• il y a 7 mois

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00:00 La question climatique, c'est avant tout une question de justice.
00:02 Avant toute chose, c'est une question de justice.
00:04 Bonjour, elle, c'est Camille Etienne,
00:06 et je suis principalement activiste pour le climat et autrice.
00:09 J'ai grandi en Savoie, dans un petit village qui s'appelle Pézanne-en-Croix.
00:19 Et c'était la ferme de mes arrière-grands-parents
00:22 qu'on a restaurée pendant longtemps avec ma mère.
00:25 Mon père était guide de haute montagne et ma mère faisait beaucoup d'escalade.
00:28 Et donc j'ai grandi là à faire du biathlon en compétition.
00:31 Alors j'étais jeune, mais ça faisait vraiment partie de ma bande de potes.
00:35 J'étais dans une classe spéciale, ça faisait vraiment partie de moi.
00:38 Et après, j'ai quitté ce monde-là pour aller faire des études
00:41 en philosophie et en sciences politiques.
00:43 Un gros changement.
00:44 Ça me paraissait, je pense, petite, assez ubuesque
00:51 d'imaginer que nous puissions, petite chose,
00:53 vraiment bouleverser des cycles entiers,
00:56 faire fondre des glaciers qui étaient là depuis des milliers et des milliers d'années.
01:00 Mais petit à petit, on l'observait.
01:02 Je voyais très bien qu'il y avait de moins en moins d'insectes,
01:04 que les plantes de montagne, il fallait être de plus en plus hauts pour les chercher,
01:07 que les glaciers, il fallait faire de plus en plus des marches d'approche qui étaient longues
01:11 avant d'arriver à leurs pieds.
01:14 Et donc j'ai vu un paysage se transformer, mon paysage se transformer.
01:17 Et je pouvais comparer ça avec aussi les photos de mes arrière-grands-mères au même endroit.
01:21 Donc quand on vient d'une famille très ancrée dans un territoire
01:23 et qu'on a l'impression d'être la première génération
01:26 à potentiellement devoir faire le deuil d'une partie de notre histoire,
01:29 je crois que ça a été assez vertigineux pour moi.
01:31 Je dirais que mon obsession,
01:37 c'est de faire sortir le maximum de gens de l'impuissance.
01:41 C'est mon combat.
01:42 Si je dois le résumer, c'est l'idée de dire qu'on est condamné en rien à ce qui nous arrive.
01:47 C'est le résultat de choix qu'on a faits,
01:49 que certains ont faits parce qu'ils étaient au pouvoir depuis des années et des années.
01:52 Mais on peut aussi faire d'autres choix.
01:55 Quand on n'est pas à l'aise avec la direction d'une époque,
01:57 je crois que c'est aussi un devoir de se dire
01:59 "On va aller mettre la porte du capitaine qui s'est endormi à la barre du Gouvernement
02:03 et aller reprendre un peu la reine."
02:05 Donc mon obsession, c'est de faire en sorte que des gens qui sont un peu écrasés
02:08 par le poids de l'existence en se disant "Tout passe, on peut décider que ce soit autrement."
02:12 Et donc de donner des moyens extrêmement concrets
02:15 et toujours collectifs et politiques
02:17 pour inverser un peu la courbe du monde.
02:23 Je crois pas beaucoup à l'idée de déclic, ça faisait juste partie du quotidien.
02:26 C'est-à-dire qu'on s'organisait aussi en fonction du rythme des saisons.
02:29 Il faut qu'on ait monté le bois avant les premières neiges.
02:32 Il fait froid, il y a trop de neige, il y a des trop grandes chutes,
02:35 on peut pas aller à l'école en bus.
02:37 Ça réglait vraiment nos journées, nos discussions, ça faisait partie de nos vies.
02:40 Mais donc le déclic, je suis pas très à l'aise avec cette idée
02:42 parce que ça crée une forme de distance, tout simplement.
02:45 C'est-à-dire qu'on se dit "C'est leur truc, c'est l'écolo de la famille,
02:48 c'est l'écolo de la bande de potes, c'est son truc."
02:52 Il y en a d'autres qui aiment le sport, le théâtre, puis elle aime bien l'écologie.
02:54 Donc soit ça crée un mépris, soit ça crée une admiration, mais ça crée une distance.
02:58 Moi, ce qui m'intéresse, c'est qu'on soit rejoint.
03:00 Et donc, c'est de défaire aussi cette idée du déclic parce qu'elle nous rend hyper passives.
03:04 On a l'impression qu'il y a quelque chose qui va nous tomber dessus,
03:06 qu'on a été élus, comme ça, on a été touchés par la grâce de l'écologie.
03:09 Donc on attend un déclic qui ne viendra jamais.
03:11 Alors que l'idée, il s'agit de le provoquer et de se rendre compte
03:14 que partout où on pose le regard autour de nous,
03:17 quand on sort dans la rue, il y a des raisons de se révolter,
03:20 il y a des raisons de retrouver une colère saine et une envie d'un élan, tout simplement.
03:25 Je voulais être juge pour enfants.
03:31 Et je ne sais pas pourquoi ça me fascinait, cette idée de...
03:34 Je trouve que ça résume tout, en fait, ce qu'on fait, de ce qu'on appelle les déviants.
03:38 Quand une société est responsable aussi collectivement
03:41 de ce qu'on considère comme un échec,
03:44 on se dit "qu'est-ce qu'on fait de ces trajectoires un peu fracassées ?
03:47 Pourquoi est-ce qu'on décide de les mettre de côté dans une prison,
03:49 en disant "ça, c'est géré, c'est loin de nous,
03:52 qu'est-ce que ça dit de notre humanité, de gérer comme ça ces déviants-là ?"
03:56 J'ai énormément de femmes qui m'inspirent, qui sont mes amies.
04:03 Alors ça, c'est une chance immense, c'est que c'est des personnes encore vivantes
04:07 qui sont des activistes du bout du monde et qui, elles, risquent leur vie, souvent.
04:11 Il y a un rapport de Global Witness qui rappelle quand même
04:14 qu'il y a un activiste dans le monde qui meurt tous les deux jours,
04:17 qui est assassiné tous les deux jours.
04:19 Donc c'est une question de liberté, il y a des gens qui sont prêts à mourir
04:22 pour défendre ces idées-là, pour défendre leur terre en Indonésie,
04:26 pour défendre des forêts, pour défendre des océans sur des bateaux.
04:31 Et donc, en fait, j'ai une admiration totale pour ces gens
04:33 qui sont absolument sans compromis.
04:35 Je trouve ça extrêmement beau d'être capable d'être radicale
04:37 dans sa manière d'être au monde et de dire "jusqu'au bout,
04:40 je serais prête à mourir pour une baleine",
04:43 ou en tout cas, "je serais prête à défendre cet endroit qui m'a vu naître,
04:47 quoi qu'il en coûte".
04:48 C'est une forme de dignité, je crois que c'est le sentiment qui me bouleverse le plus,
04:56 c'est de voir la dignité du présent de certains et certaines
05:00 qui tiennent debout à ce qui se passe,
05:02 qui sont prêts à tout pour rester dignes, même dans les moments les plus tragiques.
05:08 Ah non, je suis très très peu de vieillesse mentra.
05:11 Il y a quand même deux choses.
05:12 En philo, c'était cette phrase de "il y a des choses qui dépendent de nous,
05:15 des choses qui ne dépendent pas de nous",
05:16 et je crois que c'est un conseil qui est très efficace,
05:19 de se concentrer sur ce dont on peut avoir une prise.
05:23 Je crois que ce monde-là est bien plus grand, bien plus basse que ce qu'on peut imaginer.
05:27 Moi, ça m'a aidée beaucoup dans le fait d'être exposée,
05:29 ça expose évidemment aussi à beaucoup de harcèlement,
05:31 à des distorsions de l'image qu'on renvoie de soi.
05:34 Avant, ça pouvait me préoccuper, là, je me suis dit "OK, en fait,
05:37 non, non, ça leur appartient".
05:39 Moi, je me concentre sur ce que je peux faire,
05:41 j'ai un combat extrêmement précis, il est très clair.
05:44 Je vais mettre mon énergie, mon temps, mon amour dans cet endroit-là,
05:47 et toute ma force dans cet endroit-là.
05:48 Et après, il y a aussi cette fameuse phrase de Fleabag qui est géniale,
05:51 où elle va dire "This will pass".
05:53 Ça aussi, ça passe, tout passe.
05:54 Ça aide aussi un peu, des fois, à reprendre de la hauteur.
05:57 Il y a une série qui est très anglaise,
06:02 qui à la base, c'est pas tout à fait ce qui me fait beaucoup rire,
06:05 mais là, pour le coup, ça a été fou.
06:07 Ça s'appelle "Yours and Yours".
06:08 C'est une série un peu dystopique
06:10 qui nous projette dans un monde où tout s'accélère.
06:12 Et donc, c'est vraiment cette idée d'accélération du monde
06:15 dans lequel on est, malgré nous, embarqués.
06:18 Ça nous renvoie en pleine figure, je trouve,
06:21 tous ces moments où on abdique,
06:23 ces petites fois où on a la flemme, en fait.
06:25 Ces choses qu'on laisse passer et qui, quand elles s'emballent et s'enflamment,
06:29 sont d'une grande dangerosité, d'une grande violence.
06:32 Et donc, ça m'a donné envie d'être assez exigeante,
06:35 en fait, d'être assez intransigeante avec mes idéaux.
06:40 Donc cette série, je l'ai trouvée, elle m'a vraiment beaucoup bousculée.
06:44 Et après, il y a un film qui s'appelle "Goliath"
06:46 qui est sur les lobbies plutôt de l'agro-industrie,
06:49 avec Pierre Nunez dedans, qui joue un lobbyiste d'ailleurs assez génial.
06:53 Et ça m'a touchée vraiment parce que je sentais...
06:56 J'avais l'impression de dire "Mais voilà, c'est ça qu'on vit,
06:58 c'est ça qui se passe".
06:59 C'était assez bien décortiqué,
07:01 la manière dont on se battait contre un monde plus grand que nous
07:04 et quand on attaquait ce monde, ils se défendaient.
07:06 Autant j'essaie vraiment d'embarquer,
07:08 de dire qu'il faut qu'on ait cet élan collectif
07:10 et qu'il peut en être autrement,
07:13 autant il faut aussi être conscient et sérieux
07:15 sur le fait qu'on se bat contre quelque chose qui est plus grand que nous.
07:18 Donc c'est David contre Goliath.
07:19 Parfois, David gagne.
07:21 C'est faire du voilier, je sais pas si vous avez l'occasion,
07:27 mais il y a des moyens d'en faire, même de manière abordable,
07:31 d'embarquer, que vous soyez cuisinier,
07:33 de faire des vols sur un bateau si vous avez quelques jours.
07:35 Parce que ça, c'est le moment où j'ai le plus de temps dans ma vie.
07:39 C'est en décidant du temps.
07:41 On était en traversante Brest-Erikavik en Islande.
07:44 Il n'y avait aucun réseau, on était coupés du monde,
07:47 c'est-à-dire qu'il pouvait y avoir une 3e guerre mondiale.
07:49 Je ne serais pas allée au courant.
07:51 Et on a dû décider du fuseau horaire.
07:53 On s'est dit "Quelle heure vous voulez qu'il soit ?"
07:55 Donc en fait, tout est ramené à une convention.
07:58 Et on se rappelle que tout est une convention
08:00 et qu'en fait, ce qui importe, c'est juste
08:02 "Comment est-ce que je n'ai pas froid ?
08:03 Qu'est-ce qu'on va manger ?
08:04 Et comment est-ce qu'on avance sur notre tracé,
08:06 sur notre chemin et qu'on gère bien le vent ?"
08:08 Et donc, ça reconnecte directement à quelque chose de très, très ancré.
08:11 Et ça, moi, à chaque fois que je sens que mes idées
08:14 sont un peu plus nébuleuses,
08:16 je vais soit en mer, soit en randonnée, tout simplement.
08:18 Deuxième chose, c'est évidemment de dormir dehors,
08:21 de passer du temps dehors.
08:22 Et ce n'est pas du tout un luxe, en fait,
08:24 contrairement à ce qu'on peut penser.
08:26 C'est à la part de tous, je crois sincèrement,
08:28 de prendre un duvet, un tapis de sol
08:30 et d'aller dormir dehors une nuit proche de chez nous.
08:33 Même juste en prenant un RER,
08:35 on peut être bouleversé par la beauté du monde qu'on ne regarde plus.
08:39 Et ça, je trouve qu'il y a quelque chose d'éminemment rassurant dedans,
08:43 de sentir appartenir à du beau, en fait.
08:46 La troisième chose, peut-être, c'est ne pas avoir peur de soi.
08:49 Donc, oser partir seule.
08:52 Oser partir seule, peu importe en sac à dos,
08:55 en prenant un train où vous voulez.
08:57 Mais c'est ce moment où on se retrouve face à soi-même, quoi.
09:01 Et je trouve que c'est éminemment important pour moi
09:04 pour me dire qu'est-ce qui est de l'ordre de la posture,
09:07 qu'est-ce qui est de l'ordre de ce qu'on attend de moi
09:09 et qu'est-ce qui sont vraiment mes idées, mes convictions absolument profondes.
09:12 Et c'est dans ces moments-là que j'arrive à penser contre moi-même,
09:15 à me laisser surprendre, à avoir ce temps
09:17 qui est incompressible d'une pensée qui est exigeante et qui est aiguisée.
09:22 Ça, ça demande un temps où on est seule avec soi,
09:26 où on accepte ce vertige un peu de la contradiction, quoi.
09:30 Et c'est un peu désagréable au début,
09:32 mais ça me semble être très, très sain de le faire.
09:35 ♪ ♪ ♪

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