Les idées reçues ont la vie dure. Platon serait "platonique", éthéré, ennemi des choses sensibles, prompt à se réfugier dans le fameux mais introuvable "ciel des Idées". Il n’en est rien. Bien au contraire, il se saisit du monde dans sa chair et dans sa beauté, puis il en cherche la provenance. Plus encore peut-être, il se saisit de la cité, de son organisation et de ses lois, puis il s’efforce d’en penser la possible harmonie. Platon ne se résout pas au chaos politique. N’est-il pas d’une brûlante actualité ?
Pour en parler, Olivier Battistini, maître de conférences émérite en histoire grecque à l’Université de Corse, auteur de "Platon, le philosophe-roi" (Ellipses).
Pour en parler, Olivier Battistini, maître de conférences émérite en histoire grecque à l’Université de Corse, auteur de "Platon, le philosophe-roi" (Ellipses).
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00:30Bienvenue dans ce nouveau zone de TV Liberté. J'ai aujourd'hui le plaisir de recevoir Olivier
00:48Battistini. Olivier Battistini, vous êtes maître de conférences émérite à l'université de Corse.
00:55Vous êtes également membre du comité scientifique de la revue Conflits, revue de géopolitique que
01:02les téléspectateurs de TV Liberté connaissent. Vous avez bien entendu publié de très nombreux
01:07ouvrages. Alors je me contenterai d'en signaler quelques-uns. Les saisons de la loi, qui a été
01:14réédité aux éditions Clementine en 2013. Également en 2013, un ouvrage concentré à
01:21Plutarch pour saluer Plutarch. En 2018, aux éditions Ellipse, vous avez publié un ouvrage
01:28consacré à Alexandre Le Grand, intitulé Alexandre Le Grand, un philosophe en armes.
01:34Et vous n'en revenez depuis quelques semaines, vous avez publié un ouvrage volumineux d'une
01:42très grande richesse consacré à Platon. Platon, le philosophe roi, je le montre à la caméra,
01:49c'est aux éditions Ellipse également, et c'est avec une préface de Michel Maffesoli.
01:56Alors Olivier Battistini, vous qui êtes, je le disais, professeur d'histoire, maître de conférences
02:02en histoire grecque à l'université de Corse, membre du comité scientifique de la revue Conflits,
02:08j'ai cité quelques-uns de vos ouvrages, je pense à celui sur Alexandre Le Grand,
02:14je pense aux saisons de la loi. Vous avez choisi d'intituler votre Platon le philosophe
02:19roi. Il y a là une grande cohérence dans votre propre parcours intellectuel. Est-ce à dire que
02:25Platon est d'abord pour vous un philosophe politique ? Oui, pour moi Platon est difficile
02:39à saisir et je m'en réjouis d'ailleurs parce que chaque fois qu'on ouvre une page de Platon,
02:46on peut se laisser emporter par la magie et l'alchimie et le charme platonicien. Nicolas
02:57Grimaldi avait publié il y a quelque temps un ouvrage splendide sur Socrate le sorcier. Et le
03:03mot charme, je l'emploie dans le sens étymologique, c'est à dire qu'il y a l'idée d'un poison.
03:08Et un sortilège. Un sortilège, exactement. Socrate le magicien, alors que Socrate est
03:15pour certains l'initiateur de la philosophie et de la raison en Terre d'Occident. Je me suis donc
03:28amusé à repérer des Platons multiples. Un Platon héritier d'Héraclite, un Platon pythagoricien,
03:39un Platon qui est l'héritier des sagesses anciennes. Pourquoi pas Dionysos comme Giorgio
03:45Colli l'avait évoqué à propos du Logos des Grecs. Évidemment, un Platon maître de l'action et non
03:54pas le Platon qui se contenterait, comme dans le tableau de Rembrandt, de rêver et d'être dans
04:01l'univers de la contemplation. Chez les Grecs, vous le savez Rémi Souli, vous êtes un nouveau
04:07spécialiste de Nietzsche. Chez les Grecs, la théoria et la praxis, l'action, sont pensées sur
04:18le même niveau en termes d'égalité. Et c'est ça d'ailleurs qui me fascine. Un Platon, je l'ai
04:25affublé du titre de philosophe roi, c'est évident, puisqu'il considère que dans la démocratie
04:34athénienne, on donne le pouvoir à des ignorants, et que la chose politique est conséquence d'une
04:43sophia, d'une sagesse, et qu'il faut donc avoir contemplé le seuil des idées pour être capable
04:51de s'occuper de la chose politique par essence. J'ai donc la certitude que la philosophie grecque
05:02est toujours liée à la praxis, c'est-à-dire à l'action, et au domaine du politique. Et Platon
05:08nous en donne un exemple splendide. Il y a dans le geste philosophique de Platon un moment
05:19d'inauguration, en quelque sorte, qui est lui-même un moment politique, qui est la mise à mort de son
05:25maître Socrate. C'est sans doute de sa décision d'entrer dans le théâtre du politique ou de la
05:37politique. La mort de son maître est jugée par lui comme étant un crime politique, presque. Le
05:50plus grand des sages, mis à mort par un système politique qu'il juge dévié, le pouvoir donné à
05:58des ignorants. Il y a un paradoxe assez étonnant, qu'il évoque constamment. La démocratie est fondée
06:06sur un principe qui est affirmé, c'est-à-dire l'égalité pour tous. L'égalité qui induit le
06:14fait que tous participent à la chose politique, au débat et aux décisions politiques, alors que,
06:22et c'est là le paradoxe, ils choisissent les meilleurs pour commander leur flotte de guerre
06:27et pour prendre en réalité les décisions. Et vous verrez, puisqu'on parlera sans doute de l'allégorie
06:36de la caverne, ce n'est pas un mythe de l'allégorie de la caverne, et pourquoi pas du mythe de l'Atlantide,
06:42il me semble bien qu'à l'académie, conséquence des voyages de Platon en Sicile et conséquence de
06:53la mort de son maître, l'académie est un lieu non pas de recherche philosophique, de cheminant, parce que
07:07la philosophie ne donne pas des réponses mais propose des questions et un chemin vers, l'académie
07:15est un lieu de pensée politique extrême. Je rappelle simplement que c'est l'école qui a fondé Platon,
07:22puis il y a eu son enseignement, comme Aristote se fondera le lycée, enfin c'est la philosophie analogue.
07:32Au fond, la question à l'académie, parce que je viens de feuilleter un ouvrage que j'ai reçu il y a quelques jours,
07:40le cahier d'études pour une pensée européenne, le numéro premier, et je suis tombé, hasard objectif,
07:48sur un papier qui au fond pourrait être une réponse à votre question, c'est un texte sur Peter Soterdic,
08:00sur « Gouverner le parc humain », parce que telle est la question, quel est le meilleur régime politique possible,
08:07parce que le titre de la république de Platon, et vous voyez qu'encore une fois on s'égare parfois,
08:14la république c'est « Respublica » en latin, c'est bien sûr Montesquieu en arrière-plan,
08:19mais le titre grec c'est « Politeia », et comment le traduire ? On le traduit habituellement par
08:28« Constitution » ou « Institution », mais encore une fois les mots grecs ont leur mystère,
08:35je parle souvent de « Constellation de signification » et avec Anne Sokolovska qui est la traductrice des textes de mon ouvrage,
08:44on rêve sur la beauté de ces mots qui proposent parfois des paradoxes et des oppositions de contraires.
08:52Et « Politeia » chez Léostros signifie au fond « la source de toute loi »,
08:58et vous voyez là à quel point Platon est bien un être lié à l'action, à la politique et aux politiques.
09:07Et je vous avais demandé tout à l'heure la permission de lire un tout petit passage,
09:17ça pourrait être une autre manière de répondre à votre terrible question,
09:24c'est un extrait de « La République » de Politeia, le livre 6, et sur les gros animaux.
09:32Et mon idée a toujours été que, comment dirais-je, par les grecs,
09:38on peut se déplacer sur l'échiquier de ce que j'appelle l'extrême contemporain,
09:42puisque tout ce qui est actuel n'existe plus au moment où la chose même apparaît dans ses légumes des choses.
09:49Nous sommes dans le devenir dont parlent Héraclite et dont parle Platon.
09:56Et les gros animaux, c'est le peuple, que flattent les démagogues et les sophistes.
10:06Ce n'est pas la peine de vous le lire, c'est difficile de vous en parler.
10:12Le gros animal, c'est le peuple que les démagogues et les sophistes flattent.
10:18Vous dites dans votre livre, et là vous allez très très loin,
10:21mais c'est tout à fait juste quand on dit Platon bien sûr,
10:24qu'il est le penseur le plus radical contre la démocratie.
10:28C'est le plus terrible et le plus radical penseur antidémocratique que le monde ait jamais connu.
10:33Ce n'est pas une phrase de moi, je me suis habitué à dire des choses parfois somptueuses.
10:38C'est Moses I. Finley, un des grands aristocrates de la pensée sur la politique.
10:45Et ce gros animal qui est évoqué dans Platon, dans le livre VI de la République,
10:52c'est le peuple que flattent les démagogues et les sophistes,
10:56dont ils observent les comportements,
11:00et qu'il s'agit donc de flatter pour qu'ils leur répondent à leurs sollicitations,
11:06puisque le démagogue, vous l'avez compris, c'est celui qui conduit le peuple.
11:10Mais en réalité, et vous voyez mon petit clin d'œil sur l'extrême contemporain,
11:15c'est que tous ces gens qui flattent le peuple,
11:18ou qui fait croire au peuple qu'il pense comme il doit penser,
11:23eh bien ces êtres politiques sont soumis à ce même gros animal.
11:28Et là, il y a encore une dialectique splendide chez Platon.
11:31Et vous voyez, nous sommes vraiment dans un univers où la parole
11:38est à la fois celle qui conduit vers le vrai et le beau, chez Platon,
11:43et chez les démagogues et chez les sophistes, vers l'inverse.
11:48C'est-à-dire vers l'illusion et vers l'intrusion.
11:51C'est le mythe de la caverne, dont on peut parler par exemple à un moment ou à un autre.
11:55Absolument. Je reste deux secondes dans le registre politique.
12:00Vous avez fait référence à l'Atlantide, bien sûr.
12:02Vous êtes aussi géopolitologue.
12:06L'Atlantide, c'est le royaume maritime, c'est la mer.
12:09Tout à fait.
12:10Et donc aussi la dialectique terre-mer-Atlantide-Athènes.
12:14C'est quelque chose qui est d'une extraordinaire actualité à nouveau.
12:18Tout à fait.
12:19Carl Schmitt, évidemment.
12:21Cité d'Isaac, avec raison.
12:24Est-ce qu'on pourrait nous dire, peut-être de manière un peu plus précise,
12:28comment s'articule cette dialectique-là,
12:31et quelle est sa valeur aujourd'hui contemporaine,
12:33à nouveau telle qu'on peut la percevoir dans les dialogues de Platon ?
12:38Oui. Je suis persuadé que pour comprendre Athènes,
12:42il y a trois figures essentielles.
12:44Thucydide, Alcibiade, Socrate-Platon.
12:49Je ne fais jamais la différence entre les deux.
12:51Nous ne sachons jamais qui prend la parole.
12:54L'historien et le philosophe,
12:57avec au centre le stratège le plus prestigieux avant Alexandre.
13:05Vous avez là un rythme terre-mer splendide.
13:08Et l'historien et le philosophe s'intéressent aux empires,
13:15aux affrontements entre les empires,
13:18à la question de la justice,
13:20le droit qui est celui du plus fort chez Trasimac ou chez Taliclès,
13:26et chez Alcibiade, bien sûr,
13:27et chez Thucydide dans le dialogue des Athéniens et des Médiens,
13:30car j'avais publié deux autres droits de Thucydide il y a quelque temps,
13:33et qui me préparaient finalement à penser Platon.
13:37Et le mythe de l'Atlantide,
13:40c'est quelque chose qui ressemble étrangement à l'affrontement terre-mer
13:46qui est évoqué chez Thucydide,
13:48et qu'on retrouve en écho dans un commentaire splendide
13:52chez Schmitter et Julia Freund,
13:56d'un dialectique terre-mer,
13:59qui permet de comprendre aujourd'hui les affrontements qui sont les nôtres.
14:03Car le nomos, dans le sens que Thucydide emploie,
14:09c'est-à-dire une sorte de Weltanschauung,
14:12de conception d'un espace géographique,
14:16qui lui a un rapport au monde,
14:19et une forme d'impérialisme.
14:23Ceux qui appartiennent au nomos de la mer
14:27se libèrent de toutes les frontières.
14:30Et vous voyez très bien où je veux en venir,
14:32puisqu'aujourd'hui ceux qui sont les maîtres de la toile, par exemple,
14:37peuvent influer et dominer, puisque telle est la question.
14:42Et donc dans le mythe de l'Atlantide,
14:45parce qu'au fond, l'un et l'autre,
14:48Thucydide parle de la cité réelle,
14:51et Platon parle de la cité enloguée dans les mots.
14:55Mais les deux cités sont réelles,
14:57et exposent les mêmes questions qui sont les nôtres aujourd'hui,
15:01dont l'idée de l'extrême contemporain.
15:03Dans le mythe de l'Atlantide,
15:05qui est une réponse à Millon,
15:11qui demande à Socrate
15:12« Mais ta cité enloguée dans les paroles est parfaite,
15:16mais comment se comporterait-elle face à la dynamis, à la kinesis,
15:22c'est-à-dire à la guerre ? »
15:24Et en revenant, il invente le vrai faux roman
15:29pour affirmer que si cette cité a existé dans le passé,
15:34elle peut exister dans le futur.
15:35C'est ça la clé du mythe de l'Atlantide.
15:37Et la cité primordiale, Athènes,
15:41est une cité terrestre.
15:44Faites les liens avec le Pyrrhée
15:46et avec la thalassocratie que Platon condamne,
15:50parce que le pouvoir maritime est lié au commerce,
15:53quelle horreur !
15:54Il est lié au technoï, au technique.
15:58Et la cité primordiale,
16:00puisque les deux cités sont régies par la même constitution première,
16:06celle qui fait l'origine de la canipolis,
16:09de la cité parfaite.
16:10Et la cité terrienne Athènes entre en lutte contre l'Atlantide,
16:16qui est une île quelque part dans un océan,
16:22ou en Méditerranée, ou au-delà des colonnes d'Hercule,
16:29on ne sait pas où.
16:31Évidemment, c'est dans un lieu qui est pensé par Platon,
16:36qui fait croire que cela a existé.
16:40Cette cité première, terrienne,
16:42s'oppose à la cité maritime par excellence.
16:47Dans une île, et à l'intérieur de l'île,
16:50il y a la cité des Atlantes,
16:53qui est dans une mer qui communique avec la mer extérieure
16:57par des canaux souterrains.
17:00C'est une description splendide qui fait rêver
17:03tous les auteurs de science-fiction, de l'horizontale, etc.
17:08Évidemment, la puissance maritime,
17:12corrompue par le commerce,
17:15va disparaître dans les flots,
17:18dans le combat qu'il oppose à la cité terrestre.
17:22– Tout à fait.
17:24Vous avez relevé, tout à fait précise,
17:27ces différents aspects du Platon politique.
17:29On ne peut pas ne pas évoquer, bien sûr,
17:31le Platon métaphysicien,
17:33vous en avez dit quelques mots à propos de l'allégorie de la caverne.
17:37L'un des prix de votre livre,
17:40l'un de ses intérêts, à mon sens, au fond,
17:43c'est qu'il pulvérise un certain nombre d'idées reçues,
17:46y compris sur le Platon métaphysicien.
17:49On peut en dire quelques mots, Olivier Battistini,
17:52lorsque, dans l'histoire classique de la philosophie,
17:55on évoque le platonisme,
17:57immanquablement, on en vient à nous expliquer
18:01que Platon est celui qui va, peu à peu,
18:03extraire l'humanité occidentale européenne du mythe,
18:08du mythos, pour le hisser vers le logos,
18:11vers la raison, vers la rationalité.
18:13Et au prix, en quelque sorte, de ce schéma-là,
18:17on va nous expliquer que Platon est celui
18:20qui a distingué d'une manière très radicale,
18:24à travers une séparation très radicale,
18:26qui serait toujours valable dans son œuvre
18:28et dans l'ensemble de ses dialogues,
18:30deux domaines, parfois dans deux mondes,
18:33le sensible et l'intelligible.
18:35Vous faites justice de ces deux affirmations
18:38et vous montrez à quel point Platon,
18:40la pensée philosophique et métaphysique de Platon
18:42est autrement plus subtile,
18:44autrement plus délicate.
18:45Pourriez-vous, en quelques mots,
18:46c'est une gageure, évidemment,
18:49c'est un exercice, c'est impossible,
18:51mais simplement pour donner aux téléspectateurs
18:53l'idée de votre lecture de Platon,
18:56pourriez-vous nous dire quelques mots
18:58sur ce Platon réel, sur ce Platon vivant,
19:02qui n'a pas été figé par une histoire
19:05de la philosophie, disons, positiviste ?
19:08Oui, le grand malheur de Platon,
19:09c'est qu'il est un auteur scolaire,
19:12sur nous le savons.
19:15En conséquence, il est peu lu.
19:18Or, il suffit d'ouvrir n'importe quel passage,
19:20quelques dialogues de Platon
19:23pour être subjugué, pour être fasciné,
19:26et on ne peut plus le quitter.
19:28Parce que Platon, pour moi,
19:31qui est celui qui a chassé les poètes,
19:34et qui a combattu les sophistes,
19:36les poètes et les sophistes,
19:39bien sûr, il est parvenu jusqu'à nous,
19:43grâce à de nombreuses erreurs.
19:46La question de l'âme,
19:48qui est souvent évoquée
19:52dans les dialogues platoniciens,
19:54et qui peut être une hypothèse philosophique,
19:59pour répondre, par exemple,
20:02au fameux paradoxe de Ménon,
20:04si on connaît la vérité,
20:06ce n'est pas la peine de la chercher,
20:08et si on ne la connaît pas,
20:10on ne la reconnaîtra jamais.
20:12Socrate invente l'anamnèse,
20:14invente la métampsychose,
20:17et l'idée que...
20:19La réminiscence, bien sûr.
20:21Vous connaissez très bien ce passage,
20:24et nos auditeurs,
20:26nos téléspectateurs le savent aussi.
20:28Apprendre, c'est se ressouvenir.
20:31Puisque si l'âme passe d'un corps à un autre,
20:36elle reconnaîtra la vérité qu'elle a déjà rencontrée.
20:38Mais pour répondre plus exactement à votre question,
20:42puisque vous l'avez compris,
20:44mon idée est que par des erreurs d'interprétation,
20:48Platon a été considéré comme un pré-chrétien
20:51et terminé jusqu'à nous,
20:53et les dialectiques entre l'intelligible et le sensible
20:57permettent aussi de cette hypothèse.
21:01Vous connaissez comme moi ce moment étonnant
21:08où Platon et Diogène s'affrontent à propos de l'idée
21:13de la table et de la table elle-même.
21:15Pour Platon, la table
21:21qui est devant eux n'est que le fantôme
21:24de la réalité de la table
21:26et le brave Diogène
21:28qui fait semblant de ne pas le comprendre
21:30dit qu'il voit la table mais pas l'idée de la table.
21:33Et toute une discussion là bien sûr sur l'intelligible,
21:37le sensible,
21:39et au fond ce que sont les idées.
21:43Parce que Aristote,
21:45et vous voyez, je me serre de piquille pour arriver
21:50à peut-être une possible réponse pour vous satisfaire,
21:53Aristote reproche à Platon de n'avoir jamais démontré
21:57au fond l'existence des idées.
22:01Parce que l'idée au fond c'est ce qui échappe au devenir
22:06et qui demeure éternellement tel qu'en lui-même,
22:11tel qu'en elle-même.
22:13Contemplation des formes idéales bien sûr,
22:16mais il n'y a jamais chez Platon de théorie,
22:18il n'y a pas de science des idées.
22:20Et c'est un paradoxe,
22:22parce que toute l'œuvre de Platon
22:24en ce qui concerne la métaphysique,
22:26qui le retrouve dans la caverne,
22:28est fondée sur l'exigence des idées,
22:30dont la science n'a jamais été exposée.
22:34Mais c'est ça qui le plaît justement,
22:36c'est que chez Platon,
22:38il n'y a jamais d'affirmation,
22:40c'est au contraire,
22:42Platon n'enseigne rien,
22:44il se borne à interroger
22:46et à conduire par l'accouchement,
22:50la maïotique des esprits,
22:52à conduire l'interlocuteur,
22:54qui est torturé constamment par Socrate,
22:56mais qui est la véritable poisson de torpille,
22:58à cheminer vers...
23:00Et au fond,
23:02j'ai noté, puisque je savais
23:04que vous allez à un moment donné
23:06sûrement me poser une question là-dessus,
23:08j'ai noté une phrase que je vous propose,
23:10tirée de Platon.
23:12Les objets que nous voyons
23:14que nous sentons par nos sens corporels
23:16sont-ils les seuls
23:18qui aient une réalité propre
23:20et n'y en a-t-il absolument
23:22aucune autre que celle-là ?
23:24Est-ce faussement que nous disons
23:26toujours qu'à chacun d'eux correspond
23:28une espèce intelligible
23:30et ne serait-ce cela que de vaines paroles ?
23:32Et au fond,
23:34finalement, l'idée est ce fait
23:36de l'intelligence par laquelle
23:38les choses se rendent présentes
23:40à notre esprit.
23:42J'avais retenu cette phrase,
23:44les idées c'est ce qui permet
23:46aux choses d'être ce qu'elles sont.
23:48Et vous voyez très bien que
23:50dans le mythe de la caverne
23:52que j'avais tout à l'heure interprété comme politique,
23:54permet de saisir
23:56la chose que vous avez dite,
23:58l'opposition entre
24:00les trois niveaux qui sont liés
24:02aux ombres,
24:04aux illusions
24:06et aux opinions,
24:08et d'autre part, au contraire,
24:10les étapes vers
24:12la révélation, vers la
24:14contemplation de ce qui permet aux choses
24:16d'être ce qu'elles sont,
24:18les marionnettes, les mathématiciens
24:20et le sadaï des idées.
24:22Olivier Battistini,
24:24je vous remercie vivement.
24:26Vous nous avez entraîné sur
24:28la ligne qui est aussi
24:30une des métaphores les plus puissantes
24:32de Platon. Vous nous avez entraîné
24:34vers les hauteurs, vers la verticalité,
24:36vers une forme de transcendance
24:38à partir du sensible,
24:40y compris de ses reflets illusoires
24:42et vous nous avez donné
24:44à saisir en même temps
24:46toute l'actualité,
24:48la contemporanéité, comme vous dites,
24:50comme vous avez dit, de Platon.
24:52Je rappelle le titre de votre ouvrage,
24:54Platon, le philosophe roi,
24:56c'est aux éditions
24:58Ellipse, avec une préface
25:00de Michel Maffesoli.
25:02Merci beaucoup, Olivier Battistini.
25:04Je vous remercie.
25:08Sous-titrage Société Radio-Canada