Chaque semaine, Guillaume Durand reçoit deux auteurs, romanciers, essayistes, biographes... dans « Au bonheur des livres », l'émission littéraire de Public Sénat. Le rendez-vous propose également une séquence dédiée aux lecteurs et une sélection d'ouvrages à ne pas manquer. Année de Production : 2023
Category
📺
TVTranscription
00:00Retrouvez « Au bonheur des livres » avec le Centre national du livre.
00:05Générique
00:23Quel bonheur de vous retrouver et de retrouver Tatiana Derounais pour Poussière blonde,
00:27un roman publié aux éditions Albert Michel.
00:29Voici Tatiana, bonjour.
00:31Et bienvenue sur Public Sénat.
00:33Et la fille de Lake Placide, donc, par Marie Charelle, voici.
00:38Nous sommes en pleine mythologie américaine, puisque d'un côté il est question de Marilyn Monroe
00:43et de l'autre il est question de Lana Del Rey et de John Bez.
00:47Enfin, il est question.
00:48Vous allez voir que tout ça est beaucoup plus compliqué.
00:50Et nous allons commencer avec Tatiana, car en fait, la véritable héroïne de votre roman,
00:54Tatiana est une jeune femme d'origine française dont la mère, Marcel, a épousé un GI.
00:59Elle se retrouve dans le Nevada, dans la région de Reno, avec une passion effrénée.
01:07On va arriver à Marilyn, mais doucement.
01:09Une passion effrénée qui est l'équitation, le cheval, la liberté, les mustangs, tout ça.
01:15Elle pratique ça avec une amie.
01:17– Alors c'est vrai que quand j'ai fait des recherches sur le Nevada,
01:22parce que je n'y suis jamais allée, figurez-vous,
01:25mais ça m'a tellement inspirée.
01:27Ces chevaux, ces mustangs, tout ce qui tourne autour de ce fameux film,
01:33les Misfits, le tournage, l'hôtel, le MAPS.
01:37Et donc, mon héroïne Pauline…
01:39– Qui ressemble dans une version amoindrie au Chrysler Building à New York,
01:42pour ceux qui ont eu la chance d'aller au Chrysler Building à New York.
01:45– Exactement, sauf que c'est plus petit, plus modeste,
01:48parce qu'on est vraiment dans le fin fond.
01:50Reno est beaucoup moins glamour que New York, d'ailleurs.
01:53Et donc, Pauline, mon histoire, elle est vue à travers les yeux
01:56de cette jeune femme française qui se retrouve au Nevada.
01:59Moi, j'avais envie de montrer un petit peu l'envers du décor,
02:02non seulement de tout ce qui va se passer dans cet hôtel incroyable,
02:05qui n'existe plus, qui a été démoli en 2000.
02:07– Au début des années 2000, vous dites.
02:09– C'est ça, en 2000.
02:10Mais j'avais envie d'évoquer tout ce qui s'est passé dans cet hôtel,
02:13puisque je m'intéresse aux lieux.
02:15Et puis, bien sûr, c'était une façon détournée d'arriver à Marilyn Monroe.
02:21Mais pas que, parce que Marilyn Monroe n'est pas l'héroïne de ce livre,
02:25même si elle est en couverture.
02:27Ce n'est pas du tout elle, ce n'est pas une biographie d'elle.
02:29– Oui, c'est Pauline.
02:30– C'est Pauline, dont la vie va changer,
02:33parce qu'elle nettoie la chambre de Marilyn Monroe.
02:36Elle est femme de ménage.
02:37– Voilà, il y a eu une absente, je vous ai lue avec attention.
02:41Les dirigeants de l'hôtel lui disent, il faut absolument que tu y ailles,
02:45parce que c'est la suite de 614.
02:48Et donc, elle commence à ranger cette chambre de Marilyn,
02:51dans l'absence de Marilyn, qui tourne.
02:53Et puis finalement, petit à petit, elle devient la confidente de Marilyn.
02:56Puis Marilyn l'invite à participer à une soirée
03:00que vous décrivez d'une manière hallucinante,
03:02qui se passe dans la suite, et puis dans le dôme de l'hôtel,
03:05avec tout son entourage, que vous racontez, que j'ignorais,
03:09le masseur, les gens qui s'occupent de son make-up,
03:13Mme Strasberg, qui la fait répéter toujours,
03:16et puis ce couple invraisemblable.
03:17Alors, j'essaye de… et puis après, c'est évidemment vous qui allez intervenir.
03:21Mais surtout, il y a quelque chose qui est très important pour les yeux de Pauline,
03:25c'est la tension terrible qui existe entre Marilyn, Arthur Miller,
03:29et celui qui n'est plus là, mais qu'elle aime toujours, Yves Montand,
03:33et un tournage qui est une catastrophe.
03:35– C'est vrai que je voulais montrer tout ça à travers les yeux de cette jeune femme.
03:38D'ailleurs, ça me fait plaisir quand on me demande
03:40est-ce que cette Pauline, elle a vraiment existé ?
03:43Et là, je me suis dit, ah, j'ai peut-être réussi ce personnage.
03:46C'est à travers ses yeux, assez naïf, puisqu'elle est jeune,
03:49elle n'a que 21 ans, elle est fille-mère,
03:52elle a une petite vie, on va dire, pas terrible,
03:55elle est coincée dans cette petite vie, puis elle va donc nettoyer cette suite,
03:59et Mrs Miller, qu'elle ne va pas reconnaître tout de suite,
04:02parce que Mrs Miller, alias Marilyn Monroe, était vraiment au bout du rouleau.
04:06Son mariage battait de l'aile.
04:08Ce tournage des désaxés, les misfits, c'est absolument effroyable.
04:13D'ailleurs, tous les acteurs sont morts peu de temps après le tournage.
04:17– Oui, et ils boivent comme des trous.
04:19– Ils boivent, ils descendent au casino.
04:21– Ils vont au Target Bowl, Montgomery Clift.
04:24– C'est ça. – Harry Wallach, John Huston.
04:26– C'est ça.
04:27Et donc, si vous voulez, les yeux de Pauline ont été très précieux pour moi,
04:31parce que je ne pouvais pas raconter cette histoire
04:34autrement que par ce regard-là, qui est un peu innocent.
04:40Elle ne connaît rien au cinéma.
04:42Elle, c'est les Mustangs qui l'intéressent, les chevaux.
04:45Et donc, vous avez dit tout à l'heure, la confidente,
04:49je ne dirais pas tout à fait, je dirais une espèce de sororité.
04:54Elles n'ont que 12 ans de différence, Pauline et Mrs Miller,
04:58mais elles sont chacune assez malheureuses dans leur vie.
05:03Et quelque part, c'est cette rencontre qui va permettre
05:06à cette jeune femme de prendre son envol.
05:08Et c'est vraiment ça que j'ai essayé de montrer.
05:10– Et de devenir vétérinaire. – C'était son rêve.
05:12Absolument.
05:13– Si vous, non pas que vous négligez, mais les parents,
05:17Marcel, sa maman, ne veulent absolument pas
05:21qu'elle épouse une sorte de guardian local ou un cow-boy local.
05:25Donc, elle le prédestine à un des personnages de l'hôtel
05:29qui est un beau jeune homme, extrêmement réaliste et qui…
05:33– Assez médiocre.
05:34– Qui s'appelle Kendall.
05:36Elle aura une histoire, mais ça se terminera évidemment très vite.
05:39Mais ce que j'ai trouvé très poétique, c'est justement
05:41de voir cette jeune femme monter dans la vie,
05:44dans la conscience qu'on a de la vie.
05:46Et Marilyn s'effacer, elle, de la vie.
05:48Parce que les petits détails qui donnent cette fragilité,
05:52c'est les perruques posées.
05:54En fait, la Marilyn que vous décrivez est déjà une femme
05:57qui n'a plus ses cheveux exceptionnels,
05:59elle est obligée de mettre des perruques.
06:01La dame qui vient lui faire sa couleur ne vient que toutes les trois semaines.
06:05Elle est au bord d'une certaine forme d'inconscience, en fait.
06:11– Puis surtout, elle prend beaucoup de médicaments.
06:14– Oui.
06:15– Et ce qui était intéressant pour moi, pourquoi une femme de chambre ?
06:19Parce qu'une femme de chambre, elle a accès à toute l'intimité de quelqu'un.
06:23– C'est votre côté muniel.
06:25– Quand vous allez à l'hôtel, il y a quelqu'un qui fait votre lit,
06:28que vous ne voyez d'ailleurs peut-être pas.
06:30Et cette personne, elle va voir tout de vous,
06:33ce que vous lisez, comment vous avez dormi,
06:35les médicaments que vous prenez, vos vêtements.
06:38– Les lettres qui sont interceptées.
06:40– Exactement, et puis ce qu'il y a dans les poubelles.
06:43Et donc, je me suis beaucoup amusée à rentrer dans l'intimité
06:47de Marilyn Monroe comme ça.
06:49Ça ne m'intéressait pas d'évoquer la déesse blonde
06:53et un peu superficielle qu'on connaît tous,
06:57la blonde desservelée de ces films qu'elle n'aimait pas tourner d'ailleurs.
07:02Moi, je voulais montrer la femme du matin qui n'arrive pas à se réveiller
07:06et qui finalement est une femme comme une autre,
07:08qui va donner un petit coup de pouce à Pauline,
07:11qui est à la fois paumée mais extrêmement gentille
07:15pour justement tous ces happy people, ces joyeuses cliques,
07:19ces gens qui l'entouraient.
07:20– L'issue est plutôt heureuse pour Pauline,
07:22elle est plutôt tragique pour Marilyn.
07:24Alors, le livre n'est pas une enquête,
07:26il y a eu des dizaines de livres d'enquête sur la mort de Marilyn
07:29à Hollywood, dans sa petite maison modeste à Los Angeles.
07:32Il y a simplement un petit aspect, qui d'ailleurs nous titille forcément,
07:37que vous mettez en avant, Tatiana, comme romancière,
07:40c'est le rôle des médecins.
07:41Parce que d'après ce qu'on comprend de ce que vous dites,
07:44au fond, dans cette espèce de déchéance de Marilyn,
07:48il y a aussi beaucoup de médecins inconséquents,
07:50plutôt que de la CIA, des frères Kennedy, des complots,
07:54mais des gens qui donnent des médicaments sur des médicaments
07:57sans savoir quels sont les médicaments qu'elle a pris avant,
08:00donc tout ça crée des cocktails.
08:03Il y a un personnage de médecin qui arrive, appelé par Arthur Miller,
08:06et qui lui donne un produit très fort,
08:08et qui contribue évidemment à la déstabiliser encore plus.
08:12– Oui, c'est vrai que j'ai beaucoup lu là-dessus,
08:15même si moi-même, j'ai une opinion, bien sûr,
08:18mais la mort de Marilyn reste un mystère absolu.
08:22On peut mettre là-dedans…
08:24Il y a tous les complotistes de la Terre qui peuvent s'engouffrer,
08:27les histoires…
08:28– Don Wolf, en 1998, a écrit un livre, qui semble-t-il est très documenté,
08:31et qui lui est très accusateur, disant que…
08:34– Absolument.
08:35– Trois hommes ont quitté…
08:36– C'est ça, et puis il y a les frères Kennedy,
08:39puis il y a toute l'histoire de, est-ce qu'elle s'est finalement suicidée ?
08:43On va dire 62 ans après, on se pose encore cette question.
08:46Moi, je me suis basée sur ce qu'a dit son dernier biographe,
08:50monsieur Spoto, qui disait qu'il est persuadé
08:54que c'est une histoire de…
08:56ces deux médecins traitants qui ne se sont pas concertés.
09:00– C'est ce que vous dites.
09:02– Elle était d'ailleurs une grande pro
09:04de comment obtenir des médicaments derrière le dos de tout le monde.
09:07C'était quelqu'un qui, comme beaucoup d'acteurs à l'époque,
09:09d'ailleurs Montgomery Cliffe était dans le même état.
09:11– Ou même Sagan, que j'ai bien connu.
09:13– Voilà, donc elle savait comment aller chercher les médicaments,
09:16et puis personne n'a fait attention vraiment à elle,
09:18et tout le monde lui donnait ses médicaments comme des Smarties, en fait,
09:21et c'est très triste.
09:23– Alors, le livre est magnifique, car le talent de Tatiana,
09:27c'est justement non pas de reconstituer, mais de raconter.
09:30C'est-à-dire qu'on les prie les uns après les autres,
09:32à la fois quand on voit ces mustangs formidables.
09:36La fille de Lake Plessy, donc, c'est chez les Audacieux,
09:39ce n'est pas votre premier roman,
09:41je ne parle même pas de la carrière de Tatiana que tout le monde connaît.
09:44Alors, vous, c'est une rencontre imaginée par vous, mais réelle,
09:48entre Lana Del Rey, qui est apparue il y a une dizaine d'années,
09:52avec une vidéo qui s'appelait Video Games,
09:55qui l'a sortie totalement de l'anonymat.
09:58Très jolie jeune femme, assez sophistiquée,
10:01évoquant justement assez bien les années 50-60,
10:04alors qu'on était dans les années 2000.
10:06Et voici qu'à un moment où John Bez,
10:09qui elle vit dans la forêt californienne,
10:11plus ou moins faisant de la natation,
10:14est abordé par sa secrétaire Anna,
10:16qui lui dit, j'essaie de vous raconter le début,
10:20à ne pas tout défleurer,
10:21qui lui dit, il y a quelqu'un au téléphone,
10:24je m'en fous, en gros, lui répond John Bez,
10:26mais c'est Lana Del Rey,
10:28qu'elle passe par mes agents s'il s'agit d'un concert de charité,
10:32enfin, elle est assez obtue au départ,
10:35et puis quand même,
10:36elle devient intriguée pour des raisons poétiques.
10:39Expliquez-moi pourquoi vous avez conçu et voulu ce livre, Marie ?
10:43Alors l'idée de départ, c'était de répondre à cette collection
10:46qui s'appelle Les Audacieuses,
10:47dont l'idée est de revisiter des figures de femmes inspirantes
10:50par le roman, pas par la biographie.
10:53Quand on m'a demandé si j'avais une idée comme ça
10:56de femmes inspirantes, audacieuses,
10:58j'étais en train de lire le recueil de poésie de Lana Del Rey.
11:01Et à ma grande surprise,
11:02parce que je connaissais ses chansons,
11:04ses clips un peu comme tout le monde,
11:06et j'étais happée par sa poésie.
11:08Je me suis dit, cette femme, c'est d'abord une poète,
11:11plus qu'une pop star.
11:12En tout cas, quand on lit ce livre-là, c'est très frappant.
11:15Et donc, à ce moment-là,
11:17j'ai découvert que John Bez a peint son portrait.
11:20Je me suis dit, ça éclaire de façon complètement différente
11:23cette artiste-là, Lana Del Rey,
11:25qu'on peut voir comme une femme très voluptueuse
11:28qui joue sur la féminité, etc.
11:30Mais non seulement c'est une poète,
11:31mais en plus, elle a séduit John Bez
11:33au point qu'elle a eu envie de peindre son portrait.
11:35Je me suis dit, là, il y a quelque chose.
11:36Qu'est-ce qui s'est passé entre ces deux femmes ?
11:38C'est aussi l'histoire d'une rencontre, finalement,
11:40entre ces deux profils qu'on peut imaginer opposés.
11:43D'un côté, la militante folk, très engagée politiquement.
11:46De l'autre côté, cette pop star qui est très médiatique
11:50et parfois un peu caricaturée.
11:52J'ai eu envie d'imaginer qu'est-ce qui s'est passé,
11:54comment Lana Del Rey a convaincu John Bez
11:56déjà de monter avec elle sur scène
11:58au moment où elle arrêtait sa carrière,
12:00de chanter avec elle et qu'après,
12:02elle a eu envie de la peindre.
12:04Je voudrais qu'on écoute simplement
12:05un petit extrait de Videogames, cette vidéo.
12:07Justement, on va entendre le son
12:09parce que les paroles montrent bien.
12:11It's you, it's all for you
12:14Everything I do
12:17I tell you all the time
12:19Heaven is a place on earth where you
12:23Tell me all the things you want to do
12:27I heard that you like the back...
12:29Marilyn Chan, d'ailleurs, dans le roman de Tatiana,
12:34il y a toujours cette idée des clochards célestes,
12:38des chercheurs d'or et en même temps,
12:40il y a un moment, je sais que tu aimes,
12:42de mémoire, je sais que tu aimes les méchantes,
12:44ça m'arrange, il y a toujours ce balancement
12:47entre une poésie américaine classique
12:50et en même temps un côté très assidulé.
12:53Et puis vous la faites se déplacer,
12:55parce qu'elle est née à Lake Plessy,
12:57dans les bois, dans la montagne,
12:59avec un petit personnage qui s'appelle Parker,
13:01très bizarre, puis elle va à New York,
13:03elle devient célèbre et elle fuit vers la Californie
13:06où au fond, est-ce que c'est vrai,
13:08est-ce que c'est faux, est-ce que c'est vous
13:10qui inventez, parce que vous êtes vous aussi audacieuse,
13:13des soirées où elle va dans des bars mexicains louches
13:16et elle finit la nuit avec des hommes,
13:19en leur laissant un petit mot et en disparaissant,
13:22ça c'est Marie ou c'est Lana ?
13:24Alors c'est les deux.
13:25Pour construire ce parcours qui reprend sa vie,
13:28vraiment l'effet de sa vie,
13:30je me suis basée sur ça, sur ses poèmes,
13:32sur ses textes, où elle parle
13:34de ses moments d'errance dans New York
13:36ou à Los Angeles, où elle suit un peu son instinct,
13:39elle vit des moments un peu lynchien,
13:41elle est très inspirée de David Lynch.
13:43Donc elle raconte ça dans ses textes.
13:45Est-ce que c'est elle ?
13:46Est-ce que c'est Lana Del Rey qui est un personnage
13:48qu'elle a construit finalement ?
13:49Parce qu'Elisabeth Grant n'est pas née Lana Del Rey.
13:52Il y a un côté Bowie en fait.
13:54Il y a un côté Bowie.
13:55C'est ça qui m'intéressait,
13:56c'est comment une jeune fille douée à la chorale
13:58devient une pop star, un personnage de scène,
14:02Lana Del Rey, c'est un peu comme David Bowie,
14:04comme Madonna, qui ont construit ces personnages
14:07derrière lesquels elle se cache aussi.
14:09Enfin, Madonna, c'est une dure.
14:11C'est une dure.
14:12Lana Del Rey, c'est pas...
14:13C'est pas une poète.
14:14Non, c'est...
14:15C'est pas une poète.
14:16Non.
14:17On peut dire ça.
14:18Et donc je me suis inspirée de sa poésie
14:20et de ce qu'elle raconte dans ses textes.
14:21Est-ce que c'est vraiment ce qu'elle a vécu ?
14:23Est-ce que c'est son inspiration ?
14:25On ne sait pas vraiment.
14:26Et c'est le pouvoir et la magie du roman,
14:29de pouvoir se nourrir de ça et de tout,
14:31tout cet imaginaire américain
14:33qu'elle charrie avec ses textes et son personnage,
14:35de David Lynch, les années 50,
14:37cette espèce de nostalgie d'une Amérique.
14:39C'est pour ça qu'il y a un lien.
14:41Il y a un lien entre vous deux.
14:43Il y a une chose sur le plan de la musique
14:45qui nous intéresse tous,
14:46parce que la musique et le roman, c'est lié,
14:48c'est que dans Lana Del Rey et John Bez,
14:50il y a aussi ce goût,
14:51on l'a entendu dans Video Games un peu,
14:53c'est très arrangé,
14:54mais ce qui est lié à John Bez,
14:56c'est quand même le respect un peu du silence.
14:59On n'est pas dans le truc assourdissant
15:03dénonçons nos camarades,
15:05Taylor Swift, Beyoncé, etc.
15:08La musique est quelque chose
15:11où le silence est respecté
15:13comme étant partie prenante de la mélodie,
15:15de l'impression,
15:17de quelque chose de vénéneux.
15:19– Exactement, de la dérespiration.
15:21– Voilà, on vient de vivre l'ouragan Taylor Swift,
15:23donc c'est important.
15:25Il faudrait quand même dire un mot de John Bez,
15:27parce que vous en faites un portrait très poétique
15:29de cette femme magnifique, 80 ans,
15:31dans sa forêt.
15:33Bob Dylan est très loin
15:35dans son éternel Never Ending Tour,
15:37et les années 60 aussi sont très loin,
15:41et donc elle a cette vie avec son fils,
15:44qui est musicien aussi,
15:46complètement retirée dans la forêt californienne.
15:49– C'est ça,
15:50où elle a une deuxième vie artistique quelque part,
15:52puisque maintenant elle peint beaucoup,
15:54des portraits de personnes qui l'inspirent,
15:56qu'elle a aimé, qu'elle aime,
15:58et elle ne chante plus,
15:59mais elle continue à créer différemment.
16:01Je trouvais ça aussi fascinant de se dire
16:03que quand on est un artiste et qu'on crée,
16:05on n'a pas forcément envie de rester dans une case
16:07de chanteuse, interprète, musicienne,
16:09comme Lana Del Rey ne reste pas dans sa case de pop star.
16:13– Mais vous avez vu ce qu'elle fait comme peinture ?
16:15Parce que souvent, vous savez,
16:17les artistes qui dominent dans un…
16:19Je ne sais pas, Anthony Hopkins fait de la peinture aussi,
16:21Stallone fait de la peinture,
16:23Ron Wood, Destone fait de la peinture,
16:25et parfois c'est assez effrayant.
16:27– On peut le voir, elle a un site internet
16:29où elle expose ses peintures.
16:31Je les trouve plutôt réussies, en tout cas ça m'a inspirée.
16:33Et ce portrait de Lana Del Rey,
16:35on le sent très juste, très doux, très poétique,
16:39voilà, elle est très réussie, je trouve.
16:43– Alors il y a un petit personnage,
16:45et après on va parler justement du roman
16:47et de cette mythologie américaine
16:49qui à la fois nous envahit,
16:51on se révolte souvent contre ça,
16:53mais qui en même temps nous charme tant,
16:55c'est-à-dire qu'elle est comme Billie Eilish
16:57avec son frère,
16:59elle a une sorte de double à Lana Del Rey
17:01dans la façon dont on l'a abordé ce métier.
17:05– C'est celui qui,
17:07elle le dit elle-même,
17:09et ils le disent tous les deux dans des interviews croisées,
17:11qu'il a capté chez elle cette part de folie,
17:15c'est elle qui dit ça,
17:17elle lui laisse entrevoir cette étrangeté
17:19qu'elle cultive dans la vie,
17:21mais aussi dans ses morceaux,
17:23parce que ses morceaux ne sont pas tous faciles d'accès,
17:25elle est aussi très audacieuse,
17:27elle fait des choses, parfois des morceaux très longs,
17:29des choses qui ne sont pas forcément…
17:31– Surtout dans son dernier album.
17:33– Mais fascinant,
17:35et lui l'aide à aller vers ça,
17:37et à creuser,
17:39à ne pas être dans la facilité,
17:41et en même temps d'être très créative aussi dans ses mots.
17:43– Tatiana, la culture américaine,
17:45quelle est la première chose
17:47qui vous est tombée dessus
17:49quand vous avez abordé comme romancière
17:51ce monde anglo-saxon
17:53qui est très particulier pour nous les Français,
17:55parce qu'à la fois il nous facile,
17:57et en même temps,
17:59un grand secteur de la société
18:03le rejette violemment.
18:05– C'est un peu différent pour moi,
18:07d'abord parce que j'ai une mère anglaise,
18:09pas américaine, mais anglaise,
18:11et ensuite je suis allée vivre aux États-Unis
18:13à l'âge de 7 ans,
18:15quand mon père est parti
18:17travailler là-bas au MIT à Boston,
18:19Boston n'est pas le Nevada,
18:21je concède,
18:23mais pour la petite fille
18:25que j'étais,
18:27ça a été un choc incroyable
18:29les États-Unis pour moi. – Mais positif ?
18:31– Bien sûr, vraiment positif,
18:33d'abord je dirais
18:35la nature, je n'oublierai jamais
18:37ces hivers
18:39extrêmement rudes,
18:41je n'oublierai jamais ces étés,
18:43les couleurs de l'automne,
18:45j'ai eu la chance de voyager aussi petite fille,
18:47aux États-Unis,
18:49et j'ai beaucoup voyagé là-bas,
18:51donc il y a l'aspect que je mets en scène,
18:53mais d'ailleurs que Marie met aussi en scène
18:55dans son roman, c'est cette nature
18:57qui est quand même…
18:59– Dominante. – Je pense aussi
19:01fascinante pour une écrivaine,
19:03et puis bien sûr,
19:05j'étais fascinée
19:07par cet aspect
19:09du Far West,
19:11et évidemment ces espaces
19:13immenses,
19:15ces endroits
19:17où il n'y a rien, d'ailleurs Arthur Miller
19:19décrit très bien dans ses mémoires,
19:21quand il faisait des repérages pour les Misfits,
19:23il décrivait
19:25ce désert comme étant presque
19:27comme un endroit qui est sur la Lune,
19:29qui est sans fin,
19:31qui n'a presque pas de couleur, tellement c'est délavé
19:33par le soleil, et puis bien sûr,
19:35Guillaume, moi je voulais parler
19:37des chevaux, des mustangs, ça fait partie…
19:39– Commander. – Voilà, commander,
19:41ça fait partie de cette
19:43espèce de symbole
19:45de l'Ouest américain, et bien sûr,
19:47il fallait tisser un lien
19:49entre les mustangs qui sont
19:51raflés, qui sont vendus
19:53pour devenir de la pâtée pour chiens,
19:55qui est le thème d'ailleurs des Misfits,
19:57un peu le parallèle… – Voir volés par
19:59hélicoptère, vous racontez… – C'est ça.
20:01– Quelquefois blessés. – Et quand on les voit
20:03dans le film, on voit
20:05ces scènes terribles où Clark Gable,
20:07et Ellie Whilek, et Montgomery Clift
20:09attrapent et raflent les mustangs qui vont
20:11les vendre pour une poignée de dollars,
20:13pour devenir du dog food, et Marilyn
20:15va s'insurger contre ça, et bien sûr,
20:17j'ai voulu tisser un parallèle entre
20:19le destin de ces chevaux,
20:21le destin de Marilyn et le destin de Pauline,
20:23bien sûr qui, elle, va s'émanciper
20:25de tout ça qu'il va pouvoir…
20:27Vous avez cité Commander tout à l'heure,
20:29c'est mon premier héros animalier,
20:31mais il a un certain succès,
20:33mais il représente pour moi
20:35cette liberté de ces grandes
20:37plaines américaines
20:39où il y a juste du vent,
20:41des rochers,
20:43de la poussière,
20:45la poussière du désert, et bien sûr,
20:47cette immensité, et ces mustangs
20:49existent toujours, bien sûr. – Mais comme écrivain,
20:51et je voudrais la même question à Marie,
20:53ce qui est arrivé…
20:55Bon, alors, l'éducation est classique,
20:57en France… – Non, aux États-Unis.
20:59– Oui, aux États-Unis.
21:01– Et ensuite en Grande-Bretagne.
21:03Assez peu en France. – Voilà, c'est ça
21:05qui est différent. – Oui.
21:07– Vous avez commencé, quoi, par Walt Whitman,
21:09Scott Fitzgerald, David Guetta ? – Oui, absolument.
21:11– Alors que nous, on a été plongé dans Balzac,
21:13Fulber, Stendhal et La Fontaine.
21:15– Et bien sûr, et tous les Anglais, Oscar Wilde.
21:17– Oui.
21:19– Et bien sûr, c'est vrai que
21:21j'ai gardé une affection pour mon
21:23enfance américaine, et j'ai voulu montrer
21:25la fascination
21:27que ces grands espaces peuvent avoir
21:29sur une enfant parisienne de surcroît
21:31qui n'a jamais rien vu de pareil.
21:33– Marie, vous êtes journaliste au Monde,
21:35ce n'est pas un défaut.
21:37Vous occupez le problème économique.
21:39Et donc, en même temps,
21:41Lana Del Rey, John Bez, etc.,
21:43on n'est pas tous les trois
21:45exactement de la même génération.
21:47Pourquoi, justement, cette mythologie
21:49fonctionne aussi chez vous ?
21:51– Alors, j'ai grandi dans les années 90,
21:53beaucoup devant la télévision.
21:55Et donc, j'ai avalé
21:57toutes les séries américaines
21:59des années 90,
22:01tous les téléfilms, tout.
22:03Toutes les télévisions.
22:05– Mais volontairement ou forcée
22:07par votre grand-maman ?
22:09Comme une sorte d'infusion générale ?
22:11– Elle était là, allumée, comme ça.
22:13Et je zappais moi-même.
22:15Et donc, parfois, je regardais très, très tard
22:17des choses totalement interdites
22:19pour mon âge, dont X-Files,
22:21David Lynch, donc toutes ces choses-là.
22:23Et en fait, on retrouve ça aussi
22:25dans Lana Del Rey, dans Videogames,
22:27toutes ces images, les châteaux d'eau,
22:29la Californie, les plages.
22:31Tout ça, ça a infusé, même.
22:33Beverly Hills, donc des séries pas forcément très, très bonnes,
22:35mais où ça, c'est présent.
22:37Tout cet imaginaire-là.
22:39– Le cinéma, pareil.
22:41– Le cinéma. Donc ça a infusé,
22:43quelque part, ça a nourri un peu ce fond-là.
22:45Et puis plus tard, quand je suis allée aux États-Unis,
22:47c'était une période différente parce que c'était,
22:49en tant que journaliste,
22:51c'était 2008, c'était la crise financière.
22:53Et c'était Détroit, ravagée
22:55par la crise, New York,
22:57où toutes les boutiques étaient fermées.
22:59C'était très différent.
23:01Et en même temps, je pense qu'on vit tout ça
23:03quand on arrive à New York et qu'on voit les taxis jaunes
23:05et qu'on a vu ça pendant toute son enfance
23:07dans la série, on a l'impression de connaître
23:09ces endroits, d'aller dans des endroits
23:11qu'on connaît intimement
23:13mais en même temps qu'on ne connaît pas, qu'on a découvert.
23:15Donc cette espèce de décalage, de nostalgie
23:17du New York des séries, qui est New York en crise.
23:19Tout ça, je l'ai retrouvé
23:21aussi chez Lana Del Rey.
23:23Cette nostalgie
23:25d'États-Unis qui n'existe pas vraiment,
23:27qu'on aimerait comme une terre de liberté
23:29parce que ce sont des valeurs fortes
23:31en même temps qu'ils sont dévoyés aujourd'hui.
23:33Ce que ça veut dire la liberté
23:35pour une certaine partie de l'Amérique
23:37de Trump. Voilà, donc tout ça
23:39je pense nourrit l'imaginaire aussi
23:41de ma génération.
23:43Alors la fille de l'Explicide, c'est donc
23:45Marie Charelle.
23:47Vous retrouverez, Marie d'ailleurs l'a dit
23:49et Tatiana les a consultées. Il y a beaucoup de vidéos
23:51de ce concert un peu mythique
23:53entre Lana Del Rey et John Bez
23:55puisqu'au départ du roman, elle lui téléphone
23:57pour participer à ce
23:59concert.
24:01Tatiana, alors les images de Marilyn,
24:03il y en a évidemment énormément.
24:05Et puis en même temps, le cinéma
24:07américain maintenant
24:09finit par revenir
24:11sur sa propre histoire. Par exemple, Tarantino
24:13qui évoque l'affaire Polanski
24:15dans son propre film.
24:17Et donc,
24:19le livre de Tatiana est évidemment très poétique.
24:21Il passe par une française mais il revient sur
24:23toute cette mythologie
24:25d'un monde
24:27qui est un peu englouti.
24:29Sauf qu'arrive le festival de Cannes
24:31et que donc un des monstres
24:33qui est encore survivant
24:35de ce monde-là,
24:37Francis Ford Coppola,
24:39arrive avec un film
24:41qui combine depuis 20 ans
24:43sans y arriver, un peu comme Apocalypse Now
24:45qui s'appelle Mégalopolis.
24:47J'ai pensé à ça
24:49en pensant à vos deux livres parce que
24:51c'est l'histoire d'un New York détruit
24:53avec un maire cynique
24:55et un architecte utopiste
24:57qui est joué par Adam Driver.
24:59Et Coppola, c'est un truc qui est
25:01inenvisageable quand on connaît la façon
25:03dont on fonctionne en France. Il a mis
25:05100 millions de sa fortune personnelle
25:07pour fabriquer ce film
25:09année après année
25:11en virant les gens, en changeant,
25:13etc. Et il y a aussi cette dimension-là
25:15qui est de la façon
25:17dont les Américains vivent,
25:19comme d'autres d'ailleurs, qui est assez incompréhensible
25:21pour nous,
25:23intellectuels, artistes,
25:25pas de moi, mais français,
25:27où tout est subventionné.
25:29On n'a pas cette dimension-là.
25:31– Ils n'ont pas le même rapport
25:33à l'État.
25:35C'est pas la même définition de la liberté.
25:37Nous, en France,
25:39la liberté, c'est avec tout,
25:41avec l'État-providence, avec un système de santé,
25:43tous ces filets-là.
25:45Aux États-Unis, c'est plutôt non,
25:47pas l'État qui s'imprègne,
25:49qui vient dans nos vies, y compris
25:51tout ce qui peut être, nous, vu comme des protections.
25:53C'est très déroutant aussi, quand on plonge
25:55un peu dans la psychologie américaine,
25:57ce que veut dire la liberté.
25:59C'est pas la même, c'est le Far West, c'est cette idée
26:01qu'il y a toujours cet espace à conquérir.
26:03Et je me retrouve dans ces descriptions de
26:05tout est plus grand en Amérique du Nord,
26:07littéralement, tout est plus large,
26:09même les gens sont plus grands,
26:11plus gros, tout est
26:13démesuré, en fait.
26:15– Dernière question, Tatiana.
26:17Quel est votre film préféré de Marilyn ?
26:19– C'est évidemment The Misfits,
26:21parce que c'est son dernier film achevé,
26:23et c'est celui où
26:25elle a pu, c'est la seule fois
26:27où elle a pu donner peut-être
26:29une vraie ampleur à un rôle.
26:31Je revois cette scène où elle hurle
26:33dans le désert.
26:35On n'a jamais vu Marilyn Monroe
26:37comme ça, et d'ailleurs le film n'a pas du tout marché
26:39quand il est sorti en 61.
26:41Mais maintenant, il a ses fans.
26:43– Et puis on retrouve aussi
26:45beaucoup de choses,
26:47on pourrait parler pendant des heures de Marilyn,
26:49beaucoup de choses concernant
26:51ses lectures sophistiquées,
26:53son écriture sophistiquée,
26:55car elle n'était pas du tout qu'eux, bien au contraire.
26:57Grande partie de cette carrière a été
26:59dissimulée par le cinéma, au fond,
27:01elle était un peu comme Lana Del Rey,
27:03c'est-à-dire qu'elle avait un autre monde
27:05dans le monde dans lequel elle vivait.
27:07Merci à toutes les deux, j'étais ravi de vous recevoir.
27:09En tout cas, Public Sénat et moi-même
27:11étions ravis de vous recevoir.
27:13Le roman est publié aux éditions
27:15Abel et Michel avec une très jolie couverture.
27:17Et donc, une jeune femme énigmatique
27:19au bord d'un lac avec
27:21une couronne de fleurs.
27:23C'est à la fois Lana Del Rey
27:25et en même temps John Bass. Merci à toutes les deux.
27:27– Merci. – Merci beaucoup.
27:29– Nous étions ravis de vous recevoir. À bientôt.
27:31– Sous-titrage ST' 501