Xerfi Canal a reçu Juliette Fronty, maîtresse de conférence à l’IUT Toulouse 3 Paul Sabatier, Laboratoire de Gestion et des Transitions Organisationnelles (LGTO), pour parler de la transition écologique et de l'enseignement supérieur.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour Juliette Fronty.
00:09Bonjour.
00:10Juliette Fronty, vous êtes maîtresse de conférences à l'IUT Toulouse 3 Paul Sabatier,
00:15Laboratoire LGTO.
00:16Article dans la revue française de gestion avec Anna Glaser, ESCP Business School, réflexivité
00:22et dissonance au sein des organisations, le défi de la transition écologique.
00:26Un papier extrêmement intéressant, vous avez pris comme terrain de recherche l'enseignement
00:33supérieur, c'est-à-dire les grandes écoles et les universités dans le domaine du ménagement
00:36évidemment.
00:37Vous avez mené 23 entretiens pour savoir comment on se saisissait de la transition
00:43écologique et comment c'était vécu par les enseignants-chercheurs.
00:46Et là vous nous dites, premier constat, c'est prise de conscience, réflexivité, etc.
00:53Voilà où on en est.
00:54C'est ça le point d'entrée.
00:56Exactement.
00:57En fait, ce qui nous a intéressés, c'est que l'enseignement en management et en sciences
01:01de gestion est un point pivot de cette transformation du monde, on peut l'appeler transition écologique
01:09ou en tout cas, changement de paradigme qui est à la fois souhaité par la société,
01:15souhaité par des étudiants aussi qui réclament cette transition écologique et puis aussi
01:20au fil de nos rencontres avec certains de nos collègues qui se disent, par exemple
01:23des collègues en marketing qui disent, est-ce qu'on peut continuer à enseigner le marketing
01:27comme on l'enseigne maintenant ? Est-ce que quand même, il n'y a pas des choses
01:29à changer ?
01:30Et donc, du coup, on s'est rendu compte qu'on était sur un métier qui était extrêmement
01:35intéressant de par son implication directe dans la construction d'un monde futur.
01:41Bien sûr.
01:42C'est vrai que toutes les écoles, même les universités, le ministère, etc., tout
01:46le monde dit transition écologique partout, donc c'est stratégique et c'est affiché
01:51par toutes les institutions.
01:53Et là, vous nous dites, ça crée de la dissonance.
01:55C'est ça l'originalité du papier.
01:57Eh bien oui, parce qu'en fait, ce qui nous a intéressé, c'est qu'au démarrage,
02:03quand il y a cette impulsion qui est donnée en disant, il faut mettre du green un peu
02:08dans les cours, il faut transformer les pratiques d'enseignement et puis les contenus d'enseignement,
02:15les enseignants-chercheurs, ça les met en réflexion, ça les met en réflexivité,
02:19c'est-à-dire qu'ils se questionnent sur leurs pratiques.
02:21Et donc, à partir de là, eh bien, ils remettent en cause un certain nombre de choses, c'est
02:25ce qui est apparu dans nos entretiens, c'est-à-dire qu'ils ne vont pas seulement s'arrêter
02:28au contenu du cours, ils vont aller sur le type d'enseignement, c'est-à-dire, est-ce
02:33que je vais sur des formats plus participatifs, moins descendants ? Et puis, ça déborde,
02:39c'est-à-dire que, ah oui, mais en fait, ça interroge ma recherche.
02:42Et puis, en fait, très intéressant, c'est que ce sujet-là, et ça, c'est ce qui nous
02:46a vraiment marqué, c'est que la transition écologique, ça va les amener à réfléchir
02:50aussi à leur vie personnelle.
02:52Et en fait, c'est là où il y a nos trois niveaux, il y a la demande de l'institution,
02:57il y a la transformation de mon espace de mon travail, en fait, enseignement et recherche,
03:02et puis, il y a ma vie personnelle, et du coup, ça crée une dynamique boule de neige
03:07qui va avoir beaucoup plus d'effets qu'une simple directive de changement stratégique
03:12de cours.
03:13Des verbes latimes extrêmement intéressants qu'il faut lire, notamment cette collègue,
03:18ou ce collègue, voilà, c'est femme, homme, votre échantillon a été varié, qui nous
03:21dit « j'ai pris conscience avec le confinement que j'ai fait 18 fois le tour du monde ».
03:25Oui.
03:26Et là, bam ! Un autre collègue qui dit « mais en fait, je ne peux plus enseigner le business,
03:30ce n'est pas possible.
03:31Quand on voit ce que ça fait à la planète, ce n'est plus possible ». Donc, une vraie
03:33tension.
03:34Et donc, vous formulez une typologie, et cette typologie, on a en termes de réflexivité
03:40écologique, on a les passivement actifs, ceux qui sont en recherche, donc passivement
03:45actifs, c'est ceux qui sont en recherche, qui se mettent vraiment en mouvement de réflexivité,
03:50les actifs, donc là presque un peu militants, si je vous ai bien lus, et puis les désabusés.
03:56Oui, alors c'est ça qui nous a intéressés, c'est que quand on lit la littérature sur
04:02la réflexivité, on voit quelque chose d'assez linéaire, en fait, qui promeut finalement
04:07la réflexivité comme quelque chose d'assez positif, puisque ça nous rend plus conscients,
04:11des cadres qui définissent nos pensées, qui nous limitent aussi, donc c'est censé
04:18ouvrir l'action.
04:19Et là, on se rend compte que finalement, sur ce sujet-là, plus on est réflexif, plus
04:25on veut s'engager pour changer les choses, et plus on est sensible aux dissonances, aux
04:29frottements, aux frictions.
04:31Et ça, en fait, on aperçut ça comme étant un danger, à la fois pour l'individu, puisque
04:38du coup, en dissonance cognitive, c'est difficile à vivre, et puis aussi pour l'organisation,
04:43parce que des enseignants-chercheurs très actifs, qui se sont formés à la fresque du
04:47climat, qui ont envie de participer à plein de choses dans leur école, tout d'un coup
04:51vont dire « Ah non, mais je ne peux plus enseigner à la fresque du climat, parce qu'on
04:54n'est plus assez cohérents par la suite, et donc du coup, moi, mes étudiants, qu'est-ce
04:57que je leur dis au moment du debriefing à la fin de la fresque ? »
05:00Et là, en fait, ce qui nous a frappés, c'est que ça arrive très vite.
05:04Les enseignants-chercheurs qui nous ont parlé de la fresque du climat, il y en a quelques
05:07ans, quand même, ils l'ont animée deux, trois années, et après, ils ont dit « On
05:12ne peut plus. »
05:13Est-ce que j'exagère en disant, vous alertez quelque part un peu sur un risque de burn-out
05:17généralisé, c'est-à-dire au niveau individuel, transition écologique, on en prend conscience,
05:22mais on réalise qu'en fait, on ne peut pas faire grand-chose, et puis que ça se heurte
05:24à tout un tas d'inerties, et donc, au niveau organisationnel aussi, quelque part,
05:29les organisations commencent à avoir du mal à gérer l'ingérable.
05:34C'est-à-dire que ce qu'on souhaite faire avec cet article, peut-être, c'est mettre
05:38le doigt sur l'importance de l'exigence qu'amène la réflexivité, et en tout cas
05:46le fait de mettre les enseignants-chercheurs en réflexion sur ces sujets-là.
05:51Ce n'est pas un sujet comme un autre, en fait, et ça amène des transformations profondes,
05:57et l'organisation doit suivre, ce qui pour nous, c'est une super opportunité, surtout
06:03dans l'enseignement en gestion, qui est finalement un mini-laboratoire de toutes les
06:08organisations.
06:09Donc, voilà, mais attention à cette exigence, en fait.
06:15Merci, Juliette Frontier.
06:17Merci.