• l’année dernière
Mathilda May faisait sa première chronique dans le Grand Dimanche soir et voulait partager une proposition pour ne pas se faire déborder par le fracas du monde et l'anxiété : elle veut réhabiliter l'idolâtrie en plébiscitant ceux qui sont dans les nuages.
Transcription
00:00 - Allez, on passe à la culture, parce que cette émission c'est de l'humour et de la culture.
00:05 Et on va accueillir aussi une nouvelle écriture, un nouveau point de vue, en tout cas dans cette équipe,
00:09 parce que vous la connaissez bien.
00:11 Elle nous accompagne dans cette émission particulière, et pour une première, je l'en remercie chaleureusement,
00:16 la talentueuse autrice, metteuse en scène, Mathilde Amé !
00:21 - Bonsoir !
00:23 (Applaudissements)
00:27 Alors moi, j'aimerais partager avec vous une petite proposition, comme ça,
00:31 pour ne pas se laisser écraser par le fracas du monde et l'anxiété qui va avec.
00:36 Pour ce faire, et parce que ça fait du bien, j'aimerais réhabiliter l'idolâtrie.
00:41 Bon, je sais, ce n'est ni très contemporain, ni très socialement juste de hiérarchiser des personnes,
00:46 de placer certains humains au-dessus des autres, surtout à France Inter, mais voilà.
00:51 Comme moi, je ne suis pas religieuse, j'aime bien mettre du divin là où c'est possible,
00:55 du spirituel là où ça ne saute pas forcément aux yeux, et du sacré ailleurs que dans des lieux de culte.
01:02 Et vu la rapidité fulgurante avec laquelle la haine et la crétinerie se propagent,
01:08 j'ai bien envie de plébisciter ceux qui résistent et qui se donnent encore la peine de s'extraire du chaos pour rêver.
01:15 Ceux qui cherchent un peu de lumière dans les ténèbres,
01:17 ceux dont on dit souvent qu'ils sont dans les nuages ou dans la lune,
01:21 je veux parler des artistes, car oui, je l'avoue fièrement, bon nombre de mes idoles sont des artistes.
01:28 Attention, je ne parle pas des faiseurs, des copieurs, des escrocs,
01:31 ou de ceux qui ont des velléités et qui pètent plus haut que leur cul.
01:35 Non, je parle de ces authentiques utopistes, ceux qui se tuent à la tâche pour que non seulement leurs rêves deviennent une réalité,
01:43 mais qui plus est, une réalité partagée.
01:46 En imaginant d'autres façons d'être, de faire ou de rire, d'entendre ou de donner à voir le monde,
01:51 les artistes questionnent, proposent un regard sur nous-mêmes et de fait,
01:55 développent une sorte d'antidote à la barbarie communément appelée l'empathie.
02:00 Combien de salles de répétition ou de théâtre remplies de comédiens qui interrogent les intentions de leurs personnages ?
02:07 Combien de studios de danse remplis de corps endoloris ou même blessés
02:11 qui refont des heures durant le même mouvement pour lui donner du sens ?
02:15 Combien de musiciens qui répètent en boucle les mêmes notes pour trouver le son juste et l'émotion à offrir ?
02:21 Combien de feuilles froissées rageusement et jetées à la poubelle, de chansons effacées,
02:25 de salles de spectacle à moitié ou complètement vides ?
02:29 Et combien d'économies dilapidées pour simplement participer à un festival ?
02:33 En d'autres termes, combien d'échecs cuisants pour si peu d'états de grâce ?
02:38 Alors que certains évoquent un statut privilégié,
02:41 j'aimerais rappeler que rares sont les artistes qui parviennent à vivre de leur passion
02:45 et qu'il y a peu de professions où l'on se risque à exposer au jugement sa vision intime en la livrant publiquement.
02:53 Peu de métiers aussi où l'on travaille corps et âme sans même savoir si au bout il y aura une galerie pour nous exposer,
03:00 un éditeur pour nous publier, un théâtre pour nous jouer ou des radios pour nous diffuser.
03:05 Pourtant, remettre inlassablement les compteurs à zéro malgré tout et à chaque ouvrage
03:10 est intégré dans le processus créatif.
03:13 Alors comment ne pas être admiratif devant tant de résistance,
03:16 tant de recommencements et tant d'entêtement ?
03:18 Car il en faut du courage pour lutter contre l'envie de renoncer.
03:22 Mais les artistes sont portés par une sorte de foi presque irrationnelle une fois à toute épreuve,
03:27 une foi qui transforme le bruit en musique, un sentiment en poème, un corps en sculpture,
03:34 un paysage en une explosion de couleurs.
03:37 Une foi qui chasse le doute qui pourtant revient sans cesse comme une vague qui anéantit tous les efforts.
03:42 Une foi qui fait monter sur scène alors qu'on a envie de vomir de trac en coulisses.
03:47 Le trac, parfois il est si fort qu'on se demande pourquoi on s'inflige pareil de torture, on a juste envie de mourir.
03:53 Mais c'est là le point essentiel d'une vie d'artiste et c'est même sa condition existentielle.
03:58 Il n'est jamais, jamais question d'être ou de faire autre chose.
04:01 C'est ça ou rien parce qu'un artiste est indissociable de son oeuvre au point de se laisser effacé par elle.
04:08 Et puis un jour, alors qu'il aura tout donné pour qu'elle existe,
04:11 cette oeuvre finira par ne plus lui appartenir et paradoxalement ce sera sa plus grande fierté.
04:18 Alors oui, idolâtrons ceux qui naviguent entre le chaos et l'espérance pour réveiller,
04:23 inspirer et libérer le cœur des hommes.
04:26 Mathilde Amey, merci pour ce poétique plaidoyer sur les artistes.
04:33 Merci beaucoup Mathilde et on peut voir l'un des spectacles que vous avez créé,
04:39 Echo à Charenton au Théâtre des Deux Rives, ce sera le 14 mai à 20h30.
04:44 Tout à fait.

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