• le mois dernier

Visitez notre site :
http://www.france24.com

Rejoignez nous sur Facebook
https://www.facebook.com/FRANCE24

Suivez nous sur Twitter
https://twitter.com/France24_fr#

Category

🗞
News
Transcription
00:00On continue d'en parler avec Pierre Vermeeren, historien spécialiste du Maghreb et des sociétés arabo-berbères,
00:06auteur de l'ouvrage « Dissidents du Maghreb depuis les indépendances » aux éditions Belin.
00:10Bonjour. Il n'y a aucun suspense concernant le résultat de cette élection présidentielle anticipée ?
00:16Le résultat est connu d'avance ?
00:18Absolument. Le suspense qui demeure, c'est le taux de participation parce qu'il est très important.
00:24On a eu 39% la dernière fois. Cette fois-ci, le pouvoir a présenté un candidat du FFS,
00:32ce qui permet de mettre fin peut-être au vote blanc ou à la non-participation de la Kabylie,
00:39ce qui pourrait permettre d'améliorer le score global.
00:42Donc c'est autour de cette question-là que se pose la vraie interrogation.
00:46Le président Tebboune est arrivé au pouvoir dans la foulée du mouvement du Hirak en 2019,
00:51mouvement qu'il a ensuite muselé.
00:53Qu'en est-il aujourd'hui de ce Hirak ? Est-ce qu'il peut renaître sous une forme ou sous une autre ?
00:58Écoutez, la page a été tournée notamment par l'épisode du Covid qui a permis finalement au pouvoir
01:05de mettre fin à cette contestation très spectaculaire que tout le monde a en mémoire.
01:10Deuxième élément qui a permis de mettre fin, c'est la crise du Covid et la guerre d'Ukraine
01:18puisque ça a permis une croissance du prix du baril et notamment du tarif du gaz.
01:26Et là, grâce à cela, l'État algérien a retrouvé des ressources et a pu finalement
01:32honorer un certain nombre de promesses vis-à-vis de la population.
01:35La distribution a été assez importante, que ce soit sous forme de travaux publics,
01:39de logements, d'autorisation d'importation ou d'augmentation de telle ou telle allocation.
01:43Et les promesses du président Tebboune pour son prochain mandat vont tout à fait dans ce sens.
01:47Mais on voit que c'est très indexé davantage sur la conjoncture internationale
01:51que sur la situation politique et sociale intérieure.
01:54Oui, le président Tebboune a fait campagne sur son bilan, en particulier sur le plan économique
01:58qu'il présente comme exceptionnel. Mais quelle est la réalité pour les Algériens,
02:02notamment en termes de vie chère ?
02:05Oui, alors c'est vrai que par certains côtés, ces deux crises dont j'ai parlé ont eu l'avantage
02:10d'augmenter le prix des hydrocarbures, mais elles ont aussi déclenché un phénomène d'inflation,
02:15notamment à cause de l'importation massive des prix des céréales, par exemple,
02:20en ce cas d'un certain nombre de prix agroalimentaires.
02:23Donc c'est mitigé parce qu'effectivement l'inflation a été forte,
02:28elle commence à descendre depuis quelques mois comme un peu partout,
02:31mais elle a handicapé le pouvoir d'achat des Algériens,
02:35d'où les promesses d'augmentation de salaires, de revenus, d'allocations chômage,
02:39de retraite, de traitement des fonctionnaires. C'est évidemment une question centrale,
02:42d'autant plus que le pouvoir est chaudé, puisque quand il y a eu des grandes crises
02:46ces deux dernières décennies, c'était toujours lié à une conjoncture pétrolière basse
02:51et donc à un manque de moyens pour l'État pour honorer la redistribution dont il est chargé.
02:59C'est une économie très particulière, puisque c'est une économie qui repose
03:04sur la rente pétrolière et sa redistribution.
03:06Sur le plan politique, maintenant il y a deux autres candidats,
03:08est-ce qu'ils représentent réellement une opposition ?
03:12Tous les observateurs ont souligné qu'ils représentent évidemment des courants bien réels
03:18de la vie politique, notamment le MSP Tendances Frères Musulmans, si on peut dire,
03:23et puis le FFS qui est un vieux parti à la fois socialiste, dont l'ancrage est plutôt en Kabylie,
03:30mais aussi national. Donc ces deux forces existent, mais les candidats qui les dirigent aujourd'hui
03:36ne sont pas des personnalités de premier plan comme on en a connu autrefois
03:40à la tête de ces deux partis. Donc ils ne risquent pas de faire d'ombre au président Tebboune,
03:45qui va certainement avoir une réélection très confortable dans un large fauteuil.
03:50Ce n'est pas vraiment une surprise pour les Algériens.
03:53D'autres candidats d'ailleurs ont été écartés par le Conseil constitutionnel.
03:57On ne peut pas dire que ce ne sont pas des partis représentatifs,
03:59mais ils ne sont pas portés par des personnalités connues et capables de faire trembler la présidence.
04:05Et où en est le mouvement islamiste aujourd'hui en Algérie ?
04:11Alors il est multiple. Une partie d'ailleurs, notamment le parti Albina, soutient le président Tebboune
04:19dans l'alliance présidentielle. D'autres islamistes sont intégrés à l'intérieur des forces dominantes,
04:25notamment du FLN. Et puis il y a ce parti qui est respectueux des lois,
04:31qui aujourd'hui est le MSP, qui soutient le candidat Hassani.
04:37Mais les plus radicaux, si vous voulez, ne font plus partie du paysage politique.
04:44Certains d'ailleurs partis islamistes révolutionnaires sont criminalisés et pourchassés.
04:48Le terrorisme fait toujours partie des objets de la lutte de l'État algérien.
04:54Mais on peut dire que l'islamisme, d'une certaine manière, est très présent dans la société,
04:59mais il a été domestiqué politiquement.
05:01Et quels sont les rapports actuellement entre l'armée et le président Tebboune ?
05:06Écoutez, le président Tebboune a été évidemment installé par l'armée, c'est un secret pour personne.
05:13C'est un préfet qui a une longue expérience préfectorale, donc il a été habitué, c'est un wali,
05:18il a été habitué à diriger des territoires. Il est possible qu'il manifeste qu'il ait une certaine liberté de manœuvre.
05:25Tout le monde sait très bien, et on l'a vu au moment quand il a annoncé il y a un peu plus d'un mois sa nouvelle candidature,
05:32on se demandait s'il allait être reconduit. Il l'a été, ça veut dire qu'il a la confiance finalement
05:37des dirigeants de l'institution principale du pays, à savoir l'institution militaire.
05:41Est-ce qu'il a une marge d'autonomie ? Certainement. Est-ce qu'elle est très grande ? Pas vraiment.
05:46Mais comme il bénéficie d'une conjoncture économique favorable et que d'autre part il a permis de sortir
05:52de cette spectaculaire crise d'Irak et puis bien sûr d'avoir surmonté aussi la crise du Covid,
05:59finalement les militaires ou en tout cas le haut état-major l'a reconduit, lui a manifesté sa confiance.
06:07Il faut rappeler que c'est un homme de 79 ans, que l'Algérie est dirigée par des personnalités très âgées.
06:12C'était un des reproches qui étaient faits à la présidence Bouteflika. De ce point de vue-là,
06:16on n'est pas sortis d'une forme de gérontocratie et la question se reposera dans quelques années,
06:22de savoir quelle est la génération qui va succéder à ces hommes, mais on n'en est pas encore là.
06:26D'accord, donc la place de l'armée au sein de la société algérienne, elle est importante toujours aujourd'hui ?
06:32Elle est incontestablement importante, que ce soit dans les budgets, que ce soit dans le rôle politique,
06:37voire dans le rôle économique, c'est une place centrale. Il faut rappeler que la géopolitique de la région
06:42est très instable entre les conflits au Sahel et la persistance du conflit en Libye,
06:47les relations très mauvaises avec le Maroc, le contrôle des frontières en Méditerranée,
06:51tout ça fait beaucoup, sans parler de la sécurisation de la frontière avec la Tunisie.
06:55Donc l'armée a de quoi faire, elle occupe une part très importante du budget des investissements
07:01et du commerce extérieur à travers ses achats d'armement à la Russie.
07:04Donc oui, elle reste la colonne vertébrale de la République algérienne démocratique.
07:09Le président Tebboune comme le président français Emmanuel Macron sont deux présidents
07:13qui n'ont pas vécu la guerre de l'indépendance algérienne.
07:16Où en est-on actuellement de la réconciliation des mémoires entre les deux pays ?
07:21Oui, alors c'est définitivement plus aucun président des deux pays n'aura vécu la guerre d'Algérie, c'est certain.
07:27La réconciliation était plutôt bien engagée parce qu'il y a plutôt une relation positive
07:33entre le président Macron et le président Tebboune.
07:35La question bien sûr c'est que le 30 juillet, le président Macron a déclaré que désormais
07:43la France reconnaît le principe de la souveraineté marocaine sur le Sahara, ex-occidentale, ex-espagnole.
07:50C'est-à-dire les provinces du Chine, du Maroc, du point de vue marocain.
07:53Et ça évidemment, ça a fortement crispé les relations avec l'Algérie qui a rappelé son ambassadeur.
07:59Et de ce point de vue-là, on ne sait pas très bien ce qui va sortir,
08:03mais il est possible qu'après sa réélection, on ait une annulation officielle de l'avenue en France
08:08qui était prévue du président Tebboune parce qu'on est plutôt dans une période de crise.
08:11Mais ce n'est pas pour l'instant une crise intense.
08:14Les Algériens n'ont pas découvert non plus que la France soutenait le Maroc depuis très longtemps dans ce conflit.
08:19Les historiens français, ils ont fait une partie du chemin, notamment avec les travaux de Benjamin Stora.
08:25Qu'en est-il aujourd'hui du côté des historiens algériens ?
08:30Alors, ils se sont réunis à plusieurs reprises dans le cadre de la commission des historiens.
08:34On peut dire que les historiens algériens eux aussi, qui ont été mandatés, ont fait une partie du travail.
08:39Cette commission doit travailler sur le long terme.
08:42Elle a un agenda important.
08:44Pour l'instant, elle s'est intéressée au XIXe siècle.
08:46Elle s'est intéressée aux archives.
08:48Elle s'est intéressée à la restitution d'un certain nombre d'objets.
08:51Elle travaille.
08:52Maintenant, est-ce que le nouveau contexte politique franco-algérien va permettre d'amplifier
08:57ou au contraire va inciter les autorités algériennes à ralentir cet investissement ?
09:01On le saura dans les semaines ou les mois qui viennent.
09:04Mais en tout cas, pour l'instant, le travail a lieu.
09:06Merci beaucoup Pierre Vermeeren d'avoir été avec nous sur France 24 et merci pour votre analyse.

Recommandations