Marc Dugain : "On a voulu voir Poutine comme un politique, c'est un mafieux, un voyou"

  • il y a 7 mois
Aujourd'hui dans le grand entretien, nous recevons Marc Dugain, romancier et réalisateur, co-auteur de “L’orgie capitalistique” (Allary Editions).

Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end

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Transcription
00:00 8h22 sur Inter.
00:02 France Inter.
00:04 Alibadou.
00:05 Marion Lourds.
00:06 Le 6/9.
00:08 Le grand entretien ce matin avec Marion Lourds.
00:11 Nous recevons un homme qui a eu plusieurs vies.
00:14 Romancier, réalisateur, essayiste, auteur à succès.
00:18 On pense à « La chambre des officiers » de Tsunami.
00:20 Il a écrit sur le directeur historique du FBI Edgar Hoover.
00:25 Et ça n'est pas anecdotique.
00:27 Et il publie « L'orgie capitaliste ».
00:29 C'est un livre d'entretien mené par le journaliste Adrien Rivière.
00:33 C'est publié chez Alari Éditions.
00:35 Un livre sur notre époque.
00:37 Un livre sur la catastrophe écologique qui a déjà commencé.
00:40 Sur la révolution numérique à laquelle il a déjà consacré deux essais.
00:45 Bonjour Marc Duguin.
00:47 Bonjour.
00:48 Et bienvenue.
00:49 Vous pourrez dialoguer avec les auditeurs d'Inter au 01 45 24 7000
00:54 pour vous poser des questions, pour intervenir,
00:56 pour vous contredire, dialoguer, débattre avec vous
00:59 ou sur l'application France Inter.
01:02 On va partir d'un sujet que vous connaissez bien,
01:04 sur lequel vous avez beaucoup écrit et travaillé.
01:07 C'est la Russie, l'élection présidentielle en Russie.
01:11 Marc Duguin, vous êtes interdit de séjour en Russie depuis 15 ans ?
01:16 À peu près.
01:17 Je crois que tout a commencé quand j'ai fait mon enquête sur la tragédie du cours.
01:22 Vous savez, ce sous-marin qui a explosé en mer de Barents.
01:27 Et c'est là qu'a eu lieu mon premier contact avec Poutine, d'une certaine façon.
01:34 C'est-à-dire que je me suis retrouvé un matin à la morgue de Moscou.
01:39 Et j'ai vu les cadavres des 23 jeunes qu'il a laissés mourir dans le bateau,
01:44 alors qu'ils étaient par 100 mètres de profondeur.
01:46 100 mètres de profondeur, c'est le record du monde d'apnée à peu près.
01:50 Donc on pouvait aller les chercher, on pouvait les chercher ces 23 marins.
01:54 Et il n'a pas voulu pour différentes raisons.
01:56 Il ne voulait pas que les Occidentaux interviennent, ça c'est la première raison.
02:01 Et la deuxième, c'est qu'il ne voulait pas que, si ces survivants s'exprimaient,
02:06 ils donnent une version différente de celle que lui préparait.
02:10 Et ce qui était incroyable, c'est que j'ai vu ces cadavres assez longtemps après le naufrage du Koursk,
02:18 parce qu'il ne voulait pas non plus rendre les cadavres aux familles,
02:21 parce qu'il avait peur que les cadavres parlent par eux-mêmes.
02:24 Donc ça montre toute la personnalité.
02:26 Et c'est là que j'ai pris la mesure de l'ampleur du personnage à l'époque.
02:30 - Marc Duguin, parce que je le disais, vous aviez donc publié une exécution ordinaire.
02:35 Et donc c'était un livre sur le naufrage de ce sous-marin, le Koursk K141.
02:41 Ça a eu lieu le 12 août 2000.
02:43 Ce jour-là, Poutine est en vacances.
02:45 Il refuse toute forme de secours, vous le disiez, à cet instant.
02:50 C'est un homme qui est capable de ça, et donc capable du pire.
02:55 Et pour vous, c'est la manière d'entrer dans sa psychologie,
02:59 puisque vous avez une analyse du pouvoir qui passe toujours par la psychologie humaine.
03:04 - Il m'a beaucoup intéressé, comme m'avait beaucoup intéressé Staline.
03:08 D'ailleurs, une exécution ordinaire qui a donné lieu aussi à un film après,
03:13 qui était plus sur Staline.
03:15 C'était une façon d'essayer de comprendre, parce que pour un romancier,
03:18 ce sont des personnages évidemment monstrueux, mais fascinants.
03:22 Quels sont les ressorts psychologiques d'un Poutine qui...
03:26 Je pense que sur Poutine, il y a eu une erreur d'analyse depuis le début.
03:30 C'est-à-dire que fondamentalement, on a voulu le voir comme un homme politique, nationaliste.
03:36 C'est fondamentalement un voyou.
03:38 C'est fondamentalement un mafieux.
03:41 C'est un totorina avec la bombe atomique.
03:43 Et ça, on ne l'avait jamais vu.
03:45 Moi, je me souviens d'un coordinateur du renseignement adjoint,
03:50 qui avait eu cette phrase très intelligente à l'époque, qui avait dit
03:53 "Méfiez-vous, on est en train de se focaliser sur l'islamisme radical".
03:58 Et d'une certaine façon, on avait raison de le faire.
04:01 Mais ce qu'on oublie, c'est l'entrée des mafias dans les systèmes politiques.
04:06 Et avec Poutine, on a cette espèce de convergence à la fois mafieuse liée au service secret,
04:13 ce qui, à la fin du KGB, le KGB à la fin était déjà une mafia.
04:18 Et il a pris le pouvoir sur les oligarques, sur la mafia-mafia, sur l'armée.
04:25 Et aujourd'hui, on se retrouve avec un totorina.
04:27 Vous vous souvenez du totorina qui avait fait exploser le juge Falcone,
04:31 qui a simplement comme arme l'arme atomique.
04:34 C'est un mafieux italien qui avait fait assassiner ce juge qui était à la tête de l'opération,
04:39 main propre, manipulité.
04:41 Et c'était un attentat absolument dramatique.
04:44 D'un mot, parce que Vladimir Poutine est souvent présenté comme un monstre.
04:47 Chez vous, la manière dont vous le décrivez, c'est plutôt un homme ordinaire.
04:53 Et c'est ce côté ordinaire qui le rend particulièrement dangereux, Marc Dugain.
04:57 Il est ordinairement mauvais.
05:00 Ordinairement mauvais, ça veut dire quoi ?
05:02 Il y a quelque chose du mal qui est très commun, finalement, mais poussé à son paroxysme.
05:08 Mais je pense quand même qu'il y a quelque chose de psychotique chez lui,
05:13 une sorte de paranoïa qui s'est installée.
05:16 Et vous savez, le problème, c'est que quand vous êtes un dictateur,
05:19 que vous êtes devenu un dictateur, plus personne ne vous contredit.
05:23 Et quand il n'y a plus de contradiction, on rentre dans la psychose.
05:26 Et donc là, on a quelqu'un de totalement psychotique en face de nous.
05:30 Alors justement, vous le décrivez comme un voyou,
05:32 vous parlez d'une sorte de banalité du mal, en quelque sorte, en ce qui concerne Poutine.
05:36 Est-ce que enfin, la France, par exemple, prend enfin la mesure de ça ?
05:40 Je vous dis ça parce que ce matin, il y a le président de la République, Emmanuel Macron,
05:43 qui répète dans Le Parisien qu'il est favorable à l'envoi de troupes au sol en Russie.
05:48 Peut-être qu'à un moment, il faudra des opérations sur le terrain, quelle qu'elles soient.
05:51 La force de la France, c'est que nous pouvons le faire, dit-il.
05:54 Là, il prend enfin la mesure de qui est Poutine ?
05:58 Parce qu'à un moment, il ne fallait pas l'humilier, rappelez-vous.
06:01 C'est toujours la même chose.
06:03 Moi, si vous voulez, j'ai commencé par des articles.
06:06 Je pense que c'est ça qui m'a valu, qu'un ministre a voulu m'emmener en voyage officiel en Russie,
06:11 qu'on lui a dit que c'était hors de question.
06:13 Vous écriviez notamment pour les Échos.
06:15 J'ai écrit pour les Échos pendant 9 ans. Dans le 1 d'Éric Fautorino,
06:20 j'ai fait beaucoup de papiers sur Poutine dès le début, en essayant d'avertir,
06:24 en parlant aux milieux diplomatiques, en tout cas à ceux que je connais dans le milieu diplomatique,
06:28 en leur disant "Attention, là, on a l'émergence d'une personnalité extrêmement toxique,
06:32 et je crois que vous n'en prenez pas la mesure".
06:35 Et tout le monde, c'est toujours pareil dans notre système.
06:38 Après, on va peut-être y revenir, mais tant qu'on fait du business, il y a de l'espoir.
06:44 C'est un peu ça, si vous voulez.
06:46 Donc, l'importance pétrolière, gazéifère de la Russie a fait qu'on s'est dit
06:53 et puis il y a eu cette période aussi, quand il a fait la seconde guerre en Tchétchénie,
06:58 on s'est dit "Bon, c'est un vrai combattant contre les forces du mal".
07:02 Il était dans l'esprit, si vous voulez, de la lutte contre l'islamisme.
07:11 Mais je pense qu'on l'a totalement sous-estimé.
07:15 Et aujourd'hui, évidemment, la réaction est forte,
07:19 parce qu'on voit bien que ça peut se jouer à très peu, la catastrophe.
07:23 À très très peu.
07:25 En plus, je rajouterais quelque chose qui n'est peut-être pas très optimiste pour nos auditeurs,
07:32 c'est quelqu'un qui arrive à un âge, il a 50 ans de plus que moi,
07:36 donc il a déjà un âge assez, pas canonique, mais déjà assez avancé.
07:40 Et à cet âge-là, partir avec le monde, ce n'est pas forcément choquant.
07:47 Donc moi, je suis très inquiet sur sa capacité à déclencher quelque chose d'assez terrifiant.
07:55 Mais donc la France a raison d'afficher maintenant cette position dure,
07:59 cette position que certains trouvent extrême, au risque de l'escalade ?
08:03 Alors, la France a la raison de prendre déjà conscience de qui il est,
08:08 parce que très longtemps, on a été dans le déni à tous les niveaux.
08:11 Maintenant, on est une puissance nucléaire.
08:15 Entre puissance nucléaire, je pense qu'il faut se calmer,
08:19 parce que soit on y va et à ce moment-là, c'est un affrontement direct.
08:24 Mais je pense que le cadre aujourd'hui, c'est l'OTAN.
08:28 C'est-à-dire un pays de l'OTAN est attaqué, oui c'est la guerre.
08:31 Tant qu'un pays d'OTAN n'est pas attaqué, je pense qu'il faut se maintenir
08:36 dans cette position d'aide totale à l'Ukraine,
08:40 mais intervenir directement, ça aurait des conséquences désastreuses.
08:43 On va revenir sur la guerre, mais d'abord filons au standard Marc Dugain.
08:46 Bonjour Christophe !
08:48 Oui, bonjour.
08:49 Et bienvenue sur Inter !
08:51 Merci.
08:52 Moi, je pense que je me demande, tout ça, c'est pas de la com' en fin de compte,
08:57 pour faire passer au niveau du chômage, de la délinquance, enfin voilà quoi.
09:04 Les européennes arrivent, donc moi j'ai l'impression qu'en plus,
09:07 nous n'avons pas du tout les moyens, on n'a en gros qu'un jour de munitions
09:11 pour faire une guerre, donc faire la guerre à la Russie,
09:15 alors pourquoi faire le méchant alors qu'on n'en a pas les moyens ?
09:18 Pourquoi une interrogation ?
09:20 Merci Christophe. Marc Dugain ?
09:22 Là, vous touchez un sujet qui évidemment m'intéresse beaucoup, c'est la com'.
09:28 C'est-à-dire que là, on est depuis un moment dans un gouvernement,
09:32 enfin en tout cas dans une forme d'action politique,
09:35 où le faire semblant et la communication ont pris le pas sur l'action.
09:39 C'est le cas dans l'écologie, et là c'est évident que d'un seul coup,
09:45 cet empressement à quelques mois des européennes a joué les durs.
09:51 Je suis assez persuadé qu'il y a une grosse partie de com', effectivement.
09:54 On va y venir d'ailleurs, à la question écologique, à la question numérique,
09:57 qui sont au cœur de ce livre "L'orgie capitaliste".
10:00 Mais encore un mot sur la guerre, vous dites, allons demander aux Ukrainiens
10:04 si l'homme est grand, justement. Vous avez travaillé sur la guerre,
10:07 et notamment la guerre de 14-18, c'était le sujet de votre livre "La chambre des officiers".
10:13 C'est une guerre qui vous a hanté, et vous dites qu'un jour,
10:16 vous êtes allé dans un colloque international, et vous qui avez étudié la question,
10:20 vous vous êtes trouvé confronté à une question extrêmement simple.
10:23 Pourquoi ? Vous avez étudié la guerre de toutes les manières possibles et imaginables,
10:27 et la seule et pourtant fondamentale question que vous n'arrivez pas à résoudre, c'est pourquoi ?
10:34 - Je dirais que c'est pour moi une question fondatrice et traumatisante.
10:40 Parce que j'ai eu cette expérience qui est très particulière,
10:44 qui n'est pas donnée à tout le monde, c'est d'avoir vécu pendant des années
10:47 avec des gens qui étaient défigurés, mutilés, atrocesment mutilés, de la guerre de 14-18.
10:52 Alors qu'évidemment, j'avais pas l'âge d'être un gueule cassé,
10:56 mais vivant avec mon grand-père, j'ai vu cette horreur,
11:02 et c'est vrai que je n'ai jamais trouvé la réponse.
11:05 C'est-à-dire que, je sais plus, la guerre de 14, c'est plus de 20 millions de morts,
11:11 39-45, je crois qu'on est à 48 millions.
11:14 Il y a ce sentiment profond qui moi m'angoisse et m'inquiète,
11:23 c'est ce sentiment de suicide collectif qui est toujours là.
11:28 Et là, on l'a une nouvelle fois, c'est-à-dire qu'on a beau dire "oui, l'Ukraine, c'est pas nous",
11:34 mais ça recommence.
11:36 Et il y a toujours ce même mépris des dirigeants de leur propre peuple.
11:40 Ce qu'on oublie chez Poutine, c'est la haine profonde qu'il a pour son peuple.
11:45 - Marc Duguin, vous publiez ce livre, "L'orgie capitaliste",
11:49 où il est question aussi de Poutine, mais c'est surtout une dénonciation en règle
11:53 de cette société de consommation qui est devenue centrale, qui est droguée au numérique.
11:57 Vous comparez ça vraiment à de la drogue, à de l'héroïne,
12:00 et puis cette catastrophe climatique qu'on refuse en quelque sorte de voir.
12:04 Alors, on ne l'entend pas à votre ton ce matin, mais vraiment, c'est un livre de colère.
12:08 D'ailleurs, le mot apparaît plusieurs fois dans votre entretien avec Adrien Rivière,
12:11 le mot de colère. Est-ce que la colère, c'est vraiment un bon moteur ?
12:16 - Non, ce n'est pas un bon moteur.
12:18 Ça apparaît comme un livre de colère, mais c'est vrai que quand...
12:22 Je suis beaucoup moins en colère quand j'écris moi-même,
12:24 parce que j'arrive à me rassurer, mais quand je parle,
12:27 je réponds à un journaliste en plus aussi intelligent qu'Adrien Rivière.
12:33 C'est vrai que je me laisse aller, en plus on était chez moi.
12:38 Mais c'est vrai qu'il y a des sujets de colère.
12:43 Et quand je vois, par exemple, la marche arrière qu'on fait sur l'écologie,
12:49 moi j'ai un sentiment, si vous voulez, c'est que la question climatique, elle est réglée.
12:54 C'est-à-dire qu'en fait, l'idée de combattre le réchauffement, c'est terminé.
13:00 - On ne peut plus rien faire.
13:01 - Comment on va s'adapter au réchauffement ?
13:03 - Donc les COP, tout ça, ça ne sert à rien.
13:05 - Et en fait, dans les grandes entreprises, c'est l'idée de
13:10 quelles sont les opportunités qui vont s'offrir à nous avec le réchauffement climatique.
13:15 On en est là.
13:16 C'est-à-dire la libération de certaines routes en matière de circulation de containers.
13:21 Quelles sont les zones qui vont être totalement découvertes
13:24 où on va pouvoir faire des forages pétroliers et gaziers.
13:26 Donc on est là-dedans.
13:28 On est dans le réchauffement.
13:30 On est soi-disant dans la lutte contre le réchauffement climatique.
13:33 Jamais les entreprises pétrolières n'ont fait de tels bénéfices.
13:36 - Mais Marc Déguing, c'est frappant.
13:37 - Donc on est dans un délire.
13:38 - On est dans un délire.
13:39 On est aussi dans une forme d'apocalypse, avant de retrouver les auditeurs d'Inter.
13:42 J'aimerais vous interroger sur ce double péril.
13:45 D'un côté le réchauffement climatique et la catastrophe écologique qui ont commencé.
13:49 Et de l'autre, la catastrophe numérique, celle qui nous attend.
13:53 Ils déposeront leur liberté à nos pieds.
13:56 Ils nous diront "faites de nous vos esclaves, nous voici".
13:59 Vous avez repris cette phrase de Dostoevsky dans "Les frères Karamazov".
14:03 Vous ne croyez pas au progrès.
14:05 Vous ne croyez pas aux formes d'émancipation du tout.
14:08 - Ah si, bien sûr que je crois au progrès.
14:10 La question n'est pas là.
14:13 La question c'est qu'on a une classe politique qui est là pour la défense du bien collectif.
14:19 Du bien commun.
14:21 Lequel bien commun, on est d'accord, est constamment en lutte contre des intérêts particuliers
14:26 qui sont justement les intérêts des grandes entreprises.
14:29 Et ce qu'on attend du politique, c'est que face à des évolutions technologiques,
14:33 c'est de nous y préparer, qu'on s'y prépare ensemble.
14:37 - Oui mais "Le citoyen" fait place aux consommateurs,
14:41 c'est ce qui apparaît à chaque ligne de ce livre.
14:44 Notre pire ennemi, c'est nous-mêmes, par exemple, quand on va acheter un jean.
14:49 - Mais c'est surtout qu'on est de plus en plus considérés comme des consommateurs,
14:55 et de moins en moins comme des citoyens.
14:57 C'est-à-dire qu'on est là pour faire marcher une croissance,
15:01 pour faire marcher une machine économique,
15:03 mais que le côté citoyen qui est le propre de notre intelligence,
15:08 c'est là qu'on s'exprime vraiment en tant qu'être humain.
15:11 Parce que le côté consommateur, c'est lié à des addictions.
15:16 La consommation, c'est une addiction.
15:19 - Oui et non, il y a quand même une consommation nécessaire.
15:21 Dans un sens, c'est compréhensible qu'on soit obsédé par la consommation
15:24 quand on a une inflation à 5% l'an dernier, encore plus sur l'alimentaire.
15:28 Trois quarts des gens disent qu'ils n'arrivent pas à avoir des fins de mois correctes.
15:32 Est-ce que le pouvoir d'achat et la consommation,
15:34 ce n'est pas quand même aussi un sujet, et un sujet politique ?
15:37 - Bien sûr que c'est un sujet politique.
15:39 Mais ce qui est dramatique, c'est la question de la répartition.
15:43 Je suis désolé quand on voit les résultats cumulés des entreprises du CAC 40 cette année,
15:50 qui sont absolument mirifiques,
15:52 et qu'on voit le nombre de gens...
15:54 Moi je le vois parce que, contrairement à beaucoup de gens,
15:56 moi beaucoup de gens, je n'habite pas à Paris, je suis en province...
15:58 - En Bretagne !
16:00 - En Bretagne, et de plus en plus dans les Cévennes.
16:03 Et je peux vous dire que, dans les Cévennes,
16:06 il y a beaucoup de gens pour qui les fins de mois, c'est vraiment un problème.
16:09 - L'an dernier, trois quarts des Français disaient avoir une fin de mois difficile.
16:13 C'est un sondage de LSA, le magazine spécialisé dans la consommation.
16:15 Donc c'est vraiment trois quarts des gens qui disent "à la fin du mois, je n'ai plus de sous".
16:18 Donc comment s'étonner que la consommation devienne centrale dans ce cadre ?
16:22 - En fait, je vous dis, toute la question c'est que,
16:28 on produit, on produit, on produit des données, on produit des biens,
16:32 mais finalement la répartition qui est faite derrière est extrêmement inégalitaire.
16:37 C'est-à-dire que c'est invraisemblable qu'avec la valeur qu'on crée...
16:42 Le problème, si vous voulez, c'est que,
16:44 quand vous parlez à un dirigeant d'une grande entreprise,
16:47 lui il vous dit "je suis là pour créer de la valeur pour mes actionnaires".
16:50 Je le cite dans le livre d'ailleurs, je cite pas la personne parce que je suis charitable.
16:55 - Il pourrait être plusieurs à dire ça.
16:57 - Il pourrait être plusieurs.
16:59 Mais non, une entreprise c'est pas que créer de la valeur pour les actionnaires,
17:02 c'est créer de la valeur pour les salariés,
17:05 c'est créer de la valeur pour que les gens vivent.
17:08 Et cette logique...
17:10 Moi j'ai été dirigeant d'entreprise, il y a très longtemps, il y a presque 30 ans,
17:17 mais je me souviens pas que le capital était rémunéré comme il l'est aujourd'hui.
17:21 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, le capital est rémunéré de façon totalement abusive.
17:27 - Mais elle crée des emplois et de la richesse aussi des entreprises.
17:29 - Oui, mais visiblement c'est pas bien réparti,
17:31 puisque c'est impensable qu'avec la valeur qu'on crée,
17:34 il y ait des gens qui soient encore autant en difficulté.
17:38 - Il y a une forme de catastrophisme dans votre livre,
17:41 est-ce que vous êtes désespéré Marc Duguin ?
17:43 - Pas complètement.
17:45 - Alors donnez-nous une raison d'espérer,
17:47 parce qu'en l'occurrence, c'est vrai que vous vous présentez non pas comme un lanceur d'alerte,
17:52 mais vous préférez l'expression de veilleur de nuit.
17:55 Cette sortie du capitalisme, elle vous semble imaginable.
17:59 Vous n'avez pas l'air de croire dans les grandes utopies,
18:03 dans l'alternative qui pourrait être, je sais pas moi, formulée par le marxisme ou d'autres.
18:08 Vous dites qu'on est un peu comme dans la situation de Don't Look Up,
18:12 le film qui montre la catastrophe arrivée et on refuse de la voir.
18:18 - Je crois que oui, qu'on est là-dedans,
18:21 parce que s'il vous plaît, il y a deux choses qui sont fondamentales en dehors de la guerre avec la Russie aujourd'hui.
18:29 C'est effectivement l'impasse climatique et de l'autre côté, le numérique.
18:33 Et l'un comme l'autre vont changer radicalement notre condition de vie.
18:37 C'est-à-dire que l'impasse climatique, si on continue comme ça,
18:41 puisqu'on a déjà à peu près supprimé 50% du vivant sur la Terre,
18:45 donc on est quand même une espèce particulière,
18:48 je pense qu'on va connaître des moments vraiment très difficiles.
18:52 Déjà, on connaît des étés très difficiles, on connaît des périodes,
18:56 et ça va être de pire en pire.
18:58 Et avec le numérique et l'intelligence artificielle, c'est la nature profonde de l'homme qui va changer.
19:04 Et ça, on ne s'y prépare pas.
19:06 Mais l'intelligence artificielle va nous remplacer dans beaucoup de tâches,
19:12 mais elle est aussi susceptible de nous remplacer en tant que personne.
19:16 Et ça, on n'en a pas conscience parce qu'il y a quelque chose d'assez terrifiant,
19:20 je trouve, chez l'individu, c'est cette incapacité à se projeter.
19:23 Je me fais l'écho d'un auditeur sur l'application qui dit "Bravo, 100% d'accord".
19:27 Alors en tout cas, Marc Duguin, on entend le constat.
19:30 Mais très concrètement, qu'est-ce qu'on peut faire ?
19:33 On ne va pas laisser les auditeurs comme ça, sur cette impression que tout va mal et que tout est perdu.
19:37 Alors vous avez quelques pistes dans le livre "Réorienter la dépense", c'est ce que vous mentionnez à un moment.
19:43 Se déconnecter, s'extraire du numérique un petit peu.
19:46 Voilà quoi d'autre ?
19:48 En fait, la question, c'est la réappropriation du collectif.
19:54 C'est qu'aujourd'hui, tout est laissé à l'individualité,
19:57 que ce soit le profit, que ce soit nos modes de consommation.
20:02 Et je pense qu'on doit réinventer le collectif.
20:06 C'est la façon, c'est un peu galvaudé, mais de vivre ensemble et d'imaginer cette société.
20:13 Je ne suis pas du tout antiprogressiste.
20:15 Je sais que l'intelligence artificielle va vers beaucoup de choses.
20:17 Il y a beaucoup de choses positives.
20:19 Sinon, ça n'existerait pas.
20:20 C'est comme le nucléaire.
20:21 Le nucléaire est capable de nous supprimer de la planète.
20:23 Mais au niveau médical, il nous a apporté des choses.
20:26 Donc, ce qui me terrifie, c'est ce sentiment d'avoir une classe politique
20:34 qui finalement se laisse totalement menée et par le progrès,
20:39 et par les grandes entreprises, et plus du tout par un projet collectif.
20:42 En tout cas, il y a beaucoup de choses dans l'orgie capitaliste
20:46 qui paraît donc chez Alarié Éditions,
20:49 qui vont faire débat dont on peut s'emparer.
20:52 En l'occurrence, ce sont donc des entretiens avec Adrien Rivière.
20:56 Merci infiniment Marc Duguin d'avoir été l'invité d'Inter ce matin.
20:59 À suivre, la Revue Presse.

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