Et si c'était moins dans le corps de l'athlète que dans son cerveau que naissaient les grands champions ? "Dans le cerveau des champions", c'est le titre d'un livre passionnant publié par le chercheur en neurosciences cognitives, spécialiste de la concentration, Jean-Philippe Lachaux.
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00:00Il va y avoir du sport ce matin dans le grand entretien d'Inter avec Marion Lourds, nous
00:04allons évoquer évidemment ce week-end final à Roland-Garros, le tournoi se termine, l'Euro
00:11de foot qui va démarrer avant les Jeux Olympiques et Paralympiques et on connaît cette phrase
00:17qui a fait le tour du monde, qui a été reprise comme un slogan par l'une des plus grandes
00:21marques de sport de la planète, si tu as un corps, tu es un athlète et si c'était
00:27pourtant moins dans le corps de l'athlète que dans son cerveau que naissaient les grands
00:32champions.
00:33« Dans le cerveau des champions », c'est le titre d'un livre passionnant publié
00:37chez Odile Jacob par un chercheur en neurosciences cognitives, spécialiste de la concentration
00:43notamment, il a créé Atoll, un programme pour éduquer les enfants à l'attention
00:47dans les écoles et l'attention joue un rôle absolument considérable si l'on veut
00:52devenir un champion et il entraîne également des sportifs aux Jeux Paralympiques.
00:57Bonjour Jean-Philippe Lachaud, et bienvenue sur Inter, vous êtes un grand scientifique
01:02et un amoureux, un passionné de sport et dans quelques minutes vous dialoguerez avec
01:06les auditeurs d'Inter qui peuvent vous appeler au standard au 01 45 24 7000 pour essayer
01:13de percer les mystères du cerveau des champions et ils peuvent également vous écrire sur
01:18l'application France Inter.
01:21Jean-Philippe Lachaud, le sport c'est par excellence l'exercice du corps, la performance
01:26physique, la précision du geste et pourtant vous expliquez dans ce livre qu'être athlète
01:33c'est dans la tête, qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ?
01:37Ça veut dire pas mal de choses, d'abord ça veut dire qu'il y a une réelle intelligence
01:41du sportif, ça c'est vraiment important, en France on a tendance à dissocier les
01:45disciplines de la tête, intellects qui sont nobles et disciplines du sport qui sont un
01:48peu lasseurs.
01:49Pour un cerveau, il faut savoir que pour un neurone qui fasse du sport ou du calcul mental,
01:55en fait il ne s'en rend pas compte, ça ne fait aucune différence, donc c'est vraiment
01:57extrêmement proche quand on regarde dans l'activité cérébrale, faire du sport ou
02:00faire des mathématiques, donc ça c'est la première chose et après évidemment tout
02:05l'entraînement très technique, l'acquisition de gestuels, c'est vraiment un travail du
02:09cerveau pour arriver à créer des petites zones neurones qui sont optimaux pour générer
02:12le bon geste au bon moment, qui a le bon effet, donc vraiment il y a ça et en plus vous avez
02:17un aspect de lecture du jeu qui se rapproche de l'interprétation du langage, donc il
02:21y a plein d'éléments qui font qu'en fait le cerveau est hyper impliqué.
02:24Et d'ailleurs vous employez des mots et ce sont des mots précis, pour le scientifique
02:28que vous êtes, lorsque vous parlez du tennis, on dit de lire dans son jeu, c'est plus
02:33qu'une expression, c'est-à-dire que le sport c'est un véritable langage, il y a
02:37des gestes répétés, il y a une gestothèque, quasiment une grammaire, on peut parler avec
02:43sa raquette sur le cours de Roland Garros ?
02:45Exactement, tout à fait, en fait c'est comme un véritable langage, vous avez un
02:48adversaire en face qui va produire des patterns qui sont des patterns moteurs, des gestes
02:52etc. qui sont un petit peu comme des mots qui s'enchaînent avec un sens et un grand
02:56joueur va être capable de reconnaître ce sens, de deviner la suite et de savoir quoi
02:59préparer, presque comme une réponse, exactement comme là en ce moment, quand je prépare
03:02mes réponses à vos questions, c'est un petit peu la même chose.
03:04Donc si on résume votre propos, c'est assez positif en fait, ça rend optimiste,
03:09on peut entraîner son cerveau à presque tout, on a tous peut-être potentiellement
03:13un cerveau de champion, il y a un message qui ressemble à une devise Shadock un peu
03:17plus on rate, plus on réussit en fait.
03:19Oui c'est ça, alors voilà, dans le livre j'essaie vraiment d'insister là-dessus,
03:22ok il y a ces champions qui par 10 000 heures d'entraînement et plus ont vraiment ces
03:26capacités exceptionnelles, qui sont plus physiques etc. et qu'on n'a pas dans leur
03:29discipline, mais par contre si on reprend l'essentiel, comment ils apprennent, comment
03:32on devient bon dans ce qu'on fait, tout ça en fait on peut s'en inspirer, c'est
03:36vraiment se concentrer à chaque fois, petit à petit, passer du temps avec des intentions
03:40claires, rater.
03:41En fait quand on rate, le cerveau apprend de l'erreur pour corriger, il apprend aussi
03:45quand on rate, il se dit ah tiens si je fais ça, ça donne ça, d'accord la prochaine
03:48fois je m'en servirai.
03:49Donc l'erreur est vraiment toujours une information et ça on peut tous s'en servir
03:53et c'est vraiment un conseil pour tous, on peut tous devenir bon dans ce qu'on fait
03:56en fait.
03:57Il y a quelque chose de très fort, c'est que là pour le coup on parle du tennis mais
03:59vous citez Michael Jordan qui montre l'importance et les vertus de l'échec, si on revient
04:04justement à ce qui se passe sur les cours de tennis, parce que c'est le sport roi
04:08pour vous, Guy Forget par exemple raconte qu'il y avait des moments où il arrivait
04:13à lire le service de Lecompte sept fois sur dix, il partait du bon côté, là aussi
04:19on peut l'expliquer en disant que le tennis c'est des probabilités, quasiment comme
04:24des maths et il y a quelque chose comme le QI du tennis, il y a un QI pour chaque sport
04:30différent ?
04:31Complètement, effectivement.
04:32Donc on est dans cette affaire de lecture, c'est ce qui se passait avec Guy Forget,
04:36Gricory Coupet m'a expliqué que quand il voit un, donc l'ancien gardien de l'équipe
04:40de France, quand il voyait un attaquant qui s'approchait, selon sa gestuelle il était
04:44capable de, déjà il envisageait vingt possibilités, puis dix, puis cinq en fonction de l'évolution
04:49du mouvement, donc leur cerveau tourne à toute allure, là encore vraiment les sportifs
04:54et particulièrement les champions sont extrêmement intelligents.
04:56C'est intéressant parce que vous expliquez aussi qu'il y a certains sportifs qui voient
04:59par exemple la trajectoire d'un ballon sous forme de ligne, presque comme si elle était
05:05réelle même, ils sont capables de vous dire la couleur, est-ce que ça, alors pour l'instant
05:09ça reste virtuel et c'est dans notre cerveau, mais ça pourrait devenir réel avec l'intelligence
05:12artificielle par exemple, non ? Oui, ça pourrait, alors effectivement, je parle dans le livre
05:16de super pouvoir, c'est-à-dire, voilà, on voit l'avenir s'afficher devant soi, devant
05:22ses yeux, quelqu'un commence à taper dans un ballon et puis vous voyez, comme une flèche,
05:27comme une sorte de petit arc-en-ciel, le trajet que va décrire le ballon.
05:30Donc en fait vous avez évidemment un temps d'avance.
05:32Comme dans un jeu vidéo ? Exactement, et en fait finalement, alors certes c'est comme
05:35dans la réalité augmentée, vous savez ces pokémons qu'on voit dans la rue et tout,
05:39mais finalement le cerveau va beaucoup plus loin que ça, parce qu'il sera toujours plus
05:42adapté, vraiment à la milliseconde près, il déclenche la bonne information, ce qui
05:46sera toujours plus difficile à faire pour une machine qui aura plus de mal à s'adapter
05:49à la bonne situation.
05:50Ce qui est incroyable, c'est que vous dites, contrairement à une idée reçue, que les
05:54sportifs en plein match par exemple, ils ne vivent pas au présent, ils ne vivent pas
06:00dans l'instant présent, ils vivent dans le futur.
06:04Qu'être un champion, c'est justement être capable de prédire, d'anticiper le rapport
06:10au temps.
06:11Ce qui caractérise le champion, c'est que son rapport au temps n'est pas le même
06:14que le nôtre.
06:15Complètement.
06:16Et en fait c'est vraiment quelque chose qui m'a intéressé dans ce travail, dans
06:19ce bouquin, c'est que, vous savez on dit, se concentrer c'est être dans l'instant
06:22présent.
06:23Et on imagine souvent le moine concentré sur sa respiration, et ça m'a toujours un
06:29peu frustré parce que ce n'est pas du tout adapté au type de concentration dont on a
06:31besoin dans nos vies hyper dynamiques modernes.
06:33Donc je me disais, mais finalement comment est-ce qu'on se concentre quand on a mille
06:36choses à faire ? Et je trouve que le sportif de haut niveau est vraiment un modèle de
06:39ça, puisqu'il est obligé d'être certes concentré sur ce qu'il fait, mais avec toujours
06:44une sorte de petit aperçu du futur, comme s'il avait un petit voile, un petit rideau,
06:48et qu'on voyait un petit peu ce qui va se passer juste après.
06:50Il a cette vue, il est dans l'instant présent, mais également avec une conscience globale
06:53de son action dans le temps.
06:54C'est ça qui est intéressant, parce qu'effectivement vous parlez de la civilisation moderne, on
06:57a tous notre portable avec nos pouches, il faut toujours être très rapide, tout va
07:01toujours très vite, de plus en plus vite.
07:03Comment les sportifs font pour s'extraire de ça ? Est-ce que ça explique aussi le
07:08fait qu'il y a de plus en plus de coachs ? Vous-même vous accompagnez par exemple un
07:12joueur de tennis-fauteuil, bientôt tout le monde aura des coachs en mental.
07:16Oui, alors je dois préciser que c'est Stéphane Oudet qui a gagné plusieurs titres du Grand
07:20Chalem en tennis-fauteuil.
07:21C'est plus qu'on a un échange, je ne le coach pas, c'est peut-être que ça va se
07:26faire, mais en fait il a Yannick Noah d'ailleurs comme coach, c'est un vrai coach, c'est plus
07:31un échange.
07:32Mais on n'a jamais assez de coachs.
07:33Mais du coup, il y en a de plus en plus quand même.
07:35Oui, bien sûr.
07:36Et c'est assumé.
07:37Et c'est assumé, exactement.
07:38Donc en fait, ce qui se passe c'est que d'ailleurs, on parlait du tennis, le tennis
07:43il y a quelque chose de particulier, c'est que récemment il y a l'arrêt du coaching,
07:45c'est-à-dire que le coach peut être à côté et parler sans arrêt.
07:48Ce qui s'est passé hier encore, on voyait dans la demi-finale d'Alkaraz, il y a Ferreiro
07:52qui est à côté, il lui envoie tout le temps.
07:53Et là il lui dit quoi ? Il lui dit attention, concentre-toi, regarde sur la balle, c'est
07:58quoi le…
07:59En fait, ça dénature un petit peu le sport à mon avis, c'est-à-dire qu'avant vraiment
08:02les champions devaient avoir une sorte de concentration à deux niveaux, c'est-à-dire
08:06concrètement sur l'exécution de ce qu'ils sont en train de faire pour que la gestuelle
08:08soit parfaite.
08:09Et en plus, une concentration à un niveau global qui est celle qui va nous intéresser
08:12dans nos vies hyper-dynamiques, c'est OK, quel est le pattern ? Ça fait trois revers
08:17que l'autre fait, il a une petite faiblesse maintenant que je joue en coup de doigt.
08:21Donc cette espèce de conscience globale de la situation, d'intelligence de jeu qui
08:25permet en fait de choisir le bon coup.
08:27Avant, c'était une seule personne qui devait faire ça, avec donc une exigence de concentration
08:31double qui est assez difficile à faire mais qui est, quand on la maîtrise, qui est extrêmement
08:35pratique dans tout ce qu'on fait.
08:36Et maintenant, c'est un peu déporté au niveau du coach, c'est-à-dire que c'est
08:40Ferreiro, le coach, qui va avoir cette conscience globale et qui va lui dicter ce qu'il doit
08:43faire.
08:44Donc je trouve qu'on perd un petit peu.
08:45On perd un petit peu, mais vous racontez qu'on est très souvent en fait non pas
08:49spectateur d'un match de tennis par exemple, mais téléspectateur.
08:53Et vous citez Umberto Eco, avec une manière nouvelle, il faut apprendre à regarder le
09:02tennis ou le sport en général à la télé.
09:05On en a une perception qui est complètement différente si on regarde un match en différé
09:09par exemple.
09:10Si on accélère, qu'est-ce qui se passe ?
09:11Oui, et bien en fait, il y a toute une façon de regarder le sport en plaçant son attention
09:16de façon astucieuse qui permet de le vivre totalement différemment.
09:20Vous regardez un match de tennis en accéléré, en fait, vous allez être beaucoup plus sensible
09:23aux trajectoires, à la logique de la construction du point.
09:26Si on le regarde avec vitesse ralentie ?
09:29Et bien là, vous allez être beaucoup plus dans le sens de l'effort, de chaque sensation,
09:34de la gestuelle précise, etc.
09:35Donc moi, en fait, quand je regarde un match, je place mon attention de façon bien précise
09:39et en fait, parfois, je suis complètement pris par le spectacle, même quand le suspense
09:43n'est pas terrible, mais c'est comme si j'y étais.
09:45En fait, ce n'est pas la peine que j'achète un écran à 3000 euros, je fais juste des
09:49jeux attentionnels et je vous le conseille, franchement, faites-le tous !
09:52On file au Standard d'Inter, bonjour Chantal !
09:55Bonjour !
09:56Et bienvenue, merci de participer au Grand Entretien avec Jean-Philippe Lachaud.
10:03Vous êtes sportive, Chantal ?
10:06C'est-à-dire que oui, à 76 ans, je me suis mise à marcher quotidiennement.
10:11Je fais entre 5 et 10 kilomètres par jour, quelques fois plus, en marche active.
10:17Et comme je suis une professionnelle encore, obligée de travailler, ça me fait du bien.
10:22Et je me posais la question de savoir pourquoi, quand je marche, mon cerveau à qui je pose
10:29des questions, je peux poser quand je suis sur ma chaise, répond beaucoup mieux, j'analyse
10:35mieux, je trouve des réponses, je vais plus facilement à l'essentiel.
10:40Je voulais savoir pourquoi cette connexion entre mon cerveau et la marche pouvait avoir
10:45un effet, pouvait se correspondre en tous les cas.
10:53Merci Chantal pour votre question, vous acquiescez Jean-Philippe Lachaud.
10:56Oui, une grande question, pas facile.
10:58Je peux vous dire quand même déjà deux choses importantes, c'est que le sport est
11:02excellent pour le cerveau, on nous montre que ça a des effets très positifs, ça évite
11:06la mort neuronale, Alzheimer, etc., dégénérescence neuronale, donc très bien, continuez !
11:11En fait, ça dépend des gens, il y a des gens qui vont être plus à l'aise que la
11:16marche va distraire, d'autres au contraire, peut-être que le fait de marcher, ça va
11:20induire une attention qui est plus légère sur leur pensée, moins crispée sur certaines
11:24pensées qui va permettre une ouverture, et donc toutes ces pensées spontanées d'émerger
11:28et de se construire un petit peu indépendamment.
11:29C'est ça, j'en parle dans le livre, et j'aime bien, c'est vraiment ce rapport
11:33que les Chinois connaissent très bien dans la littérature taoïste, le fait de laisser
11:39faire les choses automatiques et d'avoir une attitude par rapport à soi-même et sa
11:42vie mentale, un petit peu de contrôle doux, on laisse émerger une spontanéité qui très
11:48souvent est la plus efficace, plutôt qu'un contrôle fort et crispé en fait.
11:52Sur cette question de l'âge, Jean-Philippe Lachaud, à l'inverse, quel est l'effet
11:56de l'âge sur la performance sportive, sur la concentration ? Je pense à Raphaël Nadal
12:01qui a quand même remporté 14 fois Roland Garros et qui là s'est incliné dès le
12:05premier tour.
12:06L'âge, ça fait une date de péremption pour le cerveau sportif performant.
12:10Alors oui, évidemment, sur le plan musculaire, ça c'est très clair, on le connaît tous,
12:15les muscles moins efficaces.
12:16Mais pas le cerveau.
12:17Bien sûr.
12:18Par contre, en ce qui concerne le cerveau, en fait, le drame de l'athlète, si vous
12:20voulez, c'est qu'il y a un décalage entre le temps qu'il faut pour avoir arrivé
12:24à maturité physique et technique et être excellent dans son domaine, et le temps qu'il
12:27faut pour arriver à une maturité au niveau de la gestion de l'attention, qui peut venir
12:30beaucoup plus tard, ça peut se développer tout au long de la vie.
12:34Et donc, effectivement, en fait, ça compense par la lecture du jeu, l'intelligence de
12:38son jeu.
12:39En fait, voilà, je suis un petit peu distrait.
12:42Je vous montre l'équipe et la photo d'Alkara, ce jeune prodige qu'on présente comme l'héritier
12:48de Raphaël Nadal, qui donc est en finale de Roland Garros, lui, il a tout extrêmement
12:54précoce.
12:55Oui, alors ceci-ci, il s'est un peu trouillé pendant le 4-7 hier, on a vu la difficulté
13:00qu'il avait.
13:01Mais il a fini par gagner.
13:03Là aussi, je pense qu'on peut tous s'inspirer de ça et j'insiste là-dessus dans le bouquin.
13:08En fait, un champion, il va être dans une acceptation des conditions, ce qui inclut
13:14lui-même son état.
13:15Il dit là, aujourd'hui, ça ne marche pas, ça, je n'arrive pas à le faire pour telle
13:19et telle raison, parce que je suis stressé, parce que j'ai ces soucis, mais j'accepte
13:23la situation.
13:24Parce que j'ai mal.
13:25Parce que j'ai mal.
13:26Et que je donne un autre sens à mes douleurs pour les surmonter, par exemple.
13:28Exactement.
13:29Et j'accepte la situation telle qu'elle est et qu'est-ce que je peux faire de mieux malgré
13:33tout.
13:34Quelle est ma petite marge de liberté qui me permet quand même d'avancer ? Et je pense
13:36que c'est ce qui s'est passé hier, parce que franchement, il ne m'était pas un coup
13:39droit dans le cours.
13:40Mais donc, si on vous écoute bien, le meilleur sportif, c'est celui qui a un cerveau de
13:4350 ans et un corps de 20 ans, c'est ça ?
13:46C'est ça.
13:47C'est tout à fait ça.
13:48En fait, il y a une maturité chez certains champions qui est exceptionnelle.
13:50Une maturité, c'est exactement ce que décrit l'équipe et notamment l'un des très grands
13:55champions du passé, Mats Villander, qui était un champion sur terre battue et qui parle
14:00du sement d'Alkaraz, mais quelque chose de très frappant, il y a des champions qui
14:07se mentent.
14:08Ils passent leur temps à se mentir à eux-mêmes.
14:11Et vous citez l'un des plus grands champions de l'histoire du tennis, Djokovic, une fois
14:17à Wimbledon.
14:18Djokovic a même réussi à se convaincre que les spectateurs criaient son nom alors qu'en
14:23fait, ils encourageaient son adversaire Federer.
14:26Oui, tout à fait.
14:27C'est cette fameuse finale de Wimbledon entre les deux qui a duré je ne sais pas
14:30combien de temps.
14:31Et en fait, le public était complètement amoureux de Federer.
14:33Roger, Roger, Roger.
14:34Et en fait, il s'est convaincu qu'il entendait Novak, Novak, Novak.
14:38Il savait que c'était faux, mais peu importe.
14:40Le cerveau s'en moque.
14:41Du moins que c'est cohérent avec l'image qu'on se fait des choses, ça peut fonctionner.
14:44Alors, il y a Andrea qui s'inquiète pour sa fille.
14:47Elle nous a écrit sur l'application France Inter, comment rester concentré dans les
14:50révisions d'exam alors qu'on est en plein Roland-Garros ?
14:54Très bonne question.
14:56Et que l'Euro va commencer et que les Jeux Olympiques arrivent.
14:59Et qu'il va y avoir un tour de France un moment, mais ça sera plus tard.
15:03Vous savez, les Américains disent « work hard, play hard ». On travaille dur et on
15:07s'amuse dur.
15:08Et en fait, je trouve que ça a le mérite de reprendre quelque chose qu'on retrouve
15:10chez les champions.
15:11C'est cette capacité à encapsuler.
15:13Quand on est dans ces révisions, on y est totalement.
15:15On se fixe des objectifs extrêmement clairs pour une demi-heure, une heure.
15:19On est à fond dans ce qu'on fait.
15:20Et quand il s'agit de regarder Roland-Garros, on le regarde à fond.
15:22Et d'ailleurs, il y a de nombreux auditeurs qui s'inquiètent pour leurs enfants et
15:27qui se demandent comment les motiver, comment les pousser à rester concentrés.
15:33Et il y a aussi quelque chose de très intéressant, c'est que vous citez Arsene Wenger, le coach
15:39d'Arsenal mythique qui a porté cette équipe pendant des années.
15:43Il dit, et vous êtes chercheur en neurosciences, « les neurosciences, c'est l'avenir ». Qu'est-ce
15:49que ça peut bien avoir avec le foot ?
15:53Tout ! La Fédération française de foot, c'est équipé d'un centre de recherche
15:59qui est le premier, à mon sens, dans une fédération nationale, et où il y a plusieurs
16:04thèmes qui sont phares à partir d'une interrogation des coachs, quelles sont les
16:09priorités.
16:10Et l'attention et le mental, en général, c'est un des thèmes phares.
16:14Parce qu'en fait, ce qui se passe, c'est que dans le sport moderne, sur le plan technique,
16:19tout ce qui est physiologie, récupération du corps, tactique, on est au taquet, c'est-à-dire
16:24qu'ils sont tous au maximum.
16:25Et en fait, la dernière frontière, c'est la gestion de l'attention.
16:27Comment placer son attention de façon parfaitement efficace pour être à son meilleur à chaque
16:31moment ? Et l'attention, c'est le cerveau, les cerveaux, c'est les neurosciences.
16:34Justement, est-ce qu'on investit assez sur le mental ? Parce que, par exemple, 20 millions
16:39d'euros ont été investis pour préparer le mental des athlètes avant les Jeux olympiques,
16:43pour essayer d'avoir des médailles.
16:44C'est insuffisant ? La France est en retard ? Elle se place comment par rapport aux autres
16:49Je pense que tout le monde est un petit peu en train de tâtonner et de chercher.
16:52La difficulté, honnêtement, c'est que la méthodologie des neurosciences n'est pas
16:57du tout adaptée au sport en général.
16:59C'est-à-dire ?
17:00Typiquement, on va mettre les gens dans une IRM, ce qui est un gros tube où ils ne peuvent
17:03pas du tout bouger.
17:04C'est évidemment complètement inadapté au sport de haut niveau.
17:07Donc, en fait, on n'est obligé, on ne peut pas vraiment aller aussi loin qu'on veut.
17:11Et finalement, les recherches ne vont pas être forcément très coûteuses.
17:13Donc, ça ne veut pas dire qu'avec 20 millions, on ne peut pas faire des choses déjà très
17:16intéressantes.
17:17Donc, pour l'instant, on en est à regarder les différentes pratiques et en fait, guider
17:23en disant celle-là paraît bien adaptée à la façon dont fonctionne le cerveau.
17:26Ça vaut le coup de creuser, d'aller plus dans cette direction-là.
17:29Vous parlez du cerveau des champions, Jean-Philippe Lachaud.
17:32Mais quoi de commun entre le champion et le pianiste, par exemple, et l'interprète et
17:36le musicien ? Parce que la comparaison revient régulièrement dans votre livre.
17:40Oui, tout à fait.
17:41Et je veux vraiment...
17:43C'est vraiment toujours cette idée que du point de vue du cerveau, finalement, ce qu'on
17:47fait, c'est-à-dire quel musque on utilise, qu'on met en jeu, ne fait pas tellement de
17:51différence.
17:52Et c'est pour ça qu'on peut autant s'approprier les recettes des champions pour soi-même.
17:55Vous prenez un pianiste, Franck Bralais, que j'ai trouvé complètement admirable dans
18:00l'entretien que j'ai eu avec lui, me dit « je suis à la fois dans une concentration
18:05totale sur la note que je joue ». Et il prend l'exemple de Borg, c'est marrant, il fait
18:08le lien avec Borg.
18:09La légende du tennis des années 70.
18:11Exactement, Cyril Garros, etc.
18:13Complètement dans la balle, avec son regard vissé sur la balle, il dit « moi, quand
18:16je joue ma note, je suis comme une étoile à neutrons ». C'est pour indiquer le niveau
18:23de concentration qu'il a.
18:24Et en même temps, j'ai une conscience de l'œuvre dans sa globalité et de l'émotion
18:27que je véhicule.
18:28Donc, il est totalement dans cette double concentration qui est extrêmement utile pour
18:31le champion.
18:32Et il a tout gagné, sauf l'US Open, parce que là, pour le coup, trop de bruit, impossible
18:36de se concentrer, impossible de fixer son attention, Björn Borg, il y a aussi les vertus
18:41de l'échec.
18:42Tout à l'heure, en regardant la finale d'âme de Roland Garros, il y aura forcément
18:44une perdante.
18:45Il y a des vertus, honnêtement, à l'échec, à la défaite ?
18:49Bien sûr.
18:50Alors là encore, dans le quotidien, je ne sais plus qui disait ça, un joueur français,
18:56une victoire, on la savoure, et un échec, on l'analyse pour progresser.
19:00Chaque défaite, en fait, donne l'occasion de progresser, d'apprendre quelque chose.
19:05Et c'est pour ça que, moi, je pense qu'on peut, par le biais de l'attention, je milite
19:10pour une reconsidération totale de notre rapport à la compétition.
19:13En fait, la compétition, ça doit être quoi ?
19:15C'est deux personnes qui donnent le maximum d'elles-mêmes, de façon à pousser l'autre
19:20dans ses retranchements et à aller chercher le meilleur, les dernières ressources.
19:23Et à la limite, vous battez l'autre 6-0, 6-0, 6-0, tant mieux, quoi ! Vous avez envoyé
19:27un message à l'autre, il sait ce qu'il doit progresser.
19:29Et si on peut lui mettre 6-0, 6-0, 6-0, il faut le faire !
19:33Il faut le faire !
19:34Ce n'est pas une million, au contraire, c'est une marque de respect.
19:37On lui a rendu service en lui montrant vraiment les limites et ce qu'il doit travailler.
19:40Écoutez, il faut que je cite Raphaël Nadal, qui perd six fois de suite contre Djokovic.
19:49Et je me souviens de sa conférence de presse, la sixième fois, il est quand même un peu
19:51humilié, il dit « Maintenant, j'ai un objectif clair à l'entraînement ».
19:54Et vous nous dites, en fait, tout au fil du livre, et je reviens à ce que je disais
19:58tout à l'heure, vous nous dites « Si on s'entraîne bien, si on se concentre, si
20:01on passe du temps, si on utilise les sept superpouvoirs qu'on a, alors presque tout
20:05est possible ». Mais vous, par exemple, vous adorez le tennis, vous jouez au tennis
20:08et Jean-Philippe Lachaud, vous n'êtes pas champion de tennis, pourquoi ?
20:11Non, bien sûr.
20:12Parce que j'ai plein de limitations physiques, j'ai un corps, je traîne une charrette,
20:16c'est une horreur, quoi ! Sportif de bas niveau, oui, et puis je n'ai pas passé
20:20les 10 000 heures qu'il faudrait pour arriver à un bon niveau.
20:24Par contre, ce que je sais, c'est que je vais me mettre dans le petit tennis que je
20:29fais hebdomadaire.
20:30A chaque fois, je sais que je suis dans les meilleures conditions pour prendre le maximum
20:33de plaisir quand je joue.
20:34Et ça, pour moi, c'est vraiment le plus important.
20:36Alors, vous n'êtes peut-être pas un champion sur un cours de tennis, mais en tout cas,
20:40vous êtes un champion en matière de science, puisque vous êtes passé par l'école polytechnique
20:44et que vous êtes l'un des grands scientifiques et l'un des grands chercheurs en neurosciences
20:48cognitives dans le cerveau des champions.
20:51C'est absolument passionnant et merci infiniment d'avoir été notre invité, Jean-Philippe
20:55Lachaud.
20:56Le livre est publié chez Odile Jacob et on le recommande.