Carmen, Bernadette et Sue Ellen, trois femmes de la communauté des gens du voyage, racontent leur vie au milieu des usines près de Lille. Maladies, combat et surpopulation, leur vie est devenue un enfer.
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00:00 Ici, l'aire d'accueil de l'Aimeronchin, c'est l'aire la plus polluée de la métropole lilloise.
00:04 C'est comme ça toute la journée.
00:06 Ici, c'est l'aire d'accueil et juste à côté, il y a l'usine.
00:09 On a marre de la poussière.
00:13 On mange que la poussière en fait.
00:15 Les gens du voyage, c'est les voleurs, c'est les crasseux, c'est tout ça.
00:21 C'est les préjugés des gens qui ne nous connaissent pas.
00:25 Dans cette vidéo, je vais vous raconter l'enfer que vivent les trois femmes que vous venez d'entendre.
00:30 Elles sont toutes membres de la communauté des gens du voyage.
00:33 Carmen, Bernadette et Suelen habitent l'aire d'accueil d'Aimeronchin, juste à côté de l'île.
00:38 Et leur cadre de vie, c'est ça.
00:40 Deux usines, les camions et l'autoroute qui passe à côté.
00:46 L'air est coincé dans une zone complètement polluée.
00:49 A tel point que de nombreuses maladies touchent les enfants et les adultes qui vivent ici.
00:53 Il y a des bronchiolites, de l'asthme, des cancers.
00:55 La vie est devenue intenable pour les près de 300 habitants.
00:58 Mais ces trois femmes, avec d'autres, ont décidé de se battre pour réclamer la construction de nouvelles aires.
01:04 Après plus de 10 ans de combat, elles nous racontent la vie au milieu des usines.
01:09 Jusque l'âge de 16 ans, on va dire exactement, avec nos parents,
01:12 on avait l'habitude de prendre nos caravanes, arriver les beaux temps et voyager autour de la France.
01:17 On ne quittait jamais la France.
01:19 Et l'hiver, on venait se poser les quelques mois pour rester tranquille et on repartait aux beaux temps.
01:25 Je suis arrivée exactement le jour de l'ouverture du terrain, en 2006.
01:30 Et avant la concastrée, on était déjà placé sur une aire sauvage, comme on l'appelle aujourd'hui.
01:36 J'étais en maison avant.
01:39 J'ai resté pendant 15 ans en maison.
01:42 Et le quartier était chaud, en fait.
01:46 Il y avait beaucoup de dealers.
01:48 Mon mari s'est pris deux coups de couteau.
01:50 Les enfants, ils ont grandi.
01:52 Ils voulaient repartir sur l'air.
01:54 Et je suis arrivée là en 2018.
01:58 Chaque famille a son emplacement.
02:00 Chaque famille paye, paye très cher.
02:04 En hiver, on a des factures jusqu'à 400-500 euros.
02:06 Seulement, il faut savoir que beaucoup de personnes dans les aires d'accueil n'ont pas la capacité de travailler
02:11 parce qu'on est discriminés par rapport à notre mode de vie et on nous interdit l'emploi.
02:15 Du coup, beaucoup se retrouvent en difficulté de payer.
02:18 Seulement, dans les aires d'accueil, on n'a pas le droit aux aides que tous les Français ont dans les logements.
02:22 On n'a pas le droit à l'APL, les chèques énergie, on ne les a pas.
02:25 Tous les aides sociaux qui sont accessibles aux Français,
02:28 pour savoir que nous, on est Français depuis X générations, on ne les a pas.
02:32 Sur ma dalle, comme tu vois, il y a un chalet.
02:35 J'ai mes caravanes, c'est ma caravane, celle de ma fille et celle de mon garçon.
02:40 Et juste à côté, l'usine.
02:43 Tu vois, le problème de l'usine, il y a la poussière et le bruit surtout.
02:50 Le bruit, c'est invivable.
02:52 Ça commence à 4 heures du matin, ça finit entre 19 et 20 heures.
02:59 Ici, c'est l'aire d'accueil et juste à côté, il y a l'usine.
03:03 Et comme là, vous voyez les camions, si ça passe, il vaut mieux se tirer de là
03:07 parce que ça ne ralentit pas du tout.
03:12 Pour nous, c'était magnifique.
03:14 C'était une aire d'accueil qui était propre.
03:16 On avait l'hygiène, entre guillemets.
03:18 Mais c'est vrai qu'au bout de 6 à 8 mois,
03:21 je sais qu'on a eu beaucoup d'effets d'épidémie de Galles.
03:25 Quand la concasserie a ouvert, nos problèmes de peau se sont aggravés.
03:29 Eczéma, Galles, apétigo, démangeaisons.
03:33 Mon petit dernier, il l'a eu aussi.
03:37 Il l'a eu, mais moi, je pensais que c'était l'hygiène quand j'ai vu le docteur.
03:40 Le docteur m'a dit "non, c'est une galle de ciment".
03:43 C'est là qu'il a dit que c'était vraiment l'environnement du terrain.
03:48 Quelques temps après, les enfants prenaient des bronchiques, des asthmes.
03:54 Les enfants, ils naissaient et au bout d'une semaine après,
03:56 ils avaient des broncolites sur 10 enfants qui sont nés.
04:00 Il y en a 7 qui sont asthmatiques, ce n'est pas normal.
04:02 Moi aussi, je suis malade.
04:04 J'ai des problèmes de poumon.
04:06 Je suis suivie à l'hôpital.
04:08 L'été, c'est encore pire.
04:10 Quand il vient la sécheresse, on n'en peut plus.
04:13 On étouffe, on a mal aux yeux aussi.
04:16 C'est beaucoup de congés qui se taisent.
04:18 Il y a beaucoup maintenant qui portent les lunettes sur ce terrain.
04:22 Avant, chez nous, les gens du voyage, on ne voyait pas les lunettes sur les yeux.
04:28 On se moquait des gens.
04:29 Maintenant, tout le monde y en porte, presque ici.
04:32 L'été, c'est encore plus dur parce que c'est beaucoup sec.
04:35 Quand c'est sec, la poussière ressort en bleu.
04:38 Mais ce n'est pas de la poussière normale, c'est de l'huile du ciment.
04:41 L'été, c'est le moment où on vit le mieux.
04:44 Nous, sur les airs d'accueil, c'est le moment où c'est le pire pour notre vie.
04:47 On est obligés de se cacher pour faire un barbecue.
04:51 Il y a tellement de poussière.
04:54 Moi, je fais très attention.
04:55 Justement, mes enfants, mes petits-enfants, je ne les sors jamais.
04:59 Que ce soit en été, en hiver, je ne les sors jamais.
05:01 Là, j'ai mon petit gamin qui a 3 mois, je ne le sors jamais.
05:04 Ce week-end, il a fait chaud, je ne l'ai pas sorti.
05:07 Parce que je sais ce qu'il peut risquer.
05:09 Il y en a beaucoup qui sont décédés ici.
05:12 Il y en a 6 sur ce terrain.
05:16 Ils ont tous eu la maladie de cancer.
05:20 C'est ça qui les a tués.
05:23 Dans tous les terrains qu'il y a sur l'île métropole,
05:25 c'est le plus qu'il y a de cancer.
05:29 C'est ce terrain-là.
05:31 On pense souvent à elle.
05:33 Notre belle-sœur, elle avait 42 ans.
05:37 Elle était jeune, elle est morte d'un cancer.
05:40 C'est pour ça aussi qu'on se bat.
05:43 Pendant des années, on essayait de se faire entendre
05:45 par des réunions avec les politiques.
05:47 On parlait de nos problèmes, ça n'aboutissait à rien.
05:50 On nous écoutait, on nous faisait de grandes promesses.
05:54 Ça nous donnait de l'espoir pour du changement, mais rien ne bougeait.
05:58 Autour d'un café, on a décidé de créer un collectif.
06:01 Moi, je peux vous dire "collectif", avant je ne savais pas ce que c'était.
06:04 En décembre 2014, ça fait un an et demi que notre collectif existe.
06:09 Rien ne bouge malgré nos pétitions.
06:12 Râle bol !
06:12 Au bout de quelques années, les femmes ont été beaucoup découragées
06:15 parce qu'elles ont eu beaucoup de promesses non tenues.
06:17 J'ai rejoint le collectif par rapport à ma sœur, Demestre Carmen.
06:21 Elle restait la seule à se battre et quand j'allais la voir,
06:24 elle me disait "Allez, viens, viens !"
06:26 Au début, j'ai été pour la soutenir.
06:28 La première réunion où j'ai été,
06:29 j'ai vu que vraiment les gens en question,
06:32 la mêle, les gestionnaires qui chèrent les airs d'accueil,
06:37 les baladaient et les mettaient souvent en faute.
06:39 Et quand moi j'ai entendu ces propos,
06:41 je ne devais pas prendre la parole, je l'ai pris ce jour-là.
06:43 Et puis ça m'a donné la Niac.
06:45 On est un collectif depuis 13 ans, une asso depuis 2 ans.
06:48 On est fiers d'être les premières de la communauté des gens du voyage
06:52 à faire montrer la voix,
06:53 pour que les gens comprennent qu'ils ont des droits
06:55 et surtout qu'ils les mettent en pratique.
06:57 On a eu le 12 avril 2024, il n'y a pas assez longtemps,
07:00 notre marche de dignité pour les gens du voyage.
07:03 Je suis très très fière de la mettre en avant
07:05 parce que ça a été une manifestation qu'on a préparée depuis des mois.
07:09 Je pensais qu'il y avait moins de monde, mais non.
07:13 Franchement, on a atteint ce qu'on voulait.
07:15 Les 200 personnes, on les a eues.
07:17 Il y avait des pancartes, on avait une bande-rôle aussi.
07:21 Il y avait des gens qui étaient là pour nous.
07:24 Il y avait des journalistes, des femmes de tous les terrains.
07:30 On s'est bien entouré parce qu'on a compris que l'État
07:32 n'écoutera jamais les gens du voyage à eux-mêmes.
07:35 Tout le soutien qui est avec nous,
07:37 ça nous a permis d'être écoutés et d'être reçus par M. Delbar
07:41 et le secrétaire de Damien Castelin,
07:44 qui ont pris en compte nos demandes,
07:45 ont porté une charte des droits fondamentaux,
07:48 qui mettent en place les points,
07:50 qu'on soit défendu dans les aires d'accueil
07:52 et qu'on demandait une réunion de conciliation.
07:54 Ça, normalement, on l'aura gagnée.
07:56 Elle sera mise en rigueur en mois de juin,
07:58 en même temps que les droits fondamentaux qu'on a réclamés,
08:01 qui seront rajoutés au règlement intérieur des aires d'accueil.
08:04 S'ils ne tiennent pas parole, on ira en justice.
08:09 C'est l'heure, là.
08:09 Il faut que les gens comprennent qu'on est des gens,
08:11 comme tout le monde, on est des êtres humains,
08:13 on a des droits, on a un mode de vie différent
08:16 qu'on veut garder absolument.
08:17 C'est notre identité.
08:19 Le voyage, c'est plus qu'ils voient la caravane,
08:21 ils ne voient pas les gens qui y vivent.
08:23 Parce que pour eux, caravane,
08:25 ça ne signifie pas qu'il y ait une personne qui vive à l'intérieur.
08:29 Pour eux, c'est caravane, les gens du voyage.
08:31 C'est les voleurs, c'est les crasseux, c'est tout ça.
08:35 C'est les préjugés des gens qui ne nous connaissent pas.
08:39 C'est dommage que les gens ne regardent pas plus loin que le bout de l'une.
08:44 Ça va changer.
08:45 On se bat pour ça aussi.
08:47 C'est notre combat maintenant.
08:50 Pour tous les gens du voyage.
08:52 C'est la fin de cette vidéo.
08:55 Merci à vous de l'avoir regardée jusqu'au bout.
08:57 Merci à Carmen, Bernadette et Swellen de nous avoir accueillis
09:00 et d'avoir accepté de témoigner.
09:02 Nous, on va continuer à suivre ce dossier sur Streetpress.
09:05 N'oubliez pas de vous abonner pour ne rien louper.
09:07 !