• il y a 8 mois
Tous les dimanches, Aymeric Pourbaix et ses invités abordent l’actualité d’un point de vue spirituel et philosophique dans #EQE

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00:00 Bonjour à tous et bienvenue dans Enquête d'Esprit.
00:03 Il y a un paradoxe avec le 1er mai, la fête du travail.
00:07 En France et dans beaucoup de pays dans le monde, c'est un jour férié et donc chômé.
00:12 Et c'est très révélateur d'une contradiction sur le sens même du travail.
00:17 Dans un monde où l'argent est une valeur dominante, on nous dit à l'inverse qu'il faudrait travailler moins pour être heureux.
00:23 Et Dieu dans tout ça, le travail est-il une bénédiction divine ou une malédiction due au péché originel ?
00:29 N'oublions pas que l'étymologie même du mot travail vient de « tripalium », c'est-à-dire un instrument de torture à trois pieds.
00:35 Serait-ce donc l'éloignement de Dieu qui se traduirait par la perte du sens du travail ?
00:40 On en parle aujourd'hui. Véronique Jacquier, bonjour.
00:42 Bonjour Emeric, bonjour à tous les invités.
00:45 Le frère Jean-Thomas de Beauregard qui prépare un colloque sur le travail cet été à la Sainte-Baume.
00:50 Joseph Touvenel, ancien vice-président de la CFTC.
00:54 Et puis Amauri Leroux de Lens qui connaît bien le monde de l'entreprise.
00:57 Voilà, et tout cela s'étend en partenariat avec l'hebdomadaire France Catholique.
01:02 Tout de suite, les infos religieuses de la semaine avec Soumaya Labidi.
01:06 Bonjour Soumaya et on commence par parler avec vous d'une grande mobilisation autour du patrimoine religieux en France.
01:24 Bonjour Emeric, bonjour à tous. Une aide financière pour une centaine d'édifices religieux.
01:29 Une liste dévoilée par la Fondation du Patrimoine à l'heure où le patrimoine religieux est en grave danger.
01:34 C'est le cas de Jumovil dans les Yvelines dont l'église du IXe siècle a bien failli disparaître.
01:39 Reportage sur place de Noémie Hardy, Elouar Rochebrune et Célia Gruyère.
01:44 Cette église, bâtie en l'an 800 et reconstruite en 1807 après un incendie, vient d'être rénovée.
01:51 Après un an de travaux, la charpente, la voûte, les pignons ont été restaurés.
01:56 Le maire de cette petite commune est particulièrement attaché à son église.
02:00 J'ai assisté à un certain nombre de cérémonies, de messes et tout.
02:05 Et je me souviens aussi étant gamin, étant enfant de cœur pendant six ans dans cette église.
02:11 Il n'est pas le seul. Les quelques 650 habitants de Jumovil attendent à cette rénovation.
02:17 Les habitants sont très très attachés à leur église.
02:21 D'ailleurs, même pendant les travaux, on nous a demandé si on pouvait faire quand même des cérémonies,
02:25 parce que les gens souhaitaient par exemple avoir leurs obsèques à l'église.
02:30 Grâce aux collectivités territoriales, un million d'euros ont permis de rénover la charpente de l'église en préservant les bois de l'époque.
02:37 Ici par exemple, on a une pièce de bois qui est taillée à la hache, une hache qu'on appelle une doloire.
02:42 C'est le même outil qui a été utilisé à Notre-Dame pour restaurer les bois de charpente.
02:46 On a eu la chance de retrouver tous ces bois de la période gothique qui étaient encore en place,
02:50 qui n'avaient pas brûlé pendant les attaques où les protestants ont mis le feu à l'église.
02:56 Tout ça a pu se faire avec la Fondation du Patrimoine qui a pu aider la Commune dans toutes ses démarches.
03:01 La Fondation du Patrimoine est intervenue sur 8000 édifices religieux depuis 25 ans.
03:06 Une mission indispensable.
03:08 Tout individu et toute société a besoin d'une mémoire.
03:11 Elle est portée par les pierres, elle est portée par l'histoire, elle est portée par les textes, par la littérature.
03:16 C'est ça qui nourrit l'individu qui construit la société.
03:18 Cette année, l'église a été sélectionnée pour la collecte de dons de la Fondation.
03:22 L'objectif ? Finir le reste des travaux pour rouvrir au public et au culte le plus rapidement possible.
03:28 Dans le reste de l'actualité, les religieux font front commun contre le projet de loi sur l'euthanasie.
03:34 Interrogés en commission cette semaine à l'Assemblée nationale,
03:37 des représentants chrétiens, musulmans et bouddhistes ont exprimé leurs inquiétudes.
03:42 Décider de faire mourir une personne, même exceptionnellement pour quelques-uns,
03:47 réaliserait un risque de réelle profanation de l'acte de soin au sein de la société.
03:53 Mais ce Rubicon, on est en train de le franchir aujourd'hui.
03:56 Et c'est quoi ce Rubicon ? Le Rubicon c'est justement, on passe d'un dispositif
04:01 qui a pour effet la mort, pas de données la mort,
04:05 qui a pour effet la mort, qui est la sédation profonde,
04:07 à un dispositif qui organise d'une manière active ou pas, des actes pour donner la mort.
04:15 Comment éviter la banalisation et surtout une pression sociale
04:18 qui pourrait pousser les personnes fragiles et précaires à penser qu'elles sont de trop
04:22 et à envisager l'aide active à mourir ?
04:25 Comment enfin éviter une dérive économique libérale
04:28 où la fin de vie devienne variable d'ajustement des comptes ?
04:32 Une première depuis dix ans, le patriarche de Constantinople,
04:35 Bartholomé Ier, était en visite officielle cette semaine à Paris.
04:39 L'un des plus importants représentants de l'orthodoxie mondiale
04:42 a donc rencontré le président Emmanuel Macron et une délégation d'évêques français.
04:46 Des rencontres aux enjeux spirituels mais aussi politiques.
04:49 Éloi Rochebrune.
04:51 C'est le personnage le plus influent de l'orthodoxie.
04:56 À Paris, Bartholomé Ier vient à la rencontre de ses fidèles français.
05:00 Le clergé et les laïcs ont pu le saluer.
05:03 Une rencontre spirituelle à l'approche de la PAC orthodoxe.
05:06 Le père Sologoud attendait son message.
05:09 C'est toujours un moment important, c'est le père spirituel des orthodoxes,
05:13 et en particulier de notre pétropole.
05:16 C'est toujours très agréable de le recevoir,
05:19 toujours un moment important et émouvant,
05:21 et puis surtout des paroles d'encouragement qu'il nous a données.
05:24 Le patriarche de Constantinople a aussi un rôle politique.
05:27 Après la guerre aux portes de l'Europe,
05:29 il a rencontré Emmanuel Macron à l'Elysée.
05:32 Catholiques, protestants et orthodoxes
05:35 étaient réunis dans la cathédrale Saint-Stéphane pour prier et louer.
05:38 Un moment d'unité remarqué par Mgr Andrea Francia,
05:42 diplomate du Saint-Siège.
05:44 Le patriarche a vraiment lancé tout son engagement
05:47 pour créer des liens,
05:50 pour apaiser aussi au niveau ecclésial et politique,
05:55 ce qui est plus important que je pense,
05:57 des tensions qui sont très fortes.
05:59 Et donc la présence de l'Église dans des pays de l'Est
06:02 est importante pour être un pont de dialogue.
06:05 Bartholoméos Ier a aussi rencontré plusieurs évêques de France,
06:09 conclusion d'un bref séjour aux enjeux spirituels,
06:12 mais aussi politiques.
06:14 À la une de l'actualité internationale,
06:17 l'appel solennel des Nations Unies en début de semaine
06:21 à garantir la justice au Sri Lanka,
06:23 date à laquelle le pays commémore le 5e anniversaire
06:26 du massacre de 279 personnes
06:28 lors d'une attaque terroriste contre des chrétiens,
06:31 des chrétiens qui aujourd'hui réclament justice.
06:33 Elouard Ochebrune.
06:35 Sur ces photos, les visages des victimes massacrées
06:39 lors des attaques du dimanche 2 Pâques 2019.
06:42 Un groupe djihadiste local affilié à l'État islamique
06:44 avait ciblé trois églises et trois hôtels.
06:47 Aujourd'hui, des milliers de catholiques sri-lankais
06:49 commémorent un douloureux anniversaire
06:51 et prient pour les victimes.
06:53 Cinq ans après, tous réclament une enquête approfondie.
06:55 Il y a des enfants qui ont perdu leur mère,
06:58 qui se sont retrouvés sans ressources
07:00 et qui ont eu leur famille brisée à cause de l'attaque de Pâques.
07:03 Nous demandons que ces victimes soient prises en compte.
07:06 Une première procédure a montré que les services de sécurité
07:10 du Sri Lanka avaient été prévenus du danger,
07:12 mais n'avaient pas réagi.
07:14 Le cardinal Malcolm Ranjis accuse aujourd'hui
07:16 le gouvernement sri-lankais de supprimer des preuves.
07:19 Ceux qui ont gouverné le pays au cours des 4 ou 5 dernières années
07:27 ont tenté d'étouffer l'attentat de Pâques.
07:29 Une récente enquête d'un média britannique
07:35 accuse même l'actuel chef des services du renseignement du pays
07:38 de complicité dans les attaques.
07:40 Elles avaient fait 279 morts et 500 blessés.
07:43 Puis on termine ce journal avec le capitaine
07:47 de l'équipe de volée de Saint-Nazaire
07:49 qui va entrer dans les ordres.
07:51 A 32 ans, Ludovic Duet a décidé de mettre un terme à sa carrière
07:54 après avoir joué la finale du championnat de France aujourd'hui.
07:57 Il entrera chez les chanoines de la grâce
07:59 chez qui il a redécouvert sa foi au moment de la crise Covid.
08:02 Voilà ce qu'on pouvait dire de l'actualité de la semaine.
08:07 Merci Soumaya Labidi pour ces infos.
08:10 Aujourd'hui dans Enquête d'Esprit, nous parlons du travail,
08:13 du sens du travail et de Dieu dans tout ça
08:16 avec le frère Jean-Thomas de Borgard.
08:18 Bonjour mon père.
08:19 Bonjour.
08:20 Vous êtes Dominicain et organisateur d'une université d'été à la Saint-Baume.
08:24 C'est en Provence sur le thème du travail justement.
08:27 Vous nous en parlerez.
08:28 Avec nous également Joseph Touvenel.
08:30 Bonjour.
08:31 Bonjour Éric.
08:32 Merci d'être avec nous.
08:33 Vous êtes le vice-président du Centre européen des travailleurs,
08:35 c'est-à-dire 70 organisations sociales chrétiennes
08:38 dans 30 pays d'Europe,
08:40 directeur de la revue Capital Social
08:42 et ancien vice-président de la CFTC.
08:44 Et puis Amaury Leroux de Lens, bonjour, est avec nous également.
08:47 Merci d'être avec nous.
08:48 Vous travaillez dans le monde informatique et des start-up.
08:51 Vous êtes vice-président de l'ingénierie, comme on dit,
08:54 dans une entreprise qui fabrique des bornes de recharge électrique
08:57 et vous faites aussi partie de l'Opus Dei
08:59 qui a beaucoup approfondi la spiritualité jusque dans la vie ordinaire
09:03 et notamment bien sûr au travail.
09:04 Vous nous en parlerez.
09:05 Et puis Véronique Jacquier,
09:07 vous nous direz comment aussi l'Église a réagi au 20e siècle
09:11 face à la vision marxiste du travail.
09:14 Alors justement, c'est un des paradoxes de notre modernité, on va dire,
09:20 c'est que le 1er mai est la fête du travail,
09:23 mais c'est une fête du travail chômé.
09:25 Joseph Touvenel, c'est un peu curieux, non ?
09:27 Ce n'est pas du tout curieux.
09:28 Quand on regarde, par exemple, si on a la curiosité d'ouvrir le compendium
09:31 de la Doctrine sociale de l'Église,
09:33 il y a toute une réflexion sur le travail
09:36 et on nous dit que le sommet du travail, c'est le jour du sabbat.
09:39 C'est-à-dire que le sommet de la valeur travail,
09:41 c'est le jour où justement on ne travaille pas au sens matérialiste du terme.
09:46 Le travail, c'est quoi ?
09:48 C'est participer au bien commun.
09:50 Par mon travail, je me réalise.
09:51 Pour un chrétien, je suis co-créateur,
09:53 donc je suis quasiment à l'égal de Dieu,
09:55 c'est quelque chose de très très important.
09:57 J'ai une autonomie financière dans le monde du travail rémunéré,
10:01 mais il ne faut pas que je me laisse emporter par ce matérialisme.
10:05 Il faut que j'ai la capacité d'avoir quelques jours,
10:08 le dimanche, les jours de fête,
10:10 pour le consacrer à la vie familiale, à la vie personnelle,
10:13 à la vie associative, à la vie spirituelle,
10:15 et à une autre forme du travail,
10:17 c'est par exemple le temps du travail des bénévoles,
10:19 ce qui est en cas de mouvements scout.
10:21 Puis il y a un travail qu'on oublie souvent
10:23 et qui est 7 jours sur 7,
10:25 c'est par exemple le travail des mères de famille qui élèvent leurs enfants.
10:28 C'est pour ça qu'il faut revenir au vrai sens du travail,
10:30 la participation à une œuvre en étant co-créateur.
10:32 C'est ce qu'on va essayer de faire aujourd'hui dans "Enquête d'esprit".
10:35 Père de Borgard, les origines même de cette fête du travail,
10:39 est-ce qu'on peut les relier justement à un idéal révolutionnaire
10:42 de lutte des classes notamment ?
10:44 Alors ce qui est certain, c'est que,
10:46 je crois que Véronique Jacquet nous en parlera tout à l'heure,
10:48 mais au départ c'est plutôt quelque chose qui a trait
10:51 aux luttes de classes, aux luttes révolutionnaires.
10:54 Mais ce qui est intéressant, c'est la manière dont l'Église,
10:56 comme souvent, a essayé de,
10:59 non pas d'annexer quelque chose qui lui était au départ étranger,
11:03 mais de se saisir d'un mouvement émergeant pour le christianiser,
11:08 tant il est vrai que tout ce qui est vrai est catholique, de droit.
11:13 Et que donc, s'il y a quelque chose de vrai dans la fête du travail
11:17 et d'une manière générale dans les revendications des travailleurs,
11:20 ou en tout cas dans la dignité du travail,
11:22 alors on doit pouvoir lui donner un sens chrétien
11:25 et on doit pouvoir même, d'une certaine manière,
11:27 faire émerger aux yeux mêmes de ceux qui ne le savaient pas,
11:30 le fait que c'est déjà de droit chrétien.
11:33 Ça c'est peut-être quelque chose qu'on oublie parfois,
11:35 on a tendance à opposer l'Église et le monde,
11:38 et notamment, mettons, le monde du travail.
11:41 En réalité, si c'est vrai, c'est de droit catholique
11:44 et on peut le christianiser, on doit le christianiser.
11:46 Alors qu'y a-t-il de vrai dans le travail,
11:49 dans la notion même de travail justement ?
11:51 Véronique, comment l'Église a-t-elle réagi justement
11:54 sur ses origines un peu révolutionnaires,
11:56 ou même un peu, pas du tout,
11:57 enfin complètement révolutionnaires on va dire,
11:59 et c'est notamment le pape Pie XII
12:01 qui, face à cette récupération du souci des travailleurs,
12:04 a instauré la fête de Saint-Joseph artisan le 1er mai.
12:07 Oui, tout à fait, c'est une contre-attaque
12:09 sur laquelle je vais revenir,
12:10 mais tout d'abord je voudrais compléter
12:11 ce que vient de dire le frère Thomas,
12:12 à savoir que l'Église, dès les premiers siècles du christianisme,
12:15 de toute façon, a eu une préoccupation
12:17 pour la valeur travail,
12:18 maintenant on parle de valeur travail,
12:20 ne serait-ce que parce qu'elle s'est opposée à l'esclavage
12:23 pour défendre la dignité du travailleur.
12:26 Donc ça c'est dans les premiers siècles du christianisme,
12:28 et les pères de l'Église avaient,
12:30 ne pensaient pas qu'à la théologie,
12:32 mais étaient férus aussi des questions économiques,
12:35 ne serait-ce que pour que ce qui était un labeur
12:38 contienne une notion de dignité.
12:40 Bon, ça paraissait logique,
12:41 donc tout ça ne date pas d'aujourd'hui.
12:43 Ensuite, qu'est-ce qui se passe ?
12:44 Eh bien la date du 1er mai pour fêter le travail
12:46 a été choisie pour une raison bien précise,
12:49 pour célébrer le combat des syndicalistes américains
12:52 qui avaient obtenu la journée de travail de 8 heures,
12:55 vous imaginez, en 1886,
12:58 après une grève qui s'était terminée dans le sang.
13:00 Donc ça 1er mai 1886,
13:02 c'est un totem pour défendre la classe ouvrière de par le monde,
13:06 et c'était évidemment une date dont s'étaient emparés
13:08 les socialistes et les communistes.
13:09 Alors l'Église se dit,
13:10 on ne peut pas leur laisser le champ libre,
13:12 ce n'est pas possible,
13:13 le pape Pie XII contre-attaque,
13:15 comme par hasard un 1er mai,
13:17 le 1er mai 1955,
13:19 qu'il le fait exprès,
13:20 puisqu'il emploie ces paroles,
13:22 "Nous avons le plaisir de vous annoncer notre détermination
13:25 d'instituer la fête liturgique de Saint-Joseph-Artisan
13:28 en la fixant précisément le 1er mai."
13:31 Le pape choisit donc volontairement cette date
13:34 pour affirmer, dit-il,
13:36 l'amour de l'Église pour les ouvriers,
13:38 et pour dénoncer, je cite,
13:40 "l'atroce calomnie que l'Église est alliée au capitalisme
13:44 contre les travailleurs."
13:45 Donc il fallait vraiment qu'il réaffirme la position de l'Église
13:48 par rapport au monde du travail et des ouvriers,
13:50 et le Saint-Père, évidemment,
13:52 vise explicitement, là encore,
13:54 le communisme et le socialisme.
13:55 Alors, quel message fait-il porter
13:58 à Saint-Joseph-Artisan en ce 1er mai ?
14:00 Eh bien, pour Pie XII,
14:02 et comme pour tous les papes d'ailleurs,
14:04 Saint-Joseph-Artisan incarne la dignité du travail manuel,
14:07 et il est le gardien de la famille,
14:09 et vous l'avez dit, Joseph Touvnel,
14:11 il y a évidemment un impact entre la vie du travail
14:14 et la vie familiale.
14:15 Le pape Pie XII veut que ce 1er mai chrétien
14:18 soit accueilli par les travailleurs chrétiens,
14:20 non, dit-il, pour réveiller la discorde,
14:22 c'est-à-dire, il n'est pas question de faire la guerre
14:24 aux communistes et aux socialistes,
14:25 mais, dit-il, pour que ce soit au contraire,
14:27 pour tous, pour toute la société moderne,
14:30 une invitation récurrente à faire progresser
14:33 les idéaux chrétiens,
14:35 et puis pour que la dignité du travail,
14:37 donc on en est toujours à cette notion de dignité,
14:39 soit reconnue par tous,
14:41 et que cela inspire des lois fondées
14:44 sur la répartition équitable des droits et des devoirs.
14:46 On a un petit peu oublié aussi cette dimension
14:48 des droits et des devoirs à travers la notion de travail.
14:50 Merci beaucoup Véronique pour ces explications,
14:52 on va demander à nos invités, bien sûr, de réagir.
14:54 Amaury Leroux de Lens rappelle que vous,
14:56 vous travaillez dans le monde de l'informatique,
14:58 est-ce que, d'après ce que vous pouvez constater
15:00 avec votre regard d'actif,
15:02 la parole de Pie XII a été efficace
15:04 sur le monde du travail d'aujourd'hui ?
15:06 C'est difficile de répondre à ça, en tout cas,
15:09 ce qui est sûr, c'est que le travail,
15:11 on en parle beaucoup dans un contexte professionnel,
15:13 moi personnellement, et comme vous l'avez dit,
15:16 c'est dans la continuité de l'esprit de l'Opus Dei,
15:19 le travail ce n'est pas que dans l'entreprise,
15:21 c'est aussi à la maison, c'est aussi avec les amis,
15:23 à titre personnel, je fais de la moto,
15:25 quand je vais faire de la moto, ce qui paraît surprenant
15:27 avec des amis, ce n'est pas un travail,
15:29 mais c'est aussi une activité dans le sens où
15:31 on n'est pas oisif, et je pense que c'est ça
15:33 qui est le plus important, quand on parle du 1er mai,
15:36 le but d'un jour férié ou de fêter le travail,
15:38 ce n'est pas d'être oisif un jour,
15:40 c'est d'avoir une activité, et c'est de vivre
15:43 pleinement ce qu'il nous est offert,
15:45 qu'on soit au travail, à la maison, avec des amis,
15:48 en train de tondre la pelouse, ou faire autre chose,
15:50 ou faire les courses, et voilà.
15:52 Et donc je ne sais pas si Pidouze a essayé
15:54 de nous emmener jusque-là, mais aujourd'hui,
15:56 je trouve que c'est comme ça qu'on arrive vraiment
15:58 à vivre enfant de Dieu, à réaliser la volonté de Dieu
16:01 dans toutes nos activités.
16:03 - Père de Beauregard, je reviens à ce que disait Pidouze,
16:05 parce que choisir le mot artisan pour qualifier
16:08 la figure de Saint Joseph, maintenant on dit plutôt
16:10 travailleur, mais en tout cas, le sens est le même,
16:12 c'est qu'on est plutôt dans un travail manuel.
16:14 Aujourd'hui, l'économie, il n'y a rien de nouveau là-dedans,
16:18 mais elle est quand même dominée par le monde du tertiaire,
16:21 donc est-ce qu'il n'y a pas une certaine déconnexion
16:23 du réel, par rapport justement au détriment
16:25 de ces métiers manuels ?
16:27 Et je reviens aussi à une phrase de l'Évangile,
16:29 où dans l'Évangile de Saint Marc, en parlant de Jésus,
16:31 on dit "N'était-il pas le fils du charpentier,
16:33 d'une manière un peu méprisante, condescendante en tout cas ?
16:35 Est-ce que, finalement, là, on a aussi perdu
16:38 le sens du travail à travers cette dévalorisation
16:40 du travail manuel ?
16:42 Ce qui est vrai, c'est que, historiquement,
16:44 le christianisme a justement revalorisé
16:47 le travail manuel, puisque dans la pensée grecque
16:50 et romaine, c'était extrêmement dégradant
16:53 que de travailler manuellement.
16:55 Ce qui était le but de toute âme bien-née,
16:57 c'était la vie contemplative, la vie théorétique,
17:00 et le travail manuel, c'était dégradant.
17:02 Donc, il y a une forte valorisation du travail manuel
17:05 dans la pensée chrétienne, qui d'ailleurs a peut-être
17:07 un peu peiné, dans un premier temps,
17:09 à adapter son discours à de nouvelles formes de travail.
17:13 Et de fait, je ne suis pas dans une...
17:16 Je ne pense pas qu'il faille se réfugier dans une vision romantique
17:18 du travail artisanal,
17:21 qui produit quelque chose avec une sorte de symbiose
17:24 entre l'artisan et son oeuvre, etc.
17:26 D'abord, parce que peut-être que ça ne se passait pas
17:28 exactement comme ça dans la plupart des cas.
17:30 Mais ce qui est vrai quand même,
17:32 c'est que d'abord dans le travail à l'usine,
17:35 puis maintenant dans le travail un peu virtualisé,
17:38 il y a une déconnexion entre l'oeuvre
17:40 et celui qui la produit,
17:42 qui fait que c'est plus difficile d'envisager
17:44 la manière dont, en travaillant, je m'humanise.
17:47 Vous savez, le pape Jean-Paul II,
17:49 dans l'encyclique "Laborem exercens", en 1981,
17:52 insiste beaucoup là-dessus,
17:54 sur le fait que le travail est une condition
17:56 d'humanisation de la personne.
17:58 C'est ce qui fait qu'il devient personne réellement,
18:01 et non pas d'abord la chose produite.
18:04 Et c'est vrai qu'aujourd'hui,
18:06 dans les conditions actuelles du travail,
18:08 on a plus de mal à voir,
18:10 ça se fait quand même probablement
18:12 dans un certain nombre de cas,
18:13 mais c'est moins tangible la manière
18:15 dont l'homme s'humanise par son travail.
18:17 Pardonnez-moi, mais vous travaillez dans l'informatique.
18:19 Est-ce que justement, ce n'est pas le secteur
18:21 un peu archétypique de cette déconnexion du réel ?
18:25 Alors, je dirais que non.
18:28 Même si ça rend des services, bien sûr.
18:30 Tout à fait, vous parlez beaucoup de secteur tertiaire,
18:32 donc je pense qu'il y a tout un panel
18:34 de rôles dans le tertiaire,
18:35 mais dans l'informatique et dans le monde des startups,
18:38 on arrive à développer une proximité
18:40 ou en tout cas une boucle très courte
18:42 de retour entre ce qu'on fait et comment c'est utilisé.
18:45 Ça, ça aide beaucoup.
18:46 Là où je vous rejoins beaucoup,
18:48 c'est que ça nous déshumanise
18:50 si on fait notre travail que pour ça,
18:52 que pour ce qu'on produit.
18:53 Je pense que ce qui nous humanise beaucoup plus
18:55 dans le tertiaire, c'est la relation qu'on va avoir
18:57 avec les autres, avec la personne avec qui je travaille,
18:59 soit mon collègue, soit mon boss,
19:01 soit les utilisateurs du produit ou du service
19:03 que je développe, si je suis dans le tertiaire,
19:05 et le faire avant tout pour eux,
19:07 c'est-à-dire se mettre avant tout au service d'eux
19:09 et non pas pour la performance
19:11 ou la perfection de ce que je produis,
19:14 qui est un petit peu la vision romantique, je pense,
19:16 de l'artisan qui produit une œuvre d'art.
19:18 Je pense que beaucoup de gens ne produisent pas d'œuvres d'art.
19:21 Et voilà, je pense que c'est vraiment
19:23 dans le tertiaire aussi, c'est comment on le fait,
19:25 avec qui on le fait et comment on traite ces personnes.
19:27 - Dans quel esprit ? - Exactement.
19:29 - Véronique Jacquet, puis je vous laisse soutenir.
19:31 - Oui, j'ai deux questions. La première,
19:33 comment considérer le télétravail de fait ?
19:35 Quelle humanisation ?
19:37 Parce qu'on a l'impression justement
19:39 que comme on s'exclue d'une cellule
19:41 du monde de l'entreprise,
19:43 on n'est pas acteur ou co-créateur
19:45 de sa propre humanisation,
19:47 donc il y a quand même une question là-dessus,
19:49 qui est théologique.
19:51 Première réponse, peut-être frère Thomas ?
19:53 - Alors, le télétravail, ça pose
19:55 beaucoup de questions parce que d'un certain point de vue,
19:57 ça a un énorme avantage, c'est que ça
19:59 rapproche le travailleur de sa famille,
20:01 puisqu'il peut travailler
20:03 depuis chez lui et avoir un contact
20:05 plus régulier avec ses enfants. En même temps,
20:07 d'une certaine manière, celui qui est en télétravail,
20:09 il n'est ni vraiment avec les personnes avec qui il travaille,
20:11 ni vraiment avec ses enfants. Donc il y a quelque chose
20:13 d'un peu pervers aussi,
20:15 où on n'est pas présent à ce qu'on fait
20:17 puisqu'on est à moitié
20:19 dans l'un, à moitié dans l'autre, c'est le syndrome
20:21 des plusieurs fenêtres ouvertes sur l'ordinateur,
20:23 mais ça vaut
20:25 pour ça. Et par ailleurs,
20:27 on y perd la dimension sociale
20:29 du travail
20:31 avec des personnes,
20:33 ce qui fait que je pense qu'on va aller,
20:35 et c'est ce vers quoi on se dirige, vers un équilibre
20:37 où il y a peut-être quelques jours dans la semaine
20:39 en télétravail, mais au minimum,
20:41 la moitié sur place
20:43 pour voir les gens en fait.
20:45 - Joseph Touvenel,
20:47 une dernière réflexion avant la pub,
20:49 une question peut-être pour amorcer,
20:51 qu'est-ce qui distingue Saint-Joseph, j'y reviens,
20:53 du mineur de Germinal
20:55 ou de Stakhanov, ce mineur là aussi
20:57 dont la capacité de travail phénoménale
20:59 a été... - Saint-Joseph, c'était pas un menteur,
21:01 Scatanof, c'était un menteur,
21:03 puisqu'il n'a jamais produit ce qu'il a été produit,
21:05 c'était une manipulation communiste.
21:07 Mais ce qui est très intéressant, c'est sur le sens
21:09 du travail. Saint-Joseph, artisan,
21:11 c'est un travail
21:13 parce que ça a du sens,
21:15 quand il réalise quelque chose. Et d'ailleurs, vous pouvez
21:17 prendre deux entreprises qui feront la même chose,
21:19 ou deux personnes qui feront la même chose,
21:21 c'est pas du tout le même résultat
21:23 si j'ai le sens.
21:25 J'ai travaillé très jeune, notamment, j'ai été
21:27 pendant deux ans homme de ménage.
21:29 Donc je venais tôt le matin, tard le soir,
21:31 vider les poubelles, nettoyer les toilettes.
21:33 Mon travail avait du sens.
21:35 Je savais que si je le faisais bien,
21:37 les gens qui viendraient derrière,
21:39 c'était un lieu propre, agréable,
21:41 ça avait du sens. On peut faire exactement
21:43 la même chose en étant totalement exploité,
21:45 en étant méprisé, et là,
21:47 le travail n'a plus le même sens. C'est vraiment le sens,
21:49 mais celle qui le dit le mieux, peut-être, c'est Simone Veil,
21:51 qui parlait de la finalité
21:53 du travail, travailler
21:55 en connaissant la finalité,
21:57 pourquoi je travaille. Travailler, vous l'avez dit,
21:59 c'est un lien social, je travaille
22:01 avec d'autres et pour les autres, et non pas
22:03 juste gouverné par la nécessité.
22:05 C'est vraiment la différence.
22:07 Un point qu'on n'a pas soulevé,
22:09 quand on parle de travailleurs, un travailleur,
22:11 c'est un employé, c'est un ouvrier, c'est un chef d'entreprise,
22:13 c'est un indépendant.
22:15 Tous ces gens sont des travailleurs, on a tendance
22:17 à le louper. - On n'est pas dans la lutte des classes.
22:19 - Non, c'est justement le contraire de la lutte des classes.
22:21 - Le travail,
22:23 dans la Bible, est-il une bénédiction
22:25 ou une malédiction ? On en parle tout de suite
22:27 après la pub avec nos invités, donc vous restez
22:29 avec nous, bien sûr.
22:31 ...
22:33 De retour dans
22:35 Enquête d'Esprit, nous parlons du travail
22:37 et de l'éducation de la fête du 1er mai
22:39 ce mercredi avec le frère Jean-Thomas
22:41 de Borga, il est dominicain et organise
22:43 une université d'été
22:45 sur le thème du travail, justement, il nous en parlera,
22:47 avec également Joseph Touvenel,
22:49 il est vice-président du Centre européen des travailleurs
22:51 qui regroupe des organisations
22:53 sociales chrétiennes en Europe, et puis
22:55 Amaury Leroux de Lens, qui travaille
22:57 dans le monde informatique et qui a aussi
22:59 une vision de la spiritualité du travail,
23:01 il nous en parlera, et puis bien sûr Véronique
23:03 Jacquier est avec nous dans cette émission
23:05 en partenariat avec l'hebdomadaire
23:07 France Catholique, alors justement,
23:09 que dit l'Église, la Bible
23:11 sur le travail ?
23:13 Est-il une bénédiction
23:15 ou une malédiction ? C'est vrai, Joseph
23:17 Touvenel, que si on lit le 1er
23:19 chapitre de la Bible, qui s'appelle la Genèse,
23:21 il y a cette phrase, que tout le monde,
23:23 en tout cas, que beaucoup de gens ont en tête,
23:25 "tu travailleras la sueur de ton front",
23:27 ça veut dire que le travail serait
23:29 plutôt du côté de la malédiction.
23:31 Non, parce que le travail appartient
23:33 à la condition originelle de l'homme,
23:35 et là, ce dont vous me parlez, c'est après la chute,
23:37 après le péché originel. Mais avant,
23:39 le travail, c'est permettre
23:41 à l'être humain d'être co-créateur,
23:43 c'est-à-dire quasiment à l'égal de l'homme,
23:45 participer à la création. Parce que vous voyez
23:47 l'importance de la valeur travail pour un chrétien,
23:49 je participe à la création.
23:51 Et c'est après, c'est la chute.
23:53 Et ensuite, il y a le rôle du matérialisme.
23:55 Et quand on revient à
23:57 une époque plus récente, au 19ème siècle, c'était
23:59 avec Karl Marx, l'exploitation
24:01 des travailleurs. Et Karl Marx parlait même
24:03 de l'ouvrier, cet animal travailleur,
24:05 ce qui est quand même assez respectueux pour les ouvriers.
24:07 C'est toute la différence
24:09 entre la notion matérialiste du travail,
24:11 le travail devient une marchandise,
24:13 le travail devient quelque chose qui est
24:15 uniquement un outil commercial et financier,
24:17 alors que pour le chrétien,
24:19 le travail est une valeur d'élévation
24:21 de l'homme. Par mon travail, je me réalise,
24:23 par mon travail, je peux avoir une autonomie.
24:25 D'ailleurs, c'est une excellente façon
24:27 de lutter contre la pauvreté, le travail,
24:29 si je permets aux gens de travailler en étant
24:31 justement rémunérés. Et c'est pas nouveau.
24:33 13ème siècle, saint Thomas d'Aquin,
24:35 le juste salaire, chacun,
24:37 de par son labeur, doit pouvoir vivre
24:39 dignement, lui, sa famille,
24:41 et épargné. J'aimerais bien
24:43 qu'au 21ème siècle, chacun puisse travailler
24:45 et vivre dignement
24:47 avec sa famille et épargné.
24:49 - Et René Jacquier ? - Le revenu
24:51 universel, c'est un fantasme, alors ?
24:53 - Non, c'est une faute.
24:55 C'est-à-dire que le revenu universel, ça veut dire quoi ?
24:57 C'est-à-dire que à tout le monde, on va attribuer un revenu,
24:59 alors je ne sais pas quel montant, c'est parfaitement injuste.
25:01 Alors,
25:03 Saint Paul, qui était très
25:05 ferme, disait que celui qui
25:07 ne travaillait pas, il n'y avait pas de raison qu'il mange.
25:09 C'est une logique.
25:11 Travailler, c'est participer au bien commun.
25:13 Alors, évidemment, il y a...
25:15 J'oublie les cas de personnes qui ne peuvent pas
25:17 travailler pour des raisons médicales, etc.
25:19 Donc il est normal que la société leur vienne en aide.
25:21 Mais enfin, celui ou celle qui ne veut pas
25:23 travailler par phénoméantise, il n'y a aucune
25:25 raison pour qu'on lui donne un revenu.
25:27 C'est d'autant plus injuste, pardon,
25:29 qu'on nous dit
25:31 "Oui, mais ça va simplifier les choses
25:33 et il va plus y avoir toutes les aides sociales différentes."
25:35 La question qu'on peut se poser,
25:37 quand on fait une aide particulière pour des
25:39 travailleurs handicapés,
25:41 ça me paraît logique, ça me paraît tout à fait
25:43 illogique de donner exactement la même chose
25:45 à celui qui se refuse à travailler.
25:47 Et puis ne pas travailler,
25:49 c'est une très grande souffrance.
25:51 Cette mise en marge de la société,
25:53 c'est de se dire, enfin des chômeurs,
25:55 j'en vois quasiment tous les jours, ça fait partie
25:57 de ma mission de les voir, de les accompagner,
25:59 mais c'est une très très grande souffrance en disant
26:01 "Mais je ne sers à rien dans cette société."
26:03 Et au contraire, on doit montrer
26:05 à chacun qu'il est capable de faire
26:07 quelque chose. C'est d'ailleurs le merveilleux message
26:09 qui est fait par ceux
26:11 qui se spécialisent pour offrir
26:13 la possibilité à des handicapés
26:15 de travailler. Je pense par
26:17 exemple à ceux qui peuvent nous accueillir dans un hôtel,
26:19 dans un restaurant, parce que
26:21 je veux se leur montrer qu'ils ont aussi la capacité
26:23 de participer au bien commun et à la vie
26:25 de la société. - Père de Beauregard,
26:27 si le travail est donc une bénédiction
26:29 dans la vision chrétienne,
26:31 aujourd'hui on constate quand même que
26:33 cette valeur a tendance à...
26:35 en tout cas le temps de travail a tendance à diminuer.
26:37 On a environ, en moyenne,
26:39 1500 heures de travail par an
26:41 pour les salariés en France, et ça a tendance
26:43 à baisser. Est-ce que
26:45 justement cette civilisation des loisirs, comme on l'appelle,
26:47 finalement rend les gens
26:49 plus heureux ? - Je n'ai pas l'impression
26:51 que ça les rend beaucoup plus heureux, précisément
26:53 peut-être parce qu'on confond,
26:55 c'est ce que disait Amaury tout à l'heure,
26:57 l'oisiveté
26:59 et le
27:01 travail de loisir,
27:03 si je puis dire, ou en tout cas l'activité,
27:05 et c'est ce qui rend probablement
27:07 les personnes malheureuses. Peut-être que quelque chose
27:09 qui est symptomatique aussi,
27:11 je ne sais pas s'il faut le déplorer, mais c'est que
27:13 on s'identifie de moins en moins à son travail.
27:15 Et d'ailleurs, en règle générale, au cours
27:17 d'une vie professionnelle, on peut
27:19 avoir fait des tas de choses extrêmement
27:21 différentes, sans rapport les unes avec les autres,
27:23 de telle sorte que c'est
27:25 plus difficile, parce qu'on ne s'y
27:27 identifie plus, c'est aussi plus difficile d'y trouver
27:29 une sorte d'accomplissement.
27:31 Je suis frappé de voir, moi, les gens qui
27:33 sont de ma génération,
27:35 entre 30 et 40 ans,
27:37 le travail est un pur
27:39 moyen, pour beaucoup d'entre eux,
27:41 pour le reste.
27:43 Et il y a quelque chose d'assez juste
27:45 qui est de dire, il n'y a plus
27:47 cette idolâtrie du travail dans lequel on devrait
27:49 trouver tout son épanouissement.
27:51 Et en même temps, quelque chose
27:53 d'un peu étonnant, où soit
27:55 ça devient un pur moyen, soit au contraire,
27:57 je veux absolument m'épanouir complètement dans mon
27:59 travail, et donc j'en change tous les six mois,
28:01 parce que je n'y retrouve évidemment
28:03 pas mon compte. On vise
28:05 à la fois trop haut et trop bas en termes de travail,
28:07 j'ai l'impression, aujourd'hui.
28:09 Alors on va écouter Eric de Rigmatnene,
28:11 qui est journaliste éco
28:13 de CNews, sur
28:15 cette actualité concernant l'entreprise
28:17 Michelin, fabricant français de pneumatiques,
28:19 et qui vient d'annoncer que le SMIC
28:21 ne suffisait pas à faire vivre une famille,
28:23 et donc l'entreprise va mettre en place
28:25 ce qu'elle appelle le salaire décent,
28:27 qui permet de subvenir aux
28:29 besoins fondamentaux d'une famille de quatre personnes.
28:31 Écoutez les explications, Eric de Rigmatnene.
28:33 Oui, Emric, c'est un projet
28:35 très généreux, très social, mais qui
28:37 se fera en échange de sacrifices,
28:39 parce qu'il y aura des suppressions de postes,
28:41 il faut s'y attendre, parce que chez Michelin,
28:43 il y a 132 000 salariés,
28:45 il y a 131 usines qui sont
28:47 sous-utilisées. Alors Michelin
28:49 veut préparer les esprits au changement,
28:51 et pour motiver ceux qui restent,
28:53 le salaire décent va être déployé
28:55 partout dans le monde. Alors un salaire décent,
28:57 c'est quoi, vous allez me demander ?
28:59 Selon Michelin, c'est un salaire qui doit permettre de couvrir
29:01 cinq dépenses majeures dans un foyer
29:03 de quatre personnes, disons,
29:05 l'eau, l'alimentaire, l'habillement,
29:07 le logement et l'école, avec en plus
29:09 des avantages sociaux, comme les congés par endos
29:11 qui n'existent pas, en dehors de la France,
29:13 qui, rappelons-le, est très généreuse.
29:15 Michelin est vraiment précurseur dans ce domaine.
29:17 D'ailleurs, son président annonce aussi qu'il va
29:19 réguler, qu'il va plafonner son
29:21 propre salaire, chez Michelin.
29:23 Il veut donner l'exemple. Il veut aussi que les salariés
29:25 ne quittent plus le navire, parce que
29:27 depuis l'épisode Covid, on s'aperçoit qu'il y a
29:29 une vague de démission, et la pénurie de
29:31 main-d'oeuvre est devenue un vrai problème,
29:33 au point que Michelin va accélérer
29:35 la mise en place de robots, qui, eux,
29:37 ne seront pas payés.
29:39 Amaury Leroux de Lens, ça vous semble une bonne idée,
29:41 ce salaire décent,
29:43 qui inclut justement les besoins de la famille,
29:45 donc finalement, on est dans une vision plus globale
29:47 du travail. Alors déjà,
29:49 selon où on habite, ça ne m'étonne pas d'entendre
29:51 qu'avec un SMIC ou deux SMIC,
29:53 selon un petit peu ces situations familiales,
29:55 on a du mal à vivre, donc je pense que c'est
29:57 probablement une bonne idée. Par contre, ça doit
29:59 représenter la valeur du travail apporté,
30:01 c'est-à-dire que, un petit peu comme on parlait du revenu
30:03 universel, si on donne la récompense
30:05 sans exiger
30:07 que le cadre soit vécu, ça devient incohérent.
30:09 Et donc,
30:11 pourquoi pas, très bien, je trouve ça très bizarre
30:13 dans ce qui est expliqué, qu'il corrèle
30:15 ça avec
30:17 la sous-utilisation de certains employés
30:19 et du coup, un remaniement des effectifs,
30:21 moi, je décorrélerais les deux.
30:23 Donc oui, ça me semble une bonne idée, après,
30:25 il ne faut pas que ça devienne, comme je disais,
30:27 une récompense pour tout le monde automatique,
30:29 il faut que ça s'inscrive
30:31 dans une vraie démarche de contribution et de service.
30:33 Le salaire n'est pas une récompense,
30:35 le salaire, c'est juste quelque chose de juste,
30:37 qui permet de vivre
30:39 et non pas de survivre. Ce que fait Michelin,
30:41 c'est exactement ce que prône Saint-Thomas d'Aquin,
30:43 c'est pas que pour la France,
30:45 c'est pour le monde entier, et ça, c'est très intéressant
30:47 d'amener cette idée
30:49 et de le réaliser, chacun
30:51 par son travail doit pouvoir vivre dignement avec les siens.
30:53 C'est une révolution,
30:55 c'est la révolution chrétienne dans le monde
30:57 économique et social. Michelin,
30:59 c'est parfaitement ce qu'il fait, et en plus,
31:01 derrière, c'est la fidélisation
31:03 des salariés, mais ça a été fait
31:05 au XIXe siècle, je pense à
31:07 Léonard Melle par exemple. - On va en parler justement.
31:09 - Léonard Melle était très social,
31:11 et en étant très social,
31:13 il a eu des salariés qui ont mieux travaillé
31:15 que ceux des usines à côté qui faisaient la même chose.
31:17 Parce qu'ils se sentaient parties prenantes
31:19 et ils se sentaient respectés dans leur dignité.
31:21 Eh bien le salaire descend, c'est ça,
31:23 dans le descent, il y a dignité,
31:25 et c'est ça qu'il faut amener, alors progressivement,
31:27 ensuite,
31:29 il peut y avoir des différences de salaire, c'est tout à fait légitime,
31:31 mais que chacun, de par son labeur,
31:33 puisse travailler et vivre dignement.
31:35 - Alors justement, Léonard Melle, vous en parlez,
31:37 eh bien c'est une tradition qui remonte
31:39 effectivement à la deuxième moitié du XIXe siècle,
31:41 ce qu'on a appelé le christianisme
31:43 social, dans le nord
31:45 et l'est de la France, notamment,
31:47 avec cette figure emblématique de Léonard Melle
31:49 que nous décrypte
31:51 Éloi Rochebrune.
31:53 - Dans sa maison
31:55 familiale de Sanlis, en Picardie,
31:57 Emerick Sokour Harmel conserve
31:59 des archives familiales très précieuses
32:01 à ses yeux.
32:03 Des objets relatifs
32:05 à l'œuvre de l'un de ses aïeux,
32:07 Léon Harmel, un patron chrétien
32:09 du XIXe siècle, entrepreneur
32:11 en filature, il a expérimenté
32:13 la doctrine sociale de l'église dans son
32:15 entreprise. Sur ce document,
32:17 Léon Harmel a dessiné ce qu'il appelle
32:19 sa corporation chrétienne idéale.
32:21 - Ces documents étaient
32:23 au fond d'une bibliothèque
32:25 de mes grands-parents.
32:27 Ils étaient là depuis
32:29 la fin de la Première Guerre mondiale.
32:31 - Parmi les archives, des livres écrits de sa main,
32:33 il milite en accord avec le pape Léon XIII
32:35 pour une plus grande justice sociale.
32:37 Il développe ainsi
32:39 une nouvelle manière de diriger
32:41 qu'il consigne dans un ouvrage.
32:43 - Sorti en 1889,
32:45 Léon Harmel a publié un catéchisme
32:47 du patron sous la forme traditionnelle
32:49 d'un catéchisme, c'est-à-dire
32:51 que c'est la forme
32:53 de questions et de réponses.
32:55 - Peut-on devenir actionnaire d'une entreprise
32:57 condamnée par les lois de Dieu
32:59 et de l'église ?
33:01 On se rendrait coupable,
33:03 en restant actionnaire d'une maison de jeu,
33:05 d'un cercle notoirement mauvais
33:09 et d'une société au service
33:11 des ennemis de l'église.
33:13 - Des valeurs chrétiennes qu'il veut aussi transmettre
33:15 à ses salariés, il fait ériger une chapelle
33:17 dans son complexe industriel
33:19 à une vingtaine de kilomètres de Reims
33:21 qu'il consacre à la Vierge Marie.
33:23 Mise en sommeil dans les années 60,
33:25 son procès en béatification a été
33:27 relancé par l'actuel archevêque de Reims.
33:29 - Alors, Père de Beauregard, cette doctrine sociale
33:33 de l'église, incarnée notamment par
33:35 ce patron chrétien, Léon Harmel,
33:37 est-ce que c'est une
33:39 douce utopie ? Peut-être qu'il y a eu
33:41 quelques réalisations, mais est-ce que finalement,
33:43 quand on voit effectivement le texte
33:45 lu de Léon Harmel sur le fait
33:47 qu'on ne pouvait pas investir dans des activités
33:49 illicites du point de vue de l'église,
33:51 ça veut dire qu'aujourd'hui,
33:53 on aurait les mains pures, mais pas de mains ?
33:55 Comment vous voyez ça ?
33:57 - Je ne pense pas qu'on puisse dire que la doctrine
33:59 sociale de l'église relève purement d'une utopie.
34:01 Ce qui est vrai, c'est
34:03 qu'elle est souvent difficilement applicable.
34:05 Elle est surtout souvent assez mal connue.
34:07 Je pense que la plupart des fidèles habituels
34:09 des paroisses n'ont jamais ouvert
34:11 la moindre encyclique sociale.
34:13 Ce que je ne leur reproche pas, à la limite,
34:15 je reprocherais davantage à leur curé
34:17 de ne pas assez la leur prêcher.
34:19 Mais non, je ne pense pas
34:21 que ce soit si éloigné
34:23 de la réalité que cela.
34:25 Peut-être que là aussi, on en attend trop
34:27 au sens où parfois on a tendance à ouvrir les encycliques sociales
34:29 en se disant "on va nous fournir
34:31 un manuel clé en main
34:33 de la bonne entreprise chrétienne
34:35 qui va nous dire que vous allez faire ça, ça, ça et ça
34:37 et donc vous allez aller au ciel parce que vous aurez été un bon chrétien".
34:39 Ça vous donne des critères,
34:41 - Des principes ?
34:43 - Des critères, des principes d'évaluation
34:45 de vos propres pratiques à la lumière de l'évangile,
34:47 à la lumière de l'enseignement de l'Église.
34:49 Ça vous donne rarement des choses
34:51 ultra précises et techniques qui d'ailleurs
34:53 seraient périmées assez vite et qui en plus
34:55 seraient inapplicables parce que l'enseignement
34:57 de l'Église, par hypothèse, il s'adresse
34:59 au monde entier, c'est-à-dire à des situations
35:01 géographiques très différentes
35:03 et donc ce que l'on dit ne serait pas
35:05 valable, mettons, en France, ne serait pas valable
35:07 de la même manière en Afrique du Sud
35:09 ou en Chine. Tandis que si on
35:11 en demeure,
35:13 si je puis dire, à des principes pour éclairer
35:15 les consciences, alors ensuite
35:17 il est de notre devoir à chacun
35:19 et c'est la noblesse du christianisme que de faire
35:21 confiance à l'intelligence des fidèles,
35:23 de ensuite monnayer, si je puis dire,
35:25 ces grands principes dans le concret des situations
35:27 locales. - Joseph, tu venais d'une réaction,
35:29 vous êtes ancien vice-président de la CFTC,
35:31 je le rappelle. Ce qu'il faut
35:33 rappeler aussi, c'est que ces grands
35:35 patrons chrétiens de la fin du XIXe,
35:37 qu'on qualifiait de paternalistes
35:39 finalement, ont quand même mis en place
35:41 des mesures sociales avant même
35:43 les lois du même nom votées par
35:45 la République. - Oui, parce que ce qu'on oublie
35:47 dans notre histoire, c'est quand même, il y avait
35:49 des lois sociales avant
35:51 1791, la révolution française
35:53 et le citoyen Le Chapelier
35:55 qui a tout mis,
35:57 qui était un ultra-libéral, il a mis
35:59 en place le libre contrat, c'est-à-dire que
36:01 il n'y avait plus de protection puisque
36:03 chacun était libre de contracter avec l'autre.
36:05 C'est très très bien, sauf que quand quelqu'un peut
36:07 donner du travail et l'autre
36:09 a besoin de travailler pour vivre,
36:11 ou faire vivre les siens, il y en a un qui peut
36:13 tout imposer aux autres, c'est ce qui est arrivé. Et les chrétiens
36:15 ont tout de suite réagi,
36:17 notamment l'exemple de Léon Armel qui a été
36:19 très très moderne puisque les
36:21 premiers, dans son
36:23 usine, il a mis en place,
36:25 tous les 15 jours, il y avait des délégués
36:27 ouvriers qui discutaient de la bonne marge
36:29 de l'entreprise, qui discutaient des embauches,
36:31 qui discutaient des salaires. Ils ne faisaient pas que
36:33 discuter, ils étaient
36:35 co-dirigeants.
36:37 Avec, à la fin, Léon Armel,
36:39 il tranchait. Mais ça c'est très moderne,
36:41 on y est très très peu en France.
36:43 Les chrétiens...
36:45 - Mais on parle beaucoup d'entreprises libérées
36:47 par exemple, nouvelles méthodes de management,
36:49 est-ce qu'on n'oublie pas quand même
36:51 la notion de péché originelle ?
36:53 - La notion de péché originelle est partout, mais si
36:55 on se focalise
36:57 sur la notion de péché originelle,
36:59 l'homme est faillible,
37:01 oui il est faillible, ça ne nous empêche pas d'avancer
37:03 et d'essayer de faire au mieux. Et c'est ce que font,
37:05 c'est ce que fait Michelin avec ce salaire,
37:07 c'est ce que les chrétiens ont apporté,
37:09 c'est quand même les chrétiens qui ont apporté
37:11 l'interdiction du travail des
37:13 enfants qui étaient revenus,
37:15 le fait d'avoir des horaires de travail,
37:17 c'est-à-dire qu'on puisse
37:19 pas obliger les gens à travailler parce que
37:21 ils avaient signé un papier pendant
37:23 12, 15, 16 heures, etc.
37:25 Le respect du repos dominical
37:27 qui est essentiel pour l'équilibre
37:29 de la société, et là moi je vais reprocher
37:31 au monde chrétien d'avoir laissé tomber ce combat.
37:33 Pourquoi c'est essentiel ?
37:35 C'est affirmer que dans un monde qui travaille
37:37 très bien, on a besoin d'un temps
37:39 pour la vie familiale, la vie personnelle,
37:41 la vie sociale
37:43 et la vie spirituelle.
37:45 Et ce temps s'appelle le dimanche,
37:47 le jour du sabbat, et ça c'est valable
37:49 pour l'ensemble du monde, d'ailleurs c'est
37:51 assez intéressant de regarder, il y a très très
37:53 peu de pays qui ne respectent pas le repos dominical,
37:55 y compris
37:57 dans des pays de l'islam.
37:59 Aller au Maroc et essayer de trouver une banque
38:01 ouverte le dimanche, vous me direz.
38:03 Véronique Jaquet.
38:05 Oui, l'exemple de Léon Armel est très instructif,
38:07 il y avait effectivement cette dimension paternaliste
38:09 que maintenant les jeunes
38:11 d'aujourd'hui, me semble-t-il, ne sont pas prêts
38:13 à accepter. Alors première question,
38:15 pourquoi ? Et deuxièmement, il y avait dans le temps
38:17 quand même, dans la plupart des métiers,
38:19 par exemple pour tout ce qui était médical,
38:21 médecin, une notion de
38:23 vocation. On se mettait au service
38:25 des autres à travers son
38:27 travail, à travers aussi son entreprise,
38:29 cela n'existe plus. Pourquoi ?
38:31 Parce que la société est déchristianisée, parce qu'elle
38:33 est déspiritualisée ?
38:35 Joseph Touvenel.
38:37 Ce qui a été fait pendant des décennies,
38:39 c'était d'expliquer
38:41 que le travail c'était juste une
38:43 rémunération et l'entreprise,
38:45 de toute façon, son but
38:47 c'était de faire un maximum d'argent à un minimum de temps
38:49 en oubliant que l'entreprise doit
38:51 être au service aussi du bien commun.
38:53 Il est normal qu'elle soit rentable et qu'elle fasse des bénéfices
38:55 dans le secteur privé. Et donc,
38:57 les salariés, les jeunes,
38:59 ils ont entendu pendant des années que le but c'était ça,
39:01 qu'il n'y en avait pas un autre. Alors, ils ont
39:03 compris qu'ils étaient leur propre petite entreprise
39:05 et donc leur but, c'est
39:07 de gagner un maximum en en faisant
39:09 un minimum. Tout ça est une question
39:11 de morale à un moment donné
39:13 pour dire non, le but de la société
39:15 c'est pas de me gérer individuellement,
39:17 c'est de participer au bien
39:19 commun. Mais voilà, chacun et sa
39:21 petite entreprise, je n'ai rien à en ficher
39:23 du reste et j'agis
39:25 de façon tout à fait égoïste, ça
39:27 déstructure la société.
39:29 - Alors, Amaury Leroux de Lens, j'aimerais
39:31 que vous nous parliez de votre vision
39:33 chrétienne au travail parce que
39:35 on le disait tout à l'heure, donc vous faites
39:37 partie d'une association
39:39 ou d'un groupe de
39:41 spiritualité religieuse qui s'appelle l'Opus Dei
39:43 qui justement a beaucoup réfléchi
39:45 notamment à travers la figure
39:47 de son saint patron,
39:49 Escriva de Balaguer, un espagnol,
39:51 sur justement la spiritualité de la vie
39:53 chrétienne, dans la vie ordinaire
39:55 on va dire, et donc aussi au travail.
39:57 Comment est-ce que vous l'appliquez concrètement
39:59 dans votre travail au jour le jour ?
40:01 - Alors, déjà
40:03 juste en transition avec ce que vous venez de dire,
40:05 quel que soit
40:07 la société,
40:09 sortir des grandes recettes pour
40:11 que ça marche comme ça et pas comme ça,
40:13 c'est assez dangereux parce que
40:15 chacun est différent et je pense que c'est individuellement
40:17 chacun qui fait la différence. On parlait de
40:19 l'entreprise Michelin, c'est parce que le dirigeant a un souci
40:21 de justice qui va développer ça.
40:23 Et par rapport à ce que vous me demandez,
40:25 l'Opus Dei
40:27 c'est avant tout, c'est centré
40:29 autour de la sanctification du travail, c'est comment
40:31 le travail va être
40:33 sanctifié, va me sanctifier et
40:35 va m'aider à sanctifier les autres.
40:37 Sanctifier c'est rapprocher de Dieu,
40:39 c'est faire la volonté de Dieu.
40:41 Comment je le vis au quotidien ?
40:43 C'est en essayant, alors très pratiquement
40:45 je fais le même travail que je ferais avant
40:47 sauf que j'en donne une dimension
40:49 spirituelle, c'est-à-dire que je vais essayer de confier une intention
40:51 ou bien de regarder comment ça va
40:53 impacter l'autre, mon patron,
40:55 mon collègue, mon client,
40:57 avec charité. Aimez-vous les
40:59 uns les autres comme je vous ai aimés ?
41:01 Et concrètement, comment on fait ça ?
41:03 Ou qu'est-ce qu'on vise à sortir
41:05 comme fruit du travail et c'est pas le salaire ?
41:07 Le salaire est nécessaire mais pas suffisant.
41:09 Je pense que
41:11 ce qui décrit le mieux la chose aujourd'hui c'est les vertus.
41:13 Est-ce que par mon travail
41:15 je vais réussir à être honnête, loyal,
41:17 courageux, prudent
41:19 vis-à-vis de mon patron, vis-à-vis de mes employés,
41:21 vis-à-vis de mes collègues, vis-à-vis de mes clients ?
41:23 Et ça c'est un combat aujourd'hui dans le système
41:25 économique actuel ? Oui, c'est un combat
41:27 mais
41:29 si on a une vision un peu moyen
41:31 et long terme, ou qu'on peut se le permettre,
41:33 je pense que c'est un combat qui porte ses fruits
41:35 parce que
41:37 si mon patron
41:39 voit que dans la durée
41:41 je suis fiable,
41:43 je suis honnête, je ne cache rien,
41:45 je sais avec courage
41:47 dire non quand il faut dire non, par prudence
41:49 ou voilà, et bien dans le temps
41:51 ça va porter ses fruits parce que, comme vous le disiez,
41:53 on est dans la vérité et
41:55 la vérité ressort toujours.
41:57 Donc je pense que c'est ça qu'il faut chercher à faire.
41:59 C'est vrai mais quand mon patron est un fonds financier
42:01 placé dans un paradis fiscal,
42:03 il ne regarde pas du tout ce que font les personnes.
42:05 Et ça c'est un problème, c'est un drame
42:07 de voir qu'il y a
42:09 de plus en plus ou de moins en moins le lien
42:11 qui se distend entre la personne
42:13 qui travaille et son vrai patron.
42:15 Père de Bourgar, une réaction là-dessus ?
42:17 Oui, j'étais assez intéressé par ce que disait Amaurice
42:19 sur la question de, au fond, le travail
42:21 comme lieu de sanctification évidemment,
42:23 comme lieu d'épanouissement des vertus
42:25 et je le vois un peu en creux
42:27 à travers les confessions. Alors évidemment
42:29 je ne révèle pas le contenu des confessions, sans quoi
42:31 je serais excommunié ipso facto,
42:33 mais je suis assez frappé de voir que
42:35 il y a pas mal de confessions
42:37 de personnes qui travaillent où
42:39 le travail n'apparaît absolument pas dans leurs confessions.
42:41 Ce qui me paraît un peu surprenant
42:43 eu égard au fait qu'ils y passent
42:45 en général 80% de leur temps
42:47 et que probablement, à moins qu'ils soient
42:49 l'Immaculée Conception, ils y pêchent.
42:51 Et donc je pense qu'il y a peut-être
42:53 quelque chose de l'ordre
42:55 d'une prise de conscience chez les chrétiens
42:57 en particulier, du fait que le lieu du travail
42:59 est un lieu moral,
43:01 est un lieu saint, et dans lequel
43:03 en effet on peut grandir en sainteté
43:05 ou au contraire
43:07 déchoir dans le péché.
43:09 Donc je crois qu'il y a vraiment
43:11 un enjeu à tout simplement prendre conscience
43:13 que mes relations dans mon lieu
43:15 de travail sont toutes
43:17 empreintes ou non
43:19 de l'Évangile. Il n'y a pas d'acte neutre
43:21 en morale chrétienne, à part se gratter
43:23 la barbe.
43:25 Ça veut dire que, quid de la notion de souffrance
43:27 au travail qui est aussi une réalité,
43:29 est-ce que justement, là aussi,
43:31 tout à l'heure on parlait du péché originel, ça faisait réagir
43:33 Joseph Touvnel, mais est-ce qu'il y a une notion
43:35 de rédemption aussi par le travail ?
43:37 Je crois que c'est les deux dimensions
43:39 au-delà de l'aspect de bénédiction fondamentale
43:41 du travail
43:43 qui est avant même le péché originel,
43:45 post-péché originel, il y a deux dimensions
43:47 qui sont celles de la pénibilité
43:49 et celle qui vient un peu
43:51 contrebalancer, qui est de participation à la rédemption.
43:53 Ça veut dire quoi concrètement ?
43:55 C'est-à-dire que concrètement,
43:57 toutes les petites corvées, toutes les petites
43:59 vexations, etc., alors il ne s'agit pas
44:01 de les cultiver en disant "ah ben c'est
44:03 très bien, il y a un climat injuste,
44:05 donc je participe aux souffrances du Christ
44:07 dans sa Passion, mais
44:09 compte tenu du fait qu'il y en a,
44:11 je peux choisir de les offrir,
44:13 je peux choisir de, à ma petite mesure,
44:15 en effet, contribuer
44:17 au salut du monde, à sauver le monde
44:19 par les petites
44:21 vexations, l'acceptation de ces souffrances,
44:23 ça ne s'agit pas nécessairement de les désirer,
44:25 mais lorsqu'elles se présentent,
44:27 de les offrir. Véronique Jacquier.
44:29 Est-ce que la crise de sens du travail
44:31 que nous voyons chez nos contemporains
44:33 est-elle palliée justement au fait qu'on ne met plus son âme
44:35 dans le travail ? Et ça rejoint ce que vous venez de dire.
44:37 On n'a plus d'âme d'ailleurs,
44:39 on ne se pense plus avec son âme.
44:41 On ne met plus son âme dans son travail, alors il faut dire
44:43 qu'il y a un certain nombre de jobs
44:45 qui ne s'y prêtent pas beaucoup. Véronique Jacquier. Oui, c'est ça, il y a aussi la question
44:47 du sens du travail, de certains
44:49 travaux. Guillaume Meurice. C'est ce que je disais un petit peu tout à l'heure,
44:51 on a tendance à y investir à la fois
44:53 trop et pas assez, soit on le considère purement comme un
44:55 moyen au service de la vraie vie qui est
44:57 ailleurs, comme dirait le poète, ou alors
44:59 on se croit
45:01 investi d'une sorte
45:03 de mission qui consisterait à faire que
45:05 le travail est le lieu de l'épanouissement
45:07 de tout et dans les deux cas
45:09 on sera frustré. Dans les deux cas, il y a
45:11 quelque chose d'injuste. Il faut lui demander tout
45:13 ce qu'on peut lui demander au travail, mais pas au-delà,
45:15 ni en deçà. Amaury Leroux de Lens, une réaction
45:17 là-dessus sur
45:19 ces épreuves, ou cette souffrance au travail ?
45:21 Oui, oui. Vous le vivez comme ça ?
45:23 Oui, je le vis comme ça et quand je parlais tout à l'heure
45:25 de confier son travail pour une intention particulière,
45:27 c'est aussi ça, c'est exactement ce que vous avez dit.
45:29 Accepter une pénibilité, un imprévu,
45:31 quelque chose de frustrant, une souffrance,
45:33 l'accepter, je me répète,
45:35 c'est le vivre aussi avec vertu. C'est-à-dire, c'est là,
45:37 j'ai pas le choix, mais au lieu de râler et de mettre des bâtons
45:39 dans les roues, qui va impacter négativement
45:41 tout le monde autour de moi, c'est là.
45:43 Donc je l'accepte, je l'offre, et puis je me dis
45:45 comment est-ce qu'on dépasse ça ? Comment est-ce
45:47 que moi, j'agis là-dessus
45:49 pour peut-être simplifier le problème
45:51 pour mes collègues, pour mes clients, etc.
45:53 Il y a la limite de l'acceptation.
45:55 La limite de l'acceptation, c'est le mauvais exemple.
45:57 La limite de l'acceptation, c'est par exemple
45:59 à l'heure où nous parlons,
46:01 aujourd'hui, où nous, on a la chance
46:03 de ne pas travailler ce dimanche,
46:05 vous avez 40 000 enfants
46:07 qui travaillent,
46:09 qui sont exploités dans les mines de cobalt
46:11 au Congo pour produire
46:13 ce qui va permettre à nos voitures électriques
46:15 de fonctionner en France.
46:17 Là, il y a de la souffrance,
46:19 là, il y a de l'exploitation,
46:21 là, c'est plus le travail avec le sens du travail
46:23 de l'éthique des co-auteurs. - Nous ne sommes pas des anges.
46:25 - Et il y a des bornes à mettre,
46:27 même si à un moment donné,
46:29 évidemment, dans l'entreprise,
46:31 il peut y avoir des efforts à faire,
46:33 ça peut être un peu souffrance, etc.
46:35 Ça, c'est la pâte humaine, mais il y a
46:37 des lignes à mettre très claires contre
46:39 l'exploitation des êtres humains,
46:41 notamment à l'autre bout du monde,
46:43 mais aussi dans notre pays, il y a des cas
46:45 d'exploitation. Voyons-t-on, vous n'imaginez
46:47 pas le nombre de personnes qui travaillent
46:49 sans être rémunérées, par exemple.
46:51 Ça reste marginal, mais ils viennent voir les syndicats.
46:53 On est tout à fait étonnés de voir des gens
46:55 qui ont pu travailler, d'être exploités,
46:57 parce qu'on leur a dit "oui, oui, ça va venir".
46:59 Vous voyez, ça existe encore. Et là, il faut réagir
47:01 très fermement. - Une dernière question,
47:03 parce que malheureusement, on arrive au terme de cette émission.
47:05 Père de Borgard, elle est pour vous.
47:07 Est-ce qu'au ciel, on va continuer à travailler,
47:09 puisque effectivement, dès le départ,
47:11 dès la genèse, l'homme a été fait co-créateur ?
47:13 Est-ce que ça veut dire que,
47:15 finalement, cette bonne conception du travail,
47:17 qui ne sera plus marquée
47:19 par le péché originel, au ciel,
47:21 continuera ? - Alors, au ciel, on ne travaillera pas
47:23 au sens propre, parce que l'œuvre de la création
47:25 sera achevée et transfigurée.
47:27 Donc, de ce point de vue-là, il n'y aura plus rien à achever.
47:29 En revanche, on ne s'ennuiera pas
47:31 et on aura de l'activité. - C'était le sens
47:33 de ma question. - On aura
47:35 de l'activité, ne serait-ce que
47:37 d'abord dans les relations interpersonnelles,
47:39 dans la contemplation de Dieu.
47:41 Donc oui, il y aura une forme d'activité,
47:43 mais qui ne sera plus, encore une fois, pour
47:45 prolonger l'œuvre créatrice, pour coopérer
47:47 à l'œuvre créatrice, puisqu'elle sera
47:49 elle-même déjà en son état de perfection.
47:51 Donc, à moins de
47:53 supposer que Dieu ne fera pas bien le travail
47:55 et que la création ne sera pas achevée,
47:57 normalement, on pourra enfin se reposer,
47:59 mais un repos qui ne sera pas oisif.
48:01 - Un dernier mot, peut-être, sur votre université d'été.
48:03 Donc, c'est du 21 au 24 août
48:05 à la Sainte-Baume, donc
48:07 dans le sud, en Provence. - Exactement.
48:09 Les universités d'été de la Sainte-Baume,
48:11 on les fait depuis maintenant une quinzaine d'années.
48:13 Et à chaque fois, on essaie de réfléchir sur un thème
48:15 de politique, d'économie ou de société
48:17 à la lumière de l'évangile et de la doctrine sociale
48:19 de l'Église, avec des universitaires,
48:21 avec des journalistes,
48:23 avec des dirigeants, avec etc.
48:25 Et puis tous les gens qui veulent réfléchir ensemble.
48:27 Et donc là, c'est le thème du travail.
48:29 Donc là, ça va être extrêmement intéressant
48:31 parce que cette émission en est le reflet.
48:33 Il y a un peu de matière
48:35 à réfléchir et à humaniser et à
48:37 christianiser tout ce monde du travail. - Et on peut
48:39 s'inscrire, donc, sur votre site internet. - On peut s'inscrire sur le site
48:41 du couvent de la Sainte-Baume
48:43 et puis un site même de l'université d'été
48:45 de la Sainte-Baume.
48:47 Ça se trouve assez vite, tapez sur Google
48:49 "université d'été Sainte-Baume", vous pourrez vous inscrire, venez nombreux.
48:51 Et en plus, ça a un gros avantage
48:53 par rapport à d'autres universités d'été, c'est que comme on est
48:55 dans un lieu un peu isolé et avec
48:57 une communauté religieuse, on vit sur place
48:59 dans un cadre magnifique, on prie ensemble,
49:01 on rencontre les personnes,
49:03 ce que ne permet pas la plupart des
49:05 universités d'été où c'est dans des lieux
49:07 où on va aller dîner avec quelqu'un d'autre ailleurs.
49:09 - Merci à tous d'avoir
49:11 éclairé cette notion du travail
49:13 très actuelle. Véronique Jacquet, juste
49:15 en deux secondes, le sommaire
49:17 de France Catholique de cette semaine, de l'hebdomadaire
49:19 France Catholique. - Il est consacré au travail
49:21 bien fait, vous allez voir la une qui s'affiche.
49:23 France Catholique sur abonnement et sur
49:25 france-catholique.fr. - Merci beaucoup
49:27 aussi à Aurélie Loukano et aux équipes
49:29 techniques de CNews, à vous d'avoir
49:31 écouté cette émission. La semaine prochaine, nous parlerons
49:33 des chrétiens d'Orient à l'occasion de la
49:35 journée de prière pour les chrétiens d'Orient.
49:37 Très bonne suite et on se retrouve la semaine prochaine.
49:39 la semaine prochaine.