'un été avec Don Quichotte.
00:27 C'est une publication équateur France Inter.
00:31 Don Quichotte c'est un livre qui est traversé par des enjeux très contemporains, les mondes virtuels, le complotisme,
00:37 l'importance des utopies, l'engagement. C'est un livre qui a fait rire l'Europe, un livre qui est considéré comme le premier roman moderne.
00:45 Bonjour William Marx.
00:46 Bonjour Olivier Vadou.
00:47 Et bienvenue vos questions chers auditeurs au 01.45.24.7000 sur ce chef-d'œuvre où vous pouvez également poser toutes vos questions à William Marx.
00:57 On va partir de ce qui est le plus simple.
00:59 Chef-d'œuvre inconnu, c'est très paradoxal.
01:02 Don Quichotte, tout le monde le connaît, le personnage, on connaît l'existence du roman de Cervantes et pourtant on ne connaît pas son histoire.
01:12 C'est le principe des chefs-d'œuvre et des classiques.
01:14 On en a tous entendu parler, mais personne ne les a jamais lus.
01:18 C'est l'objet justement d'un été avec Don Quichotte, d'introduire à cette lecture.
01:22 Mais alors qu'est-ce que c'est que Don Quichotte ?
01:23 J'imagine que c'est ça la question.
01:26 En fait, c'est le roman de la littérature.
01:28 C'est le roman de la lecture.
01:30 C'est le roman qui est le premier à mettre en scène le lecteur tout puissant, celui qui invente la réalité à partir des livres qu'il lit.
01:39 Donc, Don Quichotte, c'est un roman du tout début du 17ème siècle, écrit par un auteur espagnol, Cervantes.
01:44 Et ça raconte l'histoire d'un gentilhomme qui est tellement obsédé par les romans de chevalerie qu'il a lus,
01:52 qu'il va essayer de devenir les héros dont il a lu les aventures.
01:57 Il devient ce qu'on lit.
01:59 Voilà, devenir ce qu'on lit.
02:00 C'est ça l'aventure de ce héros.
02:02 Il va transformer la réalité à partir de tout ce qu'il a lu.
02:04 Pourquoi est-ce que c'est un livre magique ?
02:07 Pour reprendre le mot de Borges.
02:08 C'est un livre magique parce que c'est un livre qui nous invite à transfigurer la réalité
02:14 et à mettre en action toutes les puissances de notre imagination, toutes les puissances de notre affabulation.
02:20 C'est-à-dire à voir derrière la réalité ce qu'elle cache ou au contraire à comprendre que la réalité est autre chose que ce qu'elle est.
02:27 Alors William Marx, évidemment, si vous avez choisi Don Quichotte, ce n'est pas ce qu'il nous parle.
02:30 Parce qu'il est le roman de la littérature, vous venez de le dire.
02:33 Il y a l'œuvre littéraire dont on va parler longuement.
02:35 Mais c'est aussi parce qu'il fait quoi ? A beaucoup de choses aujourd'hui.
02:37 Qu'est-ce qu'il nous parle dans Don Quichotte aujourd'hui ?
02:39 Je pense par exemple à une phrase, Don Quichotte a beaucoup lu, trop peut-être, vous le disiez, des romans de chevalerie.
02:45 Il s'est inventé une réalité virtuelle, un monde parallèle.
02:47 Ça nous parle ça aujourd'hui.
02:48 Totalement. C'est-à-dire qu'en fait, chaque époque réinvente sa lecture de Don Quichotte.
02:53 Au XVIIe siècle, on y voyait une simple farce.
02:55 À partir du XVIIIe, XIXe siècle, on y voit une sorte de symbole de l'homme tragique.
03:00 Et je crois qu'en suivant...
03:01 C'est le côté oignon dont vous parlez.
03:02 Oui, c'est le côté oignon.
03:03 En fait, je pense que le propre des chefs-d'œuvre, c'est qu'on les pèle comme des oignons.
03:07 Et donc, à chaque fois, il y a une couche de sens différente qui apparaît.
03:10 Et aujourd'hui, au XXIe siècle, je crois qu'un roman comme Don Quichotte prend une nouvelle actualité.
03:16 C'est-à-dire que ces mondes virtuels, cette réalité virtuelle dans laquelle vit Don Quichotte...
03:21 L'exemple le plus flagrant, il est bien connu, c'est l'attaque contre des moulins à vent...
03:25 La scène que vous connaissez tous, en fait.
03:27 ... qu'il prend pour des géants.
03:28 Et bien, c'est comme s'il avait un masque de réalité virtuelle sur lui et qu'il voyait autre chose que de la réalité.
03:35 Et en même temps, il n'est pas complètement dupe.
03:37 Alors, c'est ça.
03:38 Alors, ça, c'est la grande beauté.
03:39 C'est le mystère.
03:40 Et c'est tout ce qui fait que la profondeur de ce roman, c'est qu'on découvre...
03:44 Au début, on croit que Don Quichotte est en fait un fou, quelqu'un qui se laisse prendre à ses lectures.
03:50 Et en fait, on découvre peu à peu que c'est beaucoup plus compliqué que ça.
03:53 Et qu'il n'est pas tout à fait dupe de ses propres illusions.
03:56 Et du point de vue là, Don Quichotte devient un personnage extrêmement complexe dans lequel le lecteur peut se projeter.
04:02 Et c'est ce qui fait de cette œuvre une œuvre qui embarque le lecteur dans une aventure dans laquelle il devient lui-même Don Quichotte, en vérité.
04:09 Pourquoi est-ce que Don Quichotte William Marx est considéré comme l'un des plus grands chefs-d'œuvre de la littérature mondiale ?
04:16 Quand on fait des listes, des canons comme vous l'écriviez dans un article, lorsqu'on fait des listes des grands livres de la littérature mondiale, il y a toujours Don Quichotte.
04:26 Oui, il fait partie des dix livres les plus traduits dans le monde.
04:31 Il est traduit en 140 langues.
04:33 Enfin, c'est assez incroyable.
04:34 Et le succès a été européen et mondial dès le départ.
04:40 Je crois parce que c'est justement le roman qui met en scène la puissance même de la littérature.
04:45 Comme aucun autre roman ne l'a jamais fait.
04:48 Pour la première fois, quelqu'un, Cervantes, essaie de dire quelle est la puissance même du roman.
04:55 Et il nous fait rentrer dans la puissance de l'imagination.
04:57 Et pourtant, il ne revendique pas complètement la paternité du roman.
05:02 Il laisse planer le doute sur est-ce qu'il est l'auteur ? Est-ce qu'il a traduit un texte ?
05:05 Et puis il écrit aussi, Cervantes, je le cite, il vient d'offrir au public un livre sec comme la paille, pauvre d'intention, dénué de style, médiocre en jeu d'esprit, dépourvu d'érudition et d'enseignement.
05:16 Pourquoi cette modestie ? C'est une pause ?
05:18 C'est tout Cervantes et c'est tout l'intérêt du roman.
05:21 C'est-à-dire que justement, le principe même de ce roman Don Quichotte, c'est de, à la fois d'être le premier roman moderne qu'on vient de lire, mais d'être le premier roman moderne parce que c'est aussi le dernier des romans.
05:30 C'est le premier roman qui dit qu'il est un roman.
05:33 Le premier et le dernier.
05:34 Le premier et le dernier, à cet égard.
05:36 Il invente cette manière de construire une histoire tout en disant que, attention, je ne suis qu'une affabulation.
05:45 Je ne suis que quelqu'un qui raconte une histoire qui a été racontée par quelqu'un d'autre.
05:48 Et en fait, je suis là un personnage de mon roman.
05:53 Et donc, en fait, on est dans un roman qui invite le lecteur à entrer dans l'ère du soupçon.
05:59 Cette ère du soupçon qui a été l'ère de tout le roman contemporain.
06:02 Je pense à Nathalie Sarraud.
06:03 Je pense au nouveau roman.
06:06 Et donc, on est vraiment dans quelque chose qui détruit le roman tout en inventant une nouvelle manière de faire le roman.
06:11 Pourquoi est-ce qu'il n'y a pas de Don Quichotte sans Chopin ?
06:15 Alors ça, c'est le génie de Cervantes qui, du reste, avait commencé sa carrière comme auteur de théâtre.
06:20 Au début, il voulait faire un Don Quichotte qui était tout seul, solitaire, qui marchait sur les chalets de la Manche.
06:25 Et puis, au bout de 40 pages, il s'est dit "non mais je vais lui adjoindre quelqu'un".
06:27 Et comme ça, on a ce Sancho Panza qui est un valet de ferme qui devient l'écuyer de ce faux chevalier qu'est Don Quichotte.
06:33 Et tout l'intérêt du roman va être ces dialogues permanents entre Sancho Panza et Don Quichotte.
06:39 Et on ne peut pas dire que Sancho Panza est un personnage secondaire.
06:42 On ne peut pas imaginer l'un sans l'autre.
06:44 Et peu à peu, Sancho Panza va prendre une importance et même une profondeur à l'intérieur du roman.
06:49 Il va devenir beaucoup plus intelligent presque que Don Quichotte et un personnage aussi dans lequel on peut se projeter.
06:54 On peut dire que Sancho Panza représente le peuple à côté de Don Quichotte.
06:59 Don Quichotte est celui qui est cultivé.
07:01 Et Sancho Panza va représenter la puissance même de création populaire à partir du langage, la sagesse populaire.
07:09 Et c'est un personnage d'une drôlerie incroyable.
07:11 Vous dites que c'est le roman de la littérature et en même temps, à plusieurs reprises, il a été rendu fou par les livres.
07:16 Vous le dites, vous l'expliquez. Et à plusieurs reprises, revient l'idée quand même que la littérature et la fiction, c'est ça qui peut nous sauver.
07:24 Vous dites que c'est le point fixe autour duquel on peut dérouler sa vie avec l'assurance du salut.
07:28 Il y a plusieurs pages sur ce sujet. On comprend même à la fin, quand le monde s'écroule autour de vous,
07:32 quand il n'y a plus de transcendance à laquelle vous raccrochez,
07:35 Don Quichotte peut encore inspirer tous ceux qui veulent faire de la littérature et de la fiction un point fixe de leur existence.
07:39 Ça veut dire que Don Quichotte va nous sauver.
07:41 Je crois que c'est le message.
07:42 Servantes écrit ce chef d'œuvre à un moment où tout s'écroule en Europe.
07:48 C'est à dire que la Terre est délogée de sa position centrale dans l'univers par Copernic.
07:53 Il y a le catholicisme qui se divise avec les protestants et les réformés.
07:59 C'est paradoxal.
08:01 Et donc, toutes les illusions sur lesquelles marchait l'Europe s'écroulent à ce moment-là.
08:08 Servantes écrit un roman qui, au contraire, met en jeu la puissance de l'illusion,
08:13 qui à la fois dénonce l'illusion, c'est ça le premier objet,
08:16 et deuxième chose, dit que l'illusion est indispensable au bout du compte pour vivre.
08:20 Nous avons tous besoin d'une illusion.
08:22 Alors, l'illusion, c'est un terme un peu négatif, mais on peut dire aussi, on peut lire le terme d'utopie.
08:27 L'utopie, c'est l'idéalisme.
08:28 En fait, Don Quichotte est un idéaliste, c'est un justicier et il devient un homme extraordinaire.
08:33 Il devient un héros.
08:33 Lui, l'anti-héros, il a plus de 50 ans, il n'a rien de beau en lui, ce n'est pas un premier rôle.
08:40 Et il devient, par la force de l'utopie, par la force de l'idéal,
08:43 il devient un héros en lequel chacun peut s'identifier.
08:46 Il y a de nombreux auditeurs qui veulent vous poser des questions
08:49 et on va les rejoindre au Standard dans un instant, William Marx.
08:52 Mais vous revenez du Maroc et avant d'entrer dans ce studio,
08:56 vous disiez que Don Quichotte, c'est un roman méditerranéen.
09:00 C'est le roman méditerranéen par excellence.
09:02 Pourquoi ?
09:02 D'abord, par l'histoire de son auteur, Cervantes,
09:05 qui a été prisonnier des geôles d'Alger pendant 5 ans.
09:08 Et puis, c'est un roman qui met en scène tous ces rapports,
09:11 toutes ces relations entre le Sud et le Nord de la Méditerranée,
09:14 entre l'Espagne et les morts, les arabo-berbères qui sont en Afrique du Nord.
09:19 Et on voit, en particulier, il y a cette implication,
09:22 on voit apparaître ces personnages des "maux-risques",
09:24 c'est-à-dire les morts, les arabo-berbères qui étaient en Espagne,
09:28 qui avaient été convertis de force à la catholisme
09:30 et qui ensuite, en 1609, ont été chassés d'Espagne
09:34 et se sont réfugiés en France, en Allemagne et aussi du reste.
09:38 Ils sont retournés au Maghreb et je reviens de Rabat.
09:41 Et on voit effectivement ces "maux-risques"
09:43 qui ont construit la casbah des Zoudeya à Rabat.
09:46 Et le souvenir même de Cervantes est très présent
09:50 dans tous les livres qui parlent de l'Afrique du Nord
09:51 parce que c'est vraiment un personnage et un auteur
09:54 qui a traversé les deux rives de la Méditerranée.
09:57 Bonjour Christian !
09:58 Oui, bonjour !
09:59 Et bienvenue dans le Grand Entretien d'Inter.
10:02 Vous avez une question pour notre invité William Marx ?
10:04 Oui, tout à fait.
10:05 Je me suis réintéressé à l'œuvre de Cervantes assez récemment.
10:08 Alors que le premier contact, ça avait été enfant
10:10 et je l'avais trouvé ridicule comme personnage,
10:12 donc je l'avais abandonné.
10:13 C'était l'époque où j'idéalisais plutôt les chevaliers.
10:16 Et je trouvais qu'il ridiculisait les chevaliers, évidemment,
10:19 comme Ivanhoe par exemple.
10:21 Et c'était...
10:22 Alors aujourd'hui, avec le regard d'aujourd'hui
10:23 et puis l'époque dans laquelle on est,
10:25 je me demandais...
10:25 En fait, je trouve que les femmes sont peu représentées dans son œuvre
10:29 ou alors à travers le personnage de la Cervante
10:32 qui rejoint Don Quichotte dans la grange en pleine nuit
10:36 et en fait, il confond, il prend ses cheveux,
10:40 alors il les trouve soyeux alors qu'ils sont comme de la paille, etc.
10:44 Son vêtement qu'il trouve aussi également très doux,
10:47 comme de la soie alors que c'est une vulgaire toile de jute.
10:50 Vous voyez ce que je veux dire ?
10:51 Christian, justement, William Marx va vous répondre
10:54 parce qu'il y a une dimension féministe dans ce roman.
10:56 Oui, tout à fait.
10:57 Alors c'est vrai, je pense que l'auditeur a raison.
10:58 Il y a ce personnage de Mary Stern, la Cervante,
11:01 qui est un personnage un peu ridicule,
11:02 mais il y a d'autres personnages de femmes qui sont là présents.
11:05 Alors je ne parle pas de Dulcinet, qui est une imagination de Don Quichotte,
11:08 mais il y a des personnages de femmes puissantes,
11:09 pour parler comme Léa Salamé, comme Dorothée,
11:12 qui sont des femmes oppressées, en fait,
11:15 des femmes qui ont été violées ou fait l'assaut d'hommes
11:18 et qui essaient d'échapper au patriarcat.
11:21 Et en particulier, il y a ce discours de cette jeune Marcel,
11:26 elle s'appelle, qui veut échapper à un poursuivant
11:29 qui veut absolument l'épouser.
11:31 Et elle reprend sa liberté, elle se fait bergère
11:34 et elle tient un discours extrêmement féministe.
11:36 Elle est défendue par Don Quichotte quand elle dit
11:38 "non, non, mais ce n'est pas parce que vous m'aimez,
11:40 c'est parce qu'un homme m'aime que je suis obligé de répondre à cet amour".
11:43 Et elle tient un discours féministe qui est absolument soutenu par Don Quichotte.
11:47 Et d'autres personnages de femmes sont là, très présents.
11:49 Et en fait, les hommes, en bout du compte, sont très ridicules dans ce roman.
11:53 Et en dehors de Mary Stern,
11:54 les femmes qui sont là sont des femmes très fortes
11:56 et des femmes qui se rebellent contre la société
11:58 et qui essaient de vivre un idéal féminin, un idéal d'émancipation
12:02 qui est celui du reste qui est défendu par Don Quichotte.
12:04 À propos d'idéal, il y a une morale un peu dans cette histoire.
12:07 William Marx, on a un chevalier généreux, idéaliste
12:09 qui va secourir les plus faibles, en tout cas c'est son objectif.
12:13 Ça ne fonctionne pas toujours, voire parfois jamais,
12:15 mais il se rend compte, parfois, qu'il joue au chevalier.
12:18 La leçon de tout ça, c'est qu'il faut s'engager, même en vain,
12:21 même quand on se rend compte qu'on est parfois ridicule.
12:24 C'est un livre sur l'engagement et sur l'idéalisme.
12:26 À la fois sur le bonheur de l'idéalisme,
12:28 c'est-à-dire qu'effectivement, on a besoin d'avoir un objectif de justice, de bonté,
12:34 et c'est comme ça qu'on peut devenir un héros.
12:36 Mais c'est aussi un livre sur les dangers de l'idéalisme.
12:39 C'est-à-dire que l'idéalisme nous amène souvent à transformer la réalité,
12:44 à ne pas voir ce qu'il y a réellement.
12:46 Et donc on se heurte, en tant qu'idéaliste, souvent aux contraintes mêmes de la réalité.
12:50 - Et puis il y a l'histoire de ce jeune homme, qui essaye de sauver,
12:53 et puis qui voit ses coups de fouet doublés par sa faute.
12:56 - Voilà, c'est le premier exploit de Don Quichotte.
12:58 Il voit quelqu'un qui est battu, et c'est quelqu'un qui est battu injustement par son patron.
13:03 Et il croit sauver ce jeune homme, mais il s'en va en pensant "Ah oui, ça y est, j'ai arrêté l'affaire".
13:09 Et dans son dos, tout d'un suite, le patron reprend de plus belle et manque de faire mourir ce jeune homme.
13:15 Et donc en fait, quand on s'engage, il faut aussi pousser jusqu'au bout son engagement,
13:19 il faut aussi penser aux conséquences de son action.
13:22 Et c'est ce que peu à peu apprend Don Quichotte. Et nous apprend en tout cas.
13:25 - Et malheureusement, ou en tout cas, peut-être heureusement,
13:27 d'autres restent dans l'ordre de l'utopie des illusions.
13:31 Che Guevara, en quittant Cuba après la Révolution,
13:34 écrit une lettre qui est restée dans les mémoires à Fidel Castro.
13:37 Et il lui dit qu'il va monter sur "Rossinante".
13:40 Rossinante, c'est le nom du cheval de Don Quichotte.
13:42 Comme s'il avait la conscience que l'utopie, l'illusion, l'idéalisme étaient vains peut-être.
13:50 - Je crois que c'est Bolivar qui, sur son lit de mort, disait qu'il y a trois grands héros auquel il est dit.
13:58 Il y a le Christ, il y a Don Quichotte, etc.
14:00 Les grands hommes politiques se sont toujours à un moment confrontés à cette image de Don Quichotte.
14:04 C'est-à-dire qu'on essaie d'entrer dans une action idéaliste, de changer le monde.
14:08 Et au bout du compte, le monde vous rattrape.
14:09 - Mais nous avons besoin de mythes.
14:11 - Mais on a besoin de mythes. C'est exactement ce que disait Paul Valéry.
14:15 Que serions-nous sans le secours de ceux qui n'existent pas ?
14:18 Que serions-nous sans le secours de ceux qui n'existent pas ?
14:20 C'est-à-dire que nous avons besoin, pour faire sens de notre existence,
14:23 nous avons besoin d'un mythe.
14:24 Alors pour certains, c'est la religion, pour certains, c'est l'engagement politique.
14:26 Et on peut avoir l'un et l'autre.
14:29 Mais l'essentiel, c'est qu'on a besoin de ces mythes pour agir.
14:31 On a besoin de s'identifier à des modèles.
14:33 C'est aussi ça que nous dit Don Quichotte.
14:34 On a besoin de...
14:35 Et c'est pour ça que les romans sont très importants.
14:37 Parce que les romans aussi nous donnent une manière de nous engager,
14:40 de trouver des modèles pour notre vie.
14:43 Mais il faut aussi être capable de remettre ces modèles à leur place.
14:47 Et l'ambiguïté de Don Quichotte, c'est ça.
14:49 C'est-à-dire qu'on a besoin des mythes,
14:50 mais en même temps, il faut savoir que ce ne sont que des mythes.
14:53 Et c'est cette complexité du roman qui le rend si extraordinaire.
14:57 - Il y a beaucoup de questions sur l'application France Inter,
14:59 notamment celle de Marie qui demande s'il existe des adaptations pour enfants de Don Quichotte.
15:03 - Énormément en fait. Beaucoup de traductions.
15:04 Il y a beaucoup de textes, de versions pour enfants.
15:07 Et malheureusement, je trouve que Don Quichotte,
15:09 c'est un livre formidable à lire dans l'enfance.
15:11 Et comme disait l'auditeur tout à l'heure,
15:12 on peut avoir une première lecture comme enfant, si on y voit une simple farce.
15:15 Mais en vérité, je crois qu'on en découvre tout le sel et toute la profondeur
15:20 que lorsqu'on est véritablement adulte.
15:23 Et donc, je crois que c'est un livre pour tous les âges. Vraiment.
15:25 - Intervention de Geoffrey sur l'application France Inter.
15:28 Parler de Don Quichotte alors que le Moulin Rouge a perdu ses ailes hier, c'est cocasse.
15:32 Il y a quelques interventions dans ce sens-là. Ça vous fait sourire ?
15:36 - Mais oui, c'est vrai. C'est un peu la fin d'un mythe.
15:37 Là, on a l'impression avec le Moulin Rouge.
15:40 Mais le fait est que nous sommes ici dans le monde des images.
15:44 Et donc, voilà, il faut savoir que les images ne sont que des images.
15:48 Et elles sont parfois sujettes à la mortalité également.
15:51 - Il y a un mystère. Est-ce que Cervantes a rencontré Shakespeare ?
15:55 C'est l'un des mythes justement qui entoure la vie de ces deux personnages.
16:01 Et c'est assez curieux. Nous sommes au mois d'avril.
16:05 Le 23 avril, c'est le jour de la mort de Shakespeare.
16:09 La veille, le 22 avril, c'est la mort de Cervantes.
16:13 - Oui, c'est vrai.
16:14 - C'est une coïncidence troublante.
16:16 Mais vous insistez là-dessus parce que c'est comme s'il y avait une sorte de hasard objectif.
16:20 - Exactement. En fait, il y a une sorte de coïncidence entre les deux dates des morts
16:24 des deux plus grands, le plus grand écrivain de la littérature espagnole
16:26 et le plus grand écrivain de la littérature anglaise.
16:28 - En 1616.
16:29 - Cervantes, Shakespeare. Donc en 1616, ils meurent à quelques jours de distance.
16:33 Cervantes est enterré le jour même de la mort de Shakespeare.
16:38 Et en fait, les historiens de littérature, c'est l'un des grands mystères,
16:40 se demandent s'ils ne se seraient pas croisés.
16:43 Parce que en 1605, il y avait des grandes fêtes à Valladolid où l'ambassadeur...
16:47 - C'est là qu'habitait Cervantes.
16:48 - Voilà. Cervantes habitait à ce moment-là à Valladolid.
16:51 Et l'ambassadeur d'Angleterre arrive à Valladolid, peut-être accompagné de Shakespeare.
16:58 Et il y avait du reste à ce moment-là.
17:00 La première partie de "Don Quichotte" était déjà parue.
17:02 Il y avait déjà des spectacles, burlesques, des mascarades
17:04 où apparaissait déjà le personnage de Don Quichotte et de Cervantes.
17:07 En tout cas, ce qu'on sait, peut-être se sont-ils rencontrés, on ne sait pas.
17:10 Mais ce dont on est sûr, c'est que Shakespeare a lu "Don Quichotte".
17:14 Et il a écrit une pièce qui était inspirée d'un des épisodes de "Don Quichotte", "Cardénio".
17:20 Pièce qui est malheureusement perdue.
17:23 Et ce qui est assez fascinant dans cette histoire,
17:24 vous parliez de hasard objectif, ou à la manière des surréalistes,
17:26 mais c'est vrai que cette coïncidence entre ces deux grands personnages,
17:30 grands héros des littératures,
17:32 nous dit quelque chose de la littérature européenne qui se construit à ce moment-là.
17:35 Et donc, ce sont ces deux grands monstres, au bout du compte, des littératures européennes,
17:41 qui nous disent quelque chose d'un rapport à la fiction, à la littérature.
17:47 Et cette date du 23 avril pourrait être...
17:51 Elle a été prise par l'Union Européenne comme une date de la journée mondiale de la lecture.
17:56 - Mais vous lancez un appel à l'UNESCO pour en faire !
17:59 - Oui, il faut en faire une journée de l'Europe, de la littérature, de la littérature européenne.
18:04 Et du reste, les Français peuvent se mettre dedans,
18:08 puisque c'est en France que le succès de "Don Quichotte" s'est fait en très grande partie.
18:13 C'est là qu'il y a eu le plus de traductions, dès le départ.
18:15 - Parlons d'Europe, justement, puisque vous êtes aussi un grand spécialiste de Paul Valéry,
18:19 que vous citez d'ailleurs à propos des mythes dans votre livre "Un été avec Don Quichotte".
18:23 Paul Valéry qui a été cité hier par le président de la République, par Emmanuel Macron,
18:27 il commence même son discours avec ça, il dit "Nous devons être lucides aujourd'hui
18:30 sur le fait que notre Europe est mortelle".
18:33 Est-ce qu'on peut faire des parallèles entre l'Europe de Paul Valéry et la nôtre ?
18:37 - L'Europe de Paul Valéry, c'est en 1919 que Paul Valéry dit que "Nous autres civilisations ne sommes mortelles".
18:42 Il pense à l'Europe, on sort de la Première Guerre mondiale
18:44 et on est dans un monde où les peuples européens, les nations européennes,
18:48 sont en lutte les unes contre les autres.
18:51 Alors aujourd'hui, d'autres enjeux sont là, c'est-à-dire que effectivement,
18:55 Paul Valéry parle aussi de l'émergence des autres mondes autour de l'Europe,
18:58 et on voit bien avec la Chine, l'Amérique et puis l'Afrique aussi qui est là,
19:02 et que nous devons exister aussi en tant que continent et en relation avec ces continents.
19:07 Et je crois que l'importance, nous parlions des mythes ici,
19:10 l'Europe, ce n'est pas seulement un mythe d'origine,
19:12 parce que je pense que les mythes d'origine doivent toujours être dépassés,
19:15 mais c'est un mythe à venir, et c'est ça l'avantage des mythes,
19:18 et les mythes ce sont des idéaux, des buts que nous avons devant nous,
19:23 et des utopies que nous avons à construire.
19:25 Et Valéry n'a cessé toute sa vie durant de vouloir construire cette Europe de l'esprit,
19:30 cette Europe d'union entre les intellectuels,
19:32 par l'esprit, par les avancées de la recherche, de la science, de la littérature...
19:36 Est-ce qu'elle est encore juste comme objectif ?
19:38 Parce que hier dans le discours du Président, on entend l'économie, on entend la défense,
19:42 on n'entend pas beaucoup l'esprit, est-ce qu'aujourd'hui encore,
19:44 vous en appelez vous à l'Europe de l'esprit ?
19:45 C'est absolument fondamental, et si je publie aujourd'hui cet été avec Don Quichotte,
19:48 c'est justement pour dire qu'on ne peut pas penser la littérature européenne,
19:53 et non plus la littérature mondiale, sans une œuvre étrangère,
19:56 qui est ce chef-d'œuvre de la littérature espagnole, et européenne, et mondiale,
20:00 qui est Don Quichotte, et qu'en fait nous sommes traversés
20:04 par un ensemble de cultures, de langues étrangères, de littératures étrangères,
20:07 qui nous construisent, et qui peuvent continuer à nous faire penser.
20:12 Donc si on met les sous-titres à ce que vous dites, William Marx,
20:15 le président de la République a fait une comparaison,
20:17 et comparaison n'est pas raison avec Valéry,
20:19 puisque Valéry écrit que l'Europe et les civilisations sont mortelles,
20:23 à un moment dramatique et tragique de l'histoire,
20:26 le président de la République a un autre moment qui est peut-être moins dévasté,
20:29 moins dévastateur.
20:31 Mais je pense que ce que disait aussi Valéry,
20:33 c'est qu'il fallait faire vivre un idéal européen.
20:36 Et donc il ne faut pas seulement se dire,
20:38 l'Europe ne doit pas être seulement, comment dire,
20:40 une sorte de recours contre un danger qui nous menace.
20:42 Il faut aussi voir l'Europe de manière positive, au bout du compte,
20:45 comme quelque chose que nous pouvons faire advenir,
20:47 et du reste la construction européenne, depuis tant de décennies,
20:51 se fait selon des modèles qui n'existent nulle part ailleurs.
20:53 Alors certains disent, mais alors c'est un problème,
20:56 parce que ça n'existe nulle part.
20:57 Mais justement, c'est parce que ça n'existe nulle part ailleurs,
20:59 que nous devons le faire.
21:00 Parce que cette union entre des nations qui déplaitent tant aux nationalistes,
21:05 avec quelque chose qui est une entité politique,
21:08 qui permet de rassembler toutes ces pensées, toutes ces politiques,
21:12 c'est quelque chose qui n'existe nulle part ailleurs,
21:15 et qui peut nous faire avancer vers un autre horizon.
21:18 Et c'est justement l'inexistence qui nous amène à l'existence.
21:21 On retourne au standard. Bonjour Aurélien !
21:24 Oui, bonjour.
21:25 Merci.
21:25 Je vous appelais, je voulais savoir si pour William Marx,
21:29 la littérature devait rester de l'art pour l'art,
21:32 comme l'était un petit peu le nouveau roman,
21:35 ou si au contraire, elle devait être engagée
21:38 pour nous apprendre des choses sur les luttes politiques en cours dans le monde ?
21:43 Merci pour votre question.
21:44 Je pense qu'elle peut faire les deux.
21:45 C'est-à-dire qu'on peut lire des œuvres littéraires
21:48 qui sont là pour développer la forme pure et la beauté, etc.
21:53 Et c'est magnifique.
21:54 On a besoin aussi de ces moments-là.
21:56 Et puis, il y a des œuvres littéraires,
21:57 et actuellement, elles sont là de plus en plus présentes,
22:00 des œuvres engagées, des œuvres d'autofiction.
22:01 On parlait du livre d'Edouard Louis,
22:03 Monique Sévade, à l'instant.
22:05 Et donc, qui essaie de s'engager dans le monde,
22:08 de parler des violences du monde.
22:10 Et je crois que...
22:10 Vous, vous parlez même de lutte des classes à propos de Don Quichotte.
22:13 C'est vrai qu'elle est déjà présente à l'intérieur de Don Quichotte,
22:15 effectivement, Sancho Panza revendique d'être payé.
22:18 Il demande à Don Quichotte,
22:19 "Mais est-ce que les éculiers des chevaliers étaient payés comme des maçons ?
22:22 Est-ce que vous allez me payer à la journée ou au mois ?"
22:24 Donc, effectivement, le réalisme...
22:27 Don Quichotte est un roman hyper réaliste.
22:28 Ce n'est pas un roman sur l'idéalisme,
22:30 mais c'est un roman qui s'inscrit dans les réalités du temps.
22:33 Et Cervantes dénonce, en fait,
22:36 tout ce qui est laissé de côté par l'ensemble des romans habituels.
22:40 C'est-à-dire à la fois, est-ce que les éculiers sont payés ?
22:42 Est-ce que les héros font leur besoin naturel ?
22:45 C'est aussi une question.
22:47 Et donc, le rôle de la...
22:49 C'est une vraie question.
22:50 C'est à la fois très drôle et aussi très important.
22:52 C'est-à-dire que le rôle de la littérature, c'est de phagocyter le réel, en fait.
22:56 De faire du réel une matière littéraire.
22:59 Et beaucoup de choses échappent à la littérature.
23:00 Et les écrivains, les écrivaines, sont là aussi pour faire entrer dans les œuvres
23:06 des choses qui jusque-là n'avaient pas le droit de citer.
23:08 Il nous reste très peu de temps, William Marx.
23:10 On file au standard.
23:11 Catherine, vous posez une question qui est partagée par de très nombreux auditeurs.
23:17 Catherine ?
23:18 Allô Catherine ?
23:19 Oui, oui, bonjour.
23:21 Bonjour, vous m'entendez ?
23:22 Vous êtes en direct ?
23:23 Oui, on vous entend parfaitement.
23:24 Très bien, je trouve passionnant ce que dit votre invité.
23:28 Je le remercie et je vous remercie d'ailleurs au passage.
23:31 Je voulais lui demander, puisqu'il existe beaucoup de traductions de l'épopée de
23:36 Don Quichotte, s'il pouvait, s'il avait envie, recommander une particulière d'expliquer
23:42 un petit peu pourquoi ?
23:44 Merci.
23:45 Alors écoutez, les trois traductions qui sont présentes, soit en folio ou au livre
23:51 de poche et au seuil, qui sont présentes sur le marché, sont toutes excellentes.
23:54 Personnellement, j'ai utilisé pour les émissions "Un état de Don Quichotte" et pour le livre
23:58 la traduction d'Aline Schulman, au seuil, parce que c'est sans doute celle qui est
24:01 la plus directement lisible pour quelqu'un qui ne connaît rien aux langues anciennes.
24:07 C'est celle que je recommanderais pour une première lecture.
24:09 Merci infiniment William Marx.
24:11 Il y a cette phrase où vous parlez de Don Quichotte et où vous dites que c'est devenu
24:16 une évidence ce roman, un monument littéraire aussi irréfutable que le son pour l'architecture,
24:21 le Parthénon et les pyramides d'Egypte ou la Joconde en peinture.
24:25 Et cette évidence, ça n'est qu'un mirage rétrospectif.
24:28 Don Quichotte aurait pu ne jamais exister.
24:31 Et ça, c'est une vérité sur laquelle aimait insister Paul Valéry.
24:35 Merci infiniment d'avoir été l'invité de France Inter.
24:37 "Un été avec Don Quichotte" s'est donc publié aux éditions Équateur en partenariat
24:43 avec France Inter.
24:44 On le recommande chaleureusement.
24:46 Bonne journée.