Pr Vincent Costalat et Dr Caroline Arquizan, auteurs d'une étude sur le traitement des AVC

  • il y a 5 mois
Une étude du CHU de Montpellier va peut-être révolutionner la prise en charge des personnes qui victimes d'AVC.
Elle a été menée sur plus de 300 patients et vient de faire l'objet d'une publication dans une prestigieuse revue médicale américaine.
Cette étude porte sur la mise au point d'une technique permettant de revasculariser les vaisseaux qui ont été atteints et qui étaient jusqu'à présent considérés comme morts.
Non seulement cela améliorerait le pronostic vital, mais aussi la récupération fonctionnelle des patients concernés.
On en parle ce matin avec le Pr Vincent Costalat et le Dr Caroline Arquizan, respectivement neuroradiologue et neurologue au CHU de Montpellier.
Ce sont eux qui ont mené cette étude.

Category

🗞
News
Transcription
00:00 - On va parler d'AVC ce matin avec le professeur Vincent Costalat et le docteur Caroline Arquizan-Guillaume.
00:06 - Bonjour à tous les deux d'abord.
00:08 - Bonjour.
00:08 - Merci d'être venu nous rejoindre.
00:10 Docteur Caroline Arquizan, vous êtes neurologue au CHU de Montpellier.
00:15 Professeur Vincent Costalat, vous êtes neuroradiologue.
00:18 C'est quoi la différence entre les deux ?
00:20 - Les neuroradiologues ont fait plutôt les interventions intracrâniennes
00:25 pour aller déboucher les caillots de façon un peu mécanique.
00:29 Les collègues sont plutôt sur le versant médical.
00:33 - On prend en charge la prévention de l'AVC, l'AVC lorsqu'il est constitué et le traitement à la phase aiguë.
00:42 - Vivian vient de donner les chiffres, 150 000 personnes victimes d'un AVC en France,
00:46 plus de 100 000 hospitalisations, 30 000 décès, c'est énorme.
00:49 - Oui c'est énorme, c'est la première cause de mortalité chez la femme, la deuxième chez l'homme,
00:54 c'est la première cause de handicap chez l'adulte.
00:57 C'est très fréquent, c'est un AVC toutes les 4 minutes,
01:01 et contrairement à l'infarctus du myocarde, dont la fréquence diminue, les AVC ne cessent d'augmenter.
01:06 C'est un gros problème.
01:08 - Notamment ça touche aussi le sujet jeune, contrairement à ce qu'on croit,
01:11 il n'y a pas que la personne âgée qui fait des AVC, il y a quand même une bonne proportion qui touche le sujet jeune.
01:16 - Vous êtes à la tête d'une étude qui a été publiée début mai
01:21 dans une prestigieuse revue médicale britannique, peut-être la plus prestigieuse,
01:27 on peut la citer, j'ai noté ça quelque part.
01:29 - C'est le New England Journal of Medicine.
01:31 - Mais ce n'est pas britannique attention, c'est américain.
01:34 - C'est américain, c'est encore mieux !
01:36 Ce n'est pas tous les chercheurs qui publient, surtout dans des revues comme ça,
01:40 il faut dire que votre étude est assez incroyable,
01:42 puisqu'elle porte sur la mise au point d'une technique permettant de mieux traiter l'AVC.
01:48 Alors pourquoi ? Parce que l'AVC jusqu'à présent est mal traité ?
01:52 - Non, ce n'est pas qu'il est mal traité, il y a déjà eu beaucoup d'avancées ces dernières années,
01:57 mais en gros l'AVC ischémique est dû à une artère qui se bouche dans le cerveau,
02:04 et donc on sait depuis plusieurs années que le fait de déboucher cette artère,
02:10 c'est la meilleure chance d'avoir une bonne récupération fonctionnelle,
02:14 quand le traitement est fait vraiment en urgence.
02:16 - Sauf qu'une artère qui se bouge dans le cerveau,
02:18 beaucoup pensent, ont beaucoup pensé jusqu'à présent que c'était irréversible,
02:23 qu'il n'y avait plus rien à faire, Vincent Costalat.
02:25 - Oui, alors en fait comme le dit Caroline, dès 2014,
02:29 pour déboucher les artères occluses dans le cerveau,
02:34 on n'utilisait qu'un médicament qu'on appelle la fibrinolyse,
02:37 qui est une espèce de destop qui liquéfie les thrombus.
02:40 - Un destop, tiens donc !
02:41 - Oui, on peut l'imaginer comme ça.
02:42 - Un truc qui les bouge bien quoi !
02:43 - Mais le problème c'est que ce destop, en fait,
02:45 quand le thrombus est trop gros et qu'il occlue une artère trop grosse,
02:49 et bien il ne marche plus, il ne marche pas assez bien.
02:51 Du coup, on a complété cette approche par une approche dite mécanique,
02:55 où on allait piquer un peu comme les cardiologues une artère,
02:58 on a remonté des petits tuyaux dans les artères jusque dans le cerveau,
03:02 et à ce moment-là on utilisait des petits stents,
03:04 des petits cathéters d'aspiration,
03:06 pour mécaniquement nettoyer l'artère.
03:08 Ça c'était une révolution en 2014.
03:10 Cette révolution a changé complètement la face de l'AVC.
03:14 Mais elle restait une technique appliquée à seulement une catégorie de patients
03:21 pour lesquels on pensait que l'atteinte cérébrale n'était pas trop grave.
03:26 Parce qu'on prenait le temps d'endormir le patient,
03:30 parfois de faire une véritable intervention un peu pseudo-chirurgicale,
03:34 même si on passe par l'intérieur des vaisseaux.
03:36 Donc on le réservait à des gens pour lesquels on pensait que ça valait vraiment le coup.
03:40 Et il y a toute une catégorie de personnes...
03:42 - Qui étaient exclues ?
03:43 - Qui étaient exclues parce qu'on pensait qu'ils étaient trop graves.
03:45 Et c'est là que notre étude intervient.
03:47 - Alors avant de reparler de l'étude...
03:48 - Ce qui est très important je pense,
03:50 c'est que pour nous, quand on parle d'un AVC très grave,
03:53 c'est sur l'imagerie cérébrale.
03:54 C'est-à-dire qu'en gros, un AVC c'est facile,
03:57 ça survient brutalement, on a des signes,
04:00 par exemple une paralysie d'un côté,
04:02 une incapacité ou difficulté à parler,
04:04 une difficulté à ne pas voir par exemple d'un côté.
04:07 Mais ça ne veut pas forcément dire que l'AVC est grave pour nous.
04:10 Il n'y a que l'imagerie cérébrale qui nous fait dire qu'un AVC est grave.
04:14 C'est-à-dire qu'il y a une grosse zone du cerveau
04:16 qui a manqué d'oxygène et qui a l'air en souffrance.
04:18 Et qu'on pensait morte avant.
04:20 - C'est ça qu'il faut qu'on explique à nos auditeurs.
04:21 Pourquoi un AVC c'est grave ?
04:22 Pourquoi souvent ce sont des séquelles irréversibles ?
04:25 Parce qu'en fait un vaisseau ou une artère bouchée,
04:27 ça empêche la connexion entre les neurones qui font fonctionner notre cerveau.
04:30 - En fait c'est même plus simple que ça.
04:31 L'artère bouchée empêche l'oxygénation d'une zone du cerveau.
04:36 Et les neurones sont au début en souffrance, ils essaient de s'en sortir.
04:39 Et puis à un moment il y a une destruction neuronale.
04:42 - Et donc votre étude vous a dit "on va essayer de s'attaquer aux gens
04:45 dont le diagnostic est plus sévère que d'autres".
04:47 Et là ça a été une grosse surprise.
04:49 - Carrément.
04:50 Parce qu'en fait, exactement ce que dit le Dr Arquizan,
04:54 ces gens pour lesquels à l'imagerie médicale
04:56 on trouvait que l'étendue de souffrance cérébrale...
04:59 Parce que quand on fait une imagerie d'un cerveau,
05:01 en gros on a des tâches.
05:04 Et il y a des gens pour lesquels la tâche était tellement étendue
05:07 qu'on pensait qu'il y avait trop de souffrance,
05:10 trop de destruction neuronale et que ça valait pas le coup de les déboucher.
05:13 Sauf qu'avec Caroline et toute notre équipe du CHU de Montpellier,
05:17 on a décidé de prendre ces gens en traitement
05:19 et d'en faire un groupe où on laisse l'histoire naturelle évoluer.
05:22 C'était des groupes témoins.
05:25 Et tout un groupe pour lequel on faisait la désobstruction mécanique
05:28 alors qu'on pensait que c'était plus ou moins perdu.
05:30 Et là, gros surprise.
05:32 - Gros surprise de quoi ?
05:34 - Ce qui est important peut-être aussi,
05:37 c'est qu'il y a eu d'autres études qui ont essayé de montrer
05:40 si dans les AVC sévères ça pouvait être un traitement efficace,
05:43 mais ils ont exclu a priori les très très sévères.
05:46 Et donc on s'est dit "pourquoi les exsures, on essaie".
05:48 Et tout le monde disait "oh là là, mais ils ont pris des trop sévères".
05:51 Et l'énorme surprise ça a été qu'il y a un bénéfice
05:54 pour les patients chez les patients sévères,
05:56 y compris le sous-groupe, qui est important,
05:58 c'est plus de la moitié des patients de notre étude, très très sévères.
06:01 Où avant tout le monde disait "bon bah c'est mort là maintenant".
06:04 - Et donc vous avez constaté une réduction du nombre de décès des gens ?
06:07 - Oui, de moitié.
06:08 - De moitié, ce qui est considérable.
06:09 - Oui c'est considérable, il y a très peu de traitements en médecine qui permettent ça.
06:12 Mais aussi important,
06:15 parce que si c'est ne pas mourir pour rester dans un lit totalement dépendant,
06:20 avoir une qualité de vie catastrophique,
06:22 c'est pas vraiment ce que l'on souhaite.
06:24 Pour nous c'est un mauvais résultat.
06:25 - Il faut la récupération derrière.
06:26 Et ça vous avez noté des bénéfices ?
06:28 - On a vu qu'il y a un patient sur cinq,
06:31 donc c'est quasiment 20%,
06:33 qui va rentrer à la maison.
06:35 - Alors qu'avant non ?
06:36 - Dans le groupe contrôle,
06:38 ils meurent tous, ceux qui n'ont pas été détruits,
06:41 et il y en a moins de 5% qui pourraient éventuellement
06:44 candidater pour rentrer à la maison.
06:46 Alors que là, quand on les traite, même s'ils paraissent dépassés,
06:48 dans les 7 premières heures, ça c'est très important,
06:50 c'est quand même quand on en intervient, très rapidement que ça marche,
06:53 et bien il y a 20% qui vont rentrer à la maison.
06:55 C'est quand même un résultat qui nous a complètement étonnés,
06:59 on a été surpris des résultats.
07:00 - Alors vous dites des trucs très importants,
07:02 dans les 7 premières heures, ça c'est essentiel.
07:04 - Oui c'est essentiel.
07:05 - Donc il faut rappeler à ceux qui nous écoutent,
07:06 que quand on est témoin d'une personne qui commence à montrer des signes inquiétants,
07:10 et on va rappeler lesquels grâce à vous,
07:12 il faut très vite, il ne faut pas réfléchir,
07:14 il faut intervenir.
07:15 - Oui, il faut appeler le 15.
07:16 - C'est quoi les signes qui peuvent, les signes avant-coureurs ?
07:18 - Il n'y a pas de signes avant-coureurs,
07:20 c'est pour ça que ça s'appelle parfois attaque cérébrale,
07:22 c'est ce qui est compliqué.
07:23 Ce qui est sûr c'est que ça vient brutalement,
07:25 et les signes peuvent être différents selon la zone du cerveau touchée.
07:28 Donc le plus souvent, les signes classiques,
07:30 c'est la paralysie d'un côté,
07:32 je ne bouge pas tout un côté, tout un côté.
07:34 Ensuite, les troubles du langage.
07:36 Le problème c'est qu'ils ont des troubles du langage,
07:38 donc ils ne savent pas appeler eux-mêmes les secours.
07:40 Donc il faut vraiment que l'entourage soit au courant de ces symptômes.
07:43 Parfois ça peut être un ne pas voir d'un côté.
07:46 - Professeur Costala ?
07:47 - Oui, c'est le problème qu'on a souvent avec les symptômes d'AVC,
07:51 c'est qu'il n'y a pas de douleur.
07:53 Alors que les gens qui ont mal au cœur, ont mal à la poitrine,
07:56 ils comprennent de suite que c'est grave.
07:58 Et souvent on a des situations de retard,
08:00 parce que les gens vont négliger.
08:01 Comme ça ne fait pas mal, ils pensent que ça va passer,
08:03 surtout quand c'est mineur, quand le trouble.
08:05 Et finalement quand c'est mineur et que ça commence,
08:07 c'est là où on peut être hyper efficace,
08:09 parfois en venant à l'hôpital rapidement.
08:10 Donc c'est ça, ce que vous dites est très important,
08:12 il ne faut pas négliger le symptôme, même s'il ne fait pas mal.
08:16 - Quand vous dites qu'il n'y a pas de signe avant-coureur,
08:18 j'ai en tête l'exemple d'une personne dans ma famille
08:21 qui voulait dire "je voudrais de la viande"
08:24 et qui a dit "je voudrais de la vinade"
08:26 et qui n'arrivait plus à retrouver le mot.
08:28 Est-ce que, alors il n'y a rien eu derrière,
08:30 mais est-ce que ça c'est quand même le signe qu'à un moment
08:33 il peut y avoir quelque chose de plus grave,
08:35 peut-être dans plusieurs mois, plusieurs années, je ne sais pas.
08:38 - Pire que ça, en fait quand il y a un symptôme comme ça,
08:40 résolutif, en fait c'est un mini-AVC.
08:43 Et c'est super grave parce qu'il y a un énorme risque
08:45 de faire un vrai AVC, où on peut mourir quand même.
08:47 Ou garder des séquelles.
08:49 Très important. Donc en fait ça c'est la plus grosse urgence.
08:52 Donc si on a quelqu'un dans notre famille,
08:54 il faut d'emblée l'emmener à l'hôpital.
08:56 - Bon, cette étude maintenant elle va servir à quoi ?
08:58 Concrètement la suite c'est quoi ? Rapidement ?
09:00 - Alors là il y a quelque chose qui est hyper intéressant
09:02 parce que pour nous, ça remet en cause un peu
09:05 le paradigme de compréhension de la mort neuronale
09:08 à la phase aiguë de l'AVC.
09:10 C'est-à-dire que ceux qu'on pensait être morts
09:12 à l'imagerie médicale ne l'est pas.
09:14 Donc ce qui est très intéressant,
09:16 c'est que ça veut dire que ce tissu en souffrance très aiguë,
09:18 à l'intérieur, il n'est pas complètement mort.
09:20 Il y a des îlots de neurones qui survivent.
09:22 - Donc ça va changer beaucoup dans la prison ?
09:24 - Donc ça ouvre des...
09:26 Déjà ça élimine le comportement de sélection.
09:29 C'est-à-dire qu'aujourd'hui on sélectionnait les gens
09:31 dans les sept premières heures en disant
09:33 "On est grave, vous êtes grave, vous êtes trop grave,
09:35 donc du coup on ne vous traite pas, donc ça, ça va disparaître."
09:37 Mais aussi ça ouvre la possibilité
09:39 de développer des médicaments
09:41 supplémentaires à la phase aiguë d'infarctus
09:43 qui vont aller chercher ces neurones en souffrance hyper aiguë
09:45 pour essayer d'en ramener encore plus à la vie.
09:47 - Ça va tout changer.
09:49 - Oui, ça va changer, c'est beaucoup de choses.
09:51 Et sans doute tout changer, comme vous le dites.
09:53 Merci Docteur Caroline Arquizan,
09:55 merci Professeur Vincent Costela
09:57 et bravo surtout pour les résultats de vos travaux et de vos études.
09:59 - Merci à vous de nous avoir invités.

Recommandations