• il y a 6 mois
Six mois après le naufrage du Cysnos, les deux marins portés disparus sont reconnus officiellement comme décédés

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00:00Il est 8h15, ce matin on va prendre la mer, cet océan qui peut se révéler évidemment
00:07extrêmement dangereux et c'était le cas il y a 6 mois avec le naufrage du Cisnos.
00:11Les conditions météo étaient médiocres et ce navire s'est écrasé contre la digue
00:14de Sokoa.
00:15Deux hommes ont été portés disparus ce jour-là, un autre blessé.
00:18Pour en parler, voici là, on reçoit ce matin Michael Eppalsa.
00:21Oui, il est aumônier depuis 50 ans à Sokoa, homme d'église mais aussi et surtout marin.
00:26Bonjour Michael Eppalsa.
00:27Bonjour Régina Denelli.
00:29Vous avez 718 ans aujourd'hui et vous nous racontez ces 50 ans passés aux côtés des
00:33marins du Pays Basque dans un livre qui vient de paraître.
00:36Mais d'abord sur ces 6 mois du naufrage du Cisnos au sud du Pays Basque, vous avez accompagné
00:41vous les familles des naufragés, on l'apprend aujourd'hui, donc les deux hommes portés
00:45disparus depuis ont été reconnus officiellement par les autorités comme décédés.
00:50Vous êtes resté en contact avec leurs proches ?
00:52Oui, avec cette communauté de pêcheurs sénégalais que j'avais accueilli, effectivement
00:58chez moi, juste avant de faire cet hommage qui était très poignant au pied du fort
01:04de Sokoa, là où a lieu ce naufrage.
01:07C'est quelque chose d'incroyable, c'est là-même, à terre, et souvent c'est la
01:12côte qui est plus dangereuse, surtout avec le mauvais temps ou quand on a des conditions
01:17à bord aussi qui ne sont pas… voilà, le bateau il s'est fracassé contre les rochers
01:23et carrément, le pauvre, il avait 58 ans, c'était sa dernière marée, il venait de remplacer
01:29quelqu'un, un copain, parce qu'ils sont très frères entre eux, et Moustapha, c'est
01:34un jeune, et les deux ont leurs épouses, ou leurs ou leurs épouses, c'est musulmans,
01:40sénégalais, au Sénégal, et il y a eu une très belle solidarité au Pays Basque.
01:46Vous les avez revus depuis cette cérémonie, quelques jours après votre mort ?
01:50Depuis cette cérémonie, je suis en contact avec leur responsable qui était un ancien
01:54pêcheur, Lamine, donc chaque fois que je vais sur les lieux prier un peu, je l'appelle,
02:04je lui dis « écoute, tu pries avec moi ». On avait vécu quelque chose de très très
02:08fort, c'est la mer, en mer, que tu sois catholique, musulman, c'est pas ça qui compte, ce qui
02:14compte c'est la fraternité, on était pris par ce destin terrible quoi, et là on voit
02:20que pour les terriens, c'est quelque chose d'incompréhensible, attendre six mois pour
02:24déclarer une mort alors qu'ils sont disparus, la même quoi, enfin c'est...
02:28Et il y a eu un survivant aussi, le capitaine du Cisnos, qui est le seul survivant du drame,
02:34vous l'avez rencontré, vous aussi, vous avez eu ces nouvelles depuis ?
02:36Oui, à l'hôpital, oui, j'ai été le voir, il était très amoché, il est reparti à Arcachon
02:43avec sa famille, et j'espère qu'il va pouvoir reprendre la mer, ça doit être difficile
02:50pour lui, parce que reprendre la mer c'est dans quelles conditions ? En physique déjà,
02:54parce qu'il avait pas mal de côtes et la main et tout ça cassé, et c'est surtout
02:59psychologique quoi, ça nous fait réfléchir sur...
03:03Avoir perdu des membres de sa famille presque ?
03:05Ben...
03:06Je sais pas...
03:07Des hommes à qui il a côtoyé ?
03:10Ah oui, oui, ils vivaient ensemble, c'est ça qui était très important, de comprendre
03:15justement...
03:16Les terriens ont beaucoup de mal à comprendre ce que c'est que la mer, et on dit, c'est
03:23le fameux chant, c'est pas l'homme qui prend la mer, c'est la mer qui prend l'homme,
03:28mais c'est dans les deux sens, c'est-à-dire que la mer a pris ces deux corps, mais c'est
03:33la mer qui nous forme aussi, qui fait l'homme, comme il fait les galets, les sables, etc.
03:39Et la mer nous façonne, c'est pour ça que je raconte ce livre, pour que l'on se rende
03:44compte...
03:45Pêcheur d'hommes, donc, votre livre.
03:46Oui, à quel point la mer, l'océan, à travers les marées, les épreuves, les souffrances
03:52qu'il y a, les joies aussi, parce que c'est magnifique, ce métier est vachement noble,
03:58mais en même temps, on le voit, à travers les naufrages, les difficultés, comment ça
04:02nous unit, ça nous forme, il y a là des valeurs qui sont très importantes pour la
04:08Terre.
04:09Sur votre livre, d'abord juste sur le Cisnos, est-ce qu'un drame comme celui-là aurait
04:14pu être évité ?
04:15Oui, c'est certain, c'est certain que...
04:19Parce que l'enquête n'est pas encore terminée, elle montre qu'effectivement les conditions
04:22météo étaient très mauvaises, peut-être un problème dans la défaillance du GPS,
04:27c'est pas encore certain, mais pour vous, c'est sûr, ça aurait pu être évité ?
04:30Bien entendu.
04:31Mais comment ça aurait pu être évité ?
04:32Écoutez, je ne vais pas rentrer dans les détails, parce que bon, je connais quand
04:35même l'histoire, mais c'est un problème de vigilance humaine.
04:39Je vais vous dire, les 75% des accidents qui ont l'air des naufrages, c'est défaillance
04:45humaine.
04:46Défaillance humaine, on peut mettre là-dedans beaucoup de choses, moi je ne vais pas rentrer,
04:51je ne vais pas parler plus dans le détail.
04:53Mais en tout cas, il y a pu y avoir dans plein d'autres, comme vous le dites, dans trois
04:57quarts finalement des accidents, c'est l'humain qui est...
05:01L'humain, parce qu'on n'est pas vigilant, on ne fait pas attention à ce qui se passe
05:07autour de nous.
05:09Parce qu'on est fatigué, parce que c'est difficile.
05:11La fatigue, la fatigue joue beaucoup.
05:14Savoir équilibrer, c'est justement une demande qui était faite très forte par les femmes
05:19de marins, la famille du marin du bateau et de la maison au bateau.
05:25C'est-à-dire qu'à bord, qu'il y ait des temps de repos, des heures et des heures à
05:30travailler, c'est sûr que ça mérite de réfléchir pour éviter ces drames.
05:38Il est 8h21 sur France Bleu Pays Basque.
05:40Ce matin, nous recevons Mickaël Epalsa-Aumony, qui est depuis 50 ans à Sokoa, très proche
05:45des pêcheurs.
05:46Et vous publiez ce livre, Pêcheurs d'Hommes, c'est aux éditions Équateur.
05:50Et ça fait donc presque 50 ans, c'est ce que vous racontez dans votre livre, que vous
05:55partagez les joies, la détresse des marins pêcheurs.
05:59Comment a évolué cette profession depuis un demi-siècle ?
06:02Là, vous venez dire qu'effectivement, il y a encore beaucoup de fatigue, que le travail
06:05de marins pourrait encore être, comment dire, on pourrait retravailler...
06:10Humaniser, humaniser, rendre plus...
06:13Et en même temps, ce que vous racontez dans votre bouquin, dans votre livre, c'est que
06:18le problème, c'est que cette communauté est réduite à peau de chagrin.
06:21Voilà.
06:22Moi, ce que je veux dire, je ne suis pas venu ici pour dire que la pêche c'est foutu, etc.
06:28L'encre du chipiron, c'est l'encre noire qu'on jette sur tout, c'est pas mon genre.
06:34Mais pour dire que dans le livre, dans ce livre justement, je pense qu'il faut partir
06:41à marée basse.
06:42Et toutes ces histoires qu'il y a dans ce livre, moi j'ai embarqué pendant 8 ans sur
06:47une dizaine de bateaux, et de métiers différents, donc je peux parler un peu, même si c'est
06:53en toute humilité, je parle donc de mes embarquements, et là des combats qu'on a menés, et de tous
06:59ces combats, tous ils commencent à marée basse, c'est-à-dire avec des gens qui ont
07:04fait un effrage, qui ont perdu un bateau, qui ont eu un gros problème à bord, etc.
07:09Et quand on prend au sérieux les croix, les difficultés des marins, c'est avec eux qu'on
07:15s'aperçoit qu'ils ont une énergie, il y a une énergie, des femmes de marins, des jeunes
07:20marins.
07:21Je donne un exemple, un bateau qui avait coulé au port, on a fait une quête de solidarité
07:26avec 70 aides qui ont été faites, je peux raconter beaucoup de choses, et sur Bayonne
07:33aussi.
07:34C'est une communauté qui est forte, mais qui est quand même en voie de disparition.
07:38Disparition, qui est en voie de diminution, pour beaucoup de raisons, parce que ce n'est
07:46pas soutenu.
07:47En particulier, il y en a beaucoup de plus en plus, qui connaissent très peu la mer,
07:55et qui disent, il faut supprimer les pêcheurs, parce qu'il y a trop de pêche, on va supprimer
08:00les pêcheurs.
08:01Moi je suis pour qu'on prenne soin de la ressource et des pêcheurs.
08:05Et les pêcheurs actuellement, c'est des grands oubliés, ils sont matraqués de partout,
08:11par les écolos, par l'administration, par les lois, c'est incroyable, si vous allez
08:20demander à un pêcheur ce qu'il vit, c'est pire qu'une infirmière.
08:24Et je pense que les jeunes qui s'accrochent aujourd'hui, bravo à ceux qui sont en mer,
08:32et c'est eux qui sauront l'avenir.
08:34Il y a de l'avenir, tant qu'on croit qu'on est ensemble, qu'il y a de la solidarité,
08:39il y a de l'avenir.
08:40C'est ça que dans le livre je veux montrer.
08:41Et dans votre livre, vous racontez votre vie de marin, plus presque que d'homme de foie,
08:47vous revenez sur d'autres drames vécus par la communauté de marins du Pays Basque, notamment
08:51il y a le naufrage du Prestige, il y a 20 ans de ça ?
08:54Ah bah oui, le Prestige c'était terrible, toute la côte c'était devenu noir, noir,
08:59noir, noir.
09:00J'avais embarqué avec un petit bateau pour ramasser avec des puisettes, c'est un peu
09:05l'histoire de l'oiseau qui va chercher avec son bec de l'eau pour éteindre le sandis,
09:12c'est la fameuse colibri, c'est ça, et justement, c'est pas les pêcheurs qui sont, les pêcheurs
09:19ils ont sauvé la côte, mais on oublie ça, tout ce qu'ils ont fait, sont allés en mer,
09:24au risque de prendre des maladies, etc., pour sauver la côte.
09:30On raconte le Prestige, mais il y a beaucoup d'autres histoires, au port de Bayonne en
09:34particulier, quand le marin Andrew, le Philippin, « Where is the Seamen's Club ? », il n'y
09:40avait pas de foyer de marins à Bayonne, et je me suis dit, bon ben, avec les pilotes
09:46et tout ça, on a lancé ça depuis presque 20 ans maintenant.
09:49Et pour vous, ça pose quand même des questions sur le monde dans lequel on vit aujourd'hui,
09:54vous posez beaucoup la question du système capitaliste qui broie ?
09:57Ah oui, tout à fait, tout à fait, c'est la personne humaine qui compte, et donc vous
10:02dites que ma foi, mais ma foi elle est là-dedans justement, c'est un bouquin qui est plein
10:07de foi, plein d'espérance, à condition qu'on mette les valeurs au centre, donc la personne
10:13humaine, la famille, le respect de l'homme, à bord et à terre.
10:17Et je voudrais finir d'ailleurs sur une citation, une phrase que vous écrivez, « Tendre la
10:22main permet toujours d'ouvrir des portes et de trouver des solutions, seul l'isolement
10:27et la solitude paralysent ». A pas oublié aujourd'hui dans le contexte actuel peut-être ?
10:31Ah ben merci de le citer ! Évangile selon Saint-Michel, c'est bien, je suis tout à
10:39fait convaincu que quand on tend la main, c'est plusieurs mains, c'est plusieurs lumières,
10:44plusieurs forces qui se mettent ensemble pour résoudre un problème.
10:47Dans le livre, il y a un tas d'exemples comme ça.
10:50Comme quoi par exemple, quelque chose qui vous vient comme ça à l'esprit, un exemple
10:55où justement, en tendant la main, on se rend compte que…
10:58Tous les bateaux qui étaient ici, au port de Bayonne, a résonné pendant un an, incroyable,
11:06le Guimaraes par exemple, pendant un an, il est resté là avec un équipage, avec le
11:10foyer, avec la banque alimentaire, on leur a tendu la main, on les a aidés.
11:14C'est un équipage qui s'est retrouvé avec sans salaire, sans…
11:18C'est un armement, c'est une banque, qui s'appelait Banco Santos Pirito en plus,
11:22c'est un drôle de nom, et qui avait fait faillite et donc le bateau avait été abandonné.
11:30Et la communauté du Pays Basque est venue au secours de l'équipage.
11:34Oui, il y a une belle solidarité autour du port de Bayonne, le port lui-même aussi avait
11:40donné du gazoil, etc.
11:42Il y a une belle solidarité avec le foyer qui était central.
11:45Merci à vous Mickaël Epalsas, je rappelle que vous êtes aumônier depuis 50 ans à
11:50Sokoa, homme d'église et aussi marin.
11:53Vous publiez un livre qui s'appelle « Pêcheur d'hommes ».

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