Marie-Lys Bibeyran raconte son combat contre l'usage des pesticides dans le secteur viticole et ses conséquences sur la santé, après le décès de son frère Denis, victime d'un cancer. Son livre, On vous le dira dans vingt ans, est disponible aux éditions BBD.
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00:00 Le vin, c'est un des symboles de la France, de la convivialité, c'est sacré.
00:06 Toute personne qui travaillait dans les vignes s'est toujours plus ou moins doutée
00:10 qu'il y avait un problème avec les pesticides.
00:13 Alors Denis, c'était mon frère, il appliquait les pesticides pour le compte de la propriété
00:17 qu'il employait sur l'East Strike Médoc de 1984 à 2008 jusqu'à ce qu'il tombe malade.
00:23 C'était présenté comme un cancer rarissime qui ne toucherait que les hommes
00:28 atteints de plus de 70 ans et en séjournaient dans des contrées tropicales,
00:32 ce qui n'était absolument pas le cas de mon frère puisqu'à ce moment-là il avait 46 ans
00:36 et il n'avait jamais, pour ainsi dire, quitté ses vignes du Médoc.
00:39 Et on apprend maintenant que le cholangiocarcinome finalement ne serait pas un cancer
00:45 aussi rare que ce qui est prétendu.
00:47 Il y en a de plus en plus et chez des personnes de plus en plus jeunes.
00:51 Moi je suis convaincue qu'il y a un lien parce que mon frère ne présentait pas de facteur
00:56 le prédisposant à ce type de cancer.
00:59 Il ne fumait pas, il ne buvait pas, il travaillait au grand air comme il disait toujours.
01:02 Je ne comprends pas, j'ai un mode de vie sain.
01:04 Il remplissait les cuves de son tracteur, il allait pulvériser.
01:08 Quand il y avait une panne, il fallait déboucher les rampes avec les moyens qu'il avait à ce moment-là.
01:14 Et ensuite il fallait nettoyer le tracteur et passer ses traitements.
01:18 Il revenait dans les vignes qu'il avait précédemment traitées pour effectuer les tâches manuelles
01:23 dévolues à tout travailleur des vignes.
01:25 Et donc là il était exposé encore par la peau, par les voies respiratoires,
01:33 avec ses résidus de pesticides dont s'imprègne la végétation.
01:36 Il a été diagnostiqué le 11 décembre 2008, il est décédé le 12 octobre 2009.
01:40 Son état s'est donc détérioré très rapidement avec les effets de la chimiothérapie.
01:44 La première question qu'il pose à son cancérologue,
01:48 de savoir si c'était lié au produit de la vigne,
01:50 celui-ci lui a répondu "on vous le dira dans 20 ans".
01:53 Le déclic vient du fait que je comprends non seulement qu'il y a quelque chose,
01:56 qu'on n'est pas tout seul, mais surtout qu'une victime qui n'est pas reconnue
02:00 est une victime qui n'existe pas.
02:02 Et à partir de là, pour moi c'est évident, je pense, parce que ça c'est insupportable.
02:07 Toute personne qui travaillait dans les vignes, y compris dans les années 70, 80,
02:13 s'est toujours plus ou moins doutée qu'il y avait un problème avec les pesticides.
02:17 Il y avait la tête de mort sur les bidons, etc.
02:21 Il y a cette odeur qui colle à la peau, qui est quand même particulière,
02:24 qui suivant les produits peut aller jusqu'à provoquer des gènes respiratoires,
02:28 des maux de tête assez rapidement, quasiment instantanément avec l'exposition,
02:34 provoquer une toux, etc.
02:37 Mais comme on ne nous disait rien, ou qu'il n'y avait pas de danger,
02:40 qu'il ne fallait pas s'inquiéter, que si c'était mis en circulation,
02:44 si c'était utilisé, c'est qu'on ne risquait rien,
02:47 à ce moment-là, ce n'est pas allé plus loin.
02:49 Il faut savoir qu'en France, la viticulture représente 3,6% de la surface agricole utile
02:55 et 20% du tonnage des pesticides utilisés.
02:58 Donc ça vous donne un peu une idée de ce qui est utilisé, pulvérisé,
03:03 respiré sur les vignes, aux habitants, sur ces territoires viticoles.
03:07 Mais le problème, ça va être ce qu'on appelle l'effet cocktail.
03:11 C'est-à-dire que vous êtes exposé aux pesticides viticoles
03:15 de par l'air que vous respirez, peut-être par votre travail,
03:18 et en plus vous êtes exposé à d'autres types de pesticides,
03:22 pas que viticoles, agricoles en général,
03:24 et c'est cet effet cocktail, cette multiplicité des expositions,
03:28 qui va en plus décupler les effets possibles sur l'organisme.
03:32 Il y a des analyses à qualité de l'air qui ont été faites.
03:35 Par exemple à Bordeaux, on retrouve, quelques heures après les traitements effectués sur le médoc,
03:40 des résidus de ces pesticides dans l'air de Bordeaux.
03:43 Ça a des fois été le cas avec des villes plus éloignées.
03:46 Donc la particularité des pesticides, c'est vraiment qu'on est tous concernés.
03:50 Le vin, c'est un des symboles de la France,
03:53 de la convivialité, de l'art de vivre, le vin c'est sacré.
03:58 Et à ce titre, la viticulture fait l'objet de nombreuses dérogations,
04:02 au point de vue de la loi.
04:04 C'est d'autant plus difficile de les attaquer,
04:09 et de faire admettre qu'il peut y avoir,
04:12 non seulement un problème, et une autre façon de fonctionner.
04:16 Je m'appuie sur des études comme le rapport de l'Inserm,
04:20 les études du professeur Charles Sultan,
04:23 pour dire qu'il y a des effets qui sont prouvés maintenant,
04:29 avec des maladies neurodégénératives, notamment la maladie de Parkinson.
04:32 Moi, ma maman en est décédée.
04:34 On a une situation d'explosion de maladies de Parkinson sur le territoire du médoc,
04:39 chez des personnes de plus en plus jeunes.
04:41 Elles n'ont pas 70, 80 ans, elles ont 40 ans aujourd'hui.
04:44 Les malformations génitales chez les enfants,
04:46 les retards de croissance, ils posent pas de yas, etc.
04:50 Ça s'est également prouvé.
04:51 Il y a eu des améliorations, pas suffisamment, bien sûr.
04:55 Il y a eu un essor de conversion en viticulture biologique.
04:59 Rien qu'une conversion, c'est toujours ça de prix.
05:04 C'est toujours des personnes qui sont moins exposées.
05:06 Et c'est toujours bénéfique pour l'environnement aussi,
05:09 parce qu'il y a bien sûr l'impact sur la faune et la flore également.
05:13 Il faut que ça aille bien sûr plus loin,
05:15 mais pour ça, il faut aussi que ça suive au niveau volonté politique,
05:19 au niveau de l'Europe.
05:20 Je pense aussi qu'il faudra une forte mobilisation,
05:22 que les victimes qui y a, et qui y aura encore, se fassent connaître.
05:26 N'hésitent pas à ne serait-ce que faire valoir leurs droits.
05:29 Il faut, d'une manière générale,
05:31 que les victimes de cette exposition aux pesticides arrivent à être identifiées.
05:36 C'est niquel comme ça qu'on arrivera à avancer.
05:40 [BIP]