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100% Sénat diffuse et décrypte les moments forts de l'examen des textes dans l'Hémicycle, ainsi que des auditions d'experts et de personnalités politiques entendues par les commissions du Sénat.
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00:00:10 Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans 100% Sénat.
00:00:13 C'est une élection qui aura des conséquences sur le monde entier.
00:00:16 En novembre, les États-Unis votent pour élire leur nouveau président.
00:00:20 Deux candidats devraient s'affronter, Joe Biden, l'actuel président démocrate des États-Unis,
00:00:26 et Donald Trump, l'ex-président les Républicains.
00:00:29 C'est dans ce contexte que la Commission des affaires étrangères du Sénat organise une conférence intitulée très simplement "Où vont les États-Unis ?"
00:00:37 C'est ce que nous allons découvrir avec ces échanges.
00:00:40 Le président des États-Unis est appelé chaque année à faire un discours de l'État de l'Union.
00:00:45 Alors dans ma très modeste position, je vais faire un petit peu la même chose.
00:00:49 Et je dirais pour commencer que l'État de l'Union est assez préoccupant.
00:00:52 Il est incertain et selon qui parle, il est extrêmement variable.
00:00:56 En effet, il faut distinguer de plus en plus les États-Unis, qui est une réalité objective, de l'Amérique, qui est une idée affective.
00:01:03 Et de plus en plus, on a un fossé, voire un grand canyon, entre la réalité et la perception de ces réalités.
00:01:11 Et le problème, c'est que ce n'est plus la réalité qui domine et qui fera l'élection,
00:01:15 mais diverses perceptions plus ou moins irréalistes de cette réalité.
00:01:20 Deux exemples très rapides en matière économique et en matière de sécurité.
00:01:26 Si vous demandez à des économistes, par exemple, comment se portent les États-Unis,
00:01:32 vous n'aurez pas du tout la même réponse que quand vous demandez à des sondés dans la rue et donc à des électeurs.
00:01:38 Une autre distinction que l'on voit, c'est la différence entre la perception personnelle et la perception collective.
00:01:45 C'est-à-dire que le syndrome de "moi ça va, mais le pays va dans le mur" pour dire les choses un petit peu rapidement,
00:01:51 c'est quelque chose que la plupart des sondages et des enquêtes économiques nous disent.
00:01:55 Et évidemment, tout cela est assez profondément dicté par les identités partisanes.
00:02:00 Et donc, le verdict va changer très rapidement selon qui est à la maison blanche, pas selon la réalité de l'économie.
00:02:09 Donc, où va l'Amérique ? Que reste-t-il du rêve américain, ce mythe structurant qui fait et défait les campagnes ?
00:02:15 Peut-on parler ou doit-on parler du déclin des États-Unis ou du spectre du déclin ?
00:02:20 Et ce spectre du déclin n'est-il pas finalement plus révélateur de l'état de la société ?
00:02:25 S'agit-il enfin de l'élection de la dernière chance ?
00:02:29 Et si on était un petit peu taquin, on serait tenté de dire encore l'élection de la dernière chance,
00:02:34 après l'élection de la dernière chance de 2016 et celle de 2020.
00:02:37 Ne s'agit-il pas là en réalité d'une dramatisation des enjeux qui, à défaut de refléter la réalité,
00:02:44 reflète la réalité d'une économie des médias qui repose sur le sensationnalisme
00:02:49 et des dynamiques de campagne fondées sur la mobilisation par les émotions, la peur, la colère et l'indignation ?
00:02:56 Et le problème, c'est que ce sont les miroirs, les prismes à travers lesquels nous voyons la société américaine.
00:03:03 Je vais faire d'abord un panorama assez rapide des grands thèmes de la campagne.
00:03:08 Évidemment, tout est dominé par la question économique et l'inflation et le coût de la vie.
00:03:14 Là encore, en réel et en perçu.
00:03:18 C'est-à-dire que si vous demandez à un économiste comment va l'économie américaine,
00:03:22 il va utiliser un certain nombre d'indicateurs pour vous dire que finalement,
00:03:25 tout va plutôt bien et que l'économie américaine se porte bien.
00:03:28 Quand vous demandez leur avis au sondé, ils vont vous expliquer que le prix des œufs est bien plus élevé qu'il l'était avant Covid,
00:03:37 que le prix de l'immobilier est intouchable et que, de ce point de vue-là,
00:03:41 le rêve américain de l'accession à la propriété, mais également, pas seulement de l'accession à la propriété,
00:03:48 mais le fait de pouvoir rester chez soi quand on est locataire, il y a de plus en plus de locataires aux États-Unis, devient un mirage.
00:03:56 Les loyers ont énormément augmenté, le prix de l'immobilier a explosé,
00:04:01 les taux assez prohibitifs par rapport à l'avant Covid n'aident pas.
00:04:06 C'est de plus en plus difficile, non pas seulement d'acheter une maison, mais de rester chez soi.
00:04:11 Il y a de plus en plus cette idée d'un rêve américain qui est de plus en plus hors de portée.
00:04:18 L'avortement sera un des moteurs de la campagne,
00:04:23 plus ou moins en faveur des démocrates, selon la capacité de mobilisation de leur électorat.
00:04:29 On a vu dans un certain nombre d'États conservateurs qu'il pouvait y avoir une surmobilisation des électorats démocrates,
00:04:35 mais également des électorats modérés.
00:04:37 C'est un des rayons de soleil, d'une certaine manière, pour le camp démocrate.
00:04:43 La question migratoire est évidemment assez centrale.
00:04:47 Elle l'était davantage en décembre et en janvier.
00:04:49 Elle l'est moins, mais on ne sait pas exactement à quel niveau elle sera en octobre, là où ça comptera le plus.
00:04:57 Toujours est-il que l'Amérique fait toujours rêver, en tout cas à l'extérieur, quand on voit les niveaux d'immigration.
00:05:03 Il y a un attrait de l'économie américaine qui n'était pas le cas, par exemple, il y a une quinzaine d'années,
00:05:09 où l'immigration avait considérablement reflué.
00:05:13 L'opinion est beaucoup plus ouverte à une politique de fermeté vis-à-vis de l'immigration clandestine,
00:05:20 ce qui plaide plutôt pour la politique de M. Trump.
00:05:25 Mais deux questions sont assez évidentes quand on entend ces propositions de campagne.
00:05:33 La première, c'est comment mettre en place, comment mettre en œuvre une politique répressive à impôts constants,
00:05:39 voire conjugués à des baisses d'impôts.
00:05:42 Ça semble assez compliqué, dans la mesure également, par exemple, il a fait échouer un projet de loi
00:05:49 qui visait justement à donner plus de moyens à une politique relativement répressive.
00:05:54 Comment également, dans une politique qui vise d'un côté à lutter contre l'inflation,
00:05:58 comment se passer de 10 à 12 millions de travailleurs, notamment dans le secteur agricole,
00:06:03 sans provoquer une explosion inflationniste et donc annuler les effets d'une campagne axée sur l'économie et le coût de la vie.
00:06:11 Dans l'argumentaire républicain, la question de l'immigration est étroitement liée à la question de la sécurité et de la criminalité.
00:06:20 Là, il y a deux prismes.
00:06:22 La longue durée qui prend les données depuis les années 80 et qui montre une très forte baisse de la criminalité.
00:06:29 Dans les années 80, la criminalité était incroyablement plus élevée qu'elle l'est actuellement,
00:06:33 ce qui permet de se poser un petit peu des questions sur la nostalgie des années 80 qui domine aux États-Unis.
00:06:40 En revanche, dans cette longue baisse de la criminalité, on remarque qu'au moment de la période Covid,
00:06:47 il y a eu une recrudescence de la criminalité.
00:06:49 La légère baisse actuelle est notable, mais dans l'imaginaire, il demeure que la sécurité semble avoir diminué.
00:06:59 Donc, on est encore dans la dialectique de réalité et perception.
00:07:04 Dans le domaine de la santé, qui est à nouveau ici un point qui pourrait jouer en faveur des démocrates,
00:07:13 une des grandes dynamiques, c'est qu'elle doit être le rôle de l'État fédéral, le rôle régulateur,
00:07:20 notamment sur le contrôle des prix.
00:07:22 Un des chevaux de bataille de l'administration Biden, c'est l'encadrement du prix des médicaments,
00:07:28 mais en particulier de l'insuline, dans quelle mesure ça jouera sur les électeurs.
00:07:34 C'est un des gros points d'interrogation.
00:07:37 Un autre point de santé publique qui n'est pas considéré comme un point de santé publique, bizarrement,
00:07:42 c'est la crise des opioïdes et notamment les ravages faits par le fentanyl.
00:07:45 C'est nouveau chez les plus jeunes, entre 12 et 19 ans, c'est assez nouveau.
00:07:50 On parle quand même de plus de 100 000 morts par an depuis plusieurs années.
00:07:54 C'est considérable, mais ça n'est pas abordé comme un problème de santé publique,
00:07:58 c'est plus abordé comme un problème de sécurité et de relation avec la frontière mexicaine d'un côté et la Chine de l'autre.
00:08:05 Avec la Chine, on est sur un sujet qui est à la fois de politique intérieure et de politique étrangère.
00:08:11 La politique douanière, il y a un consensus maintenant entre les républicains et les démocrates.
00:08:15 Donald Trump a un petit peu retourné la table sur ce domaine-là.
00:08:20 On peut se demander si une politique douanière plus agressive à l'égard de la Chine ne pourrait pas avoir des répercussions sur la collaboration de la Chine en matière de blocage du fentanyl
00:08:33 et donc avoir des répercussions sanitaires et donc intérieures sur les États-Unis.
00:08:38 Dernier point de cet inventaire, la question israélo-palestinienne, vous l'avez mentionné.
00:08:46 L'impact principal pourrait être sur les jeunes qui feraient défection à Joe Biden.
00:08:53 C'est ce que nous disent un certain nombre de sondages, les jeunes et les minorités.
00:08:56 Cela dit, les manifestations sur les campus ont eu un effet contre-productif sur l'image de la Palestine auprès de l'opinion américaine
00:09:05 et notamment de ceux qui votent le plus, c'est-à-dire les plus de 30 ans.
00:09:08 Cela a aussi écorné l'image des universités, ce qui, conjugué au coût de plus en plus astronomique des études, rend les études supérieures comme un pari risqué.
00:09:21 Ce qui était l'ascenseur de la mobilité sociale et donc un des moteurs du rêve américain est de plus en plus vu comme un pari risqué dans des facs qui sont de plus en plus agitées par la contestation.
00:09:33 Finalement, on a une remise en cause de ce qui était un des moteurs du rêve américain aux États-Unis et également à l'étranger.
00:09:43 Les déterminants de l'élection elle-même, vous l'avez évoqué, le poids d'une éventuelle condamnation de Donald Trump me semble relativement improbable
00:09:52 parce qu'il faudrait l'unanimité des 12 jurés. C'est beaucoup plus probable qu'il y ait un juré qui ne soit pas de l'avis de ses camarades.
00:10:02 Quand bien même il y aurait une unanimité, il y aurait un appel, donc il n'y aurait pas de condamnation définitive, ce qui peut avoir aussi un impact sur l'opinion.
00:10:13 L'impact sur l'électorat républicain non trumpiste pourrait être marginal, mais on est de plus en plus dans des cycles électoraux où presque rien peut changer presque tout.
00:10:23 Donc certes ça peut être marginal, mais ça peut aussi être décisif. Donc là, évidemment, on ne sait pas. Il faudra prendre la température de l'opinion régulièrement avec grain of salt, comme disent les américains,
00:10:36 parce que cette opinion peut changer. On remarque néanmoins dans les tendances lourdes une immunité de fait de Donald Trump auprès de l'opinion.
00:10:44 On peut imaginer que n'importe quel autre candidat à n'importe quelle élection, confronté à ce dont il est accusé, aurait été décrédibilisé immédiatement.
00:10:55 Ce n'est pas le cas et ça se conjugue avec ce que l'on constate depuis plusieurs mois, une amnésie de fait des électeurs vis-à-vis de Donald Trump le personnage et Donald Trump le président.
00:11:10 Quand il est sorti de la Maison-Blanche en début 2021, son image était bien inférieure à ce qu'elle est maintenant. Elle est beaucoup plus favorable.
00:11:19 Donc les électeurs ne sont pas dupes. Ils connaissent leur Donald Trump, mais ils le considèrent et considèrent les républicains comme plus crédibles en matière économique, en matière migratoire et en matière de sécurité.
00:11:29 Donc ce que l'on voit, c'est une forme de nostalgie qui est intéressante parce qu'ils pensent qu'en votant Donald Trump, ils vont recréer les conditions économiques de l'avant-Covid.
00:11:39 Or, nous le savons tous, on peut retourner sur les lieux de son enfance, on ne peut pas retourner au moment de son enfance.
00:11:45 Et là, le problème, c'est qu'il y a une espèce de pensée magique qui va probablement entraîner quelques déceptions.
00:11:51 Quel va être le poids des républicains non-Trumpistes, ceux qui ont voté pour Nikki Haley lors de la primaire ?
00:11:56 Nikki Haley semble s'être ralliée à Donald Trump. Est-ce que les gens qui ont voté pour elle et qui continuent à voter pour elle, même si elle n'est plus candidate,
00:12:04 vont considérer Trump comme finalement un moindre mal par rapport aux dangers que représenterait Joe Biden ?
00:12:11 Quel sera le poids des jeunes ? Va-t-il y avoir d'un côté une sous-mobilisation décisive, notamment dans des États comme le Michigan ?
00:12:19 Ou est-ce que ça n'aura aucun effet parce que les grandes universités sont dans des États qui, de toute façon, sont très démocrates et donc ça ne changera rien ?
00:12:26 Aura-t-il une légère mais peut-être décisive surmobilisation si Taylor Swift appelle à voter pour les démocrates ?
00:12:35 On a pu mesurer qu'elle avait un impact sur les inscriptions sur les listes électorales.
00:12:41 Donc c'est un véritable sujet et c'est suffisamment inquiétant pour que la tromposphère médiatique s'en inquiète au début de l'année.
00:12:50 Ce n'est pas seulement une vue de l'esprit. Le problème pour les démocrates, c'est que leur coalition électorale est difficile à mobiliser.
00:13:00 Les jeunes, les minorités et les 100 églises, c'est ce qu'il y a de plus difficile à mobiliser.
00:13:06 Donc il va falloir trouver les mots, non pas dans 50 États plus Washington DC, mais dans 6 ou 7 États clés à quelques milliers de voix,
00:13:15 ce qui souligne un problème fondamental de démocratie puisqu'on va avoir des dizaines de millions de voix d'Américains qui ne vont absolument pas compter.
00:13:24 Le système des grands électeurs entraîne une forme d'annulation de la validité, de la pertinence d'un certain nombre de votes, donc peut démobiliser également.
00:13:36 Après, on se concentre énormément, et je pense à tort, sur la présidence.
00:13:41 Une présidence, finalement, pourquoi faire, avec quelle marge de manœuvre et quel scénario ?
00:13:46 Le président confronté à un congrès hostile peut gouverner par décret, mais ces décrets peuvent être retoqués par les tribunaux,
00:13:55 de la même manière que les normes des agences fédérales, comme le PA pour les questions environnementales, peuvent être annulées, invalidées par les tribunaux.
00:14:04 Le scénario, puisque vous demandiez un pronostic, le plus probable à ce jour, et j'insiste sur la nuance, serait un Trump réélu,
00:14:16 avec un Sénat républicain très légèrement et une Chambre démocrate également très légèrement,
00:14:23 donc avec des marges de manœuvre quasi nulles et une annulation des possibilités de gouvernance de tous les côtés.
00:14:33 On se retrouverait donc dans le scénario des midterms de 2018, avec son lot de shutdowns, de paralysies institutionnelles et de budgets jamais alloués.
00:14:42 Donc un Donald Trump qui serait bien incapable de construire son mur ou de procéder à ses expulsions.
00:14:50 Peut-on s'attendre, doit-on s'attendre à un 6 janvier bis ? Probablement pas, étant donné que Shaheish Odeh craint l'eau froide.
00:14:58 Peut-on s'attendre, ou doit-on s'attendre à des violences plus sporadiques ? C'est beaucoup plus probable,
00:15:03 surtout en cas de défaite de Donald Trump, puisqu'on en a régulièrement.
00:15:07 Les menaces contre les élus et contre les journalistes se multiplient.
00:15:11 Elles sont essentiellement le fait de républicains, elles peuvent être aussi le cas de démocrates.
00:15:16 On note une érosion dangereuse de la confiance envers les institutions, et en particulier, c'est nouveau, envers la Cour suprême,
00:15:24 qui donne des signes de politisation de plus en plus inquiétants.
00:15:28 Je pense par exemple au juge Alito qui a été mis en cause ces derniers jours pour avoir affiché des drapeaux très trumpistes en face de diverses de ses maisons.
00:15:38 Et plus généralement, vous parliez d'une évolution illibérale.
00:15:43 Doit-on s'attendre à un Trump dictateur ? Je pense qu'il y a suffisamment de résilience dans les institutions pour empêcher ce type de dérive,
00:15:53 comme on peut le voir ailleurs.
00:15:55 Les freins et les contrepoids ne sont pas aussi efficaces qu'ils l'étaient quand imaginés par les pères fondateurs,
00:16:01 mais les principales formes d'érosion démocratique ont lieu ailleurs.
00:16:06 Elles ont lieu au niveau des États, que l'on pense au gerrymandering, donc au redécoupage des circonscriptions,
00:16:12 ou aux privations d'accès au vote, aux restrictions d'accès au vote des minorités en particulier.
00:16:17 Ça a arrivé avant Donald Trump, ça arrivera après Donald Trump, et ça arrive plus ou moins en dépit de Donald Trump.
00:16:24 Pour conclure, quelle attention portée au programme et aux promesses des candidats quand on peut imaginer qu'ils ne seront pas applicables ?
00:16:32 Quelle attention également portée à l'incroyable dramatisation des enjeux qui semblent tenir à l'économie de la presse aux États-Unis ?
00:16:43 Comment réconcilier plus largement, presque philosophiquement, deux Amériques qui se détestent,
00:16:50 et une troisième Amérique qui ne veut rien savoir parce que tout ça l'horripile ?
00:16:54 Comment reconstruire de la confiance envers des gens que l'on diabolise, et on peut le mesurer,
00:17:00 comment reconstruire plus largement, et c'est un problème qui dépasse les États-Unis, le rapport au réel ?
00:17:06 Et si on peut estimer qu'il y a un échec de la présidence Biden qui devait être une présidence de réconciliation,
00:17:15 c'est peut-être parce que dans l'équation il y a la persistance de la disruption trumpienne dans le paysage politique américain.
00:17:25 Et donc, pour terminer, doit-on sagement attendre l'horizon 2028 pour espérer un hypothétique retour à la normale de la politique américaine ?
00:17:35 Je terminerai sur ce point d'interrogation relativement pessimiste.
00:17:39 Merci beaucoup, merci pour cette invitation, et ravi d'avoir ce temps d'échange avec vous ce matin.
00:17:50 En fait, tout ce dont Laurie vient de parler va très naturellement nous amener au sujet de politique extérieure,
00:17:59 puisqu'en fait les orientations ou réorientations en matière de politique extérieure américaine découlent effectivement
00:18:06 de tout le décor d'hyperpolarisation politique aux États-Unis, et j'y reviendrai.
00:18:13 La question que vous nous posez en fait aujourd'hui nous amène à nous interroger sur la trajectoire suivie par les États-Unis,
00:18:21 à la fois sur la scène intérieure et la scène internationale.
00:18:25 Moi, je veux vraiment atterrir votre attention sur les « deep trends », sur les facteurs structurants, sur les constantes de la politique américaine.
00:18:33 C'est ce sur quoi, en fait, nous devrions tous porter notre attention, parce que c'est ce qui va rester après l'élection de novembre prochain.
00:18:41 Alors oui, bien sûr, on peut s'intéresser et se faire des frayeurs en faisant des scénarios sur la disruption de Trump, et il y en aura,
00:18:51 et on pourra bien sûr en échanger pendant les questions et les réponses, mais je pense que le plus important ici pour nous,
00:18:57 ici en France et en Europe, c'est de regarder les constantes. Et donc je vais vraiment focaliser mon propos introductif là-dessus.
00:19:05 Deuxième chose, il faut que nous anticipions, pas seulement ici en France seul, mais avec nos partenaires européens,
00:19:11 les implications pour nous de ces orientations à long, très long terme des politiques américaines,
00:19:19 d'anticiper les sujets de tension et voir comment on peut s'y préparer au mieux ensemble.
00:19:25 Et enfin, dernièrement, et ça faisait partie de vos questions également, comment repenser, en fait, comment redéfinir les termes du partenariat transatlantique,
00:19:36 afin que nous puissions mieux répondre aux défis d'aujourd'hui et de demain ?
00:19:42 Je dirais que la réponse à cette question réside beaucoup plus ici en Europe qu'à Washington aujourd'hui.
00:19:48 Donc je dirais, exploissons cet espace qui nous est laissé pour essayer d'apporter des idées nouvelles.
00:19:57 Soyons créatifs et essayons peut-être plus que d'habitude de façonner la conversation transatlantique. J'y reviendrai.
00:20:06 Donc premièrement, disruption, constance. Alors oui, effectivement, Laurie a adressé le tableau du scénario Trump.
00:20:15 Moi, je suis convaincue que, en fait, le plus gros impact d'une présidence Trump, ce serait la disruption en matière de politique intérieure, l'État de droit.
00:20:28 Quand il dit « je serai un dictateur pendant un jour », il faut le croire. Donc il va disrupter le corpus politique administratif américain.
00:20:39 C'est aussi intéressant de voir quelles seraient les conséquences potentielles sur le lien transatlantique,
00:20:44 puisqu'on a un Victor Orban qui a explicitement appelé à avoir émergé, je le cite, « une alliance atlantique de l'extrême droite »,
00:20:53 donc qui serait retissée avec Trump, mais aussi d'autres personnalités européennes de ce bord politique.
00:21:01 Et puis enfin, en matière de politique internationale, son outil de prédilection – mais on voit que celui de Biden, c'est pareil –,
00:21:07 c'est l'outil de la coercition économique, c'est les tarifs douaniers, ce sont les sanctions.
00:21:13 Donc ça, je vais rapidement sur l'aspect disruptif de Trump, mais on pourra y revenir,
00:21:18 parce que le plus important, c'est de regarder ce qui ne va pas changer après les élections de novembre prochain.
00:21:25 Ce qui ne va pas changer, c'est trois réalités face auxquelles la France et l'Europe doivent se placer.
00:21:34 D'abord, la priorité numéro un des États-Unis restera « America first », l'Amérique d'abord,
00:21:40 qui se décline en fait dans tous les domaines – industriel, technologique, militaire.
00:21:46 Deuxièmement, « China first », la Chine d'abord.
00:21:50 C'est une obsession à travers tous les départements que vous alliez à la Maison-Blanche, au Congrès,
00:21:57 voire les démocrates, les trumpistes, les républicains centristes.
00:22:01 La Chine restera le principal déterminant de la politique américaine et de sa relation avec nous, avec la France et l'Europe.
00:22:10 Troisième tendance lourde, et ça, ça découle de la politique intérieure américaine,
00:22:18 les engagements internationaux des États-Unis seront de plus en plus fluctuants et transactionnels.
00:22:26 Et ça, c'est parce que la politique américaine, la scène politique américaine est hyper polarisée.
00:22:33 Donc c'est-à-dire qu'en fait, l'erreur, c'était de se dire que Trump était imprévisible.
00:22:39 C'est pas Trump qui est imprévisible. C'est la vie politique américaine. C'est le système politique américain qui est imprévisible.
00:22:45 Et donc ce qui fait que tous les 4 ans – et c'est des cycles donc très courts – tous les 4 ans,
00:22:50 il y a effectivement un risque de ce que j'appellerais un détricotage du legacy, de l'héritage des législations, des lois,
00:22:58 des engagements pris sur le climat, sur d'autres sujets par le président précédent.
00:23:05 Et la prise en otage – vous l'avez mentionné dans vos propos introductifs du paquet d'aide américain en Ukraine pendant plus de 6 mois au Congrès –
00:23:13 en fait, c'est ça qui est le plus important. C'est pas le fait qu'il ait été adopté, mais c'est combien de temps ça a duré
00:23:18 et pour quel motif ça a été pris en otage. Et ça a été pris en otage pour des motifs de politique intérieure.
00:23:24 Donc ce nexus, ce nœud entre politique intérieure et politique étrangère fait qu'en fait, notre marge de manœuvre à nos Européens
00:23:32 est finalement assez limitée. Parce que tout sujet de politique américaine qui devient un sujet de politique intérieure
00:23:39 fait que vous avez très peu d'influence pour essayer de provoquer des ajustements côté américain.
00:23:46 Donc en résumé, 3 constantes. L'Amérique d'abord, la Chine d'abord et l'Europe. Finalement, une variable d'ajustement sur ces 2 volets-là.
00:23:57 Et ça, il faut vraiment qu'on y réfléchisse ensemble de manière très sérieuse. Comment fait-on pour ne plus être la variable d'ajustement
00:24:07 de la politique américaine sur certains sujets qui nous concernent d'ailleurs nous directement ? Et comment fait-on pour s'affirmer
00:24:13 comme un acteur plutôt que comme cet instrument ? Et c'est le terme qu'utilise beaucoup de conseillers autour de Donald Trump.
00:24:22 L'Europe aujourd'hui est instrumentale aux intérêts stratégiques américains, que ce soit vis-à-vis de la Chine, que ce soit vis-à-vis de la Russie
00:24:31 ou même au proche Moyen-Orient ou même en Afrique. Donc en fait, le retour soi-disant à l'isolationnisme américain – ce qu'on entend
00:24:42 beaucoup parler de ça dans les commentaires et les pronostics – pour moi est une totale illusion. L'isolationnisme américain n'existe pas,
00:24:50 puisque l'Amérique de toute façon est appelée malgré elle très souvent à intervenir et à être très présente sur la scène internationale.
00:24:59 On le voit notamment au proche-Orient. On a beau vouloir se désengager du proche-Orient, le proche-Orient a l'art de se rappeler à vous. N'est-ce pas ?
00:25:06 Deuxième chose, il est tout à fait notable de constater à quel point il y a des continuités entre Obama, Trump, Biden et puis la suite.
00:25:23 Le continuum, c'est vraiment la priorité. Et c'est là où il y a le lien avec la politique intérieure, à la sécurité économique.
00:25:33 C'est l'obsession. Sécurité économique, c'est-à-dire que c'est la protection qui va primer sur la projection de la puissance américaine.
00:25:44 Et d'ailleurs, il y a un parallèle à faire entre l'Europe et les États-Unis. Nous sommes dans une phase, après 20 ans d'intervention militaire expéditive
00:25:55 avec des résultats plus que condamnables et critiquables, on est dans une phase de protection, c'est-à-dire un peu de repli sur soi, de réindustrialisation,
00:26:06 de reshoring, de frand-shoring, tous ces vocabulaires où on ajoute un adjectif devant le shoring, c'est-à-dire comment sécuriser les chaînes d'approvisionnement,
00:26:15 comment dé-risk, comment réduire nos risques par rapport à nos dépendances, notamment vis-à-vis de la Chine et de la Russie et d'autres acteurs,
00:26:23 est devenu en fait le cœur aussi de la politique américaine. Et sous laquelle on assiste de plus en plus, c'est un glissement de la protection vers le protectionnisme
00:26:36 sur beaucoup d'aspects, et très souvent au détriment des règles du jeu international, avec toujours l'outil économique qui va primer, à défaut finalement d'une politique cohérente.
00:26:51 Donc c'est les tarifs, c'est les taxes douanières dont on a parlé, ce sont les sanctions. Pour vous donner deux exemples très très récents,
00:27:02 Biden a promis par exemple de bloquer le projet de rachat de l'entreprise US Steel, donc dans l'acier, par la société japonaise Nippon Steel,
00:27:15 pour des raisons de sécurité nationale, alors que cette entreprise japonaise s'était engagée à honorer tous les contrats syndicaux,
00:27:24 à transférer son sèche sociale américaine de Houston à Pittsburgh, à ne pas supprimer les emplois et à ne pas délocaliser sa production à l'étranger.
00:27:34 L'administration Biden vient aussi d'imposer des droits de douane de 100% sur les véhicules électriques chinois importés,
00:27:43 et augmenter les tarifs à 25% sur les semi-conducteurs, les batteries, les cellules solaires, l'acier et l'aluminium fabriqués en Chine.
00:27:51 Donc on est vraiment dans une approche d'escalade, avec toujours l'outil économique qui prime.
00:28:02 Donc de plus en plus, les sujets de politique étrangère, que ce soit la Chine, l'Ukraine, la guerre à Gaza, sont politisés.
00:28:14 Et ça, ça fait que l'Europe a du mal à peser. Sur la Chine, c'est un sujet de politique intérieure et de politique extérieure.
00:28:25 Je cite toujours cette formule qu'avait sortie le secrétaire d'État américain Tony Blinken il y a quelques années.
00:28:32 Il avait dit que la politique américaine à l'égard de la Chine, ce n'est pas de contenir la Chine, même s'il y a quand même beaucoup de ça.
00:28:39 C'est de freiner la capacité d'innovation de la Chine, très clairement. Mais il avait dit que c'est de faire en sorte que l'Amérique coure plus vite que la Chine.
00:28:48 Comment faire en sorte que l'Amérique coure plus vite que la Chine ? Et là, vous comprenez, c'est le volet politique intérieur, les subventions massives,
00:28:57 le réinvestissement massif dans la tech, dans les véhicules électriques et dans les industries et l'infrastructure américaines.
00:29:08 Et nous, l'Europe, on n'est finalement même pas une pensée secondaire dans le logiciel américain.
00:29:19 Donc on a eu tous ces débats – vous les connaissez par cœur – sur le IRA, le Inflation Reduction Act, mais aussi le CHIPS Act.
00:29:25 Tout ça est vraiment pris à travers le prisme de la rivalité, notamment technologique, avec la Chine.
00:29:32 Et l'Europe, en fait, se retrouve systématiquement être le dommage collatéral de cette dynamique américaine.
00:29:41 Et on voit aujourd'hui que Washington, finalement, n'attend pas grand-chose de la France ni de l'Europe sur la question de la Chine ou de l'Indo-Pacifique.
00:29:52 Il ne nous considère pas du tout comme crédibles. Les concepts de puissance d'équilibre qu'on a l'air de ressortir régulièrement dans des discours
00:30:01 ne résonnent pas du tout de l'autre côté de l'Atlantique ni d'ailleurs de l'autre côté du Rhin.
00:30:06 Donc il y a aussi, je pense, un travail à faire sur les concepts et les formules que nous utilisons pour essayer d'avancer dans un sens plus constructif.
00:30:16 Mais en tout cas, Washington voit l'Europe comme un acteur ambigu au plan géopolitique et trop faible politiquement,
00:30:25 parce qu'on est dépendant du marché chinois et notamment l'Allemagne, pour peser face à la Chine.
00:30:32 Je bascule sur la guerre en Ukraine. Pourquoi je ramène la guerre en Ukraine après la Chine ?
00:30:39 Parce que la guerre en Ukraine n'a pas changé la trajectoire fondamentale de la politique américaine.
00:30:48 Focus Chine n'a finalement apaisé les débats internes à la classe politique américaine sur la question de savoir
00:30:58 si les États-Unis doivent continuer à protéger l'Europe et à investir dans la défense de l'Europe.
00:31:06 Alors s'il y a une personne qu'il faut écouter et qui potentiellement occupera un poste très très haut niveau
00:31:12 au sein d'une administration Trump en matière de défense et de sécurité, c'est Elbridge Coby, C-O-L-B-Y,
00:31:20 qui était en fait l'ancien secrétaire adjoint à la défense sous l'administration Trump,
00:31:27 et qui souligne très clairement l'Asie est le théâtre le plus important pour l'Amérique.
00:31:35 Et que ce soit Trump ou Biden, c'est le trend qui continuera. Et la réduction de l'aide américaine à l'Ukraine
00:31:45 est de toute façon là aussi une tendance qu'il faut anticiper. Ce paquet d'aides qui vient d'être approuvé par le Congrès
00:31:53 est sans doute le dernier paquet d'aides, en tout cas à ce niveau, à pouvoir être adopté par le Congrès américain.
00:32:00 Et donc de plus en plus sur la guerre en Ukraine, et notamment en amont du sommet de l'OTAN à Washington en juillet prochain,
00:32:07 il y a de plus en plus le débat du burden sharing, le partage du fardeau, voire même du responsibility sharing,
00:32:15 le partage des responsabilités. Donc le regard que porte aujourd'hui Washington sur nous, l'Europe, c'est de dire
00:32:21 « Ah ben écoutez, vous faites beaucoup de progrès, c'est très bien, continuez à dépenser plus, boostez vos capacités de défense,
00:32:29 tout en achetant bien sûr américain, parce que ça les arrange bien sûr, mais allez-y parce qu'en fait là on est avec vous,
00:32:39 comme le dit Biden, « America is back », on vous soutient face à la Russie parce que vous n'en êtes pas capable de le faire seul,
00:32:46 mais ne pensez pas que vous allez pouvoir compter sur nous à ce niveau de soutien dans les mois et années à venir,
00:32:54 donc préparez-vous à faire plus. Après quand il s'agit de faire plus, là il y a un autre débat quant au débat industriel européen,
00:33:05 puisque nous notamment en France, on dit « Ben si on veut être un acteur géopolitique crédible, il faut aussi qu'on booste notre base industrielle »,
00:33:14 et là le retour américain c'est de dire « Non non, mais allez-y, dépensez plus, mais continuez à acheter américain ».
00:33:21 Et donc ce nœud en fait sur l'aspect industriel, pour moi est toujours très problématique, c'est le nœud aujourd'hui des tensions entre les États-Unis et l'Europe,
00:33:31 et si la position américaine changeait sur ce sujet, eh bien la position de nos collègues à Berlin, à Varsovie, les États-Bas, le Scandinave,
00:33:41 changerait aussi en faveur d'investir davantage en Europe pour l'Europe. Donc là je pense qu'il y a vraiment quelque chose à faire,
00:33:50 enfin moi je suis impliquée dans ces débats sur la souveraineté européenne, l'autonomie stratégique européenne depuis près de 12 ans,
00:33:58 on a beaucoup progressé avec beaucoup de nos partenaires européens là-dessus, mais on voit que du côté américain en fait, ils accueillent l'idée,
00:34:06 mais quand on en vient à booster notre base industrielle, c'est là où il y a un point de blocage, et je pense qu'il faut vraiment parvenir à le débloquer.
00:34:16 L'autre partie du logiciel américain aujourd'hui, et ce sera particulièrement frappant si Trump est réélu, c'est cette idée,
00:34:26 alors non pas du partage du fardeau, mais de la division des tâches selon les zones géographiques. De plus en plus, écoutez, nous on va gérer le gros panda,
00:34:36 c'est-à-dire la Chine, vous vous gérez la Russie sur votre continent, essayez de gérer aussi un petit peu votre flanc sud,
00:34:43 mais essayons de trouver une division des tâches sur des bases géographiques. Et là, en fait, c'est une démarche aussi sur laquelle il faut que nous, nous soyons très clairs.
00:34:53 Aujourd'hui, tous ces théâtres sont interconnectés. La Chine soutient l'effort de guerre de Poutine en Russie. Au proche Moyen-Orient, depuis le début, en fait,
00:35:06 cette guerre s'est régionalisée, voire mondialisée avec l'interférence d'un certain nombre d'acteurs. Et puis enfin, Taïwan. Taïwan n'est pas qu'un enjeu indo-pacifique.
00:35:18 C'est l'inverse de Las Vegas, c'est-à-dire que ce qui arrive à Taïwan ne reste pas Taïwan, déborde très largement les frontières de Taïwan, auront un effet disrupteur en termes économiques,
00:35:31 financiers et sur l'industrie des semi-conducteurs, voire même en mer rouge au proche Orient et en Afrique. Donc ce que l'on constate de plus en plus aux États-Unis,
00:35:43 nous sommes un peu aussi confrontés à cette situation. C'est qu'avec la superposition des crises géopolitiques, plus la crise du Covid, en fait, qu'on n'avait pas fini véritablement d'absorber,
00:35:55 il y a une forme d'appauvrissement de la réflexion stratégique. C'est le crisis management, la gestion de crise permanente, ce qui fait qu'aujourd'hui, Washington a du mal à réfléchir long terme.
00:36:10 Et ça s'est accéléré avec les cycles électoraux qui font que les cycles sont très courts et que du coup, l'Europe sait qu'en l'espace de 4 ans, les engagements pris par une administration présidente
00:36:25 peuvent être mis en cause. Dernière continuité, on a de plus en plus – mais c'est pas nouveau – une politique américaine par rapport à nous qui est une politique du fait accompli,
00:36:37 ou alors on est court-circuité lorsqu'on n'est pas totalement aligné avec les positions américaines. Et si on fait un micro-bilan de l'administration Biden, vous avez quand même eu l'Afghanistan,
00:36:51 le retrait caout-cuit d'Afghanistan avec très peu de concertation finalement avec les partenaires européens. Vous avez eu ce qui nous concerne, nous, plus particulièrement, AUKUS.
00:37:01 Moi, j'étais directement impliquée dans la diplomatie de réparation après AUKUS. Je peux vous dire que les échanges que j'ai pu avoir avec l'administration Biden juste après
00:37:14 étaient assez brutaux, mais extrêmement éclairants, parce qu'on sent qu'on a basculé en fait dans une autre ère de la relation franco-américaine et relation transatlantique,
00:37:26 et que Trump y est effectivement pour beaucoup. Trump, c'est vraiment le lâcher-prise. C'est le langage très peu diplomatique. Et il a finalement – moi, je trouve que c'est plutôt sain –
00:37:40 permis de faire en sorte que le dialogue aujourd'hui euro-américain est beaucoup plus direct, beaucoup plus ferme, et on se dit les choses de manière beaucoup moins, sans doute, hypocrite.
00:37:51 Voilà. Et ça, c'est, je dirais, peut-être un héritage qui n'est pas plus mal, finalement. En conclusion, qu'est-ce que ça veut dire pour nous, la France, l'Europe ?
00:38:03 Où est-ce qu'on doit avoir notre regard sur les mois et les années à venir ? Premièrement, ce que l'on voit, c'est qu'en fait, aujourd'hui, la relation transatlantique
00:38:17 est plus déséquilibrée que jamais en raison du décrochage économique européen par rapport aux États-Unis, ce qui accentue en fait le déséquilibre au sein de la relation avec les États-Unis,
00:38:31 que ce soit sur le plan économique, technologique, militaire. Donc ça, c'est vrai que cette domination américaine s'affirme, que ce soit dans le cadre de dialogue avec Bruxelles
00:38:45 ou au sein de l'Alliance atlantique. La guerre en Ukraine sur le court terme, en fait, a renforcé notre hyperdépendance sur les États-Unis, que ce soit leur industrie de défense ou leur LNG.
00:38:58 Donc comment faisons-nous, Européens, Français, pour en fait articuler et effectivement admettre notre dépendance à court terme vis-à-vis des États-Unis sur ces différents sujets,
00:39:12 mais en même temps, comment faisons-nous pour que ça ne soit pas un obstacle à des investissements dès maintenant dans nos industries européennes
00:39:23 et dans nos capacités de défense et de sécurité européennes ? En fait, je trouve le plus challenging aujourd'hui pour l'Europe, c'est comment articuler ce court terme
00:39:31 où nous n'avons pas les outils ni les capacités, en fait, pour être un acteur géopolitique crédible européen seul. Mais comment faisons-nous maintenant pour investir
00:39:44 dans l'avenir d'une Europe qui puisse devenir un acteur crédible dans ces domaines-là et donc plus crédible pour notre partenaire américain ?
00:39:54 Et c'est ça aussi qu'il faut expliquer à Washington. C'est que plus nous sommes équipés, outillés pour assurer notre propre défense et notre sécurité,
00:40:05 plus nous sommes un allié intéressant pour les États-Unis. Tout dernier mot final de conclusion. Je pense qu'on va de plus en plus dans une approche compartimentée.
00:40:21 On va vers une compartimentalisation – je sais pas si ce mot existe – mais accrue de notre relation avec les États-Unis.
00:40:30 Il y a des domaines dans lesquels nous continuerons à être très dépendants, notamment pour la garantie de sécurité, d'autres où il faudra coopérer de manière
00:40:39 pragmatique et transactionnelle, et d'autres où il faudra affirmer une forme d'autonomie diplomatique, politique, stratégique et, je dirais aussi, économique.
00:40:51 Parce que de plus en plus – et je terminerai là-dessus – les industries, les entreprises françaises européennes vont être de plus en plus exposées
00:40:59 à une pression politique américaine dans le cadre de la rivalité avec la Chine pour, par exemple, cesser d'exporter certaines techs sensibles vers la Chine
00:41:10 ou upgrader le screening des investissements chinois. Et il faut que donc nous, on soit en accord aussi avec nos principes et notre propre politique
00:41:24 vis-à-vis de la Chine. Le problème, c'est qu'on a 27 politiques chinoises différentes en Europe. Donc ça n'aide pas. Mais encore une fois, exploitons cet espace
00:41:33 qui est disponible pour l'Europe. Moi, je note dans ces deux ans et demi de guerre en Ukraine qu'à certains épisodes, l'Europe a su prendre le lead
00:41:44 et a su prendre l'initiative par rapport à une Amérique parfois vacillante, typiquement sur la montée en qualité des armements qu'on livrait à l'Ukraine,
00:41:56 sur les F-16, sur les chars, sur les missiles à longue portée. L'initiative Le Feu Vert n'est pas venue de Washington. Ça a été impulsé par des coalitions
00:42:05 de pays européens. Et ça, c'est typiquement le type d'initiative qu'il faut continuer à nourrir, à alimenter. Et c'est comme ça aussi qu'on gagnera en crédibilité
00:42:17 et en autonomie face à notre partenaire américain. Donc je dirais sur une note positive, exploitons cet espace aujourd'hui qui est laissé un peu par défaut
00:42:28 par Washington, qui est tellement pris par l'ensemble des crises. Mais essayons, entre Européens, vraiment de nous faire mieux entendre. Dans le franco-allemand,
00:42:37 les choses sont très compliquées aujourd'hui. Mais je ne désespère pas qu'on puisse trouver des compromis. Et c'est que en s'appuyant sur des compromis qu'on va réussir
00:42:48 à faire avancer le reste de l'Europe. Merci beaucoup.
00:42:55 Merci à vous, Madame. Monsieur aussi, pour vos propos tout à fait clairs et cohérents. On va passer à la série questions. Et la première question, c'est Hélène Caudoué-Mouret
00:43:06 qui va la poser. Oui, merci, Monsieur le Président. Merci pour vos propos qui sont incroyablement lucides et très bien informés. Alors il y a une image qui me frappe.
00:43:16 Vous dites que les États-Unis sont concentrés à gérer un panda. Et si nous, nous devons gérer un ours, ce qui est le cas, enfin, le premier est quand même un peu plus pacifique
00:43:26 que le deuxième. Donc la tâche n'est pas facile. J'ai un commentaire et une question. Il me semble que vous avez annoncé trois constantes. Moi, j'ajouterais une quatrième
00:43:40 qui est business first parce que tout dialogue est transactionnel aujourd'hui avec les États-Unis, quel que soit le domaine, même celui qui est diplomatique.
00:43:52 Aujourd'hui, est-ce que vous ne pensez pas d'abord que nous essayons de nous rassurer quand même en disant que, en effet, les institutions résisteront et ainsi de suite ?
00:44:01 On voit quand même qu'elles ont été considérablement abîmées pendant la mandature de Donald Trump qui, aujourd'hui, fera ce qu'il annonce,
00:44:12 qui n'était pas tout à fait le cas. Lors de son premier mandat, il a dit qu'il sortirait de l'OTAN, mais il n'est jamais passé à l'acte. Là, tous les signaux sont au rouge pour dire
00:44:23 que tout ce qu'il annonce aujourd'hui – et il est de plus en plus clair dans ses prises de parole – qu'il le fera. Aussi, un affichage décomplexé quand même
00:44:34 d'un camp politique qui est plutôt celui de l'extrême droite, puisqu'un de ses représentants a été présent à Madrid lors du rassemblement qui a eu lieu
00:44:42 il y a quelques jours avec les leaders d'extrême droite européens. Donc on voit très clairement un positionnement aujourd'hui qui peut quand même nous inquiéter.
00:44:52 Alors ma question porte sur les élections. Il y a quand même trois sujets importants. Le climat, le droit des femmes et l'immigration. Vous y avez fait référence.
00:45:04 Est-ce que les militants ou les groupes directement concernés par les mesures qui ont été prises ou qui seront prises s'ils devaient revenir au pouvoir sont-ils mobilisés ?
00:45:15 Sinon, pourquoi ne le sont-ils pas ? Et est-ce que vous pensez que nous allons vers un clash avec, monsieur, ce que vous avez annoncé, c'est-à-dire d'une élection
00:45:29 peut-être qui sera gagnée par un camp ou par l'autre avec peu de différence, à un vrai clash politique, puisque nous avons quand même eu un mouvement très violent
00:45:39 contre le Capitole la dernière fois. Est-ce que vous pensez que Donald Trump est en capacité, finalement, s'il devait perdre, de réactiver cela et que ce soit beaucoup plus violent ?
00:45:49 Alors, non pas tomber dans une guerre civile, mais enfin d'avoir quand même des actes de violence qui nous ont frappés mais qui pourraient encore être pires.
00:46:00 Écoutez, l'un ou l'autre, ou l'un et l'autre, comme vous voulez. Vous avez la parole.
00:46:05 Des actes de violence sont statistiquement probables. La question est surtout celle de l'ampleur, c'est-à-dire quelque chose de très collectif et de centralisé comme le 6 janvier.
00:46:20 Ça me semble relativement improbable dans la mesure où, après le 6 janvier, il y a eu un certain nombre d'anticipations de troubles à l'ordre public de cet ordre-là.
00:46:32 Par exemple, quand Donald Trump a été inculpé à plusieurs reprises à New York, où New York était en état de siège, où toutes les boutiques étaient mûrées,
00:46:41 où il y avait un dispositif policier assez conséquent et finalement il y avait plus de journalistes que de trumpistes dans la rue.
00:46:47 Donc de ce point de vue-là, on peut se demander si le 6 janvier ne va pas avoir une valeur un petit peu de vaccination, notamment à Washington.
00:46:57 En revanche, dans les capitales d'État, il peut y avoir de petits 6 janvier.
00:47:04 On a déjà eu un certain nombre d'alertes avec des tentatives de kidnapping de la gouverneure du Michigan par exemple.
00:47:10 Donc ces choses-là existent déjà.
00:47:12 Et le problème principal, ce n'est pas tant l'ampleur de la mobilisation des trumpistes les plus radicaux, mais plutôt leur radicalité, la radicalité d'un petit nombre.
00:47:25 Pour moi, le plus inquiétant n'est pas un nouveau 6 janvier, mais un nouvel Oklahoma City.
00:47:30 Oklahoma City en 1995, c'est deux personnes et un camion.
00:47:36 Donc une économie de moyens absolument vertigineuse et une ampleur de destruction et de morts qui est bien supérieure à ce qu'a produit le 6 janvier.
00:47:47 Donc on a beaucoup plus de risques de passage à l'acte, parce qu'on en a régulièrement, d'individus plutôt isolés ou de groupuscules.
00:47:58 Et ça, c'est statistiquement possible.
00:48:01 Sur la mobilisation, sur les différents sujets que vous mentionniez, ça dépend en fait.
00:48:08 La question du droit des femmes en général et de l'avortement en particulier mobilise et les démocrates espèrent capitaliser là-dessus,
00:48:15 notamment dans les États comme le Nevada, l'Arizona et la Floride, où il devrait y avoir et il pourrait y avoir des référendums locaux.
00:48:24 Ces référendums locaux, on a pu voir que dans les États conservateurs comme le Kansas et l'Ohio, qui sont devenus ou qui sont très conservateurs,
00:48:31 il y a une mobilisation, disons inhabituelle, du camp progressiste, mais également de républicains modérés qui ont voté pour la sauvegarde du droit à l'avortement au Kansas,
00:48:45 ce qui n'était pas exactement prévisible, et dans l'Ohio.
00:48:49 Et donc on pourrait très bien avoir des effets d'entraînement, non pas vers le bas, c'est-à-dire que généralement les effets d'entraînement classiques,
00:48:57 c'est un président qui fait élire un peu dans son sillage des candidats au Sénat ou à la Chambre qui sont un peu à la traîne.
00:49:06 Là, on pourrait avoir l'inverse, c'est-à-dire des candidats plutôt populaires qui font élire Biden dans leur sillage, ce qu'on voit moins mais qui est possible,
00:49:14 ou encore plus, une mobilisation liée à des référendums locaux qui a un effet positif sur les candidats locaux et sur Joe Biden.
00:49:23 Ça, c'est tout à fait envisageable, mais ça concerne le droit des femmes, pas la question climatique.
00:49:28 La question climatique ne mobilise pas particulièrement, où elle mobilise essentiellement dans les États déjà démocrates et des groupes démographiques qui sont peu mobilisés,
00:49:39 c'est-à-dire les jeunes, qui en plus ont plutôt tendance à ne pas voter pour les démocrates, mais à voter à la gauche des démocrates,
00:49:46 parce qu'ils considèrent que les démocrates sont trop à droite, sont trop l'establishment et ne sont pas des interlocuteurs crédibles.
00:49:53 C'est pour ça qu'il y a souvent des candidats écologistes, Gilles Stein en particulier, qui, dans des élections où il faut être devant pour l'emporter,
00:50:02 puisqu'il y a un seul tour, et qu'il ne faut pas une majorité absolue pour l'emporter, donc celui qui est devant est aussi celui qui a perdu le moins de voix.
00:50:11 Donc si on perd des voix sur sa gauche, on peut perdre l'élection.
00:50:15 C'est arrivé notamment, on peut le quantifier, à Hillary Clinton en 2016, parce qu'elle a perdu un certain nombre de voix sur sa gauche.
00:50:22 Donc ça, c'est un scénario qui peut être tout à fait répliqué, notamment parce que des gens se seraient mobilisés pour les questions climatiques,
00:50:32 mais contre un Joe Biden qu'ils considèreraient comme trop mou sur ces questions-là.
00:50:36 Donc ça peut non pas avoir un effet pro-démocrate, mais au contraire, contraire aux intérêts des démocrates.
00:50:46 Même chose, en fait, tout est un petit peu lié avec la question palestinienne.
00:50:51 Il pourrait y avoir une sous-mobilisation des démocrates sur leur gauche,
00:50:54 et donc une déperdition des voix soit dans l'abstention, soit dans des candidats comme Cornel West, par exemple,
00:51:00 s'il arrive à se qualifier, ce qui n'est pas encore acquis dans un certain nombre d'États,
00:51:05 parce qu'on aurait un petit peu le problème habituel des démocrates, c'est-à-dire qu'ils perdent des voix sur leur gauche.
00:51:11 L'immigration, alors le problème, c'est qu'il peut y avoir à nouveau une sous-mobilisation de la gauche de l'électorat démocrate,
00:51:19 parce que le consensus est de plus en plus sur une politique de relative fermeté.
00:51:24 Et là-dessus, toute la mouvance Biden du centre, disons, est beaucoup plus ouverte à ce genre de raffermissement de la politique fédérale.
00:51:38 Pas au niveau de Donald Trump, bien entendu, qui est un petit peu comme sur la politique douanière, qui est un petit peu challengée,
00:51:48 et donc qui doit aller un peu plus loin et surcharger ses promesses.
00:51:54 Là, le problème, c'est qu'il pourrait y avoir un certain nombre de gens, et c'est pas nouveau,
00:51:58 parce que déjà Obama avait été surnommé le "Deporter-in-Chief", parce qu'Obama n'était pas assez progressiste sur les questions migratoires.
00:52:05 Pourtant, Obama avait quand même une excellente image, mais il était considéré comme beaucoup trop à droite, par la gauche démocrate.
00:52:12 Il pourrait y avoir des gens qui considèrent que ça n'est pas acceptable, que de toute façon, la vraie gauche n'est pas démocrate,
00:52:19 que les démocrates, c'est le début de la droite, et donc il est hors de question de se souiller en votant pour ces gens-là.
00:52:25 Ce qui, dans une logique de moindre mal, on va voter plutôt pour les démocrates, même s'ils ne sont pas parfaits,
00:52:30 parce que sinon, ça ouvre la porte à Donald Trump.
00:52:33 Il pourrait y avoir des gens, comme ça a été le cas avec les soutiens de Bernie Sanders en 2016,
00:52:38 qui ne votent pas pour Hillary Clinton ou qui ne votent pas ici pour Joe Biden, parce que leurs principes sont plus importants que ça.
00:52:44 Et donc, ça ouvre la voie, par défaut, à une élection de Donald Trump, parce que ce scrutin a un tour.
00:52:50 Juste peut-être deux petits mots sur le "Business First" complètement.
00:52:56 Ça, en fait, pour moi, c'est imbriqué dans le "America First", et typiquement, si le Congrès a fini par approuver le paquet d'aide,
00:53:04 c'est que l'argument "fournir des armes à l'Ukraine, c'est créer des emplois aux États-Unis"
00:53:09 a bien sûr fait que les républicains, y compris les plus Trumpy, se sont dit
00:53:14 "Bon, on va peut-être quand même y aller, parce que c'est en train de booster notre industrie de la défense".
00:53:21 Donc, complètement sur l'OTAN. En revanche, moi, je suis absolument convaincue,
00:53:27 après on pourra se revoir peut-être après les élections américaines, que Trump ne retirera pas les États-Unis de l'Alliance atlantique.
00:53:37 Et d'ailleurs, ses conseillers, son proche entourage, y compris Bridge Coby, que j'ai cité tout à l'heure,
00:53:44 ou le sénateur de l'Ohio, G. Dave Vance, qui est très, comment on dit, très audible sur ces sujets,
00:53:53 ne sont pas du tout des avocats d'un retrait américain de l'OTAN. Pourquoi ?
00:53:58 Parce que très transactionnellement, l'OTAN est l'outil de luxe à la disposition de Washington pour faire pression sur nous,
00:54:05 pour qu'on dépense plus, toujours pour acheter américain. Donc ça, c'est en premier.
00:54:10 Mais aussi pour mettre sur l'agenda otanien les priorités stratégiques américaines.
00:54:16 C'est-à-dire qu'on parle de plus en plus de Chine, comme vous le savez, au sein de l'OTAN.
00:54:21 Et ça ne fait pas l'unanimité ici à Paris ou parmi les partenaires européens de l'Alliance atlantique.
00:54:28 On parle de plus en plus de l'OTAN dans le Sud et puis de l'OTAN en matière d'innovation technologique,
00:54:34 voire même de changement climatique. Donc de plus en plus des sujets qui sont habituellement traités dans un cadre UE,
00:54:42 mais qui, de plus en plus, drivés par les Américains, sont gérés dans le cadre otanien.
00:54:47 Donc sur ces deux aspects-là, en fait, l'OTAN est le parfait outil à la disposition des Américains,
00:54:52 de par leur domination financière, militaire et autre, pour faire pression sur nous.
00:54:59 Et puis utiliser l'OTAN comme un cadre pour faire avancer avec nous, en fait,
00:55:05 en nous forçant à partager le fardeau sur certains sujets, pour faire avancer leurs priorités stratégiques.
00:55:12 Merci. On va prendre les questions deux par deux, si vous le voulez bien, parce qu'il faut que nous avancions.
00:55:19 Donc là, je vais donner la parole à Michèle Gréau, mais ce sera ensuite Jérôme Darras et vous pourrez répondre.
00:55:25 Merci, M. le Président. Beaucoup de citoyens se dislacent et désillusionnent de la polarisation de la politique américaine
00:55:36 entre le parti des Montcats et le parti républicain. En octobre 2023, 63 % des Américains estimaient que les deux grands partis
00:55:45 faisaient un si mauvais travail de représentation du peuple américain que la troisième grande partie serait nécessaire.
00:55:52 Ce qui est un record, comme l'aurait révélé le sondage de l'Institut Gallup. Je ne sais pas si on dit comme ça, enfin.
00:56:00 Les autres candidats peuvent donc représenter une troisième voie, un vote de protestation, en sachant qu'elle a peur de perdre un vote utile.
00:56:09 Félicitez beaucoup de personnes à voter pour cette troisième voie. Une vraie gauche, vous en avez parlé tout à l'heure,
00:56:15 mais est-ce qu'elle existe réellement sur la scène politique des Etats-Unis et comment est-il pour que ce troisième choix
00:56:23 réussisse à s'imposer face au parti démocrate républicain ? Et enfin, ma dernière question, à quel futur devons-nous nous attendre
00:56:32 au niveau de la politique étrangère si Trump revient en pouvoir, en particulier avec Israël et la Russie ?
00:56:38 Croyez-vous que les Etats-Unis appliqueront l'article 5 de l'OTAN contre la Russie si la situation se dégrade ? Merci.
00:56:45 Merci, Michel. Jérôme Drass.
00:56:52 Merci pour votre exposé conjoint, clair, précis. Vous avez, M. Henton, écrit sur la force du système démocratique américain.
00:57:03 Après l'élection de Donald Trump, il est clair que le cadre démocratique et institutionnel a freiné les dérives autoritaires de ce dernier.
00:57:13 Cette fois-ci, il semble bien mieux préparé. Il s'est entouré. Il indique qu'il fera fonctionner au maximum le « spoil system ».
00:57:21 Est-ce que, dans l'hypothèse de son élection, ce cadre démocratique et institutionnel réussira encore cette fois-ci à le freiner ?
00:57:30 Et puis, deuxième question, dans son ouvrage de fiction, l'auteur américain, francophone et francophile, Douglas Kennedy,
00:57:38 son ouvrage « Et c'est ainsi que nous vivrons », décrit une Amérique qui a connu une nouvelle sécession,
00:57:44 donc sans vouloir faire de politique fiction, cette division que vous nous avez présentée fonctionnant également état par état.
00:57:53 Est-ce que vous pensez qu'une dérive de ce type est plausible ? Merci.
00:57:59 Même règle. Vous avez la parole.
00:58:02 Merci. La question du troisième... Alors il y a une impopularité des institutions qui est ancienne.
00:58:10 C'est-à-dire que quand on lit certains journaux en France, on a l'impression que Nancy Pelosi, par exemple, était une super star et adorée,
00:58:16 et en fait elle est absolument détestée par tout le monde, comme tous ses autres collègues.
00:58:20 Personne n'est populaire et aucune institution, la Chambre, le Sénat, ne trouve grâce aux yeux des Américains.
00:58:26 Seule la Cour suprême avait un petit peu le bénéfice du doute jusqu'à il y a quelques années, et ça n'est même plus le cas.
00:58:31 Donc là il y a quelque chose qui est indépendant du facteur Trump. Le facteur Trump, disons, peut être une sorte de catalyseur, si l'on veut.
00:58:41 L'image est encore plus dégradée par l'insatisfaction des Américains envers les deux grands candidats.
00:58:52 Ils considèrent que Joe Biden, ça n'est pas un secret, est un petit peu trop vieux, et ils considèrent que Donald Trump est un petit peu trop vieux et un petit peu trop Donald Trump.
00:58:59 Et donc ils aspirent à autre chose. Le problème, comme j'ai fait référence dans la question précédente, c'est le système.
00:59:07 Comme on a un seul tour, c'est celui qui est en tête qui l'emporte.
00:59:11 Et donc la question du vote utile que vous soulignez, effectivement, si on vote pour un autre candidat parce qu'on ne veut pas voter et pour l'un et pour l'autre,
00:59:19 on prend des voix, par définition, à l'un des deux candidats, celui pour lequel on ne vote pas.
00:59:26 Donc, par exemple, voter Kennedy, est-ce que c'est faire perdre plus Biden que Trump ?
00:59:31 Pour l'instant, c'est relativement égal, c'est-à-dire que les déperditions sont relativement partagées.
00:59:38 En revanche, il y a d'autres candidats comme Cornel West, par exemple, et Jill Stein, par exemple, pour le Parti écologiste,
00:59:47 s'ils arrivent à se qualifier, qui, là, ferait perdre des voix uniquement à Joe Biden.
00:59:53 Donc, ce refus des deux grands candidats a des conséquences dans une élection à un tour.
00:59:59 Ça, c'est absolument certain et donc il faudra s'interroger sur son vote au moment de voter ou de ne pas voter le 5 novembre ou dans les jours qui précèdent.
01:00:09 Y a-t-il une vraie gauche qui est possible aux États-Unis ? Non.
01:00:13 Tout simplement parce qu'il faut qu'un parti pour survivre soit une énorme coalition.
01:00:19 Les Républicains comme les Démocrates, comme les travaillistes et les conservateurs au Royaume-Uni sont des coalitions avec des tensions internes
01:00:28 qui sont plus ou moins à l'avantage d'un des deux camps. Dans les années 80, les travaillistes britanniques étaient plutôt tirés vers leur gauche et leur extrême gauche.
01:00:39 Et puis, avec les réformes internes et puis Tony Blair qui arrive à la fin de ce processus, c'est plutôt le centrisme qui a prévalu.
01:00:47 Mais il restait toujours une espèce d'aile gauche qui est revenue avec Jeremy Corbyn.
01:00:51 Donc on a cette espèce de ping-pong incessant au sein de ces coalitions.
01:00:55 Les Démocrates sont tiraillés par ça. Les Démocrates, c'est Joe Manchin et l'industrie du charbon en Virginie Occidentale.
01:01:02 Et c'est Alexandria Ocasio-Cortez à New York. C'est le même parti avec des tensions qui ne peuvent pas être résolues.
01:01:12 Même chose côté républicain. Une scission veut dire un suicide politique pour les deux côtés.
01:01:19 Donc un parti républicain non-Trumpiste n'est pas viable de ce point de vue-là.
01:01:24 Sur la force du système, là c'est vrai que c'est un sujet qui est la résilience institutionnelle,
01:01:30 qui est une sorte de laboratoire à ciel ouvert assez passionnant, un petit peu inquiétant mais passionnant.
01:01:36 Il est probable que les institutions arrivent tout de même à freiner certaines formes de dérive,
01:01:44 même si, comme vous l'avez souligné, Trump est mieux préparé, pourrait arriver à mieux s'entourer.
01:01:53 Cependant, il y a une forme d'anticipation actuellement dans l'administration Biden et également au Congrès,
01:02:02 y compris chez les républicains, pour protéger un certain nombre de licenciements abusifs, si l'on veut.
01:02:09 Et donc il pourrait y avoir un certain nombre de freins à des purges partisanes.
01:02:14 Donc de ce point de vue-là, il y a une forme d'anticipation. Ce ne sera pas la sidération devant une élection de Trump.
01:02:20 Ça reste un scénario tout à fait plausible et donc il y a une forme d'anticipation.
01:02:24 Donc certes Trump sera mieux préparé, mais le système lui aussi est mieux préparé.
01:02:31 Là où il y a un certain nombre d'évolutions que les pères fondateurs ne pouvaient pas anticiper,
01:02:38 déjà il n'y avait pas de partis quand ils ont créé leur système.
01:02:43 Donc le fait qu'il ait survécu aux tensions partisanes est déjà quelque chose de remarquable.
01:02:48 Le fait que les partis soient de plus en plus alignés, quelle que soit l'institution, est un problème.
01:02:55 On l'a vu avec les deux impeachments de Donald Trump, le Sénat, dans l'esprit des pères fondateurs, est jaloux de ses prérogatives.
01:03:02 Et donc agit comme un contre-pouvoir vis-à-vis du Président.
01:03:05 A l'époque du Watergate, c'était encore le cas. Ça ne l'est plus.
01:03:09 Maintenant, quel que soit ce qui est reproché à Donald Trump dans ces deux impeachments,
01:03:13 les républicains au Sénat ont voté pour Donald Trump, pour le protéger.
01:03:16 Donc ils ne jouent plus leur rôle de contre-pouvoir.
01:03:19 Et on a une Cour suprême qui est de plus en plus favorable à des thématiques qui sont celles de Donald Trump.
01:03:25 Donc on verra sur la question de l'immunité en particulier, mais ça pose un problème de résistance institutionnelle.
01:03:31 Cependant, il reste un certain nombre de garde-fous.
01:03:34 Par exemple, si la Chambre repasse du côté des démocrates,
01:03:38 et donc peut bloquer un certain nombre de leviers budgétaires,
01:03:42 et essentiellement bloquer toute tentative de politique qui nécessite un budget,
01:03:49 tout ce qui est migratoire en particulier.
01:03:52 Pour terminer sur les nouvelles sécessions et divisions état par état,
01:03:57 on voit ça depuis un certain temps déjà.
01:04:01 Il y a un certain nombre de parties d'État qui ne se sentent plus représentées par la grande ville,
01:04:08 qui en gros devient le cœur de l'État, et voudraient faire sécession pour rejoindre un autre État.
01:04:13 On voit ça dans certains États de l'Ouest, dans certains États de la côte Est également,
01:04:17 des comtés qui voudraient faire sécession.
01:04:20 La Californie du Nord, l'Oregon de l'Est qui voudraient rejoindre l'Idaho,
01:04:23 tout ça existe, mais tout ça n'a aucune viabilité institutionnelle,
01:04:26 parce que ça ne représente quasiment personne.
01:04:29 Mais effectivement, il y a un certain nombre d'Américains qui ne se sentent plus chez eux.
01:04:33 Et ça se traduit par des déménagements.
01:04:36 Des Californiens républicains vont aller s'installer au Texas,
01:04:39 parce qu'il y a moins d'impôts, parce que l'immobilier est plus abordable,
01:04:42 et parce qu'on est entre soi.
01:04:44 Il y a des entreprises qui se créent, en Caroline du Sud en particulier,
01:04:47 pour attirer des candidats à l'émigration, des New-Yorkais républicains qui ne se sentent plus chez eux,
01:04:53 pour leur dire, ici en Caroline du Sud, vous êtes chez vous,
01:04:57 il y a les églises dont vous avez besoin, vous serez entre vous.
01:05:00 Et cette entre-soi est une vieille tendance des stratégies résidentielles aux États-Unis
01:05:05 depuis la suburbanisation dans les années 1950.
01:05:09 Donc, ça va s'accélérer, mais c'est ancien.
01:05:14 Sur les deux questions, Russie-Israël, très rapidement.
01:05:19 Sur la Russie, que ce soit Biden ou Trump,
01:05:23 il y a une volonté américaine de très clairement éviter à tout prix
01:05:27 le déclenchement de l'article 5 de l'OTAN,
01:05:29 d'où aussi très concrètement leur opposition aujourd'hui à une adhésion,
01:05:35 ou en tout cas un début de discussion sur une adhésion de l'Ukraine à l'OTAN.
01:05:39 D'ailleurs, ils sont parfaitement alignés avec Berlin sur cette question-là.
01:05:45 Et donc, je dirais que très concrètement, aujourd'hui et dans les mois à venir,
01:05:49 la politique américaine, c'est de continuer à livrer, livrer des armements à Kiev
01:05:56 pour essayer d'atteindre un niveau d'impasse ou une victoire tactique de l'Ukraine sur le territoire,
01:06:04 pour obliger en fait Poutine à éventuellement entamer des négociations.
01:06:10 Donc, ce que recherche Washington, en fait, ce n'est non pas une issue décisive sur le terrain,
01:06:18 par crainte notamment d'une escalade et donc potentiellement d'un scénario article 5.
01:06:26 Donc, c'est davantage pour essayer de trouver une forme de stabilité pour pouvoir entamer des négociations.
01:06:32 Et là, vraiment, il y a un alignement germano-américain qui est très net.
01:06:38 Sur Israël, deux choses, si c'est Trump.
01:06:41 D'abord, une pression beaucoup plus forte sur Netanyahou pour montrer, contrairement à Biden,
01:06:47 que lui sait peser sur son allié israélien.
01:06:51 Le problème, et là encore, ça nous amène à la politique intérieure américaine,
01:06:55 les blocages, ce qui fait que la politique américaine ne change pas quant à son soutien envers Israël,
01:07:05 c'est au Congrès.
01:07:07 C'est le Congrès qui aujourd'hui bloque le déclenchement ou l'usage du plus grand levier dont dispose aujourd'hui Washington,
01:07:15 qui est l'aide militaire américaine à Israël, et notamment sa suspension,
01:07:21 pour essayer de pousser Netanyahou à ajuster, en tout cas à infléchir sa position sur le terrain.
01:07:29 Donc, ça, c'est quand même une réalité de politique intérieure qui existe.
01:07:34 Deuxième chose que Trump ferait, c'est mettre une énorme pression,
01:07:41 notamment sur les alliés du Golfe, pour qu'ils prennent leur destin en main
01:07:48 et qu'ils agissent beaucoup plus comme des puissances médiatrices sur ce conflit,
01:07:54 sous la forme d'une volonté de régionaliser aussi la solution de crise, avec le soutien des Américains.
01:08:03 Et ça, on l'a vu, c'était déjà vraiment dans sa manière d'agir dans la région Moyen-Orient.
01:08:09 Trump souhaite "responsabiliser" ses alliés du Golfe quant aux enjeux de sécurité et de défense
01:08:16 de la région proche Moyen-Orient pour pouvoir se focaliser davantage dans la région indo-pacifique.
01:08:23 Donc, voilà. Donc, c'est la politique régionale et puis énorme pression sur Netanyahou.
01:08:29 Et peut-être, comme c'est les Républicains aujourd'hui qui bloquent la suspension de l'aide américaine à Israël,
01:08:37 peut-être, en tant que président, il aurait à ce moment-là le capital politique, l'influence,
01:08:43 pour faire infléchir les trumpistes et les républicains au Congrès,
01:08:47 pour aboutir à une suspension temporaire de l'aide américaine à Israël. Voilà.
01:08:51 Donc, voilà un petit peu les choses que je pourrais partager sur Russie et Israël.
01:08:57 Merci à vous. Deux questions. Olivier Kadic et ensuite Philippe Foliot. Olivier, c'est à toi.
01:09:04 Merci, monsieur le président. Oui, la question qui se pose à nous, si on regarde la big picture,
01:09:10 c'est justement l'affrontement entre deux mondes, celui de la Chine avec un monde dictatorial,
01:09:16 un monde de soumission pour les gens et le monde démocratique avec les élections, la liberté d'expression.
01:09:22 Et la question qui se pose en fait à nous, est-ce que les États-Unis peuvent assumer ce leadership des démocraties
01:09:28 et est-ce qu'ils ont la taille critique pour pouvoir le faire ? Dans le domaine de la lutte contre le narcotrafic,
01:09:34 120 000 morts l'an dernier du fentanyl qui vient des précurseurs chimiques chinois.
01:09:39 On a vu le ministre des Affaires étrangères à Pékin et donc ils sont en situation d'échec.
01:09:44 Dans la lutte contre le trafic d'êtres humains, plus de 500 000 migrants illégaux l'an dernier.
01:09:49 Les cartels mexicains ont fait plus d'argent avec le trafic que avec le trafic de drogue.
01:09:57 Donc ils sont encore en situation d'échec et on le voit au Texas, au Washington avec les comptes-tentes.
01:10:02 Dans le domaine de la cyber, j'étais encore à Washington en mars dernier,
01:10:07 on voit que dans le domaine de la cyber, eux ne demandent pas une cyber-souveraineté,
01:10:14 ils veulent une cyber-solidarité puisqu'ils voient bien que dans le domaine de la cyber,
01:10:19 aujourd'hui ils n'ont plus la taille critique pour se confronter à la Chine seul.
01:10:24 Et donc il y a une autre bonne raison, c'est que les entreprises de la tech américaine ont elles besoin du marché européen.
01:10:30 Donc elles ne peuvent pas se soumettre à l'administration américaine
01:10:33 telle que les entreprises chinoises doivent se soumettre à Pékin.
01:10:38 Donc là aussi il y a une question de taille critique.
01:10:41 Il y a une évolution qui se fait, et l'IPAC l'a montré, l'alliance interparlementaire sur la Chine, lancée en 2021.
01:10:49 Et ce n'est pas un hasard si la Chine a tout de suite attaqué cette interparlementaire et essayé de la hacker.
01:10:56 Le jeu de la Chine est d'isoler les Etats-Unis, en réalité parce qu'ils ont bien compris que peut-être
01:11:02 elle n'avait plus la taille critique, et le jeu c'est justement de déconnecter tous les pays européens,
01:11:07 les uns après les autres vis-à-vis de la Chine.
01:11:10 Donc est-ce que vous ne voyez pas plutôt dans la façon d'aborder les choses,
01:11:14 compte tenu de la question américaine, les faiblesses de la présidentialisation actuelle,
01:11:22 est-ce que vous ne voyez pas plutôt un futur pour que les parlements, les congrès américains,
01:11:26 les sénats américains travaillent directement avec des parlements étrangers
01:11:29 pour réfléchir à des moyens de lutter contre la Chine ?
01:11:35 Est-ce que vous pensez que le congrès américain serait prêt à organiser un travail dans ce domaine-là,
01:11:41 si les Etats-Unis voulaient toujours assumer un leadership ?
01:11:45 Est-ce que vous pensez que le parlement français européen doit développer justement une approche directe
01:11:52 en complément de la diplomatie traditionnelle ?
01:11:55 Et pensez-vous que les Américains aient la capacité à assumer le leadership seul des démocraties face à la Chine aujourd'hui ?
01:12:02 Merci.
01:12:07 Merci. Je voulais vous interroger, vous dire un certain nombre de choses, madame, au sujet de l'OTAN.
01:12:13 Je suis membre de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN.
01:12:18 J'en ai été vice-président et je suis président du groupe des libéraux et démocrates au sein de cette assemblée.
01:12:23 Et nous étions cette fin de semaine à Sofia pour notre session annuelle,
01:12:31 et on a eu des échanges très fournis avec nos collègues américains,
01:12:37 et notamment avec Mike Turner et Jerry Colony, qui sont deux anciens présidents
01:12:42 et qui sont autour-à-tour chefs ou chefs-adjoints de délégation pour les Etats-Unis,
01:12:47 et qui de concert, du reste l'un étant républicain, l'autre étant démocrate,
01:12:52 Turner républicain et Conley démocrate,
01:12:55 et qui ont très fortement travaillé au sein du Congrès pour faire de telle sorte
01:13:01 que le paquet d'aides à l'Ukraine puisse être adopté, avec des éléments et des arguments.
01:13:08 Et je crois qu'il y en a un que vous avez dit et qui est très important, c'est l'aspect économique.
01:13:13 C'est-à-dire que nous avons tous compris que la perspective pour les Américains
01:13:20 de pouvoir vendre des armes sur étagère, notamment en Europe de l'Est ou en Europe centrale,
01:13:27 était un argument et un élément très fort, et que du reste il y avait opposition,
01:13:32 entre guillemets, de deux éléments de stratégie, je crois que vous l'avez très justement résumé,
01:13:37 entre finalement la nécessité pour les Européens de créer des moyens
01:13:42 de pouvoir assumer leur défense, ce que souhaitent les Américains,
01:13:46 mais en fait la grande question c'est de savoir est-ce que cette future défense européenne
01:13:51 va reposer uniquement sur des armements américains, ou une capacité industrielle européenne
01:13:57 à pouvoir s'organiser pour pouvoir faire de telle sorte que nous puissions l'assumer.
01:14:05 Et donc c'est un enjeu important.
01:14:08 Donc je partage votre analyse au regard du fait que je ne crois pas,
01:14:11 même si Trump est élu, que les Américains qui trôlent l'OTAN.
01:14:14 Ne serait-ce qu'aussi par rapport à un élément tout à fait symbolique,
01:14:17 c'est que si notre prochaine session de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN est à Montréal,
01:14:22 la session de printemps de l'année prochaine est à Dayton aux Etats-Unis,
01:14:26 donc dans le fief de Mike Turner.
01:14:28 Donc dans ce cadre-là, je crois qu'il a dû s'assurer d'un certain nombre de choses
01:14:36 avant de pouvoir candidater pour recevoir cette session.
01:14:43 Et donc dans ce cadre-là, ma question, et nous le voyons au sein de l'Assemblée parlementaire,
01:14:51 même si sur certains éléments, je voudrais dire, nous avons,
01:14:56 vous avez dit par rapport à l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN,
01:15:00 au titre de la délégation française, nous avons fait, j'ai porté un amendement
01:15:05 qui a été adopté à l'unanimité, alors certains n'ont pas pris par vote,
01:15:09 notamment les Etats-Unis, mais sur le caractère irréversible de l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN.
01:15:18 Et que donc, dans ce cadre-là, la délégation américaine n'a pas voté contre.
01:15:22 Voilà, c'est juste un élément.
01:15:24 Et donc ma question, monsieur le Président, très rapidement,
01:15:28 c'était relative au fait que, bien sûr, nous voyons la pression de nos collègues américains
01:15:41 pour dire que l'alliance, le statut d'alliance nord-atlantique devrait essayer de devenir une alliance globale,
01:15:48 et avec toutes les réserves que nous avons exprimées, qui sont celles de notre pays par rapport à cela.
01:15:52 Et donc ma question très précise, c'est dire qu'oui de l'AUKUS par rapport à cela.
01:15:57 J'aimerais avoir votre vision sur cet enjeu et sur cette nouvelle coalition
01:16:06 qui a été mise en place entre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Australie.
01:16:10 Voilà, écoutez, c'est à vous.
01:16:12 C'est à moi. Merci beaucoup.
01:16:14 Sur la question de la démocratie, c'est extrêmement intéressant,
01:16:22 parce que c'est là où en fait on se rend compte que, et Laurie pourra développer ça peut-être un peu plus,
01:16:28 étant donné les vulnérabilités de la démocratie américaine elle-même aujourd'hui,
01:16:35 c'est vrai qu'elle n'a plus ce "crédit" moral de pouvoir faire la leçon aux autres dans le monde.
01:16:42 Ce leadership américain en tant que démocratie et modèle de la démocratie dans le monde
01:16:48 est effrité, est ébranlé, est challengé partout dans le monde.
01:16:53 Et je dirais, moi qui ai beaucoup travaillé sur les interventions après le 11 septembre 2001,
01:17:00 ces 20 années de guerre contre le terrorisme ont complètement abîmé en fait ce leadership moral
01:17:07 dont se défendait Washington depuis très longtemps.
01:17:13 Et donc ça forcément, ça déteint sur le leadership américain.
01:17:18 Et on le voit dans les dialogues sino-américains, la difficulté aussi à peser sur certains alliés,
01:17:25 certains partenaires, c'est le reflet aussi de cet effritement de ce qui était d'habitude les forces de la démocratie américaine.
01:17:36 Vraiment cet effet de réverbération sur le leadership américain pour moi est très important.
01:17:43 Et ce qui est intéressant, c'est de voir que Biden, souvenez-vous, est arrivé au début de son mandat
01:17:50 en disant "je vais accueillir un sommet pour les démocraties".
01:17:55 On se souvient tous de ça, et d'ailleurs la France n'était pas forcément très emballée par l'idée.
01:18:00 Mais très vite il s'est rendu compte, alors il en a fait un ou deux, que cette résurrection un peu de l'alliance des démocraties des années 80-90,
01:18:09 qui est en fait une idée totalement anachronique par rapport au contexte d'aujourd'hui,
01:18:14 surtout quand on regarde les pays du sud global en fait, qui ne souhaitent pas être dans un camp ou dans un autre,
01:18:20 mais être plutôt transactionnels, opportunistes, et puis naviguer entre les différents camps, entre guillemets.
01:18:26 Il s'est rendu compte que ça ne tenait pas la route dans le contexte actuel.
01:18:30 Et donc il a fait un peu un "rewind" là-dessus, il a rétrogradé, pour finalement déployer une diplomatie beaucoup plus pragmatique
01:18:40 par rapport à ces États du sud global dans le cadre de la compétition avec la Chine.
01:18:45 Deuxième question sur le futur du dialogue interparlementaire. Alors moi j'y crois beaucoup.
01:18:58 Moi-même quand j'étais au CADORCE, donc au Centre d'Analyse et de Prévision, j'accueillais et j'organisais chaque année le voyage des staffers,
01:19:06 senior congressional staffers, donc républicains, démocrates, qui passaient une semaine ici à Paris et quelques jours en Normandie aussi,
01:19:14 pour qu'ils voient aussi l'importance de ce lien franco-américain et transatlantique.
01:19:20 Moi je crois beaucoup à ces dialogues au niveau "sous-gouvernemental", et il faut d'autant plus les renforcer pour toutes les raisons dont on a parlé aujourd'hui,
01:19:29 c'est-à-dire qu'au niveau politique, il y a beaucoup de tensions.
01:19:33 Et donc pour maintenir le dialogue transatlantique, il faut en fait passer maintenant par des canaux complémentaires,
01:19:40 pas parallèles, complémentaires, qui sont imbriqués dans les pouvoirs politiques, qui dialoguent avec le monde de l'entreprise.
01:19:48 Je travaille beaucoup avec les entreprises du CAC 40, qui ont beaucoup d'inquiétudes aussi par rapport à la trajectoire
01:19:55 qu'est en train de suivre l'Amérique d'un point de vue financier, économique et autre.
01:20:00 Et donc je pense, moi je suis vraiment, et c'est mon travail au quotidien, à vraiment travailler sous forme d'écosystème,
01:20:07 c'est-à-dire avec les parlementaires, avec les think tanks, les instituts de recherche, avec, vous avez parlé des industries de la tech,
01:20:14 avec les industries de la tech, qui ont une compréhension du terrain, de ce qui se passe,
01:20:19 qui est totalement connectée aux réalités par rapport parfois à nos décideurs politiques, qui font des discours mais qui ne savent pas ce qui se passe sur le terrain.
01:20:27 Donc ça je trouve intéressant, et je serais ravie d'ailleurs de voir comment nous pourrions travailler ensemble,
01:20:34 parce que ça c'est vraiment mon quotidien, c'est de mettre autour de la table tous les acteurs de l'écosystème,
01:20:39 de la relation franco-américaine, française, européenne, pour essayer d'avancer ensemble sur des sujets très concrets.
01:20:46 Et c'est que par ce biais-là qu'on va avancer de manière constructive et je dirais avec des résultats, pas que des beaux discours mais des résultats.
01:20:54 Troisième chose, sur l'OTAN, merci beaucoup vraiment pour votre témoignage.
01:20:59 Je dirais la réponse en fait à votre question sur le futur de l'Europe de la défense, il n'est pas ici à Paris, c'est à Berlin.
01:21:09 La réponse est à Berlin, on l'a vu encore ces derniers jours avec la visite du Président en Allemagne.
01:21:19 Aujourd'hui il y a une désynchronisation très clairement entre Paris et Berlin sur le sujet de l'Europe de la défense.
01:21:26 D'ailleurs j'ai trouvé très intéressant que dans la tribune conjointe Macron-Scholz dans le Financial Times, c'était très tech-compétitivité,
01:21:35 il n'y avait pas un mot sur l'Europe de la défense.
01:21:38 Donc vous comprenez tout de suite que c'est le sujet de crispation.
01:21:41 L'Allemagne, parce qu'elle est tributaire de la technologie américaine, pas comme nous, on n'a pas non plus les mêmes logiciels puissance nucléaire.
01:21:51 On a cette capacité à pouvoir aussi avoir une voix crédible sur les questions d'Europe de la défense.
01:21:58 L'Allemagne, elle typiquement avec le Sky Shield, donc ce bouclier anti-missiles, ça profite à l'industrie de défense américaine, Israël et bien sûr Allemande,
01:22:08 mais elle est totalement déconnectée de la base industrielle européenne.
01:22:13 Donc là il faut vraiment, avec Berlin, et moi j'y travaille à mon niveau depuis maintenant près de deux ans,
01:22:21 essayer de trouver un accord, une vision commune de ce que nous voulons accomplir ensemble pour l'avenir de l'Europe de la défense.
01:22:32 Alors oui il y a le SCAF et le MGCS, mais tout ça, ça avance lentement, à chaque fois la deadline est repoussée, repoussée, repoussée.
01:22:39 Du coup on se rabat sur des équipements militaires, mais là il faut vraiment qu'on trouve un moyen d'avancer avec notre partenaire allemand.
01:22:48 Et ce qui est très intéressant, c'est de voir comment le débat a évolué sur ce sujet en Europe de l'Est centrale, dans les pays baltes, dans les pays scandinaves.
01:22:59 Eux se disent aujourd'hui "Bon, l'Amérique, ça devient un peu compliqué".
01:23:04 On continue à acheter américain, on signe des accords bilatéraux à fond, même si on sait que ça ne nous garantit pas beaucoup de gentillesse dans le futur des États-Unis.
01:23:14 Mais bon, on le fait quand même.
01:23:16 Mais aujourd'hui, les Polonais, l'Estonie, la Suède, la Finlande, les Pays-Bas, moi j'y ai travaillé ces dix dernières années,
01:23:25 ont totalement changé leur approche et leur vision de l'Europe de la défense.
01:23:30 Et en fait, se sont beaucoup rapprochés de la position française sur ce sujet.
01:23:34 Et donc, je pense que nous, ce qu'on doit faire en tant que Français et dans les discours que nous faisons sur l'Europe de la défense,
01:23:40 aussi pour "rassurer" notre partenaire américain et les partenaires européens qui sont encore un peu stressés par comment Washington et l'OTAN vont réagir,
01:23:50 c'est de dire que ce n'est pas incompatible d'avoir une Europe de la défense forte, une relation transatlantique forte
01:23:58 et une OTAN qui soit également forte.
01:24:02 Ce sont des outils que l'on doit utiliser de manière complémentaire.
01:24:06 Et plus ces trois piliers de l'Europe, de la sécurité et de la défense de l'Europe, seront forts ensemble,
01:24:13 plus on pourra répondre de manière efficace aux crises d'aujourd'hui et de demain.
01:24:18 Un petit mot sur AUKUS.
01:24:21 Je dirais qu'il faut comprendre en fait cette alliance comme un signe assez fort de la part de Washington,
01:24:31 qui est de dire qu'aujourd'hui, on ne reconnaît pas à l'Europe et a fortiori à la France un rôle très important dans l'Indo-Pacifique.
01:24:41 Le regard qu'il porte sur nous, c'est ce que je disais au début, avec les concepts de puissance, d'équilibre, ils ne comprennent rien.
01:24:48 Est-ce que vous voulez être à aiguille de distance entre Pékin et Washington ?
01:24:52 Vous n'êtes pas très clair dans vos orientations stratégiques.
01:24:55 Il faudrait que là aussi, on ait un dialogue stratégique franco-américain sur l'Indo-Pacifique
01:25:02 pour réexpliquer aussi les intérêts stratégiques français dans la région, notre présence, combien de fois je fais ce travail-là.
01:25:10 Et l'interlocuteur qui soit au Pentagone, à la Maison-Blanche, redécouvre ce qu'est la France comme acteur dans l'Indo-Pacifique.
01:25:17 Donc là aussi, il y a quelque chose vraiment à nourrir.
01:25:20 Dernière chose sur AUKUS, là je prends le regard des États, entre guillemets, j'aime pas ce mot, mais du sud global,
01:25:27 c'est-à-dire l'Indonésie, Singapour, l'Inde.
01:25:31 Typiquement, AUKUS ne leur convient pas du tout.
01:25:34 Ce n'est pas du tout ce qu'ils veulent, c'est-à-dire une alliance qui s'affiche très clairement contre la Chine.
01:25:41 Eux, ce qu'ils cherchent, c'est justement une diversification de l'alliance.
01:25:47 Et l'offre française, l'offre européenne, est finalement très intéressante pour ces pays.
01:25:53 Donc c'est pour ça que le fait qu'on ne soit pas alignés, et moi je suis une partisane de ça,
01:26:00 sur la politique américaine du containment de la Chine, est extrêmement saine, extrêmement utile.
01:26:06 Et surtout, elle apporte une complémentarité stratégique que les Américains devraient reconnaître comme étant à bénéfice pour eux.
01:26:13 Parce qu'on est capable de tisser des liens de nature différente sur plein d'autres sujets, défense, tech, industriel, économique,
01:26:22 que eux peut-être ne peuvent pas, puisqu'ils sont trop affichés dans l'anti-Chine.
01:26:28 Et c'est ce sur quoi, moi je pense qu'il faut qu'on ait vraiment une discussion avec nos partenaires européens et américains.
01:26:38 Parce qu'il y a des choses à faire dans cette complémentarité, encore une fois.
01:26:42 On n'est pas incompatibles, on n'a pas les mêmes intérêts, la même lecture de comment gérer notre relation avec la Chine.
01:26:50 Mais ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas trouver des moyens d'avancer de manière complémentaire.
01:26:57 Moi j'y crois vraiment. Merci.
01:27:00 Monsieur Nthom, quelque chose ?
01:27:05 Je ne suis nettement moins compétent sur les questions de politique étrangère.
01:27:12 Je dirais juste que sur le dialogue interparlementaire, tout ce qui est, je ne vais pas dire souterrain, mais qui passe en dehors de l'obsession médiatique de beaucoup de congressmen est constructif.
01:27:30 Mais il ne faut pas oublier cette dimension.
01:27:34 Ils passent énormément de temps à s'injurier à la télé.
01:27:38 C'est l'essentiel de leur travail. Il y a énormément de postures.
01:27:42 Et donc il y a énormément de quantités de travail parlementaire qui n'existent pas ou qui n'existent plus.
01:27:48 Car un certain nombre d'acteurs sont obsédés par cette présence médiatique.
01:27:55 Voilà pour cette table ronde qui aura permis de dresser les perspectives et les défis qui attendent les États-Unis en cette année d'élection.
01:28:02 Sous haute tension, qui de Donald Trump ou de Joe Biden sera élu ? Il faudra attendre le mois de novembre pour le savoir.
01:28:10 Voilà, 100% Sénat, c'est terminé. Quant à moi, je vous souhaite une très belle journée sur les chaînes parlementaires.
01:28:15 [Musique]

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