Sous le nuage d’Hiroshima

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Sous le nuage d’Hiroshima

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00:00Sur l'île de Tinian, en plein cœur du Pacifique, se prépare une opération qui va marquer la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
00:09Dans le plus grand secret, une arme totalement nouvelle est chargée à bord d'un bombardier B-29.
00:14D'une longueur de 3,5 mètres et d'un poids supérieur à 4 tonnes, son coût est estimé à 2 milliards de dollars.
00:21Sa fabrication a impliqué près de 140 000 personnes.
00:24La soute se referme sur Little Boy, la première bombe atomique de l'histoire de l'humanité.
00:31Le combat est un des plus grands de l'histoire.
00:35Le combat est un des plus grands de l'histoire.
00:38La soute se referme sur Little Boy, la première bombe atomique de l'histoire de l'humanité.
00:48À 2 heures du matin, un équipage d'élite embarque à bord de l'Enola Gay.
00:58Le colonel Paul Tibetz ne connaît pas encore sa destination.
01:03L'une des cibles potentielles est Hiroshima, à l'ouest du Japon.
01:07Avec cet ultime assaut, les Américains prétendent mettre fin à la guerre qui les oppose au Japon, allié de l'Allemagne nazie.
01:14Pour l'Empire du Soleil Levant, Hiroshima est une base logistique de premier ordre, un centre de garnison qui compte près de 40 000 soldats.
01:24Dans une ville décimée par le feu nucléaire, un homme, Yoshito Matsushige, va fixer sur la pellicule les instants qui ont suivi l'explosion.
01:32Grâce à ces photos, nous allons découvrir pour la première fois l'enfer que les témoins de cette tragédie ont vécu sous le nuage d'Hiroshima.
02:03Ce lundi 6 août 1945 à Hiroshima, une belle journée commence pour les 350 000 habitants.
02:10C'est l'heure de pointe. Les tramways se remplissent, les enfants sont sur le chemin de l'école.
02:15J'étais au deuxième étage de la poste. On a ouvert toutes les fenêtres qui donnaient sur la rue du tram en se disant « Quelle belle journée ! »
02:32Le matin, je prenais mon petit déjeuner dans mon restaurant habituel. J'allais partir et trois camarades d'école sont entrés.
02:44Je n'étais pas en vacances cet été-là.
02:50Comme presque tous les jours, l'alerte aérienne a retenti vers 7 heures. Mais la vie quotidienne avait rapidement repris son cours.
02:58À Hiroshima, apercevoir des bombardiers survoler la ville n'a rien d'exceptionnel. Et personne ne s'inquiète du B-29 qui fend le ciel.
03:13C'était un jour clair et ensoleillé. Des B-29 volaient très haut. Le ciel était dégagé. Ils étaient argentés et très élégants.
03:22Je marchais vers Sendamachi et soudain, il y a eu un boum !
03:31Et tout à coup, une énorme boule de feu est entrée par la fenêtre.
03:36Je me suis accroupi en essayant de protéger mes yeux et mes oreilles.
03:43C'était au-dessus de l'hôpital Tsushiya. J'ai vu la bombe tomber.
03:51À 8h15, Little Boy explose à 580 m au-dessus d'Hiroshima. Ce point s'appelle l'hypocentre. Un flash illumine le ciel.
04:02Les êtres vivants, transpercés par les ondes radioactives, meurent instantanément. La sensation de douleur n'a même pas le temps d'arriver jusqu'au cerveau.
04:11La réaction en chaîne continue et une gigantesque boule de feu se forme.
04:18En son centre, la température avoisine les 6000°C, la température à la surface du soleil.
04:25Les victimes sont carbonisées et se volatilisent sous l'effet de la chaleur.
04:30Puis, une onde de choc balaie la ville d'un souffle destructeur à la vitesse de 1600 km à l'heure.
04:37Cette onde de choc tue elle aussi et détruit 60 000 habitations et bâtiments.
04:48Dans un tourbillon de vent, de vapeur d'eau et de particules radioactives, un nuage en forme de champignon s'élève à une hauteur de plus de 100 m.
04:57Ce champignon s'élève à une hauteur de plus de 12 km au-dessus d'Hiroshima.
05:04Je n'ai pas vu le champignon, j'étais dessous.
05:10Le souffle m'a projetée, j'avais encore tous mes papiers dans les mains. Et puis, j'ai perdu conscience.
05:18De toute évidence, j'étais tombé dans les pommes.
05:24Quand je me suis réveillé, je ne pouvais pas voir à 100 m devant moi.
05:35La bombe vient tout juste d'exploser.
05:3970 000 personnes sont déjà mortes.
05:41Sunao Tsuboi et Mitsuko Kouchi sont encore en vie, miraculeusement protégées par un mur ou une personne qui a servi de bouclier.
05:50Dans un rayon de 3 km, la ville est rasée à plus de 90%.
05:55Un incendie gigantesque fait rage. Un nuage suffocant emprisonne Hiroshima.
06:03Il faisait si noir que je ne voyais presque plus le visage de ma femme.
06:07Mais comme elle me tenait la main, j'ai réalisé que le bombardement ne nous avait pas tués, ni ma femme, ni moi.
06:14Yoshito Matsushige a 32 ans.
06:17Il est photographe et travaille pour le journal local Shigoku Shinbun.
06:22Dès le début de la guerre, il est incorporé au sein de l'unité des reporters militaires.
06:28Quand la bombe explose, il est envoyé à l'hôpital.
06:31Là où le souffle était passé, il y avait un grand trou sur le mur du rez-de-chaussée, jusqu'au premier étage.
06:37Et le séjour était plein de débris.
06:40Parmi les décombres, il y en avait un de plus grand.
06:44Il n'y avait pas d'eau.
06:47Il n'y avait pas d'eau.
06:50Il n'y avait pas d'eau.
06:53Il n'y avait pas d'eau.
06:56Il n'y avait pas d'eau.
06:58ça était très très peu et c'était plein de débris.
07:02Parmi les décombres, j'ai retrouvé l'appareil photo et les vêtements fournis par le commandement.
07:07Je me suis préparé et je suis sorti de la maison.
07:16Yoshito veut se rendre dans le centre-ville,
07:19mais dehors on ne trouve que des gravats, des cadavres carbonisés et quelques blessés à gare.
07:24sans dire en tout déplacement impossible.
07:28Ils rebroussent alors chemin
07:30et prennent la direction du pont Miyuki.
07:40La scène était si cruelle
07:42que je n'arrivais pas à appuyer sur le déclencheur.
07:46J'ai hésité une vingtaine de minutes.
07:50J'ai enfin pris une première photo.
07:52Je me suis approché à 4 ou 5 mètres
07:54pour en prendre une seconde.
07:58Mes larmes ont alors embrumé le viseur.
08:00Je m'en souviens encore aujourd'hui.
08:02C'était vraiment l'enfer.
08:10Voici les deux photos prises par Yoshito Matsushige
08:12sur le pont Miyuki,
08:14ce lundi 6 août 1945,
08:16seulement trois heures après le bombardement.
08:22C'est le seul témoignage
08:24qui montre aussi distinctement
08:26les victimes de la première bombe atomique
08:28de l'histoire de l'humanité.
08:32Sur le pont, il réalise après coup
08:34la chance qu'il a d'être si peu touché
08:36tant l'explosion a été dévastatrice.
08:38Il écrira dans ses mémoires
08:40que sa mission était d'être là
08:42à cet instant précis.
08:46Tous les yeux des blessés
08:48étaient braqués sur moi.
08:50Il m'a semblé qu'il voulait que je dise
08:52au monde entier dans quelle situation il se trouvait.
08:54Était-ce cruel de les photographier
08:56ou au contraire
08:58était-ce la chose la plus juste à faire ?
09:00J'étais tiraillé entre ces deux sentiments.
09:06Les photos de Matsushige
09:08conservées ici,
09:10au siège du journal Shigoku Shimbun
09:12à Hiroshima,
09:14n'auraient jamais dû exister.
09:16Au Japon, pendant la seconde guerre mondiale,
09:18photographier des événements démoralisants
09:20pour le peuple était un délit.
09:24Diffusées à l'insu des autorités,
09:26ces photos interdites,
09:28dont les négatifs étaient sérieusement détériorés,
09:30ont failli disparaître.
09:34Mais dans les années 70,
09:36une restauration minutieuse
09:38leur a permis de sortir de l'oubli.
09:46Sur le pont Miyuki,
09:48qu'ont vraiment vécu tous ces gens ?
09:52Qui sont-ils ?
09:54De quoi se souviennent-ils ?
09:56Rares sont les écrits qui existent à ce sujet.
10:00Les blessés photographiés par Yoshito Matsushige
10:02ont été identifiés.
10:04Peu d'entre eux sont encore en vie,
10:06la moyenne d'âge est supérieure à 80 ans.
10:08Il n'en reste que deux.
10:10Mais plus de dix autres témoins oculaires
10:12de la scène ont pu aussi être retrouvés.
10:16Pour mener à bien
10:18cette investigation inédite,
10:20une équipe de spécialistes a fait appel
10:22aux moyens technologiques les plus modernes.
10:26On respecte ce que les témoins ont dit.
10:30En numérisant les clichés,
10:32certains détails sont apparus.
10:36Ce qui était invisible à l'œil nu
10:38est devenu visible,
10:40comme ces corps allongés à même le sol.
10:46Ou ce parapet qui a disparu,
10:48soufflé par l'explosion.
10:54Par un procédé de modélisation
10:56en trois dimensions,
10:58et grâce à quelques témoignages,
11:00il est devenu alors possible
11:02de redonner vie à ces clichés
11:04pour mieux comprendre
11:06ce qui s'est réellement passé
11:08au cœur du nuage d'Hiroshima.
11:16L'Histoire du nuage d'Hiroshima
11:20L'Histoire du nuage d'Hiroshima
11:44Hiroshima,
11:46qui signifie l'île large en japonais,
11:48est une ville située au bord de l'océan Pacifique.
11:52La rivière Ota s'y déploie en de nombreux bras.
11:54Hiroshima,
11:56une ville posée sur les flots.
11:58Mais quand il fait si chaud,
12:00et que l'eau devient bouillante,
12:02comment s'échapper d'un tel piège ?
12:04Au cours de cette tragédie,
12:06le pont Miyuki a joué un rôle très important
12:08dans la vie des survivants.
12:10Il se trouve juste à la limite
12:12des grands incendies provoqués par la bombe
12:14à 2300 mètres de l'hypocentre.
12:18Ce jour-là,
12:20c'est un point de passage obligé
12:22pour survivre.
12:28Sur le pont Miyuki,
12:30les deux photos de Matsushige
12:32sont un véritable monument.
12:36Le moment est venu
12:38pour ces deux clichés
12:40de livrer leurs secrets.
12:42Quand les rescapés arrivent
12:44sur le pont Miyuki,
12:46ils portent tous les stigmates
12:48de l'expérience qu'ils viennent de vivre.
12:50La jeune fille,
12:52à côté du petit garçon,
12:54semble avoir les cheveux grillés.
12:58Celle-ci a les vêtements en lambeaux.
13:06Sur le côté,
13:08ils sont nombreux à être pieds nus.
13:10Ont-ils fui ainsi,
13:12sans chaussures,
13:14ou les ont-ils perdus en chemin ?
13:18Si on place les deux photos côte à côte,
13:20on voit qu'une personne est présente
13:22sur les deux clichés.
13:26C'est une jeune fille
13:28en uniforme d'écolière.
13:32Cette fille de dos,
13:34c'est Mitsuko Kouchi.
13:36En 1945,
13:38elle a 13 ans.
13:40Elle étudie dans une école de filles d'Hiroshima.
13:42Elle se trouve à 1600 m
13:44de l'hypocentre.
13:46Aujourd'hui,
13:48elle est âgée de plus de 80 ans.
13:50Elle vit toujours à Hiroshima.
13:52Madame Kouchi n'a rien oublié
13:54de ce qu'il s'est passé ce lundi 6 août 1945.
14:00Sur la photo,
14:02elle porte le foulard
14:04que lui a offert son cousin
14:06mais ce n'est pas l'uniforme classique
14:08des élèves d'Hiroshima.
14:10Sa manche est déchirée
14:12et elle saigne abondamment.
14:16Mon amie s'est écroulée sur moi,
14:18elle m'a dit,
14:20Mitsuko, ma tête,
14:22je suis blessée.
14:24Je l'ai regardée,
14:26elle était couverte de sang.
14:30Quand la bombe explose,
14:32Madame Kouchi n'est pas à l'école.
14:34Elle est conditionnée pour travailler à la poste.
14:36L'onde de choc frappe l'édifice.
14:38Il résiste
14:40mais les vitres volent en éclats.
14:42Les morceaux de verre blessent grièvement
14:44Madame Kouchi et ses amis.
14:50Le bâtiment se trouve au cœur de la zone
14:52des gigantesques incendies provoquées par la bombe.
14:54Les six jeunes filles fuient.
14:56Sévèrement brûlées,
14:58elles arrivent au pont Miyuki.
15:00Mitsuko Kouchi est sidérée
15:02par la voix.
15:06Personne ne parlait.
15:08Tout le monde était silencieux,
15:10allongé sur le sol,
15:12face contre terre.
15:14Certains pleuraient de douleur.
15:16Tous ressemblaient à des monstres.
15:18D'autres avaient le visage brûlé.
15:20C'était terrible à voir.
15:24Les gens ne ressemblaient plus à des humains.
15:26Ils étaient couverts de sang.
15:32Les peu vêtus se retrouvaient tous nus.
15:36Partout, les rescapés étaient en noirci de brûlure.
15:38Les vêtements en lambeaux.
15:42Ils devaient être un peu gênés par cette situation.
15:44Mais ce n'était pas le moment
15:46de faire preuve de pudeur.
15:52Pour la fillette de 13 ans,
15:54le pont Miyuki est l'antichambre de l'enfer.
15:56Ce que Madame Kouchi
15:58s'apprête à révéler aujourd'hui,
16:00elle le garde au plus profond d'elle-même
16:02depuis plus de 70 ans.
16:08Il y avait une femme
16:10qui portait un enfant.
16:12Elle avait des couettes.
16:14Je suppose que c'était la grande soeur de l'enfant.
16:18Elle criait et tournait autour de moi
16:20en tenant l'enfer carbonisé
16:22dans ses bras.
16:26J'avais tellement de peine.
16:28L'enfant était mort.
16:44Elle criait un nom.
16:46Le nom de l'enfant, j'imagine.
16:48Et répétait « Réveille-toi ! Réveille-toi ! »
16:50Bien sûr, le bébé ne s'est jamais réveillé.
16:54Ce qu'on voyait, c'était un corps
16:56totalement carbonisé.
17:10Depuis, Madame Kouchi
17:12pense chaque jour à cette femme et à son enfant mort.
17:14Elle se reproche
17:16de ne pas avoir eu un geste pour elle.
17:26La confusion la plus totale
17:28règne sur le pont Miyuki.
17:30La bombe a explosé depuis plus de 3 heures maintenant.
17:32Des blessés se pressent
17:34et veulent traverser pour fuir
17:36à la chaleur du centre-ville.
17:38Personne ne sait qu'il s'agit d'une explosion nucléaire
17:40lorsque Yoshito Matsushige
17:42prend ces deux photos.
17:48Je ne me rappelle pas qui était là.
17:50Uniquement que c'est moi,
17:52là, sur la photo.
17:54Je me suis simplement demandé
17:56pourquoi cette personne photographie-t-elle
17:58une scène aussi horrible que celle-là ?
18:00Il y avait un homme en uniforme
18:02avec un appareil photo.
18:08Forcément, ça faisait bizarre de voir
18:10quelqu'un avec ça dans les mains.
18:14Je me souviens, il m'a demandé
18:16« Que s'est-il passé à Hiroshima ? »
18:18Que se passe-t-il ce matin-là
18:20sous le nuage d'Hiroshima ?
18:22Les témoins racontent
18:24que les blessés qui arrivent au pont Miyuki
18:26sont assoiffés.
18:28Certains se jettent dans la rivière
18:30pour se rafraîchir
18:32et apaiser leur douleur.
18:34Mais ils sont tellement épuisés
18:36qu'ils se noient.
18:38L'OTA se remplit de cadavres
18:40tandis que sur le pont,
18:42tous attendent.
18:44Mais qu'attendent-ils ?
18:46L'homme au calot devant Madame Koichi,
18:48que fait-il ?
18:50Et celui-là,
18:52pourquoi se touche-t-il les pieds ?
18:56Quant à ce bidon,
18:58que contient-il ?
19:02Sur le pont, un homme a été photographié.
19:04Il relève la tête,
19:06il a le crâne rasé.
19:08Lui aussi semble attendre quelque chose.
19:10C'est Monsieur Tsuboi.
19:12Il est le deuxième protagoniste
19:14photographié encore vivant.
19:16Son témoignage est précieux
19:18car il sait exactement
19:20ce que chaque personne fait
19:22sur le pont Miyuki.
19:26Le visage de Monsieur Tsuboi
19:28conserve les traces du 6 août 1945.
19:30Il a alors 20 ans.
19:34Ce jour-là,
19:36après avoir pris son petit déjeuner
19:38avec des amis,
19:40il marche dans la rue.
19:42Monsieur Tsuboi se trouve à 1200 m
19:44de l'hypocentre
19:46quand la bombe explose.
19:48Elle lui irradie le visage.
19:50Il a le dos en sang
19:52et cherche à se faire soigner.
19:54Il marche dans les rues.
19:56Il croise un homme qui tient
19:58ses intestins dans la main.
20:00Un autre, à l'œil qui pend.
20:04Devant l'horreur du spectacle,
20:06il renonce à rejoindre l'hôpital
20:08sur le pont Miyuki.
20:10Monsieur Tsuboi nous apprend
20:12que beaucoup de blessés
20:14arrivent là pour soigner leur brûlure.
20:18Ils avaient apporté
20:20de l'huile de colza.
20:22C'était de l'huile comestible.
20:26Comme ce n'était pas possible
20:28d'appliquer l'huile sur chaque personne,
20:30tout le monde se badigeonnait
20:32n'importe comment en mettant
20:34les bras dans le seau.
20:36Un remède utilisé comme soin d'urgence
20:38dans les cas de brûlure.
20:42Au premier plan,
20:44l'homme au calot qui porte un uniforme
20:46est un membre de la sécurité civile.
20:48Ce sont eux qui sont chargés
20:50d'enduire les blessés d'huile,
20:52raconte Monsieur Tsuboi.
20:56À l'arrière-plan,
20:58un autre homme en uniforme
21:00de couleur plus claire.
21:02Lui aussi travaille à cette tâche démesurée
21:04en poste provisoire de secours.
21:10Devant l'ampleur de la tâche,
21:12l'huile de colza vient malheureusement
21:14à manquer très rapidement.
21:16Pour remplacer le précieux liquide,
21:18on utilise une huile de vidange
21:20épaisse et sombre
21:22qui provient de l'entrepôt de trains voisins.
21:26On leur a apporté ça
21:28parce que c'était quand même de l'huile.
21:30Ils s'en sont mis partout.
21:32Mais leur visage devenait encore plus noir.
21:34Ils ressemblaient vraiment à des monstres.
21:36Mais ces soins ne suffisent pas.
21:40Au milieu de cet hôpital de fortune,
21:42certains n'ont plus de force
21:44et sont sur le point de renoncer à la vie.
21:50Dans un coin, une fillette se recroqueville
21:52sur elle-même.
21:54Ses bras sont très sévèrement brûlés.
21:56Elle est exténuée par la douleur.
21:58Ailleurs,
22:00des jambes révèlent des corps allongés,
22:02des blessés au seuil de la mort,
22:04épuisés d'avoir trop lutté.
22:16Il n'y avait plus rien à faire.
22:18Ceux qui devaient mourir mouraient.
22:20Ceux qui devaient survivre survivaient.
22:22Sur le pont Miyuki,
22:24Tsuboi sent sa dernière heure arrivée.
22:26Il est inquiet car ses papiers d'identité
22:28ont brûlé.
22:30S'il meurt,
22:32comment pourra-t-on identifier son corps ?
22:34Comment pourra-t-il être rendu
22:36à ses parents ?
22:38Sous le regard des blessés agonisants,
22:40il grave un message sur le pont
22:42à l'aide d'un caillou.
22:48J'ai pensé que c'était un message
22:50pour mes parents.
22:52J'ai pensé que ma vie
22:54allait s'arrêter à 20 ans.
22:56J'ai eu un sentiment de grande solitude.
22:58J'étais persuadé que personne
23:00n'allait m'aider.
23:02Alors j'ai écrit
23:04« Tsuboi est en train de mourir ici ».
23:16Solitude ?
23:18Peut-être que futilité
23:20serait un meilleur mot.
23:26Nous étions à peine capables
23:28de bouger nous-mêmes.
23:30Alors que pouvions-nous faire
23:32pour les inconnus écroulés par terre ?
23:34Ceux qui agonisaient criaient
23:36« Maman ! Papa ! »
23:38Et puis ils mouraient.
23:40Beaucoup de gens sont morts sur le pont Miyuki.
23:48Beaucoup sont venus chercher
23:50de l'aide, des soins,
23:52du réconfort sur le pont.
23:54Mais la plupart y ont trouvé la mort.
24:00En cet été 1945,
24:02les enfants sont envoyés
24:04loin de la ville
24:06par crainte des bombardements.
24:08Les plus jeunes sont partis les premiers.
24:14Pourtant, sur les photos
24:16de Yoshito Matsushige,
24:18beaucoup de blessés
24:20semblent être des enfants,
24:22à peine des adolescents.
24:28Ici on voit une jeune fille
24:30aux cheveux longs
24:32et à côté d'elle
24:34un garçon au crâne rasé.
24:38Le long de l'ancien parapet,
24:40ces filles et ces garçons
24:42ne portent-ils pas
24:44la même couleur ?
24:48Et à l'arrière-plan,
24:50que fait cet enfant,
24:52seul et torse nu ?
24:54Les enfants d'Hiroshima
24:56se sont-ils donnés rendez-vous
24:58sur le pont Miyuki ?
25:02Je ne me souviens pas
25:04qui était assis à côté de moi.
25:06Ils avaient l'air d'écoliers,
25:08d'écolières.
25:10Ils portaient des cartables.
25:12Ils devaient être en sixième
25:14ou cinquième.
25:24Mitsuo Kodama,
25:26alors âgé de 13 ans,
25:28se souvient avec émotion
25:30de tous ces enfants
25:32qui étaient en classe avec lui
25:34et qui n'ont pas eu le temps
25:36de grandir.
25:38La bombe explose
25:40à seulement 870 mètres
25:42de son école.
25:44Comme tous ses camarades,
25:46il est très fortement irradié
25:48et s'évanouit.
25:50Néanmoins, la présence
25:52d'établissements scolaires
25:54tout près de l'explosion
25:56n'explique pas à elle seule
25:58le grand nombre d'enfants
26:00sur le pont Miyuki.
26:02Les enfants qui avaient
26:04un an de plus que moi
26:06se sont retrouvés
26:08à l'établissement.
26:12Le Japon est en guerre
26:14et les hommes sont partis au front.
26:16À l'arrière, on s'organise.
26:18La vie doit suivre son cours.
26:20Vers 12 ou 13 ans,
26:22les adolescents sont réquisitionnés
26:24pour toutes sortes de tâches.
26:26Les jeunes filles participent
26:28aussi à l'effort de guerre
26:30en travaillant à la poste
26:32ou comme conductrice de tramway.
26:34Une tâche plus importante
26:36et plus dangereuse
26:38occupe les jeunes gens d'Hiroshima.
26:42Pour éviter les incendies
26:44provoqués par les bombardements,
26:46on démolissait des bâtiments
26:48pour qu'ils soient plus espacés
26:50les uns des autres.
26:52Ça ne servait pas à grand-chose.
26:54Réquisitionnés par l'armée,
26:56ces adolescents récupèrent
26:58aussi les pierres des bâtiments
27:00pour en faire des barricades
27:02pour les défendre.
27:04Quand la bombe explose,
27:06ils sont plus de 8 000
27:08dans un rayon de 2 km.
27:10Beaucoup d'étudiants étaient mobilisés.
27:1260 % de ceux qui, comme moi,
27:14se trouvaient dans un rayon
27:16de 1 000 m autour de l'hypocentre
27:18sont morts.
27:20Le professeur Keiko Otani
27:22travaille depuis plusieurs années
27:24sur la pyramide des âges
27:26des victimes de la bombe d'Hiroshima.
27:28Grâce à ses études,
27:30on peut confirmer les témoignages
27:32des survivants et les observations
27:34faites sur les photos
27:36de Yoshito Matsushige.
27:38Sur l'ensemble des victimes
27:40d'Hiroshima le 6 août,
27:42il y a 22 % d'adolescents,
27:44principalement âgés de 13 à 14 ans.
27:50Quand vous voyez sur ce diagramme
27:52que tant d'enfants d'innocents sont morts,
27:54c'est difficile de ne pas penser
27:56à l'horreur de la scène
27:58de ce qui s'est passé.
28:04Le 6 août au matin,
28:06Madame Shiyoko Kuwabara,
28:08alors âgée de 13 ans,
28:10participe aux travaux de démolition.
28:12Elle a mal à l'estomac
28:14et se repose sous un arbre
28:16quand la bombe explose.
28:18Grievement blessée au visage,
28:20elle fuit avec deux de ses camarades
28:22en direction du pont Miyuki.
28:24Là, elle y retrouve
28:26ses enfants.
28:28Nous étions des enfants.
28:30Tout ce qu'on voulait,
28:32c'était rentrer chez nous.
28:34On ne pensait qu'à rentrer
28:36à la maison.
28:40Sur le pont,
28:42les enfants, qui ne savent pas
28:44où aller, attendent eux aussi.
28:48Je n'oublierai jamais
28:50ce que nous avons traversé.
28:56Ils ne sont qu'une poignée,
28:58comme Shiyoko, à être arrivés
29:00jusque-là, sains et saufs.
29:06Je pleure quand je pense à eux,
29:08en train d'attendre leur famille.
29:10J'ai toujours tellement de chagrin.
29:12Pour ces enfants,
29:14la vie ne tient qu'à un fil.
29:16Mais atteindre le pont
29:18ne suffit pas.
29:20Encore faut-il obtenir
29:22de l'aide.
29:28Pour les militaires,
29:30il est hors de question
29:32que le Japon puisse
29:34les soutenir.
29:36Pour les militaires,
29:38il est hors de question
29:40que le Japon capitule.
29:42Dans le brasier qui est devenu
29:44Hiroshima, la priorité est
29:46d'abord de sauver les forces
29:48vives capables de continuer
29:50le combat.
30:00Aux abords du pont Miyuki,
30:02le feu géant qui ronge la ville
30:04se rapproche dangereusement.
30:06Pour tous ceux qui fuient,
30:08le pont devient alors
30:10une véritable frontière
30:12entre la vie et la mort.
30:18Les victimes des incendies
30:20arrivent de plus en plus nombreuses.
30:22Grâce aux témoins oculaires
30:24retrouvés, il devient possible
30:26de reconstituer ce qui se passe
30:28juste à la limite du cadre
30:30des photos de Yoshito Matsushige.
30:32Les secours s'organisent,
30:34les brûlés sont emmenés
30:36pour se faire soigner dans les hôpitaux
30:38qui n'ont pas été détruits.
30:42Goro Takushi est un cadet
30:44de l'armée âgé de 22 ans en 1945.
30:46Stationné dans la banlieue
30:48d'Hiroshima, il voit un éclair
30:50lumineux très violent embraser le ciel
30:52et entend un énorme bruit sourd.
30:54Une demi-heure plus tard,
30:56il part avec une centaine d'autres militaires
30:58pour organiser l'évacuation des victimes.
31:00Arrivé au pont Miyuki,
31:02les ordres qu'il a reçus
31:04le déstabilisent.
31:10Il m'a ordonné d'aider en priorité
31:12les militaires.
31:14Les femmes et les enfants
31:16n'étaient pas importants.
31:18Les enfants, les femmes
31:20et les personnes plus âgées
31:22étaient considérées comme des êtres faibles.
31:24Seuls les hommes devaient être évacués.
31:26Sous l'œil des blessés
31:28à Bazourdi
31:30qui attendent sur le pont,
31:32les évacuations commencent.
31:38Les jeunes soldats
31:40étaient indispensables
31:42pour continuer la guerre.
31:44Je pense que c'est pour ça
31:46que cet ordre a été donné.
31:52Pour gagner la guerre,
31:54il fallait des personnes
31:56capables de tenir une arme.
31:58Les femmes ne savaient pas.
32:00Donc on ne voyait pas l'intérêt
32:02d'aider les femmes et les enfants
32:04tout de suite.
32:06Ils devaient attendre leur tour.
32:08Quand j'ai reçu l'ordre,
32:10j'ai d'abord trouvé sa logique.
32:12Mais la situation sur le pont
32:14m'a ramené à la raison.
32:16Je ne pouvais pas secourir
32:18uniquement les militaires.
32:24Dans le chaos qui règne sur le pont Miyuki,
32:26chacun cherche à survivre.
32:28Une fillette s'approche du camion
32:30et demande de l'aide.
32:38Je me souviens encore de sa voix.
32:40Elle était sévère
32:42et dénuée de toute compassion.
32:44Comme il a hurlé,
32:46elle a eu très peur et s'est mise à pleurer.
32:48Elle était si petite.
32:50Ensuite,
32:52elle s'est mise à courir à toute allure.
32:56Seule et ne sachant où aller,
32:58la fillette repart vers le centre
33:00de la ville en feu.
33:04Ça flambait,
33:06flambait et je voyais
33:08toute la ville se consumer.
33:10Que lui est-il arrivé ?
33:12Elle est morte bien sûr.
33:14Même les adultes ne survivaient pas.
33:16Alors comment une petite enfant
33:18aurait-elle pu ?
33:28Comme la fillette
33:30gravée à jamais dans la mémoire de Tsuboi,
33:32combien d'enfants ont ainsi
33:34disparu ce lundi 6 août
33:36après être passés par le pont Miyuki ?
33:48Rie Kotsuki connaît bien
33:50les deux photos de Yoshito Matsushige.
33:52Depuis sa plus tendre enfance,
33:54elle a grandi avec une étrange certitude,
33:56une certitude ancrée
33:58dans sa famille.
34:02Au second plan,
34:04derrière l'homme
34:06qui étale l'huile de vidange,
34:08un enfant au crâne râle
34:10s'éloigne de son père.
34:12Rie Kotsuki
34:14est une jeune fille
34:16qui a grandi avec son père.
34:20Quand on m'a montré la photo
34:22pour la première fois,
34:24je me suis demandé
34:26comment il pouvait le reconnaître
34:28alors qu'il était de dos.
34:30Mes grands-parents ont entendu
34:32cette question des milliers de fois.
34:34Mais pour toute la famille,
34:36aucun doute n'est possible.
34:38Cet enfant de dos,
34:40c'est l'oncle Akira.
34:42Ses oreilles à la forme si singulière
34:45Il n'a jamais été retrouvé.
34:47Mais un jour,
34:49ma grand-mère est tombée
34:51sur cette célèbre photo
34:53et a reconnu son fils,
34:55Akira,
34:57même de dos.
35:05Akira, le frère du père de Kotsuki,
35:07est à l'école
35:09quand la bombe explose.
35:11Il est seul
35:13et cherche à rentrer chez lui.
35:15Il suit certainement d'autres enfants
35:17et arrive au pont Miyuki.
35:19C'est là que Matsushige
35:21le prend alors en photo.
35:26On le voit bien sur cette photo,
35:28mais pourquoi n'est-il pas revenu ?
35:31Quand un grand nombre de gens
35:33meurent d'un seul coup,
35:35il est impossible de savoir
35:37ce qui s'est passé pour chacun d'entre eux.
35:39C'est la cruauté de la guerre
35:41et de la bombe atomique.
35:59Hiroshima, c'est l'histoire
36:01d'une ville entière rasée
36:03en une fraction de seconde.
36:05C'est l'histoire de milliers de vies
36:07brisées dans leur élan.
36:11C'est l'histoire d'une ville
36:13qui a été détruite par la bombe.
36:25Peu à peu,
36:27grâce aux photos de Yoshito Matsushige,
36:29il devient possible de retracer
36:31le cours des événements
36:33depuis ce lundi matin 8h15.
36:35Mais que sait-on des souffrances
36:37endurées sous le nuage d'Hiroshima ?
36:39Le docteur Arada
36:41est chirurgien à l'hôpital d'Osaka.
36:43Il est également spécialiste
36:45en médecine d'urgence.
36:47Son expertise nous permet
36:49de mieux comprendre
36:51ce que l'on voit sur les photos
36:53de Matsushige.
36:55Les cheveux étaient brûlés,
36:57les vêtements aussi.
36:59Ils devaient donc être brûlés
37:01sur toute la surface de leur corps.
37:03Une série de détails
37:05le frappent d'emblée.
37:09Pour le docteur Arada,
37:11toutes les victimes photographiées
37:13présentent des blessures
37:15caractéristiques de très graves brûlures.
37:17Les parties du corps
37:19surexposées sur les photos
37:21en témoignent.
37:29Ce n'est pas le genre de brûlure
37:31que l'on peut se faire aujourd'hui,
37:33dans la vie quotidienne.
37:35Quand quelqu'un est exposé
37:37au rayon de la bomba,
37:39la peau absorbe le rayon
37:41et dégage la chaleur.
37:45Et les brûlures sont d'autant plus
37:47intenses que les victimes
37:49sont légèrement vêtues en ce jour d'été.
37:51La peau n'est plus protégée
37:53par leurs vêtements.
37:57C'était des brûlures très profondes
37:59et très sérieuses.
38:01C'est une révélation surprenante.
38:13En effet,
38:15lors de l'explosion de la bombe atomique,
38:17la température est telle que les cheveux frisent.
38:19La peau est brûlée en profondeur.
38:21Très vite,
38:23une énorme cloque se forme.
38:25Quand elle explose,
38:27les terminaisons nerveuses
38:29se retrouvent en contact direct
38:31avec l'air.
38:37La douleur que ces gens ont ressentie
38:39est certainement la pire douleur
38:41qu'ils soient donnés de connaître.
38:45Ils disaient,
38:47« Maman, c'est chaud ! »
38:49avec les bras en avant.
38:51Ils marchaient tous comme cela,
38:53comme des morts vivants.
38:55Ils marchaient lentement,
38:57mais ils marchaient.
38:59Je me suis demandé
39:01pourquoi les chiffons sales
39:03étaient suspendus à leurs bras.
39:05En fait, c'était leur peau pelée.
39:07C'est ce que j'ai compris
39:09à l'hôpital.
39:11Leur peau avait pelé
39:13et laissé apparaître une chair
39:15à vif, brûlée.
39:17Elle aussi.
39:21La peau était retournée vers l'extérieur
39:23et du liquide suintait.
39:25Quand on fait cuire du poisson,
39:27la peau sent très mauvais.
39:29C'était la même odeur.
39:33Sur le pont Miyuki,
39:35le père de Madame Koichi
39:37est là aussi.
39:39Il est très grièvement brûlé aux bras
39:41et attend pour être soigné.
39:43Je le tenais par la main
39:45en lui disant, « Ça va ? »
39:47La peau de son bras
39:49a commencé à se détacher.
39:51Sa main.
39:55Sa peau avait entièrement glissé
39:57à la manière d'un gant mouillé.
40:07La brûlure du père de Koichi
40:09est caractéristique des blessures
40:11causées par une arme nucléaire.
40:15La chaleur dégagée lors de l'explosion
40:17brûle tout sur son passage.
40:19Sa puissance est telle
40:21qu'elle imprime la forme des objets
40:23sur le sol ou sur les murs
40:25comme une ombre funèbre.
40:35Les hôpitaux non détruits
40:37sont alors submergés par l'arrivée
40:39de très grands brûlés.
40:41Personne n'avait imaginé
40:43devoir faire face à de tels effets.
40:49Le professeur Asai est physicien.
40:51Comme le docteur Harada,
40:53il a longuement étudié
40:55les conséquences de la bombe atomique.
40:57Lui aussi a remarqué
40:59l'importance des brûlures
41:01parmi les blessures engendrées.
41:05Parmi les données récoltées
41:07par l'armée américaine,
41:09celles sur les brûlures
41:11étaient dissimulées.
41:13Oui, parce que c'était
41:15trop épouvantable.
41:19Si on avait montré ça plus tôt,
41:21la réaction chez les Américains
41:23et dans le monde entier
41:25aurait pu être différente.
41:29Ces souffrances sont tellement
41:31insoutenables que les Américains
41:33préfèrent les passer sous silence.
41:35Pour amortir les énormes
41:37investissements réalisés
41:39par l'armée américaine,
41:41ils souhaitent coûte que coûte
41:43utiliser le nucléaire
41:45pour des applications civiles
41:47sans pour autant effrayer
41:49les populations.
41:51Les études qu'ils font
41:53sur les effets des bombes
41:55atomiques restent très longtemps
41:57confidentielles.
41:59Elles montrent des victimes
42:01de kéloïdes,
42:03une cicatrisation caractérisée
42:05par une excroissance
42:07volumineuse de chair.
42:10Plusieurs rapports
42:12ont démontré qu'en dehors
42:14de la zone atteinte par le souffle
42:16de l'explosion,
42:18le nombre de victimes mortes
42:20de brûlures était plusieurs fois
42:22supérieur au nombre de gens morts
42:24instantanément dans la zone
42:26du souffle.
42:34À 8h15, quand Little Boy
42:36explose, personne ne sait
42:38quelles seront les conséquences.
42:40Oppenheimer, le concepteur
42:42de la bombe, estime le nombre
42:44de morts dès la première seconde
42:46à 20 000. Il y en aura
42:48plus du triple. Le choix d'Hiroshima,
42:50épargné par les bombardements,
42:52est donc pour les États-Unis
42:54un moyen fiable de tester
42:56la puissance destructrice
42:58de cette nouvelle arme.
43:00Quand en septembre 1945,
43:02les scientifiques américains
43:04arrivent au Japon avec l'armée
43:06pour faire un rendu de soins
43:08et prélèvements faits par les médecins
43:10depuis le 6 août.
43:16Pour mieux contrôler l'information,
43:18les Américains créent une commission
43:20en charge des victimes de la bombe atomique,
43:22l'ABCC.
43:24Sous couvert de soigner les habitants
43:26d'Hiroshima, une grande quantité
43:28d'informations est collectée.
43:30En réalité, il s'agit de nourrir
43:32une véritable enquête sur les conséquences
43:34Tout est noté, renseigné, photographié,
43:36archivé et classé top secret.
43:40En dehors de l'enceinte de l'ABCC,
43:42les médecins japonais vivent
43:44sous la surveillance permanente
43:46de la police militaire américaine.
43:48Ils ne doivent pas non plus poser
43:50trop de questions sous peine
43:52de se voir retirer leurs droits
43:54d'exercer.
44:00Dans toute la région d'Hiroshima,
44:02on filme les brûlures occasionnées
44:04par la bombe atomique.
44:22Mais parfois, les images ne suffisent plus.
44:28Le père de Koichi, lui aussi,
44:30se rend à l'ABCC.
44:32Quand il meurt, son fils souhaite
44:34alors récupérer le corps.
44:38À ce moment-là, mon frère m'a demandé
44:40de contacter l'ABCC.
44:42Et j'ai appris que le corps
44:44de mon père était conservé dans le formol.
44:46Il a été disséqué.
45:004 jours après l'explosion,
45:02une maladie étrange sévit.
45:04Vomissement, saignement,
45:06décomposition des chairs,
45:08chute des cheveux.
45:10La peste d'Hiroshima.
45:12Les habitants découvrent
45:14les effets de la peste.
45:16La peste de Hiroshima
45:18est la plus grave
45:20de l'histoire de l'Hiroshima.
45:22La peste de Hiroshima
45:24est la plus grave
45:26de l'histoire de l'Hiroshima.
45:28Les habitants découvrent
45:30les effets de la radioactivité.
45:32Des femmes accouchent prématurément
45:34par dizaines dans les décombres
45:36d'une ville qui brûle encore.
45:38Takushi, le cadet militaire,
45:40les aide à accoucher d'enfants morts-nés.
45:46Mais les nouveau-nés que j'ai vus
45:48n'avaient pas leur couleur normale.
45:50Rosés.
45:52Ils étaient blancs.
45:58Les survivants des bombardements
46:00d'Hiroshima et de Nagasaki
46:02portent un nom.
46:04Hibakusha.
46:06Ils souffrent de brûlures
46:08mais aussi des conséquences
46:10de la radioactivité.
46:12Cancer. Leucémie.
46:14Dans la société japonaise,
46:16Hibakusha est un statut
46:18qui a été spécialement créé
46:20pour bénéficier d'une pension
46:22et de soins gratuits.
46:24Mais très vite,
46:26des femmes accoucheraient de monstres
46:28et les hommes seraient stériles.
46:30Les victimes qui culpabilisent
46:32d'être encore en vie
46:34sont contraintes de se cacher,
46:36de garder pour elles ce terrible secret
46:38sous peine d'être mise à l'écart.
46:40A la douleur de la blessure
46:42s'ajoute la douleur de l'exclusion.
46:46Sur la photo de Matsushige,
46:48une troisième personne
46:50a préféré garder l'anonymat.
46:52Cette femme est encore en vie
46:54mais elle ne veut pas être reconnue.
46:58Je ne voulais pas non plus qu'on me reconnaisse
47:00mais mon frère a insisté
47:02car notre père est sur la photo.
47:10Pour que leurs enfants et petits-enfants
47:12ne soient pas à leur tour stigmatisés,
47:14les Hibakusha ont longtemps
47:16préféré se taire.
47:20Les gens du pont Miyuki
47:22voulaient mourir en paix
47:24et faire comme si la bombe
47:26n'était jamais venue bouleverser leur vie.
47:48Entre désir d'oublier pour les uns
47:50et désir de se souvenir pour les autres,
47:52tous les matins, une cloche retentit
47:54dans les rues d'Hiroshima
47:56à l'heure exacte à laquelle Little Boy a explosé.
47:58Et tous les 6 août,
48:00à 8h15,
48:02la ville s'arrête littéralement de vivre
48:04et accueille le monde entier
48:06pour célébrer la paix.
48:20Tsuboi,
48:22comme de nombreux survivants,
48:24a dû vivre avec la bombe.
48:26Comme beaucoup,
48:28échapper à cette tragédie
48:30l'a rendu redevable d'une mission.
48:36Le pont Miyuki n'est pas seulement
48:38l'endroit où il y avait la foule des sinistrés.
48:40C'est aussi pour moi
48:42le point de départ de ma vie d'après.
48:46C'était ma renaissance pour ainsi dire.
48:48Sur le pont Miyuki,
48:50en un instant,
48:52Tsuboi, Koichi,
48:54Nishioka, Kodama
48:56et tous les autres
48:58ont perdu leur part d'innocence.
49:02Ça n'aurait pas dû arriver.
49:06Je veux dire, cette file infinie de victimes brûlées,
49:08c'était comme regarder
49:10quelque chose d'interdit.
49:12Comme Takashi,
49:14tous veulent qu'après le 6 août 1945,
49:16leur vie ne reste pas vaine.
49:34Quand on sera morts,
49:36il n'y aura plus rien.
49:38Quand on sera morts,
49:40il n'y aura plus personne
49:42pour raconter ces histoires.
49:46J'ai le devoir de faire quelque chose
49:48tant que je suis encore en vie.
49:52Pour pouvoir transmettre aux jeunes,
49:54c'était mon devoir
49:56de me remémorer mon expérience
49:58et de réunir le plus de documents possibles.
50:04Je voudrais qu'ils comprennent
50:06la valeur de la paix
50:08et qu'ils n'oublient pas Hiroshima.
50:12C'est ce que je souhaite.
50:28Yoshito Matsushige est mort en 2005.
50:32Mais ses photos font désormais partie
50:34de la mémoire collective.
50:36Elles sont un hommage
50:38aux 210 000 victimes de la bombe d'Hiroshima
50:40et de celle qui sera larguée
50:42sur Nagasaki trois jours plus tard.
50:44Elles sont un témoignage rare
50:46de ce lundi 6 août 1945,
50:48de l'histoire de ces hommes,
50:50ces femmes et ces enfants
50:52pris dans l'enfer du feu nucléaire
50:54sous le nuage d'Hiroshima.
50:58Afin que l'humanité
51:00ne connaisse plus jamais cela.
51:04C'est ce qu'il faut faire
51:06pour que l'humanité
51:08ne connaisse plus jamais
51:10ce qu'il a vécu.

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