• il y a 7 mois
Le journaliste et écrivain Bernard Pivot, présentateur de l’émission “Apostrophes”, est décédé à Neuilly-sur-Seine à l’âge de 89 ans

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Transcription
00:00 -C'est extrêmement important.
00:01 C'est une des puissances les plus grandes.
00:05 Quand j'ai eu la chance d'être invité,
00:07 souvent, à "Bouillon de culture",
00:10 ou à toutes ces émissions,
00:11 il était le seul qui était capable de venir te voir au théâtre,
00:15 d'aimer, et puis de t'inviter,
00:19 de déjeuner la veille.
00:21 On parlait de l'émission avec cette espèce de fraîcheur,
00:25 avec cette espèce d'appétit,
00:29 parce que son talent,
00:31 sa forme de...
00:33 On va pas employer des mots démesurés,
00:36 comme les médias en emploient constamment,
00:39 mais disons sa forme de singularité,
00:42 qui approchait une forme de génie.
00:46 Oui, une forme.
00:47 C'est d'être face aux très grands,
00:51 d'être nous-mêmes, d'être naïf, d'être le bonhomme,
00:55 d'être l'ancien chroniqueur sportif,
00:57 l'amateur de Beaujolais, l'amateur de Pinard,
01:00 et puis de ne pas réduire.
01:02 Il admirait. Il admirait énormément.
01:04 Vous savez, j'ai une anecdote,
01:08 si ça vous amuse, je vous la dis.
01:10 -Allez-y, avec plaisir. -Avec plaisir.
01:13 Vous êtes étonnants, tous les deux,
01:15 parce que vous êtes d'une famille pas lointaine de Pivot,
01:19 parce que vous êtes dans la filiation, c'est vrai.
01:23 Vous vous occupez pas trop de littérature,
01:25 vous êtes plutôt grande gueule,
01:27 enfin, vous êtes plutôt grande gueule dans le bon sens,
01:29 dans votre émission, mais vous êtes très bon.
01:32 Et je suis sûr que Pivot vous aimait bien.
01:36 L'anecdote, elle est simple.
01:38 Il était venu me voir sur un spectacle
01:39 qui s'appelait "Le point sur Robert".
01:41 Vous savez, entre parenthèses, quand Pivot venait te voir
01:45 et qu'il avait la délicatesse, l'affection de t'inviter,
01:49 je peux te dire que le lendemain, ça se sentait.
01:52 Il n'y a plus beaucoup d'émissions de télévision
01:55 où un homme qui aime un spectacle en parle
01:58 et le lendemain, il se passe un truc énorme.
02:00 Je vous le dis tout de suite.
02:01 -Il y a peut-être un point commun entre vous et Bernard Pivot,
02:05 c'est l'idée de rendre accessibles les grands auteurs, la littérature.
02:10 C'était sa force.
02:11 -Je vais vous raconter une expérience.
02:14 Vous êtes adorable, merci infiniment.
02:16 Je vais finir aux grandes gueules.
02:18 -Quand vous voulez.
02:19 -Vous êtes adorable. Non, mais je vais vous dire un truc.
02:22 D'ailleurs, c'est pas ça, vous.
02:24 Vous êtes émission où il y a des gens qui s'engueulent,
02:29 consignés avec le jeune homme très utopiste,
02:33 José, comment il s'appelle, le gauchiste, là.
02:36 -Avec qui, Bruno Poncé ?
02:37 C'est gentil de faire le panagyrique des grandes gueules,
02:40 mais on est surtout là pour parler de Bernard Pivot.
02:43 Mon cher Fabrice, je vous remercie.
02:45 -L'anecdote, elle est simple.
02:47 Je faisais un spectacle qui se fait le point sur Robert
02:51 où on parlait de Christiane Troyes, on parlait de Paul Valéry,
02:54 et à un moment, on parlait de Roland Barthes.
02:56 Il avait reçu Roland Barthes pour son gros succès
02:59 qui s'appelait "Fragment du discours amoureux".
03:01 Gros succès dans la limite des choses haut de gamme.
03:05 C'est pas un gros succès de gars armés,
03:07 c'était un gros succès.
03:08 Et Roland Barthes, dans mon spectacle,
03:11 je disais le texte sur l'état amoureux.
03:13 Et je devais dire la définition de Barthes,
03:16 suis-je amoureux ?
03:18 Et Roland Barthes a eu cette révélation,
03:20 oui, puisque j'attends.
03:22 Et enfin, Barthes dit,
03:24 "J'ai trouvé la définition de l'amoureux,
03:27 "c'est celui qui attend."
03:28 Et Barthes augmente son argumentation
03:31 et raconte un proverbe taoïste.
03:33 L'histoire d'un Chinois, ça commence comme ça.
03:36 Un mandarin chinois est amoureux d'une courtisane
03:39 et la femme lui dit "je serai à vous
03:41 "si vous restez 100 jours en dessous de ma fenêtre,
03:45 "sur un tabouret."
03:47 Le Chinois s'assoit sur le tabouret
03:51 et à la 99e nuit,
03:55 il prend son tabouret et il se barre.
03:58 Et là, tout le public était désorienté.
04:01 Et Roland Barthes, il me rentre dans ma loge
04:03 et me dit "c'est extraordinaire,
04:05 "je sais pourquoi il est parti."
04:07 Je lui dis "vous avez du bol, Bernard,
04:09 "que personne ne sait."
04:10 Et tous les soirs, les 800 personnes qui sont au théâtre
04:13 ne savent pas.
04:15 Il dit "il s'en va parce qu'il a passé le meilleur moment."
04:19 Il était capable de s'enthousiasmer
04:22 sur un passage du voyage au bout de la nuit.
04:25 Il était capable de vous inviter
04:27 et de t'inviter la veille.
04:31 Il avait le génie.
04:33 Un truc très simple,
04:34 il était face aux très grands,
04:39 face à Kundera,
04:42 face à Jean Dormeson,
04:44 il nous représentait.
04:47 Il était ce que nous étions,
04:49 c'est-à-dire tout petit face aux très grands.
04:52 Et il avait cette bonne humeur,
04:54 cette compétence rablaisienne
04:57 de ramener à des choses assez simples
05:00 les montagnes qu'il recevait.
05:03 – Justement, est-ce qu'il, parfois,
05:05 il ne donnait pas aux Français d'avoir lu le livre ?
05:07 C'était peut-être le reproche.
05:09 On finissait l'émission de Bernard Pivot en se disant
05:11 "j'ai lu ce soir et on n'allait pas forcément
05:13 "acheter les livres le lendemain non plus, Fabrice."
05:16 – Aïe, aïe, aïe, là, énorme, il soulève un énorme…
05:20 Oh là là, c'est un truc que je n'imaginais pas du tout.
05:22 Alors là, je n'ai pas d'opinion, je n'ai pas de réponse à tout.
05:26 Là, je suis dans un état de désarroi.
05:29 Moi, je peux vous dire un truc,
05:31 Pivot, quand il disait qu'un spectacle était bon,
05:35 ou qu'un livre était bon,
05:37 il y avait des conséquences assez énormes
05:41 le lendemain dans la librairie, le lendemain au théâtre.
05:44 Et je peux même vous dire qu'il y a 25 ans,
05:47 il y avait un petit film de Philippe Le Glen, merveilleux,
05:49 qui s'appelait "L'année Juliette", il l'avait adoré,
05:52 et il m'avait invité pour la fontaine.
05:54 Je peux vous dire que le lendemain, et au théâtre,
05:57 et dans la fontaine, au théâtre, et dans le film,
06:00 et bien ça avait été conséquent.
06:02 Donc je pense que Pivot était un des derniers,
06:06 et ça c'est assez impressionnant.
06:08 Pourquoi ? C'est l'époque aussi, c'est la multiplicité,
06:12 c'est la multiplication de tous les canaux.
06:14 Mais vous savez, il y a 30 ans, quand Eli Ramam faisait une couverture,
06:18 il fallait pas...
06:20 C'était la bonne humeur pendant un mois et demi.
06:23 Eh bien, c'était pareil, Pivot.

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