Jacques Mesrine, l'ennemi qui fascine
En 1973, Jacques Mesrine revient du Québec où il a fait un long séjour. Il y a été lourdement condamné mais s'est évadé de la prison Saint-Vincent de Paul en 1972. Entre 1973 et 1979, année de sa mort à Paris, sous les balles des policiers, Mesrine enchaîne les braquages et les coups d'éclat, voire les coups médiatiques. Devenu l'ennemi public numéro un, il bâtit sa légende. Sa mort, spectaculaire elle aussi, déclenchera une vive polémique.
En 1973, Jacques Mesrine revient du Québec où il a fait un long séjour. Il y a été lourdement condamné mais s'est évadé de la prison Saint-Vincent de Paul en 1972. Entre 1973 et 1979, année de sa mort à Paris, sous les balles des policiers, Mesrine enchaîne les braquages et les coups d'éclat, voire les coups médiatiques. Devenu l'ennemi public numéro un, il bâtit sa légende. Sa mort, spectaculaire elle aussi, déclenchera une vive polémique.
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00:00 Cette fois encore, le truand ne compte pas en rester là.
00:04 Bien que la communication soit quasi impossible avec les autres détenus dans le QHS,
00:10 Mérine parvient à se lier d'amitié avec un homme, François Bess.
00:15 Une rencontre capitale.
00:18 Comme lui, Bess est un roi de l'évasion.
00:21 [Musique]
00:43 Les flics à ses trousses, ça l'excitait.
00:46 C'est vraiment un homme qui navigue constamment entre la violence et le charme.
00:51 Le but c'était de se faire du fric et foutre la merde.
00:56 Et pour foutre la merde, il ne se gênait pas. C'était son dada.
01:01 C'est vrai qu'on peut quelquefois ridiculiser la police, mais on le paye toujours à la fin.
01:08 Bien sûr, il y avait une volonté de tuer Mérine, parce qu'ils en avaient peur. Et il y a de quoi.
01:14 La décision de tuer a été prise au plus haut niveau, ça je le sais.
01:17 Mérine était un voyou, un bandit de grand chemin. Il a pris ses responsabilités et voilà.
01:24 [Musique]
01:34 Les policiers l'appelaient Messrine. Lui, ils prononçaient Mérine.
01:39 Et très vite, on l'a surnommé l'ennemi public numéro 1.
01:44 Cela fait 35 ans qu'il est mort. 35 ans et on en parle encore.
01:49 Des livres, des documentaires, des chansons, des films. Jacques Mérine est passé à la postérité.
01:57 Alors, pourquoi et comment s'est-il forgé cette légende qui lui survit ?
02:02 Comment expliquer le charisme de ce voyou qui a tenu la France en haleine ?
02:06 Que sont devenus les acteurs de cette affaire ?
02:09 Qu'a-t-elle changé au niveau des méthodes d'enquête et de l'approche judiciaire ?
02:14 Avec Imen Gouali, nous avons décidé de retrouver les protagonistes de l'affaire Mérine
02:21 et d'analyser avec eux les conséquences et les répercussions de ce dossier hors normes.
02:27 Messrine a battu à Paris. L'anti-gang avait repéré l'ennemi public numéro 1 depuis deux jours.
02:36 Les policiers l'ont coincé porte de clignancourt alors qu'il s'apprêtait à partir en week-end.
02:41 5 mars 1973. Un homme fait irruption dans un bar du quartier de la Madeleine à Paris.
02:49 Il veut donner une bonne leçon au patron qu'il soupçonne d'être un indique.
02:54 Mais le patron n'est pas là. Alors, l'homme dégaine son Colt 45 et s'en prend au bar et aux bouteilles,
03:01 comme dans les films, avant de disparaître dans la nuit.
03:06 Cet homme au Colt 45, c'est Jacques Mérine, un bandit qui rentre du Canada.
03:12 Là-bas, il est estampillé ennemi public numéro 1.
03:16 Il est recherché pour de multiples braquages, prise d'otage et pour un double meurtre.
03:22 En France, Mérine a aussi des casseroles. Les policiers le recherchent pour le meurtre d'un proxénète.
03:31 Après plusieurs semaines d'enquête, les policiers repèrent sa planque. L'homme est dangereux.
03:36 Ils décident de le prendre par surprise.
03:39 Lorsque Mérine descend faire ses courses et rentre tranquillement chez lui, les mains pleines de paquets,
03:45 les policiers lui sautent dessus.
03:48 Jacques Mérine est fait, mais avec les policiers, le truand se montre joueur, voire grand seigneur.
03:55 Jacques Mérine a dit bah écoutez, j'ai une bouteille de champagne au frais, on va sabler mon arrestation.
04:01 Donc effectivement, pourquoi refuser après tout ?
04:06 Donc on a effectivement bu une coupe de champagne à sa santé.
04:11 En garde à vue, Jacques Mérine continue sur le ton de la fanfaronnade et il pousse le bouchon jusqu'à provoquer les policiers.
04:21 Lors de sa garde à vue, il a dit de toute manière, vous ne me garderez pas longtemps en prison.
04:26 La première des choses à laquelle je vais penser, je vais m'évader et vous verrez, je m'évaderai.
04:32 Et il nous parie une caisse de champagne.
04:35 Donc ça ne nous coûte pas grand chose de tenir le pari.
04:39 On est à peu près certain qu'il ne sortira pas.
04:42 Et on est à peu près certain aussi de pouvoir payer une caisse de champagne.
04:46 Si on se cotise tous, on y arrivera.
04:50 A l'issue de sa garde à vue, Jacques Mérine est incarcéré à la prison de la santé.
04:55 Mais comme promis aux policiers, il ne va pas y rester longtemps.
05:00 Car il a déjà un plan.
05:02 Il sait qu'il doit être jugé pour une petite affaire dans un tribunal de province à Compiègne.
05:07 C'est là qu'il veut s'évader.
05:10 Pour y arriver, il compte sur l'aide de Michel Ardouin, alias le porte-avion.
05:15 Un fidèle complice qui, comme son surnom l'indique, est toujours lourdement armé.
05:21 Ce 6 juin 1973, dès son arrivée au tribunal,
05:28 Mérine prétexte un problème gastrique pour aller aux toilettes.
05:32 Et dans ces toilettes, le porte-avion est passé peu avant.
05:36 - J'ai mis une arme de poing dans chaque chiotte.
05:40 Il a pris le P08, il l'a mis dans sa ceinture.
05:42 Il est redescendu tranquillement avec ses gendarmes.
05:45 Parce que pendant qu'il faisait semblant d'être aux toilettes,
05:47 le gendarme tenait la chaîne quand même avec la porte fermée.
05:49 Il a fallu qu'il se suisse et qu'il tâtonne un peu.
05:52 La suite, un jeu d'enchant pour Mérine.
05:57 En pleine audience, il dégaine son arme, braque le président,
06:01 le prend en otage et décampe avec Michel Ardouin qui l'attend dehors.
06:06 Malgré une fusillade avec les gendarmes et de nombreux barrages,
06:11 2 fuyards libèrent l'otage et disparaissent dans la nature.
06:15 Jacques Mérine vient de signer sa 1re évasion en France.
06:22 - Il a gagné son pari.
06:24 3 mois à peine se sont écoulés depuis sa garde à vue à la PG Versailles.
06:28 Mais il n'est jamais venu chercher la caisse de champagne.
06:31 Jacques Mérine est de nouveau en cavale.
06:35 Et comme une cavale, ça coûte cher, il lui faut de l'argent.
06:39 2 semaines seulement après son évasion,
06:42 il multiplie les braquages avec Michel Ardouin et un 3e complice.
06:47 Mais un jour où il est trop gourmand et attaque 2 banques dans la foulée,
06:52 il se retrouve nez à nez avec la police.
06:55 - Arrivé au bout de la rue, j'ai pris une voiture, j'ai sorti le mec de sa voiture,
06:58 je suis monté au volant, lui, il est monté de l'autre côté.
07:00 Au moment où on passait le carrefour, il a vidé un chargeur,
07:04 sans blesser personne, mais les flics commencent à nous allumer.
07:07 J'avais des mat' 49, c'est 2 flics très courageux, 2 jeunes.
07:10 Et on est partis avec une vingtaine d'impacts dans la voiture.
07:13 Malgré la fusillade, Mérine et Ardouin parviennent à s'enfuir.
07:18 Mais le 3e complice tombe aux mains des policiers.
07:22 Et lors de son interrogatoire, il balance.
07:26 Le complice donne l'adresse de la planque de Jacques Mérine.
07:29 Aussitôt, les policiers encerclent son immeuble du 13e arrondissement de Paris.
07:35 Et pour interpeller Mérine, on en voit un poids lourd.
07:39 C'est Robert Broussard, le patron de l'anti-gang lui-même, qui frappe à sa porte.
07:44 Un long dialogue s'installe entre les 2 hommes.
07:49 - Et puis, petit à petit, bon, il y avait donc une certaine forme de respect
07:55 qui s'est instaurée entre lui et moi.
07:57 Et à un certain moment, il a ce fameux défi.
08:00 Si t'es aussi courageux qu'on le dit,
08:03 est-ce que tu serais capable de venir me chercher seul, sans armes, sans gilet pare-balles ?
08:07 Le pari est risqué.
08:09 Mais Robert Broussard sait d'expérience que Mérine est un voyou à l'ancienne,
08:14 un homme de parole qui ne tirera pas sur lui s'il relève son défi.
08:18 - Finalement, il a ouvert la porte.
08:22 Et il est apparu avec un énorme cigare à la bouche, un brochet.
08:26 Et puis, alors, là, il bombait le torse.
08:27 Il me dit "Tu te trouves pas que c'est une arrestation ? Cale la gueule."
08:29 Et c'est là qu'il claque les doigts, parce qu'il avait cette manie,
08:32 il avait quelque chose à dire.
08:33 Il claque les doigts et il dit à la femme qui est à l'intérieur
08:36 "Fifi, du champagne pour ces messieurs. Ce sont des hommes, des vrais, tu comprends."
08:41 Il fallait qu'il garde quand même une certaine...
08:44 Une certaine sonora, si vous voulez, d'ennemi public numéro 1.
08:48 - Une arrestation qui a de la gueule.
08:51 Encore une fois, au champagne.
08:53 De quoi faire la une des journaux pendant plusieurs jours.
08:56 La légende Mérine est en marche.
08:59 Pendant ce temps, il retourne à la prison de la santé à Paris.
09:03 Et cette fois-ci, pas question de le laisser filer.
09:06 Jacques Mérine est mise à l'isolement dans le QHS, le quartier de haute sécurité.
09:11 Un quartier d'où, dit-on, on ne s'évade pas.
09:15 - Qu'est-ce que c'est que le QHS ?
09:17 Le QHS, c'est être sur un lit de mort, c'est la privation sorcière,
09:22 c'est la perte d'essence, la perte de l'usage de la parole.
09:25 ...
09:30 - Jacques Mérine a l'impression d'être enterré vivant.
09:33 Et d'emblée, il se rebelle contre ces conditions d'incarcération qu'il juge inhumaines.
09:39 Il veut faire abolir le QHS.
09:42 Un combat dont se souviennent encore tous ceux qui l'ont côtoyé à l'époque.
09:49 - C'était un homme qui était animé d'un sens de justicier, quelque part.
09:58 Là où il voyait l'injustice telle qu'il l'interprétait,
10:03 chacun a sa vision propre de l'injustice.
10:07 Chaque fois qu'il découvrait une injustice,
10:11 il avait envie de se comporter un justicier et de réparer.
10:14 - C'était un homme qui réagissait avec une émotion décuplée
10:18 parce qu'il avait vu des hommes crever dans un trou de basse fausse
10:22 que lui-même avait subi ce traitement
10:25 et qui s'était dit "plus jamais pour eux et pour moi".
10:29 - Mérine se lance dans une véritable guerre contre le système
10:34 et parvient à convaincre ses co-détenus.
10:37 Mais il ne s'arrête pas là. Il fait appel à la presse.
10:46 Son combat, largement relayé par les médias,
10:49 traverse les murs du QHS et se propage dans toutes les prisons de France.
10:53 - Maître Esch, en 1977, 685 détenus font la grève de la faim
11:03 pour protester contre leur condition de détention.
11:06 C'est Jacques Mérine qui est à l'initiative de ce mouvement.
11:09 - Ce qui reste dans les prisons de lui aujourd'hui,
11:14 c'est une sorte d'icône qui a fait disparaître les QHS,
11:20 qui a instauré des règles de respect,
11:23 alors que lui ne respectait pas ceux qui le détenaient.
11:28 Mais il n'empêche qu'il a fait peur à tant de gens
11:32 qu'il est resté pour les détenus une icône.
11:36 - Après 4 ans d'isolement au quartier de haute sécurité,
11:40 le procès de Jacques Mérine s'ouvre devant la cour d'assises de Paris.
11:44 Un procès inoubliable pour tous ceux qui l'ont suivi.
11:48 Isabelle Dumas-Pelletier, jeune journaliste à Paris Match à l'époque,
11:52 garde un souvenir intact de ces moments surréalistes.
11:56 - Alors là, il y a le banc, l'arrière-bande des journalistes,
12:00 il y a des stars de cinéma, il y a des écrivains.
12:03 C'est vraiment un show, oui, un show à l'américaine.
12:07 - Et lui ?
12:08 - Ah bah lui, lui, il est magnifique. Enfin, je me comprends.
12:12 Je veux dire, lui, il en joue, il s'en amuse, il drague une des jurées
12:16 en lui disant qu'elle est ravissante et qu'elle est charmante en plein procès.
12:20 Ça l'amusait beaucoup, il faisait des clins d'oeil aux journalistes,
12:23 il me faisait bonjour chaque fois que j'arrivais.
12:26 On sentait qu'après les quartiers de haute sécurité, c'était waouh !
12:30 Il renouait avec la vie, il renouait avec les gens,
12:33 il regardait les acteurs dans la salle, il lisait tous les journaux.
12:37 C'était le point d'orgue de ces années-là, bien sûr.
12:41 - On en oublierait presque que Mérine est jugée pour une dizaine de braquages,
12:47 pour l'évasion et la prise d'otage de Compiègne
12:50 et pour une tentative d'assassinat sur un gendarme dans la fusillade qui a suivi.
12:54 Mais 2 semaines plus tard, fin du show pour Mérine.
13:04 - C'est une surprise, le gangster Jacques Mérine a été condamné hier
13:08 à 20 ans de réclusion criminelle.
13:10 L'avocat général avait réclamé la réclusion à perpétuité.
13:13 - La justice a parlé.
13:16 Mérine retourne en prison pour 20 ans.
13:19 Cette fois encore, le truand ne compte pas en rester là.
13:25 Bien que la communication soit quasi impossible
13:29 avec les autres détenus dans le QHS,
13:31 Mérine parvient à se lier d'amitié avec un homme,
13:34 François Besse.
13:37 Une rencontre capitale.
13:39 Comme lui, Besse est un roi de l'évasion.
13:42 Et c'est ensemble qu'ils vont passer à l'action.
13:48 6 mois après sa condamnation, Jacques Mérine et François Besse
13:52 réalisent l'une des évasions les plus spectaculaires de l'histoire.
13:57 - Mesdames, messieurs, bonsoir.
13:59 Oui, Jacques Mérine s'est évadé.
14:01 Même si ici, on n'aime pas trop les formules et la sensationnelle,
14:05 on est bien obligé de dire que l'ennemi public numéro 1
14:08 est depuis ce matin en liberté.
14:10 - L'ennemi public numéro 1 fait une fois de plus
14:15 la une de tous les journaux.
14:17 Et il aime ça.
14:19 Lors de sa cavale, au lieu de se défendre,
14:22 il se défend de la justice.
14:24 Lors de sa cavale, au lieu de se faire oublier,
14:27 Mérine prend régulièrement contact avec les journalistes
14:30 pour faire passer toutes sortes de messages
14:33 au nez et à la barbe des policiers.
14:36 - Il avait la conviction qu'il ne deviendrait pas
14:40 un voyou de légende sans passer par la case média.
14:43 Et là, il y a eu une rupture radicale
14:46 entre ce qui s'est passé dans le banditisme avant Mérine
14:50 et ce qui va se passer après lui.
14:53 La façon dont il a utilisé les médias,
14:56 dont il a joué avec eux,
14:59 et évidemment aussi la façon dont les médias
15:02 rendaient compte de ces faits d'armes,
15:05 c'est vraiment une stratégie de communication.
15:08 C'est presque du marketing.
15:10 - Il est rentré dans la légende parce qu'il a dit à Jacques Messerine
15:13 "Je ne suis pas un voyou comme les autres,
15:16 "je ne vais pas prendre de l'argent pour ensuite
15:19 "aller m'installer au bord de l'eau
15:22 "et aller me faire un coup de poing."
15:25 - Il a su à la fois se médiatiser, se vendre aux médias,
15:29 en disant "Je pars en guerre contre l'État",
15:32 et bien c'est devenu un personnage mythique.
15:36 - Les journalistes sont donnés à coeur joueur Mérine aussi.
15:43 Que demande le peuple ?
15:45 Le peuple, justement, il lisait les journaux,
15:48 il suivait toute cette histoire,
15:51 cette péripétie, j'ose dire, méridienne,
15:54 comme un feuilleton.
15:56 C'était le feuilleton, c'était la série,
15:59 il est passé par ici, il repassera par là.
16:02 Il y avait un côté un peu guignol et les gendarmes.
16:05 Et vous savez, les Français, en tous les cas à l'époque,
16:08 tournaient un peu en ridicule la marée chaussée,
16:11 ça les amusait beaucoup.
16:13 - Le summum de sa gloire, c'est l'interview
16:16 qu'il donne à Isabelle Dumas-Pelletier
16:19 dans laquelle il parle de la guerre.
16:22 C'est une interview mise en scène avec photos,
16:25 révélations et menaces.
16:27 Alors qu'il est activement recherché
16:30 par tous les policiers de France,
16:33 Jacques Mérine s'adresse à eux et plus particulièrement
16:36 au patron de l'anti-gang Robert Broussard.
16:39 Et il prévient, les arrestations au Champagne, c'est terminé.
16:42 La prochaine fois, c'est au premier qui tirera.
16:45 Mérine le dit à Paris Match,
16:48 qu'il est arrivé par hasard et qu'il a le culot d'aborder,
16:51 bien qu'il soit traqué.
16:53 Une anecdote que maître Geneviève Esch n'avait encore jamais livrée.
16:57 - Quelqu'un m'ouvre la porte et me dit "bonsoir, maître".
17:00 Et je reconnais immédiatement Mérine à sa voix
17:03 et à son index extrêmement court par rapport à son médus.
17:07 Il était roux, il avait la barbe rousse,
17:10 les cheveux roux, etc.
17:12 Et il me proposera d'aller dîner.
17:15 Je lui dis "non, je n'accepterai pas".
17:18 La seule question que je lui ai posée, je lui ai dit "est-ce que ça va ?"
17:21 Il m'a dit "merveilleusement bien, maître,
17:24 mais je ne retournerai pas en prison,
17:27 ils ne mourront pas cette fois-là,
17:30 je préfère mourir que de rentrer à nouveau en prison".
17:33 - Mérine semble alors très radicale, presque irrationnelle.
17:37 Ce sentiment, Isabelle Dumas-Pelletier se souvient-elle aussi
17:40 l'avoir eu lors de sa rencontre avec l'ennemi public numéro 1.
17:44 Pour l'interview de Paris Match.
17:47 - Comment ça se passe ? Quelle impression il vous fait ?
17:50 - Mérine, pendant cette interview, est passée par des hauts et des bas.
17:53 Il ne faut pas quand même oublier que Mérine, sur un plan psychiatrique,
17:57 avait une mentalité, vraiment un caractère très borderline.
18:04 Il pouvait basculer en une seconde,
18:07 de l'autre côté, dans un univers de violence, de colère extrême.
18:13 Donc c'était assez difficile de trouver un terrain neutre
18:17 pour pouvoir communiquer avec lui.
18:20 - Un homme borderline, qui n'hésite pas à régler ses comptes
18:25 avec les journalistes qui ne vont pas dans son sens.
18:28 - Il a menacé le mort aussi Philippe Bouvard,
18:35 qui avait, dans un éditorial, critiqué son action.
18:39 Il avait dit "je vais lui mettre une balle dans la tête".
18:42 - Bouvard, il a eu chaud aux plumes, lui.
18:44 Il avait mal écrit sur Jacques.
18:46 Il se permettait, avec sa plume, d'être aussi mortel qu'une bastos.
18:52 Et comme Jacques, il était très susceptible,
18:55 ça fait que Bouvard, il était sur la liste, en tête de liste.
18:59 Il était mort, Bouvard.
19:01 - Mais Mérine n'aura pas le temps de s'occuper de Philippe Bouvard.
19:06 Car avant, il met à exécution d'autres projets bien plus lucratifs.
19:10 Braquage d'une armurerie, du casino de Deauville,
19:13 tentative d'enlèvement d'un président de cour d'assise,
19:16 prise d'otage d'Henri Lelievre, un riche rentier,
19:20 à qui il extorque une énorme rançon.
19:23 Bizarrement, toutes ces actions criminelles
19:27 n'écornent pas son image de truance sympathique.
19:30 - Le public n'arrivait pas vraiment, pendant tout un certain temps,
19:37 à être horrifié par ce qu'il faisait,
19:39 dans la mesure où, quand il s'évade de Compiègne,
19:42 il relâche l'otage,
19:44 que sa... son évasion de la santé s'est quand même déroulée sans tuer personne.
19:49 Jusque-là, c'était pas des actions sanglantes.
19:52 - Pas d'actions sanglantes, jusqu'à ce que Mérine aille trop loin.
19:56 Tout bascule avec la séquestration d'un journaliste de Minute, Jacques Thillier.
20:01 Mérine veut se venger,
20:04 car Thillier l'a traité de balance dans l'un de ses papiers.
20:07 Et ça, le voyou ne le tolère pas.
20:10 Sous prétexte de lui donner une interview,
20:13 Mérine l'entraîne en pleine forêt,
20:15 l'oblige à se déshabiller, le menotte et l'humilie.
20:19 - Ce qui me réveille, c'est le premier coup de feu.
20:23 J'ai une botte sur la figure, mes serines au-dessus,
20:27 et puis j'entends encore plusieurs détonations,
20:30 mais là, j'ai l'impression que je saute, je sais plus ce que je fais.
20:33 Je sais plus où je suis, je sais plus ce que je fais, j'ai l'impression de rêver.
20:37 Au total, Jacques Thillier reçoit 3 balles.
20:41 Lorsqu'il s'en va, Mérine le laisse pour mort.
20:45 Le journaliste s'en sort par miracle.
20:49 - Là, ça allait trop loin.
20:52 L'opinion publique a considéré que ça ne se faisait pas, quoi.
20:55 Et subitement, ce côté comme ça, un petit peu pantalonnade,
21:01 est devenu beaucoup plus sinistre, est devenu dramatique,
21:04 et on peut dire que les médias, comme le public,
21:07 vraiment, tout le monde a lâché Mérine, ça, c'est vrai.
21:10 - Le fait qu'il enlève un juge, tout ça, les gens s'en foutent un peu.
21:13 Un juge, c'est un juste, tout ça, c'est les voyous, les juges et les flics,
21:15 tout ça, c'est la même bande pour eux, donc ils s'en foutent.
21:17 Mais c'est surtout Thillier, vraiment, qui a marqué,
21:20 parce qu'il y avait un côté sanglant dans Thillier, quoi.
21:22 Lorsque Mérine prend conscience du désastre que provoque l'affaire Thillier sur son image,
21:28 il sort de ses gonds.
21:32 - Il supporte mal ces critiques.
21:34 Et donc, une fois de plus, il interpelle la presse, il gesticule.
21:38 Mais c'est trop tard.
21:39 À ce moment-là, l'opinion se renverse,
21:42 et il est un peu comme un insecte qui est pris dans une toile d'araignée.
21:45 Plus il bouge, plus il est pris.
21:47 Et autant c'est un homme intelligent, qui écrit bien, qui peut être poète, etc.,
21:53 autant, dans certains domaines, il n'est pas fin.
21:55 Quand il arrive à bout, Mérine, c'est l'éléphant dans un magasin de porcelaine.
22:01 En tout cas, Jacques Mérine n'amuse plus personne,
22:04 ni le public, ni les policiers.
22:08 Dorénavant, au plus haut niveau de l'Etat, on tape du poing sur la table.
22:13 Il faut mettre un terme, et vite, aux agissements de ce fou furieux.
22:17 La cavale, les pieds de nez, les ratés, tout ça doit s'arrêter.
22:22 - Pendant 18 mois, c'était Broussard et la brigade anti-gang qui couraient après Mestrine.
22:27 Et Mestrine, il faut le dire sans honte, parce que c'est la réalité, nous a ridiculisés.
22:33 Par moments, on était humiliés.
22:35 Ils faisaient ces coups ouvertement, et nous, on n'arrivait pas à mettre la main dessus.
22:39 C'était devenu, je ne dirais pas une affaire d'Etat, c'est un peu exagéré,
22:43 mais pour reprendre l'expression de Jospin, une affaire de l'Etat.
22:46 C'était remonté au plus haut niveau.
22:48 Où en est Mestrine ?
22:49 - A partir de là, les policiers qui travaillaient chacun dans leur coin
22:54 pour avoir le privilège d'arrêter Mérine se coordonnent.
22:58 Et ça marche.
23:00 Ils finissent par retrouver sa trace.
23:02 Après plusieurs jours de surveillance, le 2 novembre 1979,
23:07 Mérine et sa compagne, une certaine Sylvia Jean-Jacquesault,
23:11 quittent leur domicile et se dirigent vers la porte de Clignancourt.
23:15 Ils ne le savent pas, mais leur voiture est surveillée par des dizaines de policiers en civil.
23:21 Soudain, un camion vient se positionner devant la BMW de l'ennemi public n°1.
23:27 A bord de ce camion, 4 policiers armés de fusils qui donnent l'alerte par radio.
23:33 Une intervention cruciale dont les acteurs se souviennent encore dans le moindre détail.
23:39 - Les policiers étaient planqués au fond du camion.
23:45 Quand le conducteur du camion leur a dit par radio "C'est bon, j'ai Mestrine derrière, il est coincé",
23:50 les policiers ont braqué Mestrine, je suis sorti de voiture avec mon arme,
23:55 j'ai braqué Mestrine, Mestrine m'a vue, il a lâché le volant et les policiers ont ouvert le feu.
24:01 - J'ai vu un flic arriver de mon côté avec une arme,
24:08 et je me suis tournée, j'ai pris sa main, je l'ai appelée,
24:14 et puis j'ai pris un lion encore à la tête.
24:18 Et d'un coup, il y a un bras qui est passé de mon côté, on a ouvert ma portière,
24:23 ils m'ont attrapée, m'ont couchée par terre en me criant dessus "Où étaient les grenades, où étaient les grenades ?"
24:28 Ils me demandaient où étaient les grenades.
24:30 - Blessée, Sylvia Jeanjaco est conduite à l'hôpital.
24:35 Jacques Mérine, lui, est mort.
24:44 35 ans après la mort de Jacques Mérine, nous nous sommes interrogés.
24:48 Pourquoi ce voyou est-il entré dans la légende ? Qu'avait-il de plus que les autres ?
24:54 Pourquoi ça tombait-elle constamment à la plus fleurie du cimetière de Clichy, où il repose aujourd'hui ?
25:01 - Claude Anoto, vous êtes le juge d'instruction qui enquête sur Jacques Mérine.
25:06 Pourquoi vous aviez envie de le connaître ?
25:09 - Je pense que c'était un personnage un peu hors du commun, quoi qu'on ait pu dire.
25:14 - Mérine vous épatait ?
25:16 - Oui, il me... Je crois que c'était un homme qui surprenait.
25:23 Quelque part, il a voulu élever le débat.
25:26 Ça va peut-être être curieux de m'entendre dire ça,
25:29 mais lui, il avait un discours qui dépassait un peu simplement les attaques de banques, les rafles de bijoux, les...
25:38 Je crois que c'est sa particularité. Il était peut-être quelqu'un d'autre.
25:42 Un discours peu commun de la part d'un magistrat à l'égard d'un criminel.
25:48 Un criminel dont on ne tarie pas des loges.
25:51 - Geneviève, parlez-nous de l'homme Mérine, celui que vous connaissez, vous.
25:58 - Alors moi, je dois dire que j'ai connu un homme extrêmement respectueux, extrêmement galant.
26:05 Je me souviens, l'été 76, il faisait si chaud, quand j'arrivais à la santé, je mourais de soif.
26:12 Eh bien, il avait constamment, pour moi, un verre de jus d'orange entouré d'une serviette mouillée
26:21 qu'il mettait devant sa fenêtre pour que ce soit frais.
26:24 Et il m'apportait à boire.
26:26 Alors, un homme qui est capable d'attention, de délicatesse, et qui en même temps est capable d'être un monstre.
26:34 Il était rusé comme un renard.
26:37 Tous les qualificatifs de la ruse, il les avait.
26:40 Et puis, s'il y avait quelque chose qui était apporté sur une affaire, sur une logistique,
26:47 ou sur un élément de, mettons, de parcours sur un itinéraire,
26:55 il fallait qu'il mette sa patte en permanence sur tout, sur tout, sur tout.
26:59 Et c'est vrai qu'il a eu beaucoup d'imagination.
27:04 Un personnage déroutant.
27:06 Même ceux qui l'ont traqué sont d'accord aujourd'hui.
27:09 Il avait quand même du panache, non ? Ce qui vous a épaté, ce qui vous a bluffé ?
27:14 Il y avait du panache.
27:17 Il y avait du panache, c'est pas le panache d'Henri IV.
27:20 Mais effectivement, son côté grande gueule, son côté provocateur, sa voix rauque, son physique imposant,
27:31 en faisait effectivement un type, un voyou qui sortait de l'ordinaire.
27:36 Il avait incontestablement, ça je ne peux pas le nier, une forme de charisme.
27:41 Et puis, il savait s'exprimer.
27:44 C'était pas un type intelligent, mais c'était un type rusé.
27:48 Rusé et puis, matuvu, grande gueule, provocateur.
27:54 Et il est vrai que sur ce plan-là, il avait de l'audace.
27:58 De là à en faire un super héros, une sorte de Robin des Bois des temps modernes,
28:02 il n'y a qu'un pas que certains franchissent allègrement.
28:05 A tort, selon ceux qui le connaissent vraiment.
28:10 Non, c'est pas un Robin des Bois, ils s'en foutaient, Robin des Bois.
28:14 Non, non, c'était pour son propre plaisir à lui.
28:18 Il était comme ça, voilà.
28:20 Mérine n'était ni un Robin des Bois, ni un héros.
28:26 Héros ou voyou ?
28:28 Ah, voyou. Pour moi, c'est pas du tout un héros.
28:30 À aucun moment, l'argent qu'il a récupéré à l'occasion des enlèvements, des braquages,
28:37 n'a jamais servi une cause humanitaire, n'a jamais servi à un mouvement politique de gauche ou d'extrême gauche,
28:45 n'a jamais servi à une quelconque révolution.
28:48 C'était de l'argent pour lui.
28:54 L'argent pour lui est finalement assez peu pour sa famille.
28:58 Mérine, qui était issue d'un milieu bourgeois, a été élevée comme il faut par ses parents.
29:04 Pourtant, on ne peut pas dire qu'il ait été un père très présent pour ses 3 enfants, Sabrina, Bruno et Boris.
29:14 Geneviève Esch, quelle a été l'enfance des enfants de Mérine ?
29:19 Je dois dire que, curieusement, au sein de sa famille, il était la loi.
29:25 Et ça, ça m'a beaucoup amusée toujours.
29:28 Parce que quand on est délinquant de cette dimension, incarner la loi, même dans sa famille, c'est surprenant.
29:36 Il adorait sa fille, et Sabrina a adoré son père.
29:43 Et elle a oscillé entre l'amour sans le juger et le désaveu.
29:51 Aujourd'hui, Sabrina, qui avait 18 ans au moment de la mort de son père, a pris beaucoup de distance avec le personnage.
29:59 Elle a fui dans le mariage avec un homme travailleur, enfin, toute autre chose que son père, l'inverse de son père.
30:09 Et c'est ça qu'elle voulait, c'est cela.
30:13 Et d'ailleurs, elle ne prononce jamais le mot de Mérine, elle ne dit pas qu'elle est une fille Mérine.
30:20 Elle est maintenant une honnête commerçante dans le midi avec son mari, à l'abri du nom de famille de son mari.
30:38 En revanche, son fils Bruno, qui a très peu connu son père, semble étonnamment avoir la réaction inverse.
30:45 C'est sans doute Bruno qui a été le plus emprunt de la mémoire de son père.
30:55 Et qui continue au fil des jours de retracer tous les éléments de sa vie, tous les instants, et de les compiler, de les réunir, et de garder la mémoire vive de son père.
31:08 C'est extrêmement difficile pour des enfants d'avoir un père comme Jacques Mérine.
31:12 Imaginez d'être le fils de Jacques Mérine, ce que ça représente.
31:15 D'abord, il faut arriver à, ça c'est classique, à égaler le père, entre guillemets.
31:21 Or il ne peut pas le faire en empruntant les chemins du crime.
31:25 Alors comment on vit d'avoir un père qui est un super voyou ?
31:30 Boris, le petit dernier, avait 13 ans quand son père a été tué.
31:35 Ce sont ses grands-parents qui l'ont élevé.
31:38 Eux qui n'auraient jamais pu imaginer que leur fils prendrait le chemin de la criminalité.
31:44 Comment ses parents, en bons bourgeois, vivaient le fait d'être les parents de Mérine ?
31:50 Alors, le père en était bourré de gêne, sinon de honte.
32:00 Mais la mère, curieusement, c'était bon d'accord, il fait des conneries, bon d'accord, il est hors la loi, mais enfin ce qu'il fait, c'est pas mal.
32:11 Elle en tirait une certaine gloire, je dois dire.
32:16 Quant à sa dernière compagne, Sylvia Jean-Jacques, elle a aujourd'hui beaucoup de mal à se remettre de toute cette période.
32:24 Michel Chayefsky, comment va Sylvia Jean-Jacques aujourd'hui ?
32:31 Je ne vais pas dire qu'elle va bien.
32:34 Quand on voit les blessures qu'elle a eues dans tous les sens du terme,
32:40 elle a pu faire un oeil, il ne faut pas oublier qu'une balle lui a crevé un oeil,
32:44 et qu'elle a quand même pris sept balles blessées, elle a pris sept bastos.
32:48 C'est un miracle qu'elle a encore en vie.
32:50 Alors la grand-berge a tout ça, c'est sûr et certain.
32:54 Même si elle ne le montre pas.
32:57 Elle est fière Sylvia, elle ne veut pas baisser le pavillon.
33:02 On pourrait dire qu'elle était à la bonne école, mais elle défend Jacques en fin de compte.
33:11 En défendant elle, elle défend Jacques.
33:13 Jacques Mérine est devenu une légende par la façon dont il a orchestré sa vie,
33:23 mais aussi par la manière dont il est mort.
33:26 35 ans après l'intervention policière du 2 novembre 1979, la polémique demeure.
33:33 Est-ce une interpellation qui a mal tourné ou bien une exécution programmée ?
33:39 Pour Claude Anautaut, le juge d'instruction en charge du dossier Mérine à l'époque,
33:43 beaucoup de questions se posent encore.
33:46 J'ai appris par la radio la mort de Mécérine.
33:52 J'ai été extrêmement choqué par le fait que je n'ai pas été tenu au courant.
34:00 À partir du moment où on a su où il était, il me semble que la déontologie et la règle de droit
34:09 obligent ces policiers à me tenir immédiatement au courant, ce qui n'a pas été fait.
34:15 Pourquoi ça n'a pas été fait à votre avis ?
34:18 Toutes les suppositions sont ouvertes.
34:23 Ce que le magistrat pense peut être tout bas, d'autres le disent tout haut.
34:29 Michel Chayefsky, que pensez-vous de la façon dont Jacques Mérine a été tué ?
34:34 Elle a été assassinée, vous voulez dire.
34:36 Pour vous, ça a été une exécution ?
34:38 Bien sûr. À l'époque, ils ont laissé carte blanche, en fin de compte, pour que ça se passe comme ça.
34:45 Ils en avaient ras-le-bol, parce qu'ils n'allaient pas se retaper Mérine à la pétancière, qui risquait de s'évader encore.
34:50 Ils n'allaient pas se retaper un procès avec Mérine, parce que quand vous passez Mérine en procès,
34:53 c'est comme si vous étiez colluche dans un box.
34:55 Le président, il est perdant, et tout le monde rigole tout le temps.
34:57 C'est ce qui s'était passé à son procès.
34:59 Il y avait la réponse à tout, des phrases drôles, des machins.
35:02 Vous voyez, c'est un mec à table. Il y en a ras-le-bol, quoi. Donc, il fallait arrêter l'affaire.
35:06 Arrêter l'affaire, le tuer.
35:09 Une décision qui, pour certains, aurait été prise en amont par les plus hautes autorités de l'Etat.
35:15 Une hypothèse que les policiers démentent catégoriquement.
35:20 - Jamais, au cours des réunions préparatoires, avant l'opération, vous y étiez, avec les autres patrons des grands services de police.
35:26 Jamais on a dit, dès qu'on l'a, on lui tire dessus.
35:30 - Jamais on a dit ça.
35:33 Bouvier a dit, on fait notre métier comme on a l'habitude de le faire.
35:36 Il a dit, ne prenez aucun risque.
35:39 Faut pas croire que le rêve des flics, chaque matin, en se rasant, c'était d'abattre Messerine.
35:43 Il y en avait beaucoup d'entre nous, dont moi, qui auraient bien voulu le revoir, menottes aux mains, dans un prétoire.
35:48 - Charles Pellegrini, et si Bouvier, le patron de la PJ, avait dit, moi, je le veux vivant, est-ce que ça aurait changé les choses ?
35:54 - Je ne crois pas. Je ne crois pas parce qu'il faut bien se mettre dans l'idée
36:00 que quand on a les fesses sur sa chaise et qu'on parle de Messerine, c'est une chose.
36:05 Quand on est sur le terrain, avec l'adrénaline qui va avec,
36:10 avec une perception de l'affaire elle-même,
36:14 de ce qu'on peut avoir comme dommage collatéral, de tout ça,
36:18 eh bien, on ne pense pas aux grandes phrases qui sont dites pendant les réunions.
36:23 On règle le problème.
36:25 - Nous avons ouvert le feu dans des conditions légales, je dirais même morales, à mes yeux incontestables.
36:30 On a fait le boulot.
36:32 - Le boulot a été fait, mais la question qui se pose aujourd'hui encore, c'est, pouvait-on faire autrement ?
36:39 - Je suis persuadé qu'ils avaient tout à fait les moyens de le choper vivant sans problème.
36:46 Jacques, il était malin, il avait du métier, entre guillemets, pour tout ça,
36:49 mais malgré tout, c'était pas Superman.
36:52 Tout ça est vraiment organisé.
36:54 Donc voilà, c'est un assassinat d'Etat ou une élimination d'Etat.
36:58 - Ils l'ont tué comme un chien, mais en même temps, lui, il a tout fait pour qu'il le tue comme un chien.
37:03 C'est ça, le paradoxe du truc.
37:05 Mais c'est pas une raison, parce qu'un type veut qu'on le tue comme un chien, qu'il faut le tuer comme un chien.
37:08 C'est la différence entre un Etat démocratique et un Etat qui ne l'est pas.
37:12 - Tué comme un chien et laissé plusieurs heures au vu de tous,
37:17 beaucoup pensent encore aujourd'hui que le corps de l'ennemi public n°1
37:21 n'aurait jamais dû être exhibé comme il l'a été.
37:26 - Le corps de Mérine était dévoilé, montré, avec un côté d'exemplarité.
37:36 Regardez ce qui arrive quand on se conduit mal,
37:39 quand on défie la police et qu'on ne trouve pas sa place dans la société
37:43 et qu'on va braquer les banques, etc.
37:46 Donc, cette exposition du cadavre,
37:50 c'est plus qu'une manifestation de glorioles de la part des policiers.
37:54 Symboliquement, c'est extrêmement fort.
37:58 C'est un peu le gibet de Montfaucon,
38:01 où on exposait les pendus pendant des mois jusqu'au moment où ils tombaient en miettes.
38:06 Là, c'est pareil. S'il y avait eu un gibet, on l'aurait pendu au gibet.
38:09 - Avec ses bravades et ses menaces, Mérine a cependant tout fait pour provoquer sa mort.
38:17 Il savait que ça se terminerait ainsi.
38:20 La preuve, il a laissé un incroyable enregistrement à sa compagne,
38:25 dans lequel il est parfaitement lucide quant à sa fin.
38:29 - Même si les policiers m'ont tué,
38:31 avant que j'ai eu le temps de mettre la main sur mon revolver,
38:34 il faut te dire une chose.
38:36 Si j'avais eu le temps de mettre la main dessus, je m'en serais servi.
38:39 Peut-être que j'ai mis la main dessus et que je m'en suis servi.
38:43 La seule chose que je fais, c'est que si tu écoutes cette cassette,
38:47 je suis dans une cellule d'où on ne s'évade pas.
38:51 - Il y avait à côté, je crois, qui était peut-être inconscient,
38:56 d'aller jusqu'au bout de son destin.
38:58 C'est un peu la psychanalyse à 3 ronds, mais il y a un peu une dimension.
39:01 Je crée un personnage, et mon personnage, pour qu'il soit comme dans un vrai roman,
39:05 il faut qu'il finisse mort et tué par la police.
39:07 Et je crois qu'à un moment, il a fini par y croire, ça.
39:10 - Aujourd'hui, avec le recul, certains vont plus loin.
39:15 Ils pensent que Jacques Mérine était suicidaire.
39:18 - Il était suicidaire, selon vous ?
39:21 - Je crois qu'il était prêt à mourir.
39:23 Je peux vous dire maintenant que Mérine, qui était un homme intelligent,
39:27 a réfléchi pendant ses années de détention.
39:30 Et certainement qu'il a fait ce chemin de comprendre
39:34 qu'il avait agi à tort et qu'il n'avait pas envie de poursuivre dans cette voie.
39:39 Il était catalogué délinquant à vie, il avait bien sûr des comptes à rendre
39:43 et beaucoup d'années de prison à faire.
39:46 Et il tenait pas à garder ce rôle, sa vie, durant.
39:52 La vie ne lui tenait plus le cœur.
39:54 - C'est pas du tout un suicidaire au sens...
39:58 "Je veux qu'on me tue." Pas du tout.
40:02 Mais c'est "Si la police me tue, tant pis, j'aurais bien vécu avant."
40:11 - J'ai jamais senti que Mérine pourrait être suicidaire.
40:14 C'était un jouisseur. Il aimait trop la vie.
40:17 Il aimait les femmes, il aimait l'argent, ce que les voyous appellent "se la faire belle".
40:22 D'ailleurs, la preuve que cette idée ne l'effleurait pas,
40:26 c'est qu'en pleine activité criminelle, il avait quand même eu ce réflexe
40:30 complètement paradoxal par rapport à sa condition d'acheter des studios
40:35 qu'il comptait louer de manière à assurer ses vieux jours.
40:40 C'est-à-dire qu'il avait déjà prévu la crise des retraites
40:43 et il avait pris les devants en achetant ses studios,
40:47 ce qui est quand même un pari insensé sur l'avenir.
40:50 Suicidaire ou pas, la question n'est pas là.
40:58 Pour sa famille, Mérine a été exécutée
41:01 et les policiers doivent rendre des comptes devant la justice.
41:05 - S'il s'avérait qu'il y avait une faute commise
41:08 et qu'il y avait une responsabilité de l'État,
41:11 il lui était normal que les personnes qui lui étaient proches soient indemnisées.
41:15 Mais fallait-il encore établir qu'on était bien dans un tel cas de figure ?
41:20 - La famille de Jacques Mérine et Sylvie Jeanjacot, sa compagne,
41:23 ont déposé plainte après sa mort pour assassinat.
41:26 Qu'est-ce que vous en pensez ?
41:28 - Moi, j'ai été entendu sept fois par cinq juges d'instruction différents.
41:32 Ça vous a coûté, comme à tous les contribuables, assez cher.
41:35 C'est à la fois la gloire et les problèmes de la justice française.
41:39 On peut déposer plainte jusqu'à la fin des temps.
41:42 Je suis passé sept fois en audition, moi, là-dessus.
41:45 - Sept fois, vous avez dit la même chose ? - Ben oui.
41:48 La septième fois, je m'en rappelais plus très bien, à force.
41:51 - Après un quart de siècle de procédures et de contre-procédures,
41:55 la justice a opposé un non-lieu à la famille de Jacques Mérine.
41:59 Les policiers étaient en état de légitime défense.
42:02 Il n'a pas été assassiné. Point final.
42:05 A l'issue de cette procédure, la justice a décidé de détruire la BMW
42:10 dans laquelle l'ennemi public n°1 a été tué.
42:14 Comme pour clore définitivement toute polémique.
42:18 Sa voiture a été conservée pendant 27 ans dans une fourrière.
42:23 Puis, finalement, on a décidé de la détruire.
42:25 Est-ce que c'est une bonne chose, selon vous ?
42:28 Au plan judiciaire, il n'y avait aucune raison de la garder.
42:33 Il n'y avait même aucune raison de la garder aussi longtemps.
42:37 Mais je veux dire, à titre personnel,
42:39 dans la mesure où cette affaire-là est rentrée dans l'histoire de la police,
42:43 moi, j'aurais aimé qu'on la conserve et qu'on l'expose dans un musée.
42:47 Il faut prendre la question différemment.
42:50 Que serait devenue cette BMW si on ne l'avait pas détruite ?
42:57 Alors, pour certains, un mythe.
43:01 Pour d'autres, une menace.
43:07 Que serait-elle devenue ?
43:09 À mon avis, c'était de bonne intelligence que de la détruire.
43:14 Parce qu'elle n'avait plus sa raison d'être.
43:18 Ce n'était pas un monument historique.
43:22 ...
43:26 -35 ans après sa mort,
43:29 Jacques Mérine, lui, est resté une sorte de monument historique.
43:33 T-shirt à son effigie, chanson, documentaire,
43:37 et l'apogée, le film.
43:40 Un blockbuster en 2 épisodes, réalisé par Jean-François Richet,
43:44 qui a fait un carton dans les salles.
43:47 -Maître Esch, que pensez-vous du film qui est sorti ?
43:51 -J'ai vu le film, que j'ai trouvé bon.
43:54 Mais ce n'est pas tout à fait le Mérine que j'ai connu.
43:59 Je trouve qu'il avait un côté plus...
44:03 plus aride dans le film.
44:06 Et on le voit plus sur le plan violent,
44:10 mais on ne le voit pas sur le plan familial, avec ses enfants.
44:14 On ne le voit pas dans les côtés plus humains
44:17 qu'il était capable d'avoir.
44:19 -Vous pensez que Mérine aurait été heureuse
44:22 de se voir sur grand écran ?
44:24 -Bien sûr. Bien sûr.
44:26 Encore une fois, son orgueil démesuré fait qu'il aurait adoré.
44:31 Et à mon avis, il aurait aimé le personnage du film.
44:35 -Vous avez vu le film de Jean-François Richet,
44:38 les 2 épisodes ?
44:40 -Non, j'en ai vu qu'un. C'est bon, c'est naze, comme film.
44:44 J'ai rien contre l'acteur, proprement dit.
44:47 Mais on lui a fait jouer un rôle qui n'est pas Jacques.
44:51 Jacques, barbu comme une lombie,
44:54 comme une tête de loup-barre à faire peur à tous les coins de rue.
44:58 Je suis flic, je vois un mec comme ça,
45:01 je ne lui demande pas les papiers, je tire tout de suite.
45:05 Jacques a toujours été élégant au niveau de se faufiler
45:09 pour ne pas se faire remarquer. C'est logique, non ?
45:14 ...
45:16 ...
45:20 -Un film, mais aussi des livres.
45:23 Plusieurs dizaines ont été consacrées à l'ennemi public numéro 1.
45:27 Le plus surprenant, c'est celui de son ancienne avocate,
45:31 Martine Malimbaume, dans lequel elle dévoile les courriers
45:35 et les poèmes que lui a adressés Mérine lorsqu'il était en prison.
45:39 Martine Malimbaume, pourquoi avez-vous décidé
45:42 de faire ce livre ?
45:44 -Ces lettres, je les avais reçues,
45:47 et le temps passé, je les avais totalement oubliées.
45:51 Au moment où le film sur lui est sorti,
45:54 ce film a montré un personnage brut, violent,
45:59 j'allais presque dire simpliste.
46:03 Ce n'était pas le personnage.
46:07 C'était plus... plus... plus subtil que cela.
46:12 -Le personnage du film ne vous plaît pas tel qu'il est raconté ?
46:16 -Il ne me plaît pas du tout.
46:18 C'est pourquoi j'ai tenu à sortir ces lettres,
46:21 qui sont des lettres magnifiquement écrites.
46:24 -Le 23 avril 1976, il vous écrit dans une lettre.
46:27 "Bonjour, maître. Fleur de prison, vous égayez
46:30 "ce jardin de Tristesse qui est ma solitude.
46:33 "Dans l'eau verte de vos yeux, je puise la vie
46:36 "et si belle d'être femme."
46:38 On n'écrit pas ça à son avocate ?
46:40 -Lui, il écrivait. Il s'est permis, il s'est autorisé.
46:43 Il s'en est excusé dans les courriers.
46:46 Il s'est autorisé à se libérer, à parler.
46:49 Ca l'a aidé à subir sa détention.
46:51 Je dois dire que j'ai jamais, pour ma part, répondu à ces courriers.
46:55 -Certains de ses complices, comme Michel Ardouin,
47:01 ont eux aussi écrit des livres.
47:03 Mais comme le porte-avions, la plupart sont morts aujourd'hui.
47:07 Et leur disparition marque la fin d'une époque.
47:10 Charles Pellegrini, est-ce qu'il reste encore des voyous comme Mérine ?
47:16 -Non. Vous le savez, il ne reste plus de grands voyous.
47:20 Au sens où, on le dit, quand je dis "grand",
47:23 ça veut pas dire admiration.
47:25 Ca veut dire simplement par la place qu'ils prennent,
47:28 par le nombre de choses qu'ils ont faites.
47:31 Donc, il existe des voyous comme Mérine ? Non.
47:35 Mais en fait, ils sont aussi violents actuellement,
47:39 si non plus, que l'étaient Mérine.
47:42 Et encore sans intelligence, actuellement.
47:45 -Georges Kheri, la mort de Mérine, de Michel Ardouin, du porte-avions,
47:50 est-ce que c'est la fin des grands voyous, des beaux mecs ?
47:54 -C'est la fin d'une époque, effectivement, de beaux mecs,
47:58 du grand banditisme.
48:00 C'était vraiment une génération de grands voyous,
48:04 de beaux mecs, de beaux crânes,
48:07 avec en face des services qui avaient acquis aussi une notoriété.
48:11 Les flics étaient également connus.
48:13 Les chefs de services étaient connus, faisaient la une des journaux,
48:17 faisaient la une des journaux télévisés.
48:20 Aujourd'hui, ça n'est plus le cas.
48:22 On n'a plus de grands voyous connus.
48:24 On ne connaît plus les chefs des brigades du Quai des Orfèvres.
48:28 Oui, c'est vraiment la fin d'une époque.
48:30 -Un phénomène constaté unanimement et presque à regret,
48:34 autant par les policiers que par les voyous.
48:38 Est-ce qu'il marque la fin d'une époque ?
48:41 -Ah oui.
48:42 C'est fini, le...
48:44 le...
48:45 le banditisme de l'époque.
48:47 Maintenant, c'est la cam'.
48:49 Tout a reporté là-dessus.
48:51 Maintenant, ça a pourri toute la criminalité.
48:54 Il faut avoir les couilles pour monter sur les braquages.
48:57 Ou avoir l'intelligence de monter une affaire.
49:00 La majorité ne l'ont pas.
49:02 C'est plus facile d'aller vendre des machins à la con.
49:05 -Plus de voyous, plus de grands flics.
49:07 Est-ce que ce sont les grands flics qui font les grands voyous,
49:11 ou l'inverse ?
49:12 -C'est l'éternelle question de l'œuf et de la poule,
49:15 ou là, en l'occurrence, de l'œuf et du poulet.
49:18 Mais je pense que ce sont les voyous qui font les grands flics
49:22 parce que s'il n'y a pas de banditisme, il n'y a pas de flics.
49:26 -Aujourd'hui, parmi les nombreuses questions
49:32 que soulève l'affaire Mérine,
49:34 il en reste une que l'on ne peut s'empêcher de se poser.
49:38 Et si les policiers n'avaient pas tiré ?
49:41 -Je me demande comment il aurait vieilli.
49:44 Il aurait 78 ans, aujourd'hui.
49:46 Et comme...
49:47 Mais quand elle parle sur la société,
49:49 il y a quelque chose qui l'aurait adorée.
49:52 C'est être éducateur pour les gosses de banlieue.
49:55 C'est-à-dire leur expliquer qu'à force de faire leurs idioties
49:59 ou du trafic, ils vont finir en taule,
50:02 et qu'en taule, ils vont s'endurcir,
50:05 et que peu à peu, les peines vont s'accumuler
50:08 et qu'ils vont s'y retrouver pour la majeure partie de leur vie.
50:12 C'est quelque chose que j'aurais aimé faire.
50:15 Malheureusement, on ne pardonne pas.
50:17 -Aujourd'hui, quand vous pensez à Jacques Mérine,
50:20 qu'est-ce que vous vous dites ?
50:22 -Gâchis.
50:25 Un gâchis, parce que...
50:29 Moi, je suis sorti au bout de 14 ans.
50:31 Il aurait sorti au bout de 17 ans, ou peut-être même 14 ans aussi.
50:35 Aujourd'hui, on serait des papys, on serait comme tout le monde.
50:39 Sinon que lui, il aurait fait fructifier sa carrière de truand.
50:43 Voilà, et on se marrerait, probablement.
50:46 On ferait des trucs à la con, voilà.
50:49 -Vous pensez que Jacques Mérine aurait pris sa retraite du banditisme, un jour ?
50:55 -En laissant tomber la méloganie,
51:00 c'est une maladie qui ne se soigne pas, ça reste.
51:04 -Ces jeunes qui idolâtrent Mérine ou qui idolâtrent ces grands voyous,
51:08 qu'est-ce que vous avez envie de leur dire ?
51:11 Est-ce que c'est le bon chemin ?
51:13 -Non, c'est pas le bon chemin, pas du tout.
51:15 Mais va t'enraisonner un môme,
51:17 avec ta bande de copains qu'il a dans la cité.
51:20 C'est la course à la connerie.
51:22 -Vous regrettez le parcours que vous avez eu ?
51:25 -Absolument pas. Absolument pas.
51:28 -Si c'était à refaire ?
51:32 -Je repars pour un tour.
51:34 -Est-ce qu'il vous arrive de penser encore aujourd'hui à faire un joli coup ?
51:38 -Si jamais, demain, j'apprends que j'ai le cancer
51:41 et que j'en ai pour 6 mois à vivre ou 4 mois à vivre,
51:44 je vais faire un joli coup
51:46 pour faire ce que j'ai envie de faire avant de mourir.
51:50 ...
52:12 ...
52:13 ...
52:41 Merci à tous !