• il y a 4 mois
Pourquoi l'hôpital public va si mal en 2024 ? Pour y répondre nous recevons le docteur François Salachas, neurologue et membre du collectif inter hôpitaux. La faillite de l'hôpital public n'est pas nouvelle mais la population s'empare enfin du problème, selon lui, elle a compris que les services de soins ne sont plus à même d'assurer des soins de qualités. 

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Transcription
00:00C'est l'heure de notre invité d'actualité, Mme C, 93 ans, 23 heures sur un brancard.
00:05M. S, 89 ans, 30 heures sur un brancard.
00:08Mme R, 91 ans, 27 heures sur un brancard.
00:11Des exemples comme celui-ci, il y en a des centaines placardées devant le CHU de Brest sur le mur de la honte.
00:19Pourquoi l'hôpital public va si mal en 2024 ? Nous allons poser la question à François Salacaz.
00:25Bonjour, merci d'avoir accepté notre invitation.
00:27Vous êtes neurologue à la Pitié-Salpêtrière, membre du collectif Inter-Hôpitaux.
00:32Est-ce que ce matin, comme le nom de ce mur de la honte, vous avez honte ?
00:36Oui, alors ça ne date pas d'aujourd'hui qu'on ait honte.
00:38Simplement, là, il y a un flash, enfin, il y a un coup de projecteur d'actualité sur ce phénomène.
00:43Le seul point positif dans l'histoire, c'est que peut-être enfin la population s'empare du problème
00:48parce que le vent du bolet, ils le sentent actuellement.
00:51C'est-à-dire qu'ils ont compris que les services de soins, l'hôpital public en général,
00:56n'est plus à même d'assurer des soins de qualité et que, loin de s'améliorer,
01:01les choses s'aggravent actuellement et que, de temps en temps, on en entend parler dans les médias,
01:06mais finalement, le reste du temps, on a l'impression qu'il ne se passe rien,
01:08comme si finalement c'était une fatalité.
01:10C'est peut-être le point le plus important aujourd'hui, c'est de savoir si on peut faire quelque chose.
01:14Parce qu'après tout, si c'est une tendance lourde et c'est comme ça,
01:17et puis il n'y a rien à faire, ce n'est pas la peine d'aller plus loin.
01:19Et je pense que c'est important de dire qu'il y a des solutions qui sont proposées
01:24pour que finalement les personnels soignants reviennent à l'hôpital.
01:27Parce que pourquoi il y a ces problèmes d'attente ?
01:30Parce qu'en aval du service d'urgence, il n'y a pas les lits d'hospitalisation.
01:35Pourquoi il n'y a pas les lits d'hospitalisation ?
01:37Parce qu'il n'y a plus assez de personnel pour s'occuper des patients qui en ont besoin.
01:41On va évidemment évoquer les solutions, mais ce n'est pas la première fois que vous venez sur ce plateau.
01:44Ça fait maintenant des années, même depuis le Covid, il y a eu ce coup de projecteur
01:48sur les tensions au sein des services, il y a eu le ségure de la santé,
01:52il y a eu des tentatives de réformes, il y a eu des pouvoirs publics qui se sont emparés du problème.
01:56Et pour autant, là en 2024, on a l'impression que rien ne change.
02:00Et vous le dites, c'est pire qu'avant.
02:01Parce qu'il y a un effet de seuil.
02:03C'est-à-dire que quand on veut résoudre un problème, il y a un niveau d'action qui est nécessaire.
02:07Et le niveau d'action n'a pas été suffisant, et c'est pour ça qu'il ne se passe rien.
02:10C'est-à-dire qu'en fait, pour que les personnels reviennent à l'hôpital,
02:15il faut que leurs conditions d'exercice s'améliorent.
02:18Et pour l'instant, ça n'est pas le cas.
02:20Et les conditions d'exercice, ça veut dire quoi ?
02:22Ça veut dire être suffisamment en nombre auprès du patient.
02:25Alors, il y a des conséquences directes.
02:27Je ne sais pas si la caméra pourra zoomer dessus.
02:29C'est un article qui date du 19 août dans une prestigieuse revue américaine.
02:33C'est un article d'une équipe britannique.
02:34On n'arrivera pas à le lire, mais vous pouvez nous le raconter, cet article.
02:37C'est très simple.
02:38Sur cinq ans, de 2015 à 2020, cette équipe britannique a cherché à savoir
02:43si le fait d'être sous-staffé, c'est-à-dire en bon français,
02:46le fait de ne pas avoir assez de personnel au lit du malade
02:49et surtout également d'avoir du personnel intérimaire,
02:51c'est-à-dire des équipes qui ne sont pas stables,
02:53des gens qui n'ont pas l'habitude de travailler ensemble,
02:55qui n'ont pas l'expertise.
02:56Est-ce que ça a une conséquence ?
02:57Ou finalement, c'est plus ou moins Y dans l'histoire.
02:59Ça a une conséquence énorme sur la mortalité.
03:02Donc là, on ne peut pas dire qu'il ne se passe rien, qu'il n'y a rien à voir.
03:05C'est maintenant prouvé.
03:07Alors, ça tombait sous le sens.
03:08Encore fallait-il faire l'étude.
03:10Donc, c'est extrêmement important parce que finalement,
03:12tout ça, c'est opaque, souterrain.
03:15Et il n'y a que quand on est personnellement confronté au problème
03:18qu'on s'en préoccupe.
03:19Le mur de Brest, c'est ça.
03:21C'est le fait que finalement, les familles de ces patients disent
03:26nous, on ne veut plus de ça, on n'a pas signé pour ça.
03:28D'ailleurs, les politiques n'ont eu aucun mandat
03:30pour détruire l'hôpital public.
03:32Et c'est pourtant ce qui se passe actuellement.
03:34Donc, c'est un peu aussi pour ça qu'on a envie de vous demander.
03:36Maintenant, vous en avez parlé justement au début de cette interview.
03:38Les solutions, qu'est-ce qui peut être apporté ?
03:41Qu'est-ce qui peut être fait ?
03:42Qu'est-ce que vous attendez vous aussi en tant que personnel hospitalier ?
03:45Alors, ce qu'on attend, c'est d'une part que les fameux ratios.
03:49Maintenant, tout le monde sait ce que c'est, c'est-à-dire l'adéquation
03:51entre le nombre de...
03:52Alors, ces ratios, c'est quantitatif, mais c'est qualitatif.
03:55C'est l'adéquation entre le nombre de patients et le nombre de médecins.
03:59Non, pas que de médecins, de soignants en général,
04:01c'est-à-dire également d'infirmières, d'aides-soignants,
04:03qui soient garantis par l'État.
04:04C'est le cas actuellement dans les services de réanimation.
04:07Ce n'est pas le cas dans les autres services.
04:09Il y a une proposition de loi qui date maintenant de deux ans,
04:11qui a été adoptée...
04:13Enfin, le principe de la présenter à l'Assemblée nationale
04:16a été adopté à 85 % par les sénateurs.
04:19On attend que les députés s'en emparent et proposent cette loi.
04:24Donc, vous connaissez les difficultés actuellement à l'Assemblée nationale.
04:27Je voudrais juste dire...
04:28Pas qu'à l'Assemblée nationale, d'ailleurs.
04:29Non, non, mais je voudrais juste dire que, par exemple,
04:32ça n'est qu'un exemple, mais Lucie Castex est tout à fait d'accord
04:35pour proposer cette proposition de loi lors de la prochaine mandature.
04:40Donc, on ne peut pas dire qu'il n'y ait pas des politiques qui s'engagent.
04:43Il y en a qui s'engagent.
04:44Le problème maintenant, c'est que ça passe dans les faits.
04:47Et il ne vous aura pas échappé que Lucie Castex n'est pas encore Premier ministre
04:50et ne le sera peut-être pas.
04:51Non, mais sinon, ça peut être repris dans la niche parlementaire
04:54d'autres groupes parlementaires.
04:55Nous, ce qu'on veut, c'est que ça avance,
04:57parce que chaque jour qui passe est un jour de trop pour les patients.
05:01Et ça, c'est une espèce d'épidémie silencieuse,
05:04de destruction du système de soins.
05:06C'est vrai pour les urgences, et on en parle tout le temps des urgences,
05:09mais les urgences, ça n'est que la partie émergée de l'iceberg.
05:12De la même façon que les morts illégitimes sont la partie émergée de l'iceberg.
05:16On meurt illégitimement à l'hôpital en France aujourd'hui.
05:19Mais je pense que ne pas le dire, ce serait faire un mensonge par omission.
05:23Bien sûr que oui.
05:25Est-ce que c'est une fatalité ? Bien sûr que non.
05:27Donc, il y a vraiment des choses à faire.
05:29C'est grave ce que vous dites.
05:30Ça veut dire qu'il y a des gens qui vont à l'hôpital pensant être soignés
05:33et qui meurent alors qu'ils ne devraient pas mourir.
05:35Oui, mais ça, si vous voulez, c'est une notion qu'on n'aime pas voir,
05:38de la même façon qu'on n'aime pas se projeter personnellement
05:41dans le fait qu'on va être malade un jour.
05:43Ou qu'il va y avoir un feu et les pompiers, ils sont là,
05:47même quand il n'y a pas de feu, parce qu'ils sont prêts à intervenir.
05:50Et il faut vraiment qu'il y ait des équipes pour ça.
05:53Et des équipes, vous savez, former une équipe de soins,
05:56ça demande beaucoup de temps.
05:57La stabiliser également, la détruire, ça prend quelques semaines à quelques mois.
06:01Et ce phénomène de cinétique n'a pas été pris en compte depuis le début.
06:06Donc, encore une fois, on appelle de nos voeux des changements drastiques.
06:10Ça veut dire des ratios, ça veut dire bien sûr des salaires.
06:13Il y a eu un petit progrès, mais on est encore très à la traîne
06:15par rapport aux autres pays européens.
06:17Il faut le savoir.
06:18Et puis, également, un changement de gouvernance,
06:20c'est-à-dire que depuis la loi HPST,
06:23vous savez que c'est une direction administrative
06:26qui a le final cut sur toutes les décisions.
06:28Et on a mis à la poubelle les mandarins.
06:32On avait peut-être raison parce qu'il y avait beaucoup d'excès,
06:35mais dans le même temps, on a mis à la poubelle
06:37la structuration d'une équipe de soins.
06:39On est maintenant dans des techniques de management,
06:41de mutualisation des moyens qui font fi
06:44de ce qui est le cœur du métier, la qualité des soins.
06:46Et le plus grave dans tout ça,
06:48c'est qu'on a dégoûté toute une génération de soignants.
06:51Il y a actuellement 100 000 infirmières qui sont formées,
06:54qui pourraient être à l'hôpital et qu'on choisit de se sauver
06:57parce que quand on ne propose pas de solution collective
07:00de qualité au travail, les gens la jouent perso.
07:03Et c'est ce qui se passe avec l'intérim.
07:05Et cet article que je viens de vous montrer rapidement,
07:07qui date du 19 août, montre très bien
07:09qu'il y a la quantité et la qualité.
07:11Et le fait d'avoir des équipes qui ont essentiellement
07:14des intérimaires et pas ce que j'appelle des tauliers,
07:19parce qu'il faut des équipes, dans les équipes de soins,
07:21il faut des tauliers, des gens qui ont l'expertise,
07:23l'habitude, etc., eh bien, il y a des conséquences
07:26sur un critère dur d'études en santé publique.
07:29Et on peut faire confiance aux Anglais pour faire
07:31de la santé publique, qui est la mortalité
07:33quand on est hospitalisé.
07:35– Et une question, vous parlez de ces équipes d'hospitaliers,
07:37vous parlez de cette génération actuellement,
07:39mais il y a les futures générations aussi.
07:41Une question sur ces internes, moins 1510 postes
07:44par rapport à 2023.
07:46Les internes, on le rappelle, constituent 40%
07:48du personnel médical à l'hôpital.
07:50On en pense quoi aussi de ça ?
07:53– Alors, je ne suis pas sûr qu'il faille lier
07:55complètement les deux thèmes, mais il y a des points communs.
07:58Ce qui est sûr, c'est que ça ne va pas faciliter
08:00le travail dans les hôpitaux en général.
08:02C'est très conjoncturel, parce que ça,
08:05ça ne va durer qu'une année.
08:07Ils vont être renversés dans les promotions ultérieures.
08:10Il y a eu une grande défiance des étudiants,
08:13qui n'ont pas du tout eu confiance dans le fait
08:16que cette réforme soit prête.
08:18Ils ne voulaient pas faire partie de la génération
08:20sacrifiée du crash test.
08:22Je ne vais pas épiloguer pour savoir s'ils ont eu raison
08:24d'avoir peur ou pas, ce n'est pas le sujet.
08:26Non, par contre, on peut se poser d'autres questions.
08:28Justement, ces jeunes médecins, ces jeunes infirmières,
08:30comment on maintient le feu sacré ?
08:32– Comment on les fait rester à l'hôpital ?
08:34– Oui, comment on leur fait choisir l'hôpital ?
08:36Comment on les fait rester ?
08:38Et il faut prendre en compte quelque chose
08:40qui est très important, c'est que ces métiers du soin
08:42ont été basés sur des motivations sacrificielles.
08:45Et ça n'est plus le cas, et ça ne veut pas dire
08:48qu'on choisisse ce type de métier par hasard.
08:51Donc, il faut maintenant prendre conscience du fait
08:53qu'effectivement, la vie personnelle, c'est important
08:56pour ces métiers-là. Il y a un gros niveau de stress.
08:59Donc, organisons-nous pour avoir des équipes en nombre
09:02et fidélisons, et surtout, maintenons l'expertise
09:06dans ces équipes, parce que c'est ça qui est le plus important.
09:10Et je ne sais pas comment le dire autrement.
09:12En tout cas, je peux dire une chose, c'est que cette notion
09:14que j'essaye de faire passer, et je ne suis pas le seul,
09:16tout notre collectif interhôpitaux le fait en permanence,
09:18elle n'a absolument pas impacté les décisions gouvernementales
09:23depuis au moins cinq ans.
09:25On a eu beaucoup de promesses. En fait, il ne s'est rien passé
09:28dans les faits, et je crois vraiment que l'effet de seuil
09:32pour changer une situation, il ne faut pas mégoter,
09:35c'est quelque chose dont il faut prendre confiance.
09:37Et c'est un changement, on le comprend en vous écoutant,
09:40qui passe forcément par des décisions politiques.
09:44Est-ce que vous êtes candidat pour devenir ministre de la Santé ?
09:49Celle-là, je ne l'attendais pas, cette question.
09:51Mais pour l'instant, je vous la pose.
09:53Non, je ne suis pas candidat.
09:55Si Lucie Castex est nommée à Matignon et qu'elle vous appelle,
09:57vous refuserez d'être ministre de la Santé ?
09:59Oui, bien sûr, parce que j'ai dans le collectif interhôpitaux
10:02des gens beaucoup plus efficaces et compétents que moi dans le domaine.
10:06Mais par contre, on aura des vraies propositions,
10:08et on ne refusera pas de mettre les mains dans le cambouis.
10:12C'est bien joli de parler, mais il y a un moment où il faut agir,
10:16et quand on prône des solutions, il faut les mettre en œuvre.
10:18Rapidement, est-ce que le système français est toujours
10:20le meilleur du monde, comme on l'a souvent dit ?
10:22Non, je pense qu'on ne peut plus dire les choses comme ça.
10:24Mais par contre, on sait ce qu'il faut pour qu'il le redevienne,
10:28parce que finalement, le système n'est pas encore cassé.
10:30Juste un dernier point, il y a quand même une phrase qu'il faut méditer,
10:35qui est celle de l'actuel chef de l'État, qui a dit, vous savez,
10:40c'est très difficile de changer, de réformer un système
10:44tant qu'il n'a pas été totalement détruit.
10:46Est-ce qu'il faut conclure de ça que la destruction
10:49de l'hôpital public à la française est un objectif du chef de l'État ?
10:54J'espère que non, mais encore une fois, il y a des tas de raisons
10:57d'être inquiets.
10:58Merci beaucoup.
10:59À vous, François Salakas.
11:00On le rappelle, vous êtes neurologue à la Pitié-Salle-Pétrière,
11:02mais aussi membre du collectif Inter-Hôpitaux.
11:05Et puis, on va partir en pause.
11:07Merci beaucoup d'avoir été avec nous.
11:08À tout de suite.

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